COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
( anciennement dénommée 4e Chambre A)
ARRÊT AU FOND
DU 17 JANVIER 2019
BM
N° 2019/ 23
Rôle N° RG 17/10438 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAUE2
SAS IMMOBILIERE DU CEINTURION
C/
Commune DE HYERES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES
SCP IMAVOCATS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 07 Avril 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/01339.
APPELANTE
SAS IMMOBILIERE DU CEINTURON, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]
représentée par Me Agnès A... de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Z... B... de l'ASSOCIATION MARTIN- SANTI AGNES / B... Z..., avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
INTIMEE
COMMUNE DE HYERES, prise en la personne de son Maire en exercice domicilié [...]
représentée par Me Philippe X... de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON, assistée de Me Guillaume Y..., avocat au barreau de PARIS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Novembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Madame Laure BOURREL, Président
Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller
Monsieur Luc BRIAND, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2019,
Signé par Madame Laure BOURREL, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS et PROCÉDURE ' MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par arrêté du 7 novembre 1955, le préfet du Var a déclaré d'utilité publique l'acquisition des terrains nécessaires à l'extension de la plate-forme du port de plaisance de la commune de Hyères les palmiers ; des terrains appartenant à la SAS immobilière du ceinturon ont été expropriés sur ce fondement ; le transfert de propriété à la commune a été prononcé par ordonnance du 24 novembre 1955, moyennant une indemnité fixée à 2.150.000 anciens francs; l'acte a été dressé le 19 décembre 1957.
La société du ceinturon s'est heurtée au refus de la commune de faire droit à sa demande de rétrocession présentée en 1966 ; elle a saisi le tribunal administratif de Nice qui s'est déclaré incompétent par jugement du 30 avril 1969 ; aucun recours n'a été exercé contre ce jugement.
Le 14 août 2007, elle a présenté une demande indemnitaire auprès de la commune en faisant valoir que les parcelles expropriées à l'exception d'une petite surface, ne recevaient pas la destination d'utilité publique prévue, qu'elles étaient revendues peu à peu à des investisseurs et qu'il en résultait un préjudice correspondant à la perte de la plus-value engendrée par le bien exproprié, évaluée à un montant de 3.112.262,88 euros ; compte tenu du refus de la commune, la SAS immobilière du ceinturon l'a fait assigner devant le tribunal administratif de Toulon, par requête du 30 novembre 2007.
Le tribunal administratif a rejeté la requête par jugement du 11 juin 2009, lequel a été confirmé le 26 mars 2012 par la cour administrative d'appel de Marseille ; à la suite de l'arrêt prononcé le 8 décembre 2014 par le tribunal des conflits, le conseil d'État a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que l'arrêt de la cour administrative d'appel et, a décliné la compétence de la juridiction administrative au profit du juge judiciaire selon arrêt du 30 décembre 2014.
Prétendant avoir un droit à indemnisation indépendamment de toute action en rétrocession, la SAS immobilière du ceinturon a fait assigner, par exploit du 17 février 2015, devant le tribunal de grande instance de Toulon, la commune de Hyères les palmiers en vue d'obtenir sa condamnation à l'indemniser à hauteur du montant sus-énoncé avec intérêts légaux.
Au motif que la société immobilière du ceinturon a renoncé à solliciter la rétrocession et qu'elle est par suite irrecevable, le tribunal, par jugement du 7 avril 2017, a notamment :
- débouté la société immobilière du ceinturon de sa demande en paiement de la somme de 3.112.262,88 euros
- condamné la société immobilière du ceinturon à payer une somme de 3.000 euros à la commune de Hyères les palmiers au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société immobilière du ceinturon aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SAS immobilière du ceinturon a régulièrement relevé appel, le 2 mai 2017, de ce jugement en vue de sa réformation.
Elle demande à la cour, selon conclusions déposées le 23 novembre 2017 par RPVA, de :
Vu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et au visa de l'arrêt « Motais de Narbonne » et des arrêts précités du tribunal des conflits, du conseil d'État et de la Cour de Cassation
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 7 avril 2017 en toutes ses dispositions
statuant à nouveau
- débouter la commune de Hyères les palmiers de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- déclarer recevable et bien fondé le recours en indemnisation de la requérante
En conséquence
- condamner la commune de Hyères les palmiers à payer à la requérante la somme de 3.112.262,88 euros, avec intérêts au taux légal à compter de son recours préalable, avec capitalisation des intérêts à chaque date d'anniversaire de ce recours
- mettre les dépens à la charge de la commune de Hyères les palmiers et la condamner en sus à payer à la requérante une indemnité de 15 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
Formant appel incident, la commune de Hyères les palmiers sollicite de voir, selon conclusions déposées par RPVA le 15 septembre 2017 :
Au visa des articles L 421-1 du code de l'expropriation, 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, 2262 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
A titre principal
- confirmer le jugement dont appel
- rejeter l'ensemble des demandes de la SAS immobilière du ceinturon
- condamner la société immobilière du ceinturon au paiement de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société immobilière du ceinturon aux entiers dépens de l'instance
A titre subsidiaire
- constater que la ville de Hyères les palmiers a opposé à la créance réclamée par la société immobilière la prescription quadriennale sur le fondement de l'article 1er de la loi n° 68-1250 susvisée du 31 décembre 1968
- dire et juger que la créance dont se prévaut la société immobilière est prescrite, que ce soit sur le fondement de l'article 1er de la loi n° 68-1250 susvisée du 31 décembre 1968 ou de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction applicable au litige
- rejeter les conclusions de la société immobilière du ceinturon avec toutes conséquences de droit
- condamner la société immobilière du ceinturon au paiement de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société immobilière du ceinturon aux entiers dépens de l'instance
A titre infiniment subsidiaire
- dire et juger que la créance réclamée par la société immobilière du ceinturon n'est fondée ni dans son principe, ni dans son montant
- rejeter les conclusions de la société immobilière du ceinturon avec toutes conséquences de droit
- condamner la société immobilière du ceinturon au paiement de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société immobilière du ceinturon aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 06 novembre 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'absence de rétrocession
Il est de droit, en application de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales édictant un droit à la protection de la propriété, qu'en conservant une propriété de longues années sans lui donner l'affectation conforme à la déclaration d'utilité publique et sans justifier d'une raison légitime résultant de l'utilité publique, l'exproprié se trouve indûment privé de la plus-value engendrée par le bien ; indépendamment de toute reconnaissance judiciaire d'un droit à rétrocession, cette privation constitue une charge excessive justifiant l'indemnisation de l'exproprié.
Il en résulte que le droit à indemnisation existe de manière totalement indépendante et dissociée du droit à rétrocession.
En l'espèce, la société immobilière du ceinturon a saisi d'une demande en rétrocession le tribunal administratif de Nice, lequel s'est déclaré incompétent par jugement du 30 avril 1969; la société n'a diligenté par la suite aucune action pour se voir reconnaître un droit à rétrocession.
Néanmoins, contrairement à ce que soutient la commune, ce n'est pas la reconnaissance du droit à rétrocession et son impossibilité de mise en 'uvre qui font naître le droit à indemnité.
En effet, l'absence d'exercice du droit à rétrocession est sans incidence sur l'appréciation de l'atteinte portée par la décision d'expropriation au droit de propriété.
Il importe peu dés lors que la société du ceinturon soit déchue de son droit de rétrocession dont l'exercice est limité à 30 ans.
En conséquence, c'est à tort que le premier juge a écarté la recevabilité de la demande indemnitaire en se fondant sur la renonciation de la société immobilière du ceinturon à solliciter la rétrocession.
Sur la prescription
Pour apprécier les règles de prescription applicables à la demande indemnitaire de la société immobilière du ceinturon, il convient de se placer à la date de sa demande ; elle a été présentée pour la première fois le 14 août 2007 par lettre adressée à la commune puis réitérée le 30 novembre 2007 suivant requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon.
Ce sont donc les règles de prescription antérieures à la réforme du 17 juin 2008 qui doivent recevoir application, conformément à l'article 26 III de ladite loi, soit en l'occurrence l'article 2227 ancien du code civil.
Celui-ci énonce dans sa version applicable jusqu'au 17 juin 2008 que: L'État, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer.
Il en résulte qu'est applicable à la commune de Hyères les palmiers, la prescription trentenaire édictée par l'article 2262 ancien du code civil, selon lequel toutes les actions tant réelles que personnelles sont prescrites par 30 ans.
De plus, sous l'empire des textes antérieurs à la loi du 17 juin 2008, le point de départ du délai de prescription est la date d'exigibilité du droit.
L'ensemble de ces règles de droit interne ne porte pas atteinte à la propriété et ne constitue nullement une charge excessive.
Au cas d'espèce, le droit à indemnité au profit de la société expropriée n'a pu courir avant que la commune n'ait été tenue de donner au bien exproprié la destination prévue dans la déclaration d'utilité publique, soit cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, conformément au délai édicté tant par l'article L12-6 du code de l'expropriation alors en vigueur et abrogé selon ordonnance du 6 novembre 2014.
L'ordonnance transférant la propriété à la commune a été prononcée le 24 novembre 1955, de sorte que le droit à indemnité a commencé à courir à compter du 25 novembre 1960.
Par suite, au 25 novembre 1990, l'action était prescrite.
Aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu puisque la saisine du juge administratif ayant abouti au jugement du 30 avril 1969 avait pour objet le droit à rétrocession, mais non le droit à indemnisation.
Il est établi dés lors que la demande indemnitaire formée en 2007 par la société immobilière du ceinturon a été présentée au-delà de l'expiration du délai de 30 ans, intervenue le 25 novembre 1990.
L'action indemnitaire diligentée par la société immobilière du ceinturon est donc irrecevable comme prescrite, sans qu'il y ait lieu d'examiner d'une part, le moyen tiré de la prescription quadriennale soulevé également par la commune en sus de la prescription trentenaire et d'autre part, le bien-fondé de l'action indemnitaire.
Le jugement sera réformé en ce qu'il déboute la société immobilière du ceinturon de sa demande en paiement.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant sur son appel, la SAS immobilière du ceinturon doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la commune de Hyères les palmiers la somme de 3000 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé au titre des frais irrépétibles et des dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Réforme le jugement du tribunal de grande instance de Toulon en date du 7 avril 2017, mais seulement en ce qu'il a débouté la SA immobilière du ceinturon de sa demande en paiement de la somme de 3112262,88 euros,
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit que la demande en paiement de la somme de 3112 262,88 euros avec intérêts, formée par la SAS immobilière du ceinturon à l'encontre de la commune de Hyères les palmiers, est prescrite,
Déclare en conséquence irrecevable, l'action de la SAS immobilière du ceinturon,
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,
Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,
Condamne la SAS immobilière du ceinturon aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la commune de Hyères les palmiers la somme de 3000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président