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13/12/2018 | FRANCE | N°2018/624

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, Ct0021, 13 décembre 2018, 2018/624


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre B

ARRÊT AU FOND
DU 13 DÉCEMBRE 2018

No 2018/ 624
No RG 17/18534

No Portalis DBVB-V-B7B-BBKHH

Société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL D'ANNONAY

C/

Société DE CREDIT AGRICOLE DE LA CORSE PROVENCE COTE D'AZUR NICE FERBER

Société DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR DE LA CORSE

SA CREDIT DU NORD

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE

Société GRIMALDI MARE SRL

Copie exécutoire délivrée
le :
à :

- Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD-

CAUCHI et ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-E...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre B

ARRÊT AU FOND
DU 13 DÉCEMBRE 2018

No 2018/ 624
No RG 17/18534

No Portalis DBVB-V-B7B-BBKHH

Société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL D'ANNONAY

C/

Société DE CREDIT AGRICOLE DE LA CORSE PROVENCE COTE D'AZUR NICE FERBER

Société DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR DE LA CORSE

SA CREDIT DU NORD

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE

Société GRIMALDI MARE SRL

Copie exécutoire délivrée
le :
à :

- Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI et ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me François LASTELLE de l'ASSOCIATION VIVIANI P. LASTELLE F., avocat au barreau de NICE

- Me Hubert ROUSSEL de l'ASSOCIATION CABINET ROUSSEL-CABAYE, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Christophe MAIGNE, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 11 Septembre 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le no 2017F00206.

APPELANTE

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL D'ANNONAY
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI et ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

CREDIT AGRICOLE DE LA CORSE PROVENCE COTE D'AZUR NICE FERBER
dont le siège social est [Adresse 2]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR DE LA CORSE
dont le siège social est [Adresse 3]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SA CREDIT DU NORD
dont le siège social est [Adresse 4]
représentée par Me François LASTELLE de l'ASSOCIATION VIVIANI P. LASTELLE F., avocat au barreau de NICE

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE
anciennement dénommée BANQUE POPULAIRE PROVENCALE ET CORSE
dont le siège social est [Adresse 5]
représentée par Me Hubert ROUSSEL de l'ASSOCIATION CABINET ROUSSEL-CABAYE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Marie-joseph ROCCA SERRA, avocat au barreau de MARSEILLE

Société GRIMALDI MARE SRL
dont le siège social est [Adresse 6] (ITALIE)
représentée par Me Christophe MAIGNE, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2018.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2018

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Lydie BERENGUIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

LA COUR

A compter de l'année 2005, la société Grimaldi Mare, distributeur italien de maillots de bain, a donné mandat à M. [H] [J] aux fins de prospecter le marché français, prendre les commandes et recueillir les chèques de paiement établis à l'ordre de son mandant.

Le 12 mars 2011, le gérant de la société Grimaldi Mare a déposé plainte à l'encontre de M. [J] du chef d'abus de confiance. S'inquiétant de l'absence de paiement de certaines livraisons, il a interrogé deux clients, lesquels lui ont déclaré qu'ils avaient réglé au moyen de chèques dont le montant a été débité de leur compte bancaire. La copie des chèques sollicitée auprès des banques tirées a mis en évidence leur encaissement par M. [J], sur un compte ouvert à son nom auprès de la Caisse de crédit mutuel d'Annonay (le Crédit mutuel), après l'ajout de son nom à celui de la société Grimaldi Mare dans le libellé du bénéficiaire.

Se prévalant de manquements aux obligations de vérification d'un chèque remis à l'encaissement, la société Grimaldi Mare, qui avait vainement présenté des réclamations amiables, a fait assigner, en juin 2012, devant le tribunal de grande instance de Nice, d'un côté, la Fédération régionale du crédit mutuel Dauphiné Vivarais, prise en qualité de banque présentatrice, d'un autre côté, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur (le Crédit agricole Provence Côte d'Azur), le Crédit du Nord, la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse (le Crédit agricole de la Corse) et la Banque populaire provençale et Corse, banques tirées.

Par ordonnance du 25 juin 2015, le juge de la mise en état a ordonné la disjonction entre les demandes formées à l'encontre des banques tirées et la demande formée à l'encontre de la Fédération régionale de crédit mutuel Dauphiné Vivarais ; il a déclaré le tribunal de grande instance incompétent pour connaître des demandes formées contre les banques tirées en raison de leur qualité de commerçant, ce tribunal ne restant saisi que de la demande formée à l'encontre de la Fédération, association qui n'exerce pas l'activité bancaire.

Le 9 décembre 2015, la société Grimaldi Mare a assigné en intervention forcée devant le tribunal de commerce de Nice la Caisse de crédit mutuel d'Annonay en responsabilité à raison de fautes commises en la qualité, qu'elle ne conteste pas, de banque présentatrice.

Le Crédit mutuel a opposé, à titre principal, la prescription de l'action, subsidiairement, l'absence de faute.

Les banques tirées ont contesté avoir manqué à leur obligation de vérification.

Par jugement contradictoire du 11 septembre 2017, le tribunal de commerce de Nice a :

- déclaré recevables et non prescrites les demandes formées par la société Grimaldi Mare ;

- débouté la société Grimaldi Mare des demandes formées à l'encontre du Crédit agricole Provence Côte d'Azur, du Crédit du Nord, du Crédit agricole de la Corse, de la Banque populaire provençale et Corse ;

- condamné le Crédit mutuel à payer à la société Grimaldi Mare la somme de 24 198,70 ? ;

- condamné la société Grimaldi Mare à payer au Crédit agricole Provence Côte d'Azur, au Crédit du Nord, au Crédit agricole de la Corse et à la Banque populaire provençale et Corse la somme de 200 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné le Crédit mutuel aux dépens et au paiement à la société Grimaldi Mare de la somme de 2 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Crédit mutuel a relevé un appel général de ce jugement en intimant la société Grimaldi Mare.

La société Grimaldi Mare a formé des appels provoqués à l'encontre du Crédit agricole Provence Côte d'Azur, du Crédit du Nord, du Crédit agricole de la Corse et de la Banque populaire provençale et Corse, devenue la Banque populaire Méditerranée (la BPM).

****

Vu les conclusions remises le 20 avril 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles le Crédit mutuel demande à la cour de :

- réformer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;

- juger que le point de départ de la prescription est nécessairement antérieur à décembre 2010 et que la prescription n'a pas été interrompue ;
- juger que l'action en responsabilité est prescrite ;

Subsidiairement,
- juger qu'elle n'a commis aucune faute ;
- débouter la société Grimaldi Mare de ses demandes ;

Plus subsidiairement,
- débouter la BPM de sa demande en relevé et garantie ;
- rejeter toutes les demandes formées à l'encontre du Crédit mutuel ;

- condamner la société Grimaldi Mare aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Vu les conclusions remises le 16 juillet 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles la société Grimaldi Mare demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué sur la recevabilité de l'action, la faute du Crédit mutuel et les condamnations prononcées à son encontre ;

- débouter le Crédit mutuel de ses demandes ;

- déclarer recevables ses appels provoqués ;

- réformer partiellement le jugement attaqué ;

- condamner la BPM à payer la somme de 1 571 ?, le Crédit agricole Provence Côte d'Azur à payer les sommes de 1 444,03 ?, 1545,31 ?, 1 210,42 ? et 10 253,52 ?, le Crédit du Nord la somme de 6 760,32 ? et le Crédit agricole de la Corse la somme de 1 414,10 ? ;

- condamner le Crédit mutuel, in solidum avec les autres établissements bancaires, aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Vu les conclusions remises le 16 février 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles le Crédit agricole Provence Côte d'Azur et le Crédit agricole de la Corse demandent à la cour de :

- juger qu'aucune faute ne peut être reprochée aux banques tirées ;
- confirmer le jugement attaqué en ses dispositions relatives au Crédit agricole Provence Côte d'Azur et au Crédit agricole de la Corse ;
- condamner la société Grimaldi Mare et tous succombants aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Vu les conclusions remises le 15 janvier 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles le Crédit du Nord demande à la cour de :

- débouter la société Grimaldi Mare de ses appels provoqués ;
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la société Grimaldi Mare des demandes formées à l'encontre du Crédit du Nord ;
- condamner la société Grimaldi Mare aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Vu les conclusions remises le 20 février 2018, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles la BPM, venant aux droits de la Banque populaire provençale et Corse, demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il l'a mise hors de cause ;

Subsidiairement,
- condamner le Crédit mutuel à la relever et garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre ;
- juger que la prescription ne peut lui être opposée ;
- juger que seule la banque présentatrice pouvait déceler le rajout d'un bénéficiaire ;

En tout état de cause,
- condamner tout succombant aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

****

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 4 septembre 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

La société Grimaldi Mare agit en indemnisation, à raison de manquements du Crédit mutuel, banque présentatrice, et des autres établissements de crédit, banques tirées, aux obligations de vérification qui leur incombent, respectivement lors de la présentation d'un chèque à l'encaissement et lors du paiement de ce chèque.

La demande a été introduite en juin 2012 devant le tribunal de grande instance de Nice à l'encontre des banques tirées et de la Fédération régionale du crédit mutuel Dauphiné Vivarais prise, par erreur, en qualité de banque présentatrice.

Par ordonnance du 25 juin 2015, le juge de la mise en état a ordonné la disjonction entre, d'un côté, les demandes formées à l'encontre des banques tirées, d'un autre côté, la demande formée à l'encontre de la Fédération régionale de crédit mutuel Dauphiné Vivarais ; il a déclaré le tribunal de grande instance incompétent pour connaître des demandes formées contre les banques tirées en raison de leur qualité de commerçant, ce tribunal ne restant saisi que de la demande formée à l'encontre de la Fédération, association qui n'exerce pas l'activité bancaire.

Le 9 décembre 2015, la société Grimaldi Mare a assigné en intervention forcée, devant le tribunal de commerce de Nice, la Caisse de crédit mutuel d'Annonay en responsabilité à raison de fautes commises en sa qualité, qu'elle ne conteste pas, de banque présentatrice des chèques.

Le Crédit mutuel oppose la prescription de l'action. Il fait valoir que la prescription a couru à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que les chèques litigieux ont été émis en mai, juin et juillet 2010, qu'il n'est pas crédible qu'un fournisseur ne s'inquiète du non-paiement de factures que 7 mois après la livraison, qu'à supposer que cela fût vrai, il ne peut se prévaloir de son incurie dans la gestion de son activité, enfin, que la société Grimaldi Mare a nécessairement été informée par ses clients antérieurement à décembre 2010.

La société Grimaldi Mare réplique qu'elle a été induite en erreur par la Fédération régionale de crédit mutuel Dauphiné Vivarais, laquelle s'est présentée, à la suite d'une réclamation amiable, comme la personne morale responsable des mandats d'encaissement, qu'elle n'a eu connaissance du détournement des chèques qu'à la fin du mois de décembre 2010, enfin, que ce n'est qu'à la suite de la réception de la copie des chèques qu'elle a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer ses droits.

Une action en responsabilité relève de la catégorie des actions personnelles lesquelles, en application de l'article 2224 du code civil, se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Au cas particulier, ce n'est ni au jour de la réalisation du dommage consistant dans le détournement, ni au jour de la connaissance par la société Grimaldi Mare du détournement des chèques que cette dernière a été en mesure d'agir en réparation à l'encontre des banques, mais au jour où elle a eu connaissance par la remise d'une copie des chèques des manquements de ces établissements à leurs obligations de vérification.

Lorsqu'il a déposé plainte, le 12 mars 2011, le gérant de la société Grimaldi Mare a expliqué qu'alerté par le non paiement de factures depuis plus de 6 mois, il a interrogé en décembre 2010 deux clients, la société Beverley et la société Maria, lesquelles, après vérification lui ont indiqué que les chèques remis en paiement à M. [J] ont été inscrits au débit de leur compte. Ces deux sociétés ont alors sollicité des établissements de crédit sur lesquels les chèques étaient tirés la remise d'une copie des titres qui a révélé leur encaissement par M. [J]. Les déclarations du gérant de la société Grimaldi Mare sont confirmées par celles du dirigeant de la société Beverley, lequel a situé à la fin du mois de décembre 2010 la réclamation formée par la société Grimaldi Mare, et par une attestation de la société Maria.

Il ne peut être soutenu que la société Grimaldi Mare, qui a attendu plus de six mois avant de s'interroger sur le paiement de livraisons, aurait dû être informée plus tôt des faits lui permettant d'agir en responsabilité, dès lors que les sommes en jeu ne sont pas suffisamment significatives pour qu'il lui soit fait grief d'une carence dans sa gestion.

Enfin, l'allégation selon laquelle la société Grimaldi Mare aurait été informée des détournements par ses clients, avant le mois de décembre 2010, n'est assortie d'aucun élément de preuve. Aucune anomalie ne pouvait d'ailleurs apparaître aux clients puisque les chèques remis avaient été débités de leur compte.

Dès lors, c'est à la fin du mois de décembre 2010 que le dommage a été révélé à la société Grimaldi Mare, laquelle a ensuite été en mesure, par la communication des copies de chèques intervenue à une date non déterminée, de connaître les faits qu'elle impute à faute aux banques. Ainsi, la prescription quinquennale de l'article L 110-4 du code de commerce n'a commencé à courir, au plus tôt, qu'à compter de la fin du mois de décembre 2010.

La prescription n'était pas acquise lorsque la société Grimaldi Mare a assigné le Crédit mutuel, le 9 décembre 2015, puisqu'un délai de moins de 5 ans sépare nécessairement la fin du mois de décembre 2010 du début du mois de décembre 2015.

Sur le fond

Les demandes en indemnisation, à raison de manquements du Crédit mutuel, banque présentatrice, et des autres établissements de crédit, banques tirées, aux obligations de vérification qui leur incombent, respectivement lors de la présentation d'un chèque à l'encaissement et lors du paiement de ce chèque, portent sur les chèques suivants récapitulés par établissements tirés :

Crédit agricole Provence Côte d'Azur

- chèque de 1 210 ? émis le 14 mai 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à la suite de l'indication du bénéficiaire originaire, "Grimaldi Mare", par une écriture manifestement différente, plus petite, plus resserrée que celle des autres mentions du chèque, rédigées en une forme ample ;

- chèque de 1 545,31 ? émis le 28 mai 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à la suite de l'indication du bénéficiaire originaire, "Grimaldi Mare", par une écriture manifestement différente plus petite, plus resserrée que celle des autres mentions du chèque, rédigées en une forme ample et plus inclinée ;

- chèque de 1 444,03 ? émis le 18 juin 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à l'indication du bénéficiaire originaire "Grimaldi Mare", par surcharge du mot "Mare" par "[H]" ; la surcharge, effectuée avec habileté, sans qu'il en résulte un épaississement des lettres, laisse cependant apparaître une anomalie graphique puisque le début du "M" de Mare subsiste devant la lettre "J" de [H] ; l'ajout "[H] [J]" est rédigé d'une écriture droite et resserrée, manifestement différente de l'écriture ample et inclinée des autres mentions du chèque ;

- chèque de 10 253 ? émis le 3 juillet 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à l'indication du bénéficiaire originaire "Grimaldi Mare", par surcharge du mot "Mare" par "[H]" ; effectuée avec habileté, la surcharge laisse cependant apparaître une anomalie graphique puisque le début du "M" de Mare subsiste devant la lettre "J" de [H] ; la fin du mot "[H]", soit "QUES", rédigé en majuscules, d'une écriture droite tranche avec l'inclinaison des autres mentions ; "[J]" est d'une écriture manifestement différente de celle des autres mentions du chèque ;

Crédit du Nord

- chèque de 6 760 ? émis le 30 juillet 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à l'indication du bénéficiaire originaire "Grimaldi Mare", par surcharge du mot "Mare" par "[H]" ; par son graphisme, son caractère forcé, son resserrement, l'écriture de "[H] [J]" est manifestement différente des autres mentions rédigées en une forme ample et souple ;

Crédit agricole de la Corse

- chèque de 1 414,10 ? émis le 15 juin 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à l'indication du bénéficiaire originaire "Grimaldi Mare", par surcharge du mot "Mare" par "[H]" ; la surcharge, effectuée avec habileté, laisse cependant apparaître un épaississement du "u" de [H] et une anomalie graphique puisque le début du "M" de Mare subsiste devant la lettre "J" de [H] ; par son graphisme, son caractère forcé, son resserrement, l'écriture de "[H] [J]" est manifestement différente des autres mentions rédigées en une forme ample et souple ;

Banque populaire provençale et Corse, devenue BPM

- chèque de 1 571 ? émis le 18 juin 2010 ; le nom "[H] [J]" a été ajouté à l'indication du bénéficiaire originaire "Grimaldi Mare", par surcharge du mot "Mare" par "[H]" ; la surcharge, effectuée avec habileté, laisse cependant apparaître une anomalie graphique puisque le début du "M" de Mare subsiste devant la lettre "J" de [H] ; par son graphisme, son caractère forcé, son resserrement, l'écriture de "[H] [J]" est manifestement différente des autres mentions rédigées en une forme ample et souple.

Il résulte de ces constatations que les chèques ne présentent que des signes mineurs de surcharge n'apparaissant qu'à la suite d'un examen attentif et minutieux, en sorte que ces anomalies pouvaient légitimement échapper à la vigilance d'un préposé des banques tirées normalement diligent.

En outre, le rajout en qualité de bénéficiaire du chèque des nom et prénom d'une personne physique à la mention "Grimaldi" ou "Grimaldi Mare", laquelle pouvait s'interpréter comme une enseigne commerciale, ne constituait pas pour les banques tirées, qui n'avaient pas connaissance de l'intitulé du compte du remettant, une anomalie qu'un employé normalement avisé aurait dû déceler en procédant à la vérification apparente du chèque.

Il s'ensuit que les banques tirées n'ont pas commis de faute dans l'exécution du devoir de contrôle qui leur incombe avant de se dessaisir des fonds.

En revanche, le Crédit mutuel avait, en sa qualité de banque présentatrice, connaissance que le chèque remis pour encaissement était destiné à être porté au crédit d'un compte ouvert au seul nom de [H] [J]. L'ajout, au moyen d'une écriture manifestement différente de celle des autres mentions du chèque, de "[H] [J]" au nom du bénéficiaire du chèque porté initialement par le tireur constituait pour la banque présentatrice une particularité apparente, pouvant receler une falsification par ajout d'un second bénéficiaire, qui devait conduire à un examen plus approfondi du titre.

Cet examen aurait mis en évidence des signes de falsification par surcharge sur les chèques de 1 444,03 ?, 10 253 ?, 1 414,10 ? et 1 571 ? que le Crédit mutuel aurait dû refuser de présenter à l'encaissement.

Quant aux chèques de 1 210 ? et 1 545,31 ? sur lesquels "[H] [J]" a été ajouté, sans surcharge, après "Grimaldi Mare" et au chèque de 6 760 ?, pour lequel la surcharge de "Mare" par "[H]", n'est pas apparente, même après un examen approfondi, il appartenait à la banque présentatrice, dans l'exécution de son obligation de contrôle destinée à assurer la sécurité des paiements, d'interroger son client en lui demandant de justifier de l'usage de la dénomination Grimaldi Mare ou Grimaldi portée par le tireur du chèque.

En présentant les chèques litigieux à l'encaissement, sans procéder aux vérifications qui lui incombaient, le Crédit mutuel a commis une faute dont il doit réparation à la société Grimaldi Mare, bénéficiaire des chèques, à concurrence de leurs montants.

Le jugement attaqué est confirmé en ce qu'il a condamné le Crédit mutuel à payer la somme de 24 198,70 ? et rejeté les demandes formées à l'encontre des banques tirées.

****

Le jugement attaqué est confirmé, sauf sur les dépens afférents aux demandes formées par la société Grimaldi Mare à l'encontre de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, du Crédit du Nord, de la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et de la Banque populaire provençale et Corse, devenue la Banque Populaire Méditerranée,

Le Crédit mutuel, qui succombe, est condamné aux dépens de son lien d'instance avec la société Grimaldi Mare et, en considération de l'équité, au paiement de la somme de 1 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de l'indemnité allouée en première instance.

En considération de sa succombance, la société Grimaldi Mare est condamnée aux dépens de ses liens d'instance avec la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, le Crédit du Nord, la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et la Banque Populaire Méditerranée, ainsi qu'aux dépens de l'appel en garantie formé par la Banque Populaire Méditerranée.

L'équité commande de condamner la société Grimaldi Mare à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, au Crédit du Nord, à la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et à la Banque populaire provençale et Corse, devenue la Banque Populaire Méditerranée, la somme pour chacune d'elles de 800 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des indemnités allouées en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement attaqué, sauf sur les dépens afférents aux demandes formées par la société Grimaldi Mare à l'encontre de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, du Crédit du Nord, de la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et de la Banque populaire provençale et Corse, devenue la Banque Populaire Méditerranée,

Condamne la Caisse de crédit mutuel d'Annonay aux dépens de son lien d'instance avec la société Grimaldi Mare et au paiement au profit de cette société de la somme de 1 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Grimaldi Mare aux dépens de ses liens d'instance avec la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, le Crédit du Nord, la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et la Banque Populaire Méditerranée,

Condamne la société Grimaldi Mare aux dépens de l'appel en garantie formé par la Banque Populaire Méditerranée,

Condamne, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la société Grimaldi Mare au paiement de la somme de 800 ? chacun au profit de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur, du Crédit du Nord, de la Caisse régionale de crédit agricole de la Corse et de la Banque Populaire Méditerranée,

Autorise M. Christophe Maigné et M. François Lastelle, avocats qui en ont fait la demande, à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : Ct0021
Numéro d'arrêt : 2018/624
Date de la décision : 13/12/2018

Analyses

Le rajout en qualité de bénéficiaire du chèque des noms et prénoms d'une personne physique à la dénomination initiale, susceptible de s'interpréter comme une enseigne commerciale, ne constitue pas pour la banque tirée, qui n'avait pas connaissance de l'intitulé du compte du remettant, une anomalie qu'un employé normalement avisé aurait dû déceler en procédant à la vérification apparente du chèque, d'où il suit que la banque tiré ne commet pas de faute dans l'exécution du devoir de contrôle qui lui incombe avant de se dessaisir des fonds. En revanche, la banque présentatrice, qui a connaissance que le chèque remis pour encaissement doit être porté au crédit d'un compte ouvert sur ses livres au nom d'une personne déterminée, commet une faute en ne procédant pas, en présence d'une anomalie apparente pouvant receler une falsification par ajout d'un second bénéficiaire, à un examen plus approfondi du titre et en n'interrogeant pas, au besoin, son client.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Nice, 11 septembre 2017


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2018-12-13;2018.624 ?
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