COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
3e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 13 DECEMBRE 2018
N° 2018/371
N° RG 16/22131 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7WHC
Société LAFARGE BETONS FRANCE
C/
SAS DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION
SAS NGE GENIE CIVIL
SAS GUINTOLI
SA ENTREPRISE MALET
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me X... N...
Me Sébastien Y...
Me Xavier Z...
Me Alain D...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TARASCON en date du 28 Novembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° [...].
APPELANTE
S.A.S. LAFARGE BETONS FRANCE
RCS de Nanterre sous le n° 414.815.043, demeurant [...]
représentée Me X... N..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Alain A..., avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
SAS DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION, demeurant [...]
représentée par Me Sébastien Y... de la SCP Y... M...-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Caroline B..., avocat au barreau de MARSEILLE
SAS NGE GENIE CIVIL, demeurant Parc d'Activités de Laurade - 13103 SAINT ETIENNE DU GRES
représentée et plaidant par Me Xavier Z... de la SCP Z... & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
SAS GUINTOLI, demeurant Parc d'Activités de Laurade - 13103 SAINT ETIENNE DU GRES
représentée et plaidant par Me Xavier Z... de la SCP Z... & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
SA ENTREPRISE MALET, demeurant [...]
représentée par Me Alain D... de la SCP C... D...-L...-VUILLQUEZ-HABART-K...-E..., avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Benoît E... de la SCP C... D...-L...-VUILLQUEZ-HABART-K...-E..., avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Marie-Brigitte FREMONT, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Mme Marie-Brigitte FREMONT, Président rapporteur
Mme Béatrice MARS, Conseiller
Mme Florence TANGUY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Jocelyne MOREL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2018,
Signé par Mme Marie-Brigitte FREMONT, Président et Madame Jocelyne MOREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Un groupement d'entreprises solidaires a été attributaire d'un marché de travaux publics sous la maitrise d'ouvrage de la société Autoroutes du Sud de la France (SA) concernant le chantier de l'autoroute A89 Est, section Loire/Baligny-Violay :
- le lot relatif aux travaux de chaussées a été confié à la société Entreprise Malet (SA),
- le lot concernant les ouvrages de génie civil hors terrassement a été confié aux sociétés Demathieu Bard (SAS) et NGE Génie Civil (SAS)
- et l'intégralité des autres travaux et ceux de terrassements des ouvrages d'art et de fourniture des matériaux granulaires a été mis à la charge des sociétés Guintoli (SAS) et EHTP(SA).
La société NGE Génie Civil (SAS), pour l'exécution des travaux, a signé avec la société Lafarge Bétons Sud Est (SAS) un contrat de fourniture de béton prêt à l'emploi, défini selon 4 formules différentes devant remplir des spécifications techniques, et la formule F3 devant être appliquée aux tabliers des ponts.
Or lors de la mise en tension du câble n°6 du tablier central du pont PS 6.78, des fissures sont apparues sur l'ouvrage, imposant l'arrêt du chantier le 26 mai 2011 et la mise en sécurité de l'ouvrage.
En urgence et à la demande de la société NGE Génie Civil, deux experts MM. F... et G... ont été désignés par ordonnance de référé du 2 juillet 2011 et ont déposé leur rapport le 26 mai 2015.
Ce rapport conclut à la responsabilité de la société Lafarge Bétons Sud Est (SA) consécutivement aux désordres apparus, en raison de la livraison d'un béton non conforme.
Par jugement en date du 28 novembre 2016 le tribunal de commerce de Tarascon a :
Déclaré la société LAFARGE BETON FRANCE (SA), venant aux droits de la société LAFARGE BETON SUD EST (SA), mal fondée en sa demande de sursis à statuer, en sa demande de voir constater la nullité de l'assignation délivrée par la partie demanderesse, en son exception d'incompétence territoriale, en sa demande de nullité du rapport d'expertise établi par Messieurs Guy H... et Paul G... en date à BARBENTANE du 26 mai 2015 ; L'en a débouté.
Homologué ledit rapport d'expertise ;
Condamné la société LAFARGE BETON FRANCE (SA) à payer :
- Au titre de sa responsabilité contractuelle, aux sociétés DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION (SAS) et NGE Génie Civil (SAS), solidairement, la somme de 936.119,31 euros,
- Au titre de sa responsabilité délictuelle :
- à la société Guintoli (SAS) : la somme de 282.660,07 euros,
- à la société ENTREPRISE MALET (SA) : la somme de 113.460,06 euros ;
Condamné la société LAFARGE BETON FRANCE (SA) à payer, au titre des dispositions de
l'article 700 du Code de Procédure Civile :
- à la société DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION (SAS) : la somme de 10.000 euros,
- aux sociétés NGE Génie Civil (SAS) ET Guintoli (SAS) : la somme de 10.000 euros à chacune d'elles,
- à la société ENTREPRISE MALET (SA) : la somme de 10.000 euros ;
Débouté les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires ;
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
Laissé les dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise susvisée, dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 151,32 euros TTC, à la charge de la société LAFARGE BETON FRANCE (SA).
La société Lafarge Bétons France (SA) a relevé appel de cette décision le 12 décembre 2016.
Dans ses dernières conclusions en date du 1er octobre 2018 la SAS Lafarge Holcim Bétons, anciennement dénommée la SA Lafarge Bétons France, demande à la cour de :
Vu l'article 117 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 648 et suivants du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 73 et suivants du Code de Procédure Civile
Vu les articles 16 et 160 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles 237 et suivants du Code de Procédure Civile et en particulier ses articles 237 et 238,
Vu l'article 276 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'Homme,
Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article 1165 ancien du Code Civil,
Vu l'article 564 du Code de Procédure Civile,
Vu le jugement du Tribunal de Commerce de Tarascon du 28 novembre 2016,
Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
1/ Constater que l'assignation délivrée par la société DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION ne respecte pas les exigences de l'article 648 du Code de Procédure Civile,
Constater que n'existe aucune société immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés sous le numéro « 790 943 411 »
En conséquence, prononcer la nullité de l'assignation introductive d'instance et dire que votre Cour n'est ainsi saisie d'aucune instance.
2/ Si par extraordinaire votre Cour ne déclarait pas nulle l'assignation :
Constater les graves irrégularités affectant les opérations expertales, les conditions de dépôt du rapport et le rapport lui-même.
Prononcer la nullité du rapport d'expertise de Messieurs Guy H... et Paul G... en date du 26 mai 2015,
Le déclarer inexistant et en tirer toutes conséquences de droit.
S'il y avait lieu, procéder à la désignation d'un nouvel expert à charge pour lui d'établir un nouveau rapport à l'attention de votre Cour avec pour mission d'éclairer votre Cour sur les causes techniques du désordre constaté.
3/ Si la nullité du rapport n'était pas prononcée, faire droit aux exceptions d'irrecevabilité et donc aux fins de non-recevoir soulevées par la société LAFARGE BETONS FRANCE.
Déclarer en particulier les sociétés NGE Génie Civil, DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION irrecevables en leurs demandes et prétentions.
Dire qu'il y a lieu de déclarer irrecevables les nouvelles demandes formées en cause d'appel et en particulier les nouvelles demandes de la société NGE.
4/ Constater que le rapport des experts ne peut servir de fondement à la mise en cause de la responsabilité de la société LAFARGE BETONS FRANCE.
S'il y avait lieu et en toutes circonstances débouter toutes les parties à l'instance et en particulier les sociétés DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION, NGE Génie Civil, ENTREPRISE MALET, et Guintoli de l'intégralité de leurs demandes et prétentions.
Les déclarer aussi irrecevables que mal fondées.
Dire en particulier qu'il convient de rejeter les demandes incidentes de l'ENTREPRISE MALET et de la société DEMATHIEU & BARD et plus généralement les demandes en cause d'appel de l'ensemble des sociétés intimées.
Ordonner en toutes circonstances la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement.
Condamner la société DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION et à tout le moins les parties succombantes et ce in solidum à payer à la société LAFARGE BETONS FRANCE une somme de 15.000 € en application de l'article 700 du CPC.
Dans ses dernières conclusions en date du 12 mai 2017 la SAS Mathieu Bard Construction demande à la cour de :
Vu les articles (ancien) 1134 et suivants du code civil,
Vu l'article (ancien) 1382 du code civil,
- CONFIRMER le jugement du Tribunal de TARASCON du 28 novembre 2016 en toutes ses
dispositions, à l'exception du non assujettissement de la condamnation prononcée à la TVA,
- En conséquence, réformer le jugement du Tribunal de TARASCON de ce chef,
- Dire et juger que le préjudice subi par la société DEMATHIEU BARD CONSTRUCTION est la contrepartie de prestations de service et assujetti à la TVA.
- CONDAMNER au surplus la Société LAFARGE BETONS FRANCE venant aux droits de la société LAFARGE BETON SUD EST au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du CPC ;
- LA CONDAMNER au paiement des entiers dépens
- REJETER toute autre demande.
Dans leurs dernières conclusions en date du 10 mai 2017 la SAS NGE Génie Civil et la SAS Guintoli demandent à la cour de :
Vu les articles 232 et 238 du Code de procédure civile,
Vu l 'article 16 du Code de procédure civile,
Vu le rapport d'expertisejudiciaire,
Vu l'ordonnance du Premier Président de la Cour d 'appel du 26 mai 2016,
Vu la jurisprudence,
Vu les dispositions des articles 1134 et suivants du Code civil,
Vu les conclusions du rapport d 'expertisejudiciaire,
- DIRE que l'acte introductif d'instance n'est entaché d'aucune cause de nullité ;
- DIRE que le rapport d'expertise judiciaire n'est entaché d'aucune cause de nullité ;
- DIRE que la responsabilité de la Société LAFARGE BETONS FRANCE est engagée, en raison de la livraison d'un béton non conforme aux engagements contractuels ;
En conséquence,
- CONFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- DEBOUTER la Société LAFARGE BETONS FRANCE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- CONDAMNER la Société LAFARGE BETONS FRANCE à payer à la Société NGE Génie Civil et à la Société Guintoli la sonnne de 15.000 € chacune au titre de l'article 700 du CPC en cause d'appel, outre les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions en date du 12 mai 2017, la SA Entreprise Malet demande à la cour de :
Sur la confirmation partielle du jugement entrepris :
HOMOLOGUER le rapport d'expertise de Messieurs H... et G... en date du 26 mai 2015, en ce qui concerne la détermination des causes et origines des dommages, ainsi que leur imputabilité.
DÉBOUTER la société LAFARGE BÉTONS FRANCE de sa demande de nullité de l'assignation, et de sa demande de nullité des opérations expertales, comme étant particulièrement infondées et injustifiées.
DIRE et JUGER que la société LAFARGE BÉTONS FRANCE, est responsable du sinistre et des dommages subis par la société MALET.
CONFIRMER la décision entreprise de ce chef, ainsi qu'au titre des sommes allouées en première instance au bénéfice de l'article 700 du CPC et des dépens.
DEBOUTER, en conséquence, la société LAFARGE de son appel comme étant irrecevable et infondé et de toutes ses demandes fins et conclusions.
la réformation du jugement du chef des préjudices alloués à la société MALET :
DIRE ET JUGER que le préjudice subi par la société MALET s'élève à 192.100 € HT après prise en compte des postes « Transport par contournement » et « jours d'atelier supplémentaires»,
REFORMER la décision entreprise de ce chef,
CONDAMNER, en conséquence, la société LAFARGE BÉTONS FRANCE, venant aux droits de la société LAFARGE BÉTON SUD EST, à payer à la société MALET la somme de 192 100 euros, outre intérêts aux taux légaux à compter de l'assignation introductive d'instance du 25 février 2016, ou à défaut du jugement, et avec capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil.
DÉBOUTER la société LAFARGE BÉTON FRANCE de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
Sur les frais irrépétibles et dépens d'appel :
CONDAMNER en outre, à hauteur d'appel, la société LAFARGE BETONS FRANCE à payer à la société MALET, la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
La procédure a été clôturée le 3 octobre 2018.
ET SUR CE
Sur la nullité de l'assignation
La société appelante indique que l'assignation a été délivrée à la requête d'une société «Demathieu Bard Construction », société par actions simplifiée au capital de 20.455.066 euros, dont le siège social serait [...], inscrite au registre du commerce et des sociétés de Metz sous le numéro 790 943 411 et qu'il n'existe aucune société immatriculée au registre du commerce sous le numéro précité.
Elle soutient que l'assignation est ainsi affectée d'une irrégularité de fond, prévue par les dispositions de l'article 117 du code de procédure civile, et entraîne la nullité de la procédure.
La SAS Mathieu Bard Construction reconnaît qu'une erreur matérielle s'est glissée dans le texte car le numéro d'immatriculation est en réalité le n°790 843 411, qui n'affecte pas la validité de l'acte puisqu'en revanche, la forme sociale, le capital, le lieu d'immatriculation, le siège social sont bien corrects comme cela relève de l'extrait KBis communiqué aux débats.
C'est une erreur purement matérielle qui affecte le numéro d'immatriculation de la société Mathieu Bard Construction figurant dans l'acte d'assignation, un chiffre étant incorrect puisqu'au lieu de 790 943 411 il faut lire 790 843 411. Cette erreur matérielle n'est pas une irrégularité de fond, comme le prétend la société appelante, qui enlèverait à la société Mathieu Bard Construction sa capacité à agir, mais constitue une irrégularité de forme, susceptible d'être couverte postérieurement.
La société Mathieu Bard Construction ayant rectifié cette erreur dans ses conclusions postérieures, et les intimés ayant pu parfaitement identifier la qualité de l'appelant, la nullité de l'assignation n'est pas encourue.
Sur la nullité du rapport d'expertise
Pour asseoir son argumentation visant à voir déclarer nulles les opérations expertales, la SAS Lafarge Bétons France s'appuie sur une consultation qu'elle a sollicitée auprès de Mme I..., professeur agrégé de droit à l'université de Poitiers, pour savoir si les opérations et le rapport d'expertise sont entachés d'irrégularités justifiant leur annulation sur le fondement des articles 114 et 175 du code de procédure civile. Cette consultation privée, datée du 2 novembre 2015, conclut à la nullité du rapport des experts pour dépassement des limites de leur mission et pour violation du principe du contradictoire.
Ce professeur, qui n'est pas expert, prétend à tort que l'expert a interprété et dénaturé le contrat de fourniture du béton fourni par la société Lafarge, alors que les experts ont seulement répondu, après avoir effectué des essais et recherches techniques (notamment par carottages) aux questions posées par le magistrat concernant la conformité ou la non-conformité du béton en classe C35/45 livré par cette société, et précisé que la société Lafarge devait garantir la résistance à 7 jours du béton, puisque cette résistance figure dans le rapport d'étude et de convenances et dans les recommandations du LCPC.
Elle soutient également que sous couvert de chiffrer les éléments d'appréciation du préjudice éventuellement subi, le collège d'experts s'est prononcé en réalité sur un partage de responsabilité.
La lecture du rapport fait apparaître que les experts ont fourni au magistrat tous les éléments techniques nécessaires pour vérifier la conformité du béton livré et se prononcer sur un partage de responsabilité, sans outrepasser leur mission.
Enfin elle indique que les experts ont apprécié les préjudices des sociétés Guintoli et EHTP, qui n'entraient pas dans leur mission et reproche aux experts le non-respect du principe du contradictoire en ayant refusé de convoquer les parties pour un examen de la tromplaque.
Or il appartient aux experts désignés de décider quels sont les éléments à étudier et les examens techniques à réaliser et la demande d'examen de la tromplaque leur est apparue inutile en l'état des éléments en leur possession.
En tout état de cause, aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par l'article 238 du code de procédure civile au technicien commis. En outre, l'appréciation de la portée du rapport d'expertise relève du pouvoir souverain du juge du fonds, lequel est en droit de s'approprier l'avis d'un expert, même si celui-ci a exprimé une opinion d'ordre juridique excédant les limites de sa mission.
Enfin il convient de relever que le magistrat de la cour d'appel délégué par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par ordonnance du 26 mai 2016, statuant sur un recours contre une décision fixant la rémunération des experts, a ainsi motivé son refus : la lecture attentive du rapport d'expertise permet de vérifier que l'expertise a été réalisée au contradictoire des parties, et que les experts ont procédé à une analyse objective des données de fait de la cause, à une étude complète et détaillée des questions posées dans leurs missions, retenant des conclusions sérieusement motivées par des arguments techniques.
La demande de nullité du rapport est donc particulièrement infondée.
Sur les responsabilités encourues
La SAS Lafarge Bétons France critique le rapport d'expertise en ce qu'il n'a retenu pour seule cause des désordres, qu'un non-respect de la formule béton, alors qu'il était sollicité l'examen contradictoire de la tromplaque, notamment dans un dire du 20 janvier 2015 auquel les experts n'ont jamais donné suite, et que ces derniers ont omis de répondre à certaines questions qui leur ont été posées.
La SAS Lafarge Bétons France conteste ensuite sa responsabilité dans la survenance des désordres, en faisant valoir que le béton livré était conforme, que le sinistre provient d'une ou de plusieurs causes étrangères, à savoir un défaut de mise en place des armatures à proximité de la pièce d'appui (tromplaque), par les sociétés Demathieu Bard et/ou NGE Génie Civil, ou un défaut d'exécution lors la mise en précontrainte effectuée par l'entreprise SPIE. A l'appui de son argumentation elle produit une note technique du cabinet CME en date du 30 mai 2016.
Elle ajoute qu'à l'exception de la société NGE Génie Civil, la mise en 'uvre de sa responsabilité ne peut reposer sur un fondement contractuel, et que faute de démontrer l'existence d'une faute extracontractuelle distincte de la non-conformité alléguée, sa responsabilité ne peut être recherchée.
Elle indique encore que pour s'opposer à indemniser les sociétés Demathieu Bard Construction et NGE Génie Civil du montant des sommes réclamées, elle est fondée à se prévaloir des conditions générales de vente qui prévoient que toute réclamation sur la qualité des marchandises doit être formulée sur le champ et confirmée expressément par écrit dans les 24 heures suivant enlèvement ou la livraison, que la garantie est limitée soit au remplacement des marchandises reconnues défectueuses, soit au remboursement de leur valeur avant emploi sans indemnité ni dommages et intérêts d'aucune sorte.
Elle affirme qu'avant la mise en précontrainte défectueuse, le groupement d'entreprises avait l'obligation normative de vérifier que le béton avait une résistance à la compression de 30 MPa, ce qu'il n'a pas fait.
La société Demathieu Bard Construction reprend les conclusions expertales qui imputent à un défaut de résistance du béton l'apparition des désordres, le béton livré dont la formule d'origine a été modifiée à plusieurs reprises par la société Lafarge, n'étant pas conforme à ses engagements contractuels. Elle soutient que l'absence de cause étrangère permet de retenir la faute commise par la SAS Lafarge Bétons France et d'engager la responsabilité de la SAS Lafarge Bétons France.
La société NGE Génie Civil s'associe aux conclusions retenues par le collège d'experts et critique l'avis technique du cabinet CME.
La société Entreprise Malet conclut à la responsabilité exclusive de la société Lafarge Bétons France dans la fourniture du béton défectueux.
Il convient de relever que les opérations expertales ont bien été conduites au contradictoire de toutes les parties, lesquelles ont été amenées à faire de nombreux dires, dont 22 émanant du conseil de la SAS Lafarge Bétons France, et que le collège d'expert y a toujours répondu, notamment :
- le 2/11/2011 : qu'en qui concerne la tromplaque, elle était à disposition des parties depuis le 02/11/2011 à BALIGNY. Il n'y avait pas urgence pour déplacer l'ensemble des parties à BALIGNY afin de constater l'état d'une plaque d'acier de 275 mm de côté, 40 mm d'épaisseur et d'un tube cylindrique de 127 mm et 433 mm de longueur. Par la suite, les documents reçus par dire du 05/05/2014 de SETEC sont suffisamment commentés. Nous avions constaté lors de notre accédit du 08/08/2011 que la plaque de la trompette n'avait pas reculé.
- le 20/06/2013 : qu'il n y a pas eu rupture de la tromplaque et ce n'est pas elle qui est à l'origine des désordres.
- le 25/06/2013 : que lors des travaux de réfection de l'ancrage, aucune anomalie n'a été relevée, au niveau des armatures et du béton. Les fissures sont apparues après l'enlèvement du vérin et lentement, marquées au bout de 10 mn pour atteindre 2 mm de large au bout de 2 heures. Il n'y a pas eu d'enfoncement brutal de l'ancrage consécutif au vide derrière l'ancrage. Ce désordre est dû à un défaut de résistance du béton derrière l'ancrage,
La mise en tension a été conforme et l'apparition des fissures lors du transfert de l'effort du vérin au bloc d'ancrage est révélateur d'un défaut de résistance du béton et non la cause d'un défaut d'exécution de la mise en précontrainte.
- le 16/12/2013 : que sur la fabrication et en particulier la variation du dosage de l'entraîneur d'air, il est inexact d'écrire que « la variation du dosage en entraîneur d'air pour satisfaire aux critères normatifs (norme NF EN 206-1) ne peut être interprétée comme un défaut de fabrication»,
et a répondu très longuement de la page 55 à la page 59 au dernier dire du 20/01/2015, précisant qu'ils « ne confondent pas dosage en entraîneur à air et teneur en air occlus. Le second est en effet produit par le premier... ».
Le collège d'experts, a pu distinguer deux parties du tablier du pont : en ce qui concerne la première, il a conclu à la conformité du béton en classe C35/45 et en ce qui concerne la seconde, en revanche, les experts relèvent en s'appuyant sur l'ensemble des essais menés et des carottages réalisés après le sinistre, que le béton ne présentait pas les qualités de résistance requise, ce qui constitue la seule cause de l'apparition des fissures.
Il était contractuellement prévu la fourniture de béton de classe C35/45 prêt à l'emploi; or il a été démontré par l'expertise que la formule utilisée a été modifiée à sept reprises et que le dosage par entraîneur d'air n'a pas été maîtrisé, ayant pour conséquence de diminuer la résistance moyenne du béton. Une partie du béton livré n'avait donc plus les caractéristiques de la classe C35/45 et la résistance caractéristique du béton du tablier dans sa partie P1/C2 n'était pas conforme à celle prescrite de 35 MPa à 28 jours.
Les experts ont conclu que :
« Le tablier de pont a été justifié avec un béton de résistance moindre C30/37, au lieu de C35/45 prévu.
Ce défaut de résistance a été démontré dans les pages précédentes.
Il ressort de l'étude des pièces versées par les parties, que :
- la société Lafarge a livré un béton non-conforme à ses engagements contractuels de livrer un béton selon la Formule 3 : C35/45 XF3 XD3 respectant la composition prescrite par les épreuves d'étude et de convenance ;
- la société Lafarge a fait évoluer cette composition en dehors des tolérances de fabrication fixée par la norme NF EN 206-1 et le fascicule 65 concernant le dosage en entraîneur d'air ;
- conformément à la norme et au fascicule précités, la formule finalisée doit être exécutée sans modification et toute modification hors tolérance doit faire l'objet d'une nouvelle étude ;
- Les meilleurs spécialistes du réseau scientifique et technique du ministère de l'économie et du Développement durable et de l'Energie, sous Direction de la Gestion du Réseau Autoroutier Concédé, ont conclu à la nécessité de déclasser le béton livré par Lafarge en C30/37. »
L'avis technique du Cabinet Méditerranéen d'Expertises (CME) émis le 30 mai 2016, qui prétend que le béton livré était exempt de non-conformité en ce qu'il satisfaisait à l'exigence de résistance de 35 MPa à 28 jours, et que la teneur en air variant entre 4 et 8% a été respectée sur les bétons litigieux, s'oppose aux conclusions des experts et des autres techniciens consultés.
En effet, les notes techniques produites par la société NGE Génie Civil en réponse sont les suivantes :
* M. J..., consultant, fait état des règles de l'art à appliquer : la NF EN 206-1, le fascicule 65 et ses recommandations pour le gel, le protocole d'accord SNBPE-FNTP. Il répond que passer d'une teneur en air de 4 % à 8 % a fait chuter la résistance de 22 %, soit une résistance moyenne de 31 MPa et une résistance caractéristique de 26-27 MPa, très largement inférieure à la résistance caractéristique de 35 MPa exigée par la NF EN 206-1 et le fascicule 65. La société Lafarge ne pouvait donc s'amuser à modifier la quantité d'air entraîné sans une nouvelle épreuve d'études justifiant la résistance avec une quantité d'air entraîné supérieure.
Il ajoute que Lafarge ne pouvait ni modifier la valeur initialement retenue dans la fabrication du béton, ni la quantité de ciment sans diminuer la résistance du béton.
* L'Assistance Technique Construction Matériaux (ATCM) rappelle que le document de Lafarge fait référence au fascicule 65 qui définit d'après les indications fournies, les études et les convenances ayant été réalisées sur la base d'une formule dosée à 385 Kg/m3, que la formule nominale affichée sur les bons de pesées doit être rigoureusement identique, et que sans essais prélablement réalisés, aucune variation de dosage n'est possible, ce qui démontre que la société Lafarge n'était pas autorisée à modifier unilatéralement, sans essais préalables, la formule du béton, sous peine d'en amoindrir la résistance.
Le CME évoque comme causes étrangères de prétendus défauts de mise en oeuvre des armatures et des bétons, qu'il n'a pas pu vérifier puisque les travaux de reprise de l'ancrage défectueux avaient été réalisés, et/ou un défaut d'exécution lors la mise en précontrainte effectuée par l'entreprise SPIE, dont il ne rapporte nullement la preuve.
En conséquence, la responsabilité contractuelle de la SAS Lafarge Holcim Bétons doit être retenue en ce qu'elle a modifié la formule du béton prêt à l'emploi, et n'a donc pas fourni le matériau conforme au contrat de fourniture signé avec la société NGE Génie Civil.
L'article 4.4.4 des annexes au contrat signées par les parties, stipule que « Dans le cas d'une non conformité de la livraison à la commande, le fournisseur doit prendre toutes les dispositions pour mettre fin à cette situation dès les livraisons futures. Les essais complémentaires et réparations des conséquences éventuelles seront prises en charge par la partie défaillante .»
La SAS Lafarge Holcim Bétons doit en conséquence être condamnée à prendre en charge la réparation des préjudices subis par son cocontractant.
Sur les préjudices
1. La société NGE Génie Civil et la société Demathieu Bard
La société Lafarge Holcim Bétons s'oppose à indemniser la société Demathieu Bard dont elle conteste la qualité de cocontractant, puisque l'existence du groupement d'entreprises solidaire adjudicataire du marché n'est pas mentionnée dans le contrat qu'elle a signé avec la société NGE Génie Civil, que la convention constituant un groupement d'entreprises solidaires est datée du mois de septembre 2009, soit postérieurement à la conclusion du contrat de fourniture de béton, et que l'article 1872-1 du code civil ne saurait trouver ici application.
La société Demathieu Bard réplique que le contrat de fourniture de béton est bien un document commun puisqu'il comporte le logo des deux sociétés. Elle rappelle que ces deux sociétés font partie d'un groupement d'entreprises et ont toutes deux été utilisatrices du béton litigieux, intervenant sur les mêmes ouvrages.
A titre subsidiaire, elle s'estime bien fondée à solliciter la réparation de son préjudice sur le fondement délictuel.
Le contrat de fourniture de béton litigieux a été signé entre la société NGE Génie Civil et la SAS Lafarge Bétons Sud Est. Il n'est pas daté mais indique que les prix du marché sont révisables mensuellement en fonction du mois de référence de base marché de juin 2009. Il comporte en haut de chaque page les logos des deux sociétés NGE Génie Civil et Demathieu Bard.
L'articles 1871 du code civil définit la société en participation comme la constitution d'une société non immatriculée, dont l'objet, le fonctionnement et les conditions sont librement convenus par les associés.
L'article 1872-1 du même code prévoit que « Chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. Il en est de même de l'associé qui, par son immixtion, a laissé croire au cocontractant qu'il entendait s'engager à son égard, ou dont il est prouvé que l'engagement a tourné à son profit.»
La convention de groupement momentané d'entreprises solidaires signé entre la SAS Guintoli nommée mandataire, la SAS EHTP, la SAS NGE Génie Civil, la société Demathieu Bard et la SA Malet TP, qui s'apparente à une société en participation, a été conclue le 22 septembre 2009, soit postérieurement à l'engagement de la seule société NGE Génie Civil du mois de juin 2009, et faute pour ce groupement d'indiquer dans la convention qu'il reprend à son compte tous les marchés de travaux signés antérieurement, cette convention n'est pas opposable à la SAS Lafarge Holcim Bétons.
Néanmoins la société Demathieu Bard Construction, titulaire du marché des ouvrages de génie civil aux côtés de la société NGE Génie Civil, qui est un tiers au contrat signé entre la société NGE Génie Civil et la société Lafarge Holcim Bétons, est bien fondée à se prévaloir de la responsabilité délictuelle de la société Lafarge Holcim Bétons.
En modifiant unilatéralement la composition du béton, sans essais préalables, et en amoindrissant ainsi sa résistance, la SAS Lafarge Holcim Bétons a commis une faute à l'égard des entreprises chargées des divers lots de chantier, et la société Demathieu Bard Construction est en droit de prétendre à être indemnisée du dommage qu'elle a subi du fait du manquement contractuel commis par la SAS Lafarge Holcim Bétons.
Le collège d'experts ayant évalué le préjudice subi par les sociétés Génie Civil et Demathieu Bard Construction à la somme de 936 119,31€ HT, il y a lieu de leur allouer cette somme.
2. La SAS Guintoli
La SAS Guintoli, en charge des travaux de terrassement et d'assainissement du chantier, qui est un tiers au contrat signé entre la société NGE Génie Civil et la société Lafarge Holcim Bétons, est elle aussi bien fondée à se prévaloir de la responsabilité délictuelle de la société Lafarge Holcim Bétons, en l'état du dommage qu'elle a subi du fait du manquement contractuel commis par cette société, et sera indemnisée de son préjudice.
Même s'il n'entrait pas dans la mission des experts de déterminer leur préjudice, ils ont évalué les coûts induits pour les sociétés Guintoli et Entreprise Malet.
Le chiffrage des postes de ces préjudices a pu être contradictoirement discuté dans le cadre des opérations expertales et la cour estime que, faute pour la SAS Lafarge Holcim Bétons d'apporter des éléments techniques et comptables contraires, il convient de retenir le coût des travaux de remise en état à la somme de 282 660,07€ HT.
3. La SA Entreprise Malet
Il en est de même pour la SA Entreprise Malet, chargée des travaux de chaussées, qui est fondée à se prévaloir de la responsabilité délictuelle de la société Lafarge Holcim Bétons, en l'état du dommage qu'elle a subi du fait du manquement contractuel commis par cette société. Elle sera indemnisée de son préjudice évalué par les experts à la somme de 113 460,06€ HT.
Sur les autres demandes
Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés NGE Génie Civil, Demathieu Bard Construction, Guintoli et Entreprise Malet les frais irrépétibles qu'elles ont engagés, il leur sera alloué la somme de 5 000 euros chacune.
Les dépens seront pris en charge par la SAS Lafarge Holcim Bétons.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement, à l'exception de ses dispositions ayant homologué le rapport d'expertise, et ayant condamné la société Lafarge Béton France (SA), à indemniser la société Demathieu Bard Construction (SAS) et la société NGE Génie Civil (SAS), solidairement, au titre de sa responsabilité contractuelle,
Statuant à nouveau,
Dit que la SAS Lafarge Holcim Bétons doit indemniser la SAS NGE Génie Civil sur le fondement de la responsabilité contractuelle et la SAS Demathieu Bard Construction sur le fondement de la responsabilité délictuelle,
En conséquence, condamne la SAS Lafarge Holcim Bétons à payer aux SAS Demathieu Bard Construction et SAS NGE Génie Civil, ensemble, la somme de 936 119,31 euros ;
Et y ajoutant,
Condamne la SAS Lafarge Holcim Bétons à payer aux SAS Demathieu Bard Construction, SAS NGE Génie Civil, SAS Guintoli et SA Entreprise Malet la somme de 5 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Lafarge Holcim Bétons aux entiers dépens et fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats qui en ont fait la demande.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE