COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT
DU 30 NOVEMBRE 2018
N° 2018/1062
Rôle N° RG 17/21066 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBQUE
SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON
C/
Lucien X...
Copie exécutoire délivrée
le :30 novembre 2018
à :
Me Catherine Y...
Me Julie Z...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES - section I - en date du 20 Novembre 2017, enregistré au répertoire général sous le n° F16/00339.
APPELANTE
SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualités audit siège Boulevard du Président Saragat [...]
représentée par Me Catherine Y... de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Fabrice A..., avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur Lucien X..., demeurant [...]
représenté par Me Julie Z..., avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Amélie B..., avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 septembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Corinne HERMEREL, Présidente de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Corinne HERMEREL, Président
Mme Marina ALBERTI, Conseiller
Monsieur Yann CATTIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2018..
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2018.
Signé par Madame Corinne HERMEREL, Président et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur X... a été employé au sein d'un établissement de production de pâte à papier implanté à Tarascon depuis 1951, successivement exploité par les employeurs suivants : Cellulose de Sète, Cellulose du Rhône, Cellulose du Rhône et d'Aquitaine, Cellurhône, Tembec Tarascon SA et SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON.
Le 2 novembre 2016, Monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes d'Arles aux fins de réclamer l'indemnisation du préjudice d'anxiété résultant de son exposition à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société Cellulose du Rhône, devenue la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON.
Selon jugement en date du 20 novembre 2017, le conseil de prud'hommes d'Arles a
*déclaré l'action de Monsieur X... recevable car non prescrite,
*condamné la société FIBRE EXCELLENCE TARASCON à lui verser la somme de 6500 € en réparation du préjudice d'anxiété,
*condamné la société FIBRE EXCELLENCE TARASCON à lui verser 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
*dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision,
*rejeté toutes les demandes plus amples ou contraires,
*condamné la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON aux entiers dépens.
Le 23 novembre 2017, la société FIBRE EXCELLENCE TARASCON a interjeté appel de ce jugement.
Vu les ultimes conclusions notifiées le 3 août 2018 par Monsieur X...,
Vu les ultimes conclusions notifiées le 6 août 2018 par la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON,
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure rendue le 13 septembre 2018
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON conclut que la cour doit :
- à titre principal,
*dire que la demande de Monsieur X... est irrecevable comme prescrite, par application de l'article L. 1471-1 du code du travail,
*infirmer en totalité le jugement déféré et rejeter toutes les demandes de Monsieur X...,
*condamner Monsieur X... à lui verser 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire,
*juger que le préjudice d'anxiété est le seul préjudice moral susceptible d'intervenir relativement au risque amiante, ceci à l'exclusion de toute autre indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité, pour la période de classement ou pour toute autre période,
*juger que le préjudice d'anxiété ne peut être évoqué que pour la période de classement, soit de 1951 à 2001 pour l'établissement de Tarascon, et que tout élément n'entrant pas dans cette période ne peut fonder une indemnisation pour le risque amiante,
*juger que, pour la période de 1951 à 2001, objet du classement par arrêté ministériel du 2 octobre 2013, Monsieur X... ne justifie pas qu'il remplit toutes les conditions posées par la jurisprudence pour bénéficier d'une indemnisation au titre du préjudice d'anxiété car il n'est pas démontré l'exposition au risque dans le cadre de son activité au sein de l'établissement de Tarascon,
- en tout état de cause,
*infirmer le jugement entrepris et débouter Monsieur X... de toutes ses demandes,
*condamner Monsieur X... à lui payer la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
*condamner Monsieur X... aux entiers dépens.
- à titre infiniment subsidiaire,
*juger que Monsieur X... ne peut prétendre, au titre du préjudice d'anxiété, à l'indemnisation accrue d'un montant de 6.500 euros convenue par les partenaires sociaux, car il ne remplit pas les conditions fixées en ce sens par l'accord d'entreprise du 19 décembre 2013,
*rejeter le montant des demandes de Monsieur X....
Dans ses dernières écritures, Monsieur X... conclut à la recevabilité de son action comme non prescrite et à la confirmation du jugement, notamment en ce qu'il a été jugé qu'il avait été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein des sociétés Cellulose du Rhône, puis CDRA, puis Cellurhône, puis Tembec Tarascon SA, société aux droits de laquelle vient la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON, établissement listé au titre de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.
Il demande à la cour de réformer le jugement et de statuer à nouveau sur le quantum de son indemnisation et de condamner la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON à lui verser 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété et 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer aux conclusions des parties et au jugement déféré .
MOTIFS
Sur l'indemnisation du préjudice d'anxiété
Suite aux conséquences sanitaires de l'utilisation de l'amiante durant plusieurs décennies, le législateur a créé, par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, un dispositif spécifique de départ anticipé à la retraite, avec perception d'une allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, autrement appelée Acaata, en faveur des salariés qui ont été particulièrement exposés à l'amiante.
Ce dispositif s'applique aux salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, aux salariés des établissements de flocage et de calorifugeage à l'aide d'amiante, aux salariés des établissements de construction et de réparation navales, aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention.
Seuls les salariés exposés à l'amiante dans un établissement inscrit sur la liste établie par arrêté ministériel comme susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante peuvent obtenir réparation d'un préjudice d'anxiété.
Le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété.
Le salarié ne peut, s'agissant du préjudice extra-patrimonial, moral ou psychologique, résultant d'une exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, être indemnisé, en supplément du préjudice d'anxiété, pour un autre préjudice qui résulterait d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
En l'espèce, Monsieur X... expose qu'il a travaillé, du 8 août 1957 au 1 juin 1987, sur le site de la société FIBRE EXCELLENCE TARASCON. Il y occupait le poste de laveur/cuiseur en ligne de fibres et il explique qu'il a été exposé à l'inhalation de poussières ou fibres d'amiante, dans le cadre de son activité professionnelle. Il sollicite en conséquence l'indemnisation de son préjudice d'anxiété.
L'arrêté ministériel du 2 octobre 2013 (publié au JORF du 12 octobre 2013), modifiant et complétant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, visant notamment l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté du 3 juillet 2000, mentionne:
'Cellulose de Sète, [...], de 1951 à 1952,
puis, Cellulose du Rhône, [...], de 1952 à 1981,
puis CDRA (Cellulose du Rhône, et d'Aquitaine), [...], de 1981 à 1995,
puis CELLURHONE, [...], de 1995 à 2000,
puis TEMBEC TARASCON SA[...], de 2000 à 2001.'
Monsieur X... a donc bien travaillé en tant que salarié dans un établissement listé dans l'arrêté du 2 octobre 2013 pour la période continue de 1951 à 2001, exploité par son employeur, la SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON, venant aux droits des sociétés Cellulose de Sète, Cellulose du Rhône, Cellulose du Rhône, et d'Aquitaine, Cellurhône et Tembec Tarascon SA.
Sur la prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété
Le point de départ du délai de prescription
Le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation d'un préjudice d'anxiété n'est pas discuté par les parties.
La date de naissance du préjudice d'anxiété n'est pas celle de l'exposition au risque mais celle du jour où le salarié a eu connaissance et donc conscience du risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l'amiante, à savoir la date de publication au Journal Officiel de l'arrêté fixant la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
L'arrêté ministériel du 2 octobre 2013 ayant été publié au JORF du 12 octobre 2013, c'est cette dernière date qui constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété.
Le délai de prescription
La SAS FIBRE EXCELLENCE TARASCON, appelante, soutient qu'en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, Monsieur X... devait interrompre la prescription biennale au plus tard le 12 octobre 2015, soit deux ans après la date de publication de l'arrêté ayant classé le site de Tarascon sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Monsieur X... considère au contraire qu'il avait 5 ans à compter de sa connaissance de l'arrêté pour agir et que, ayant saisi le conseil de prud'hommes le 2 novembre 2016, son action n'était pas prescrite.
Monsieur X... exerce son action en réparation du préjudice d'anxiété au visa du seul article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et il affirme ne pas relever des règles de droit du travail.
Il soutient que le préjudice d'anxiété est un 'préjudice spécifique qui se fonde, non pas sur le contrat de travail, mais sur l'inscription de l'établissement sur une liste particulière, qui prévoit un régime de droit particulier relevant pour autant de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil' et que la réparation de ce préjudice ne relèverait donc pas des règles de droit du travail mais du régime de prescription de droit commun, quinquennal en l'espèce.
Le premier juge a rendu sa décision au visa des articles 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, en retenant un manquement contractuel de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
La cour relève que Monsieur X... revendique bien sa qualité de salarié pour solliciter la réparation de son préjudice et qu'il précise les conditions dans lesquelles il travaillait pour expliquer de quelle manière il a, dans l'exercice de son activité professionnelle, été exposé aux fibres d'amiante.
Le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation, qui n'est ouverte qu'au salarié qui , comme en l'espèce, a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur la liste établie par arrêté ministériel ( en l'espèce arrêté du 2 octobre 2013) pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque et l'action du salarié tendant à la réparation du préjudice d'anxiété découle du manquement de l'employeur à ses obligations légales et contractuelles et ne peut en conséquence être détachée du cadre de l'exécution d'un contrat de travail. Elle relève ainsi de la compétence de la juridiction prud'homale.
Dès lors, la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété formée par Monsieur X..., au seul visa de l'article 41 de la loi du décembre 1998, expressément dissociée de toute relation de travail et de toute responsabilité civile contractuelle ou délictuelle, est inopérante et Monsieur X... est mal fondé en sa demande d'indemnisation à ce titre.
La prescription trentenaire était la prescription extinctive de droit commun avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (article 2224 du code civil).
La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable à compter du 17 juin 2013, a réduit le délai de prescription à deux ans pour toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail, telle celle aux fins de réparation d'un préjudice résultant du manquement de l'employeur à ses obligations.
Ainsi, aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, introduit par la loi du 14 juin 2013:
' Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Le premier alinéa n'est toutefois pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition de salaires et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.'.
La loi du 14 juin 2013 réduit donc à deux ans le délai de prescription pour toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail.
L'article L. 1471-1 du code du travail prévoit que le délai de prescription de deux ans n'est pas applicable :
- aux actions en paiement ou en répétition de salaires (délai de 3 ans selon l'article L. 3245-1 du code du travail) ;
- aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail (délai de 10 ans selon l'article 2226 du code civil) ;
- aux actions en réparation du préjudice résultant d'une discrimination (délai de 5 ans selon les articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail) ;
- aux actions en réparation du préjudice résultant d'un harcèlement moral ou sexuel (délai de 5 ans selon les articles L. 1152-1 et L. 1153-1 du code du travail) ;
- aux actions en contestation de la régularité ou de la validité d'un licenciement pour motif économique (délai de 12 mois selon l'article L. 1235-7 du code du travail) ;
- aux contestations de la rupture du contrat de travail ou de son motif après adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle (délai de 12 mois selon l'article L. 1233-67 du code du travail) ;
- aux contestations de la rupture conventionnelle (délai de 12 mois selon l'article L. 1237-14 du code du travail) ;
- aux contestations d'un reçu pour solde de tout compte (délai de 6 mois selon l'article L. 1234-20 du code du travail).
L'action en réparation du préjudice d'anxiété ne figure pas dans la liste ci-dessus.
L'alinéa 1 de l'article L.1471-1 du code du travail posant une prescription de deux ans est donc applicable aux actions en réparation du préjudice d'anxiété.
L'arrêté ministériel du 2 octobre 2013 ayant été publié au Journal Officiel du 12 octobre 2013, soit après l'entrée en vigueur de loi du 14 juin 2013, le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété de Monsieur X... expirait le 12 octobre 2015.
Monsieur X... ayant saisi le conseil de prud'hommes le 3 novembre 2016, il échet de constater que l'action exercée par Monsieur X... est irrecevable comme prescrite. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Monsieur X..., qui succombe totalement en son action, sera condamné aux entiers dépens d'appel et de première instance. En équité, il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, en matière prud'homale et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare l'action exercée par Monsieur X... irrecevable comme prescrite,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
Condamne Monsieur X... aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT