COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 23 NOVEMBRE 2018
N° 2018/1037
Rôle N° RG 17/12749 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BA2QC
SAS BASELL POLYOLEFINES FRANCE
C/
[O] [I]
Copie exécutoire délivrée
le :23 novembre 2018
à :
Me Nathalie BRUCHE
Me Raymond RUDIO
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section I - en date du 18 Mai 2017, enregistré au répertoire général sous le n° 15/01162.
APPELANTE
SAS BASELL POLYOLEFINES FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Me Raymond RUDIO de la SCP BRUNET - RUDIO - GRAVELLE, avocat au barreau de GRASSE, vestiaire : 239, Me Claire TOUMIEUX, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [O] [I], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Nathalie BRUCHE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 septembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Marina ALBERTI, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Corinne HERMEREL, Présidente
Mme Marina ALBERTI, Conseiller
Monsieur Yann CATTIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Novembre 2018..
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Novembre 2018.
Signé par Madame Corinne HERMEREL, Présidente et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
Le groupe LYONDELLBASELL ou SAS BASELL POLYOLEFINES France (ci-après BPO), faisant partie de l'UES CPB -BPO -CDH, est spécialisé dans le traitement, la fabrication et la commercialisation de tous produits pétroliers ou hydrocarbures.
Ce groupe avait une activité liée à la chimie ainsi qu'une activité de raffinage à Berre, et exploitait sur ce site, avec notamment la SASU COMPAGNIE PETROCHIMIQUE DE BERRE (ou CPB), une raffinerie qui comprenait 363 salariés en 2011.
Dans le cadre d'un contexte économique difficile, le groupe décidait la cessation de l'exploitation de cette raffinerie, et signait avec les représentants du personnel un accord de méthode, le 10 novembre 2011, prévoyant un arrêt de la production le 1er janvier 2012 et une mise en sommeil de l'entreprise jusqu'au 31 décembre 2013, avant une éventuelle décision de fermeture du site. Suite à des négociations avec un repreneur potentiel, la mise en sommeil était prolongée et un nouvel accord de méthode était signé le 30 juillet 2014 pour une fermeture en septembre 2014.
Le 3 décembre 2015, Monsieur [O] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues aux fins de voir juger que la SAS BPO, son employeur, n'a pas respecté ses engagements en ne lui versant pas une prime dite 'de fermeture' malgré la fermeture du site sus-évoquée.
Par jugement en date du 18 mai 2017, cette juridiction a condamné la SAS BPO à verser à Monsieur [O] [I] une somme de 6 000 euros à titre de prime de fermeture de site, avec exécution provisoire et intérêts légaux à compter du 3 décembre 2015, outre une somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a débouté celui-ci de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, les dépens étant supportés par la SAS BPO.
La SAS BPO a interjeté appel de cette décision le 3 juillet 2017.
Vu les conclusions de Monsieur [O] [I] notifiées le 27 juin 2018 ;
Vu les conclusions de la SAS BPO notifiées le 25 juin 2018 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 28 juin 2018.
PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SAS BPO conclut à l'irrecevabilité de la demande de Monsieur [O] [I] en paiement d'une indemnité de congés payés de 700 euros conformément aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.
Elle demande l'infirmation du jugement critiqué en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 6 000 euros à titre de prime de fermeture, et la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté toute demande d'indemnisation pour non versement de cette prime.
Elle conclut au rejet de l'ensemble des demandes de Monsieur [O] [I], au remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire (soit 6 000 euros) et à la condamnation du salarié à lui payer la somme de 100 euros au titre de ses frais irrépétibles, outre sa condamnation aux dépens.
Sur la demande relative à la prime de fermeture, elle conclut qu'aucun engagement unilatéral finalisé de sa part, ni aucun usage d'entreprise ne permettait le versement de quelconque prime de fermeture. Elle précise que si la réunion du 20 janvier 2012 évoquait cette possibilité, celle-ci n'a jamais été reprise précisément lors des réunions suivantes et des PSE mis en place.
Elle ajoute qu'un engagement unilatéral doit être explicite et se suffire à lui-même sans nécessité d'interprétation du juge, qu'en l'espèce il est impossible de déterminer le montant, les conditions de versement ou d'éligibilité de la prime revendiquée.
Elle allègue d'une absence d'usage, la pratique d'un usage devant correspondre aux trois critères de constance, généralité et fixité, et argue, en l'espèce, de l'absence de fixité des trois primes précédemment versées en 2005, 2007 et 2008/2009 à l'occasion de la fermeture d'autres sites.
A titre subsidiaire, elle demande que la prime soit ramenée à une somme de 2 170 euros, soit une proratisation de prime sur 6 mois et, conclut à la confirmation du rejet de toute indemnisation au titre du non versement de cette prime, si toutefois cette prime était allouée, à défaut d'exécution fautive du contrat de travail.
Elle conclut enfin à l'irrecevabilité et au rejet de la demande relative aux congés payés, s'agissant d'une réclamation nouvelle en cause d'appel et d'une prime n'entrant pas dans le calcul de congés payés car ne correspondant pas à un travail effectif.
A titre subsidiaire, elle demande que les intérêts, s'agissant d'une indemnisation, soient comptabilisés à compter du prononcé du jugement et non de l'acte de saisine.
Dans ses dernières écritures, dans le cadre d'un appel incident, Monsieur [O] [I] conclut à une confirmation du jugement querellé sur la demande relative à l'octroi de la prime de fermeture, sauf à porter le quantum de la condamnation à hauteur de 7 000 euros, et sollicite en outre, par une demande nouvelle en cause d'appel, une somme de 700 euros au titre de congés payés afférents.
Il sollicite la réformation de la décision s'agissant de sa demande au titre de l'exécution fautive du contrat de travail et réclame à ce titre une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour non versement de ladite prime. Il sollicite enfin la condamnation de la SAS BPO à lui verser une somme de 1 600 euros au titre de ses frais irrépétibles outre sa condamnation aux dépens.
Sur le versement de la prime, il fait valoir qu'il s'agit d'un usage mis en place par la société présentant les caractères de généralité, de constance et de fixité exigés par la jursiprudence, cette mise en place datant des trois précédentes fermetures de sites de cette société situés également à Berre en 2005, 2007 et 2009.
A titre subsidiaire, il allègue d'un engagement unilatéral de l'employeur, ne nécessitant dès lors ni généralité ni fixité, cet engagement ressortant d'une réunion du comité d'entreprise du 20 janvier 2012. Il ajoute qu'à défaut de somme précise fixée par l'employeur, c'est à la juridiction saisie de déterminer la somme due.
Il ajoute une demande nouvelle au titre de congés payés afférents à ce paiement de prime, faisant valoir qu'il s'agit d'une demande accessoire à sa réclamation principale et conforme à l'article 566 du code de procédure civile, et que ces congés payés sont dus car relatifs à une prime correspondant à un travail effectif de 'mise en cocon' de l'établissement qui allait subir une fermeture.
Il sollicite enfin des dommages et intérêts pour résistance abusive de la part de son employeur concernant le règlement de cette prime, s'agissant du non respect d'un usage lui causant un préjudice qu'il évalue à 3 000 euros, et des intérêts moratoires sur les sommes réclamées à compter de la première demande en paiement, s'agissant de rappels de salaire.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
MOTIFS
Sur la prime de fermeture
La SAS BPO conclut à l'infirmation de la décision, au rejet de toute demande à ce titre à défaut d'usage, comme à défaut d'engagement unilatéral de l'employeur, à l'irrecevabilité et au rejet de toute demande de congés payés au titre de cette prime, cette réclamation étant nouvelle en cause d'appel et ne pouvant entrer dans l'assiette de calcul d'indemnité de congés payés, au rejet de toute demande d'indemnisation à défaut d'exécution fautive du contrat de travail.
Monsieur [O] [I] demande la confirmation de la décision critiquée avec toutefois une modification du quantum alloué, réclamant la somme de 7 000 euros à ce titre, faisant valoir à titre principal, qu'il s'agit d'un usage d'entreprise, et, subsidiairement, qu'il y avait un engagement unilatéral de l'employeur. Il sollicite en outre une somme de 700 euros à titre de congés payés dus sur cette prime ainsi qu'une somme de 3 000 euros à titre d'indemnisation pour non versement de cette prime correspondant à une exécution fautive du contrat de travail.
L'usage d'entreprise est une notion jurisprudentielle constatant une pratique de l'employeur qui confère un avantage aux salariés, devient génératrice de droit pour ceux-ci, et qui doit présenter les caractères cumulatifs de généralité, constance et fixité.
La généralité suppose un avantage non individuel, qui concerne donc, soit une partie soit la totalité du personnel de l'entreprise.
La constance nécessite un avantage attribué sur plus de deux années ou à plusieurs reprises par l'employeur.
La fixité implique que la prime soit déterminée selon un mode de calcul convenu entre l'employeur et le salarié ou en tout état de cause, selon un critère fixe et précis (pourcentage de salaire...).
A l'inverse, des gratifications variables dans leur montant et fonction d'éléments discrétionnaires non déterminées par avance avec certitude ne présentent pas le caractère de fixité et ne peuvent être considérées comme un usage de l'entreprise.
Le versement même régulier d'une prime qui ne dépend d'aucun critère précis et fixe et dont le montant a toujours été variable ne peut constituer un usage sauf si le mode de calcul est fixe.
C'est au salarié qui demande l'application d'un usage qu'il revient d'apporter la preuve de son existence par tous moyens (affichage, témoignages, documents écrits...).
En l'espèce, Monsieur [O] [I] fait valoir que des primes de fermeture ont été versées aux salariés concernés à l'occasion de fermetures précédentes de sites, ces primes étant attribuées à tout le personnel conformément au critère de généralité, de manière constante pour chaque fermeture, et avec une progression dans le montant permettant de déterminer une fixité dans la mesure où cette progression était prévisible, passant de 6 600 euros lors de la fermeture du premier site en 2006 à 7 000 euros en 2008.
La SAS BPO conteste toute fixité, à défaut de sommes identiques versées au cours des différentes fermetures et à défaut de progression dans le temps, et donc l'existence de tout usage d'entreprise concernant le versement d'une telle prime.
Il ressort des courriers produits aux débats relatifs aux fermetures précédentes et du tableau communiqué par l'employeur, que la première fermeture de site annoncée en 2005 a donné lieu à une prime de 6 600 euros, la deuxième fermeture annoncée pour mai 2008 a donné lieu à une prime de
7 000 euros, et la troisième fermeture annoncée en décembre 2007 pour octobre 2009 a concerné une prime de 6 000 euros.
Aucune progression, aucun mode de calcul ne pouvant être déterminé au vu de ces éléments, le critère de fixité concernant la prime de fermeture revendiquée comparée aux autres primes déjà allouées, n'est pas établi et il convient de rejeter toute demande de Monsieur [O] [I] au titre d'une prime relevant d'un usage d'entreprise.
L'engagement unilatéral de l'employeur est une décision explicite de l'employeur seul : celui-ci prend, vis à vis des salariés un engagement de faire, engagement créateur de droit pour le salarié. Et si l'employeur veut, pour l'avenir, cesser cet engagement, il doit le dénoncer dans les délais et formes requis.
Cet engagement unilatéral peut résulter notamment :
- d'une décision annoncée à l'ensemble du personnel ou à certains d'entre eux,
- d'une réponse faite à des délégués du personnel, décision prise devant le comité d'entreprise ou autre institution représentative,
- d'une note de service,
- d'un protocole de fin de conflit,
- d'une disposition d'un PSE,
- d'une clause d'un règlement intérieur....
Contrairement à l'usage la validité d'un engagement unilatéral n'est soumise à aucun critère de constance, de généralité ou de fixité. Cependant, cette validité suppose que l'étendue de l'engagement, ses limites et ses modalités d'application soient définies.
En l'espèce, les deux parties, pour justifier ou contester l'engagement unilatéral de l'employeur se fondent sur une pièce visant une réunion du comité d'entreprise en date du 20 janvier 2012 dont il a été dressé procès- verbal, avec Monsieur [G] [C], Président, qui indique : « J'aborde un dernier point avant que l'on se quitte. Dans le passé, il y a eu des bonus de fermeture d'unité. Je me suis battu avec le Groupe afin de maintenir la tradition. J'ai reçu une enveloppe mais je dois encore déterminer les modalités et la façon de les distribuer. Je vais dans les jours à venir travailler avec [V] et déterminer comment mettre en place les modalités pour le bonus de la mise sous cocon, évidemment, une fois que toutes les unités seront en sécurité, etc. Les modalités exactes seront à déterminer dans les jours à venir avec les RH. J'ai une enveloppe et je dois déterminer combien de personnes tombent dans cette enveloppe. »
A la lecture de ce document, il ressort une déclaration de principe de la part de l'employeur, concernant une tentative de maintien d'une tradition de versement de bonus à l'occasion de fermetures de sites.
Pour autant, cette déclaration ne comprend aucune indication précise définissant l'étendue et les limites de l'obligation de la société vis à vis de ses salariés, aucune modalité ( personnel concerné, application dans le temps....) et aucun montant ou mode de calcul fixé.
A défaut d'autres éléments sur un quelconque engagement de versement d'une prime déterminée dans un temps déterminé auprès d'un personnel délimité ou non, il convient de rejeter toute demande au titre d'un engagement unilatéral de l'employeur visant le versement d'une prime de fermeture.
Il y a lieu dès lors d'infirmer la décision querellée, et rejeter toute demande de Monsieur [O] [I] au titre d'une prime de fermeture.
Sur les demandes subséquentes relatives aux congés payés et à l'exécution fautive du contrat de travail
- Sur la recevabilité de la demande relative aux congés payés
L'article 564 du code de procédure civile prévoit qu' : 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'
L'article 566 de ce même code prévoit que :'les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément'.
En l'espèce cette demande de congés payés, nouvelle en cause d'appel, doit être considérée comme un accessoire à la demande de versement de prime de fermeture, celle-ci étant calculée sur la base et l'attribution de ladite prime, et doit être déclarée recevable.
- sur le fond
Néanmoins, conséquemment au rejet de la demande relative à l'octroi de cette prime, il convient de rejeter également cette réclamation au titre des congés payés qui, selon le salarié, en est l'accessoire.
Il y a lieu, de même, de rejeter la demande relative à l'indemnisation d'un quelconque préjudice relatif au non versement de ladite prime, cette dernière n'étant pas due et confirmer le jugement critiqué de ce chef.
Sur les demandes au titre des frais irrépétibles, de l'exécution provisoire et des dépens
Il n'y a pas lieu en l'espèce à la condamnation de Monsieur [O] [I] au titre des frais irrépétibles exposés par son employeur.
Il échet de rappeler que le présent arrêt constitue un titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement. En conséquence, il n'y a pas lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour.
Il convient de condamner Monsieur [O] [I] aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
-Confirme le jugement déféré en ce que Monsieur [O] [I] a été débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;
- Infirme le jugement déféré en ce que la SAS BPO a été condamnée à verser à Monsieur [O] [I] une somme de 6 000 euros à titre de prime de fermeture de site, avec exécution provisoire et intérêts légaux à compter du 3 décembre 2015 ;
Statuant à nouveau sur ce point ,
- Déboute Monsieur [O] [I] de sa demande au titre de la prime de fermeture du site ;
Et y ajoutant
-Déboute Monsieur [O] [I] de ses autres demandes, recevables mais infondées;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Rappelle que le présent arrêt, dans ses dispositions infirmant la décision déférée, constitue un titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance sans qu'une mention expresse en ce sens soit nécessaire ;
- Condamne Monsieur [O] [I] aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLA PRESIDENTE