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31/10/2018 | FRANCE | N°14/14917

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre a, 31 octobre 2018, 14/14917


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 31 OCTOBRE 2018



N° 2018/370













Rôle N° RG 14/14917 - N° Portalis DBVB-V-B66-3LTB







Société ENEDIS





C/



SARL FINANCIERE LES AIRES









Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



Me Serge MIMRAN VALENSI de la SELARL MIMRAN VALENSI SION,

avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX-EN-PROVENCE en date du 15 Juillet 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2012009327.





APPELANTE



SOCIETE ENEDIS

ancienn...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 31 OCTOBRE 2018

N° 2018/370

Rôle N° RG 14/14917 - N° Portalis DBVB-V-B66-3LTB

Société ENEDIS

C/

SARL FINANCIERE LES AIRES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Serge MIMRAN VALENSI de la SELARL MIMRAN VALENSI SION, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX-EN-PROVENCE en date du 15 Juillet 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2012009327.

APPELANTE

SOCIETE ENEDIS

anciennement dénommée ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE (ERDF),

Société Anonyme dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Pascal CERMOLACCE de la SELARL CABINET CERMOLACCE-GUEDON, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMEE

SARL FINANCIERE LES AIRES,

dont le siège social est sis, [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Serge MIMRAN VALENSI de la SELARL MIMRAN VALENSI SION, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 05 Septembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Anne CHALBOS, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Bernard MESSIAS, Président de chambre

Madame Catherine DURAND, Conseiller

Madame Anne CHALBOS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Octobre 2018.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Octobre 2018,

Signé par M. Bernard MESSIAS, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables, le législateur a institué à la charge d'EDF une obligation de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat d'achat de l'électricité produite par leurs installations de production d'électricité d'origine solaire, à un prix fortement bonifié.

La société Financière les Aires, propriétaire d'un bâtiment à [Localité 1], a décidé dans le courant de l'année 2010 de développer un projet d'installation de panneaux photovoltaïques sur le toit de son immeuble afin de bénéficier du dispositif d'obligation d'achat régi par la loi n°2000-108 du 10 février 2000 et de l'arrêté n°0930803A du 12 janvier 2010 fixant le tarif d'achat de l'électricité active fournie à 0,50 € le kWh pour ce type d'installation.

Le 2 avril 2010 la société EITB, mandataire de la société Financière les Aires, a effectué une déclaration préalable de travaux auprès de la mairie de [Localité 1], donnant lieu à un arrêté de non opposition du 19 avril 2010.

Elle a adressé par LRAR du 29 juillet 2010 une demande de raccordement à ERDF qui a accusé réception de la demande et déclaré le dossier complet au 3 août 2010.

La demande de raccordement devait être instruite par ERDF dans un délai de 3 mois qui expirait en l'espèce le 3 novembre 2010, ce délai de trois mois ayant été intégré par ERDF à sa procédure de traitement des demandes à la suite d'une délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 11 juin 2009.

ERDF devait adresser au demandeur dans ce délai une proposition technique et financière (PTF) que le demandeur devait le cas échéant accepter et renvoyer avec un acompte.

Dans l'attente de la PTF, la société Financière les Aires a poursuivi son projet et accepté le 7 septembre 2010 un devis de la société EDF ENR d'un montant de 207976 € pour l'installation d'un générateur photovoltaïque.

La société ERDF a envoyé à la société Financière des Aires une PTF par LRAR du 30 novembre 2010, reçue le 2 décembre 2010.

La société Financière des Aires a retourné le 7 décembre 2010 la proposition acceptée et accompagnée d'un chèque de 5119,14 €, encaissé le 16 décembre 2016.

Or par décret du 9 décembre 2010, l'obligation de conclure un contrat d'achat a été suspendue pour une durée de 3 mois afin de permettre aux autorités de réévaluer le dispositif.

Le décret prévoyait que les dossiers n'ayant pas fait l'objet d'une acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010 devaient faire l'objet d'une nouvelle demande.

La société ERDF a en conséquence informé la société Financière les Aires par courrier du 7 janvier 2011 de la suspension de sa demande de contrat d'achat et de la nécessité d'adresser une nouvelle demande à la fin de la période de 3 mois.

À l'issue de la période de suspension, un arrêté du 4 mars 2011 a fortement baissé le prix d'achat de l'électricité produite par les producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat.

Après avoir vainement mis en demeure ERDF d'exécuter ses obligations sur la base du des dispositions de l'arrêté du 12 janvier 2010, la société Financière les Aires a renoncé à réaliser son installation photovoltaïque.

Par acte en date du 16 août 2012, la société Financière les Aires a fait assigner la société ERDF devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence afin d'obtenir à titre principal la condamnation de la défenderesse à racheter la production électrique de la société Financière les Aires sur la base de 0,50 € HT le kWh une fois les travaux de raccordement opérés et à titre subsidiaire l'indemnisation du préjudice résultant de la faute commise par ERDF à savoir le non-respect du délai de 3 mois pour transmettre la PTF.

Par jugement du 15 juillet 2014 le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a:

- dit que la SA ERDF a commis une faute en ne respectant pas le délai de réponse à la demande de la SARL Financière les Aires,

- dit que la demande de préjudice économique futur n'est pas causé,

- fait droit partiellement à la demande de la SARL Financière les Aires et condamné la SA ERDF à lui payer la somme de 40000 € de dommages et intérêts,

- rejeté comme injustifiées toutes les autres demandes des parties,

- condamné la SA ERDF à payer à la SARL Financière les Aires une somme de 6000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les frais de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société ERDF a relevé appel de la décision.

Par conclusions déposées et notifiées le 26 juin 2018, la société ERDF nouvellement dénommée Enedis demande à la cour de :

- rejeter toutes prétentions contraires,

- sur l'absence de discrimination dans le traitement du dossier, dire et juger que les accusations de discrimination formulées par la société Financière les Aires ne sont ni démontrées ni fondées,

- sur le défaut de lien de causalité, dire et juger que la société Financière les Aires ne démontre pas que, en l'absence de retard d'Enedis dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010, dire et juger en conséquence qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet,

- subsidiairement sur le caractère non réparable du préjudice allégué, dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010 a le caractère d'une aide de l'état, constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission Européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE, dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit en tout état de cause être écartée, au besoin écarter l'application de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 en raison de sa contrariété avec l'article 108 paragraphe 3 du TFUE, rejeter en conséquence les demandes de la société Financière les Aires fondées sur une cause illicite,

- plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante, dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société Financière les Aires est la perte d'une chance d'avoir pu matérialiser son accord sur une PTF avant le 1er décembre 2010 minuit, puis d'avoir obtenu un contrat d'achat après avoir réalisé et mis en service sa centrale dans un délai de 18 mois et enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa centrale virtuelle, que cette perte de chance est inexistante et dès lors non indemnisable,

- encore plus subsidiairement, sur l'assiette de la perte de chance, dire et juger que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum,

- en conséquence, réformer le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 15 juillet 2014, débouter la société Financière les Aires de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- reconventionnellement, condamner la société Financière les Aires à payer à la société Enedis une somme de 20000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens conformément aux dispositions des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées le 29 mars 2018, la société Financière les Aires demande à la cour de :

- rejeter l'intégralité des prétentions, moyens et demandes de la société Enedis,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 15 juillet 2014 et notamment,

- dire et juger que la société Enedis a commis une faute en ne retournant pas à la société Financière les Aires la proposition technique et financière dans le délai réglementaire et impératif de 3 mois,

- dire et juger que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et le préjudice de la société Financière les Aires est établi,

- dire et juger en conséquence que la société Enedis engage sa responsabilité à l'égard de la société Financière les Aires et doit réparer son entier préjudice,

- dire et juger que la faute de la société Enedis a causé à la société Financière les Aires un préjudice matériel important correspondant aux frais engagés à perte pendant un an,

- condamner la société Enedis à payer à la société Financière les Aires la somme de 40000 € en réparation de ce préjudice matériel,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 15 juillet 2014 en ce qu'il a jugé non causé le préjudice économique de la société Financière les Aires et recevoir son appel incident,

- dire et juger que la faute de la société Enedis a causé à la société Financière les Aires un préjudice économique important,

- dire et juger que le préjudice économique de la société Financière les Aires est fondé dans son principe et dans son montant,

- condamner la société Enedis à payer à la société Financière les Aires la somme de 257818 € en réparation de son préjudice économique,

- en tout état de cause, dire et juger que les intérêts échus sur les sommes auxquelles la société Enedis sera condamnée au titre des préjudices matériel et économique produiront intérêts suivant les dispositions de l'article 1154 du code civil à compter de la mise en demeure du 1er mars 2011,

- condamner la société Enedis à payer à la société Financière les Aires la somme de 20000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La procédure a été clôturée le 5 juillet 2018.

MOTIFS :

Sur la faute reprochée à ERDF :

La loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ainsi que les décrets d'application, notamment les décrets n°2003-229 du 13 mars 2003 et 2003-588 du 27 juin 2003 mettent à la charge du gestionnaire de réseau public de transport d'électricité, en situation de monopole, une obligation de garantie d'un droit d'accès au réseau, dans des conditions définies par ces textes, dont il résulte notamment l'obligation pour ERDF de fournir aux producteurs qui en font la demande une proposition technique et financière de raccordement et d'instruire les demandes dans un cadre transparent et non discriminatoire sur la base d'un référentiel technique publié.

ERDF a ainsi élaboré et publié des procédures de traitement des demandes de raccordement, qui définissent et décrivent les étapes de l'instruction des demandes.

La société Financière les Aires verse aux débats le document intitulé 'Procédure de traitement des demandes de raccordement individuel en BT de puissance supérieure à 36 kVA et en HTA, au réseau public de distribution géré par ERDF', daté du 3 juillet 2010 et applicable en conséquence à la demande de raccordement objet du litige.

Ce document précise en son article 7.2.3 que lorsque le dossier [de demande de raccordement] est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante.

L'article 8.2.1 prévoit qu'à compter de la date de qualification de la date de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement ne dépassera pas le délai défini dans le barème de raccordement pour le type d'installation concernée. Ce délai n'excédera pas trois mois quel que soit le domaine de tension de raccordement.

Par une délibération du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre, la Commission de Régulation de l'Energie a énoncé que le délai dans lequel la proposition technique et financière doit être transmise au demandeur, à partir de la réception de la demande de raccordement complétée, ne doit pas excéder trois mois, quel que soit le domaine de tension.

Il résulte de ces dispositions impératives que le non-respect par ERDF de l'obligation de transmettre une PTF dans le délai de trois mois constitue une faute engageant sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 ancien du code civil.

En l'espèce, il ressort des pièces produites par la société Financière les Aires et des explications des parties concordantes sur ce point que par courrier du 18 août 2010, ERDF a accusé réception de la demande de PTF de la société Financière les Aires à la date du 3 août 2010, de sorte que la PTF aurait dû être transmise à la demanderesse dans un délai de trois mois expirant le 3 novembre 2010, ce qui n'a pas été fait.

La société Enedis affirme dans ses écritures qu'elle a pris acte des décisions de la Cour de Cassation sur le caractère fautif du dépassement du délai de trois mois et qu'elle n'entend plus contester ce point.

Elle n'invoque devant la cour aucune circonstance de force majeure exonératoire, de sorte que les développements de la société Financière les Aires sur ce point sont sans objet.

Le principe de la faute étant acquis, il n'est pas non plus nécessaire de rechercher si comme l'affirme la société Financière les Aires, ERDF aurait fait preuve de discrimination dans le traitement des demandes, ce que conteste la société Enedis.

Sur le lien de causalité avec le préjudice invoqué :

Le décret n°2010-1510 du 9 décembre 2010 instituant le moratoire impose aux producteurs qui n'ont pas notifié avant le 2 décembre 2010 leur acceptation de la PTF de déposer à l'issue de la période de suspension une nouvelle demande complète de raccordement aux réseaux.

Il en résulte que les demandes de raccordement déposées avant le moratoire qui n'ont pas fait l'objet d'une acceptation de la PTF notifiée avant le 2 décembre 2010 sont caduques et que les producteurs concernés perdent le bénéfice des conditions d'achat applicables en 2010.

En ne transmettant pas à la société Financière les Aires une PTF dans le délai de trois mois expirant le 3 novembre 2010, ERDF a privé la société Financière les Aires de toute possibilité de notifier avant le 2 décembre 2010 son acceptation de la PTF, d'échapper à la caducité de sa demande, et de finaliser son projet dans les conditions tarifaires de 2010.

S'agissant d'une obligation de transmission, le délai de trois mois s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.

Si ERDF avait respecté son obligation, la société Financière les Aires aurait disposé de la possibilité de notifier son acceptation de la PTF entre le 3 novembre et le 1er décembre 2010, d'échapper au moratoire et de finaliser son projet.

Le lien de causalité entre le manquement d'ERDF à son obligation et le préjudice allégué par la société Financière les Aires est en conséquence suffisamment établi.

Sur le caractère réparable du dommage invoqué :

Le préjudice invoqué par la société Financière les Aires résulte de la perte de chance de réaliser et d'exploiter sa centrale dans les conditions tarifaires applicables en 2010.

La société Financière les Aires chiffre le montant de son préjudice en calculant la perte de marge, sur la durée du contrat d'achat d'électricité soit 20 ans, sur la base du tarif d'achat fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010.

Selon Enedis, cet arrêté est entaché d'illégalité comme n'ayant fait l'objet d'aucune notification préalable à la Commission européenne alors que les tarifs d'achat constituent une aide d'Etat.

Elle invoque les dispositions des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) sur les aides de l'Etat incompatibles avec le marché intérieur et la notification préalable à la commission des projets tendant à modifier ou instituer ces aides.

La société Financière les Aires ne conteste pas que s'agissant d'apprécier la conformité d'un texte réglementaire interne au droit de l'UE, le juge judiciaire est compétent pour constater cette illégalité par voie d'exception.

Aux termes de l'article 107§1 du TFUE 'Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions'.

L'article 108§3 du TFUE dispose que 'la Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.'

Sur la question préjudicielle posée par la cour d'appel de Versailles par arrêt rendu le 20 septembre 2016 dans une affaire similaire, la CJUE a, par ordonnance du 15 mars 2017, rappelé que la qualification d'aides d'Etat au sens de l'article 107§1 du TFUE supposait la réunion de 4 conditions, à savoir qu'il existe une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat,

que cette intervention soit susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres, qu'elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, et qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence dans le marché intérieur.

Elle a répondu que 'l'article 107 paragraphe 1 du TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat', précisant qu'il appartenait à la juridiction saisie de déterminer si la mesure en cause constituait une aide d'Etat en vérifiant si les trois autres conditions étaient remplies.

La société Enedis soutient à juste titre que le dispositif mis en oeuvre par l'arrêté et modifié par l'arrêté du 12 janvier 2010 remplit ces trois autres conditions.

Ce dispositif permet aux producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque de bénéficier d'un tarif d'achat d'électricité par EDF particulièrement avantageux compris entre 42 et 58 centimes par kWh produit alors que le prix de revente au consommateur était à cette époque de 12 centimes.

Il procure en conséquence un avantage aux bénéficiaires en leur garantissant la rentabilité de leur investissement, favorisant de manière sélective un type de production, à savoir l'énergie d'origine photovoltaïque.

Dans un système d'économie de marché et compte tenu du caractère transfrontalier du marché de l'électricité et de sa libéralisation au niveau de l'Union européenne, cet avantage est susceptible d'avoir une incidence sur la concurrence et d'affecter les échanges entre les Etats membres.

La conséquence de cette qualification d'aide d'Etat est que l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être obligatoirement notifié à la Commission en application de l'article 108§3 du TFUE.

Il est constant que l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission ainsi qu'il résulte d'une réponse ministérielle publiée au Journal Officiel du 27 septembre 2016.

C'est à tort que la société Financière les Aires soutient que le dispositif en cause bénéficierait d'une exemption de l'obligation de notification à la Commission en application du Règlement CE 800/2008 de la Commission portant règlement général d'exemption par catégories.

Ce règlement n'est applicable qu'aux aides transparentes, c'est à dire dont il est possible de calculer précisément et préalablement l'équivalent-subvention brut au moment de l'octroi de l'aide, ce qui n'est pas le cas du régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité photovoltaïque.

En outre, pour bénéficier de l'exemption prévue par le Règlement CE 800/2008 le régime d'aide doit remplir toutes les conditions d'application du règlement et contenir une référence expresse au règlement par la citation de son titre. Or l'arrêté du 12 janvier 2010 ne comporte aucune référence au Règlement CE 800/2008.

Aux termes de l'ordonnance du 15 mars 2017 précitée, la CJUE a répondu à la question préjudicielle posée par la cour d'appel de Versailles que 'l'article 108 paragraphe 3 TFUE doit être interprété en ce sens que en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'Etat au sens de l'article 107 paragraphe 1 TFUE il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.'

L'arrêté du 12 janvier 2010, qui n'a jamais été notifié à la Commission, est donc entaché d'illégalité.

Contrairement à ce que soutient la société Financière les Aires, cette illégalité fait obstacle à une demande d'indemnisation au titre d'une perte d'exploitation calculée sur la base de l'arrêté litigieux, indépendamment de son éventuelle compatibilité ou incompatibilité avec le marché commun, qu'il n'appartient pas à la cour d'apprécier et qui relève du seul pouvoir d'appréciation de la Commission.

Les principes de la responsabilité civile délictuelle, et notamment le principe de la réparation intégrale du préjudice selon lequel la victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle aurait dû se trouver si le fait dommageable ne s'était pas produit, ne peuvent conduire à faire application d'un arrêté illégal pour fonder un droit à réparation.

Il importe peu, dès lors, que d'autres producteurs ont bénéficié de contrats conclus sur la base de l'arrêté du 12 janvier 2010 et qui n'ont jamais été remis en cause.

Les développements de la société Financière les Aires sur le régime applicable aux restitutions d'aides effectivement versées puis ayant ultérieurement fait l'objet d'une déclaration de compatibilité ou d'incompatibilité ne sont pas non plus pertinents puisqu'ils concernent une situation différente.

La société Financière les Aires devra en conséquence être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique en l'absence de justification d'un préjudice réparable, le jugement déféré étant confirmé sur ce point par substitution de motifs.

Le jugement sera par ailleurs infirmé en ce qu'il a condamné la SA ERDF à payer à la société Financière les Aires la somme de 40000 € de dommages et intérêts au titre des frais engagés à perte pendant un an pour la constitution du dossier.

En effet, outre le fait que ce chef de préjudice est présenté comme une conséquence de la perte du bénéfice d'un arrêté illégal, le principe selon lequel la victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle aurait dû se trouver si le fait dommageable ne s'était pas produit conduit à écarter cette demande puisque si la société ERDF n'avait pas commis de faute et que la société Financière les Aires avait pu finaliser son projet de centrale, elle aurait conservé à sa charge les frais engagés pour constituer le dossier, dont elle ne produit d'ailleurs aucun justificatif chiffré, se contentant de faire état d'une évaluation forfaitaire.

Partie succombante, la société Financière les Aires sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit que la SA ERDF a commis une faute en ne respectant pas le délai de réponse à la demande de la SARL Financière les Aires,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le préjudice allégué par la société Financière les Aires présente un lien de causalité direct avec la faute retenue à l'encontre de la société Enedis,

Déclare la société Enedis recevable et bien fondée à invoquer l'exception d'illégalité de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 au regard du droit de l'Union européenne,

Dit que le préjudice invoqué par la société Financière les Aires n'est pas réparable,

Déboute la société Financière les Aires de sa demande d'indemnisation,

Condamne la société Financière les Aires à payer à la société Enedis la somme de 3000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Financière les Aires aux dépens.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre a
Numéro d'arrêt : 14/14917
Date de la décision : 31/10/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°14/14917 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-31;14.14917 ?
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