COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2018
N°2018/332
N° RG 16/03025 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6EOJ
Jean-Luc X...
C/
Simon Y...
Frédéric Z...
CGEA AGS DE MARSEILLE DELEGATION REGIONALE UNEDIC AGS SUD EST
Grosse délivrée le :
29 JUIN 2018
à :
Me Olivier F..., avocat au barreau de MARSEILLE
Me Jean-claude A..., avocat au barreau de MARSEILLE
Me E... B... de la SELARL CABINET E... B..., avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 05 Février 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 15/1672.
APPELANT
Monsieur Jean-Luc X..., demeurant [...]
comparant en personne, assisté de Me Olivier F..., avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Maître Simon Y..., liquidateur judiciaire de la SA SEILPCA - LA MARSEILLAISE, demeurant [...]
représenté par Me Jean-claude A..., avocat au barreau de MARSEILLE
Maître Frédéric Z..., administrateur judiciaire de la SA SEILPCA - LA MARSEILLAISE, demeurant [...]
représenté par Me Jean-claude A..., avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
CGEA AGS DE MARSEILLE DELEGATION REGIONALE UNEDIC AGS SUD EST, demeurant [...]
représenté par Me E... B... de la SELARL CABINET E... B..., avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 24 Mai 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur David MACOUIN, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Nathalie FRENOY, Conseiller
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2018.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2018
Signé par Monsieur David MACOUIN, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Jean-Luc X... a été engagé par la société d'Edition et d'Impression du Languedoc Provence-Côte d'Azur dite SEILPCA et publiant le journal 'la Marseillaise' depuis 1987, à compter du 1er avril 1999 suivant contrat de travail à durée déterminée en qualité de journaliste Rédacteur Stagiaire. La relation contractuelle s'est poursuivie à durée indéterminée à temps partiel.
A compter du mois d'octobre 2002, il a accédé à la classification de Rédacteur 2ème échelon, indice 136,5 et à compter de septembre 2014 il a travaillé à temps complet.
Par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 24 novembre 2014, la société SEILPCA a été placée en redressement judiciaire puis par décision du 15 avril 2015, le tribunal de commerce a autorisé la cession du journal 'la Marseillaise' aux éditions des Fédérés ainsi que la mise en oeuvre de 91 licenciements économiques.
Monsieur X... a accepté le bénéfice du CSP dans le cadre de plan de sauvegarde de l'emploi et le contrat de travail a été rompu le 26 mai 2015.
La société SEILPCA a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 2 décembre 2015 et Maître Y... a été désigné mandataire liquidateur.
Sollicitant notamment une reclassification de son emploi et un rappel de salaire, Monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille qui, par jugement du 5 février 2016, a :
- débouté Monsieur X... de sa demande de requalification,
- condamné la société SEILPCA à payer à Monsieur X... les sommes de :
* 159,23 € à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2012,
* 2 093,84 € à titre de rappel de salaire pour la période de juillet 2012 à août 2013,
* 2 671,84 € à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2013 à août 2014,
* 2 362,04 € à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2014 à mai 2015,
* 1 047,27 € à titre de complément de prime de transport,
* 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Monsieur X... de ses autres demandes,
- condamné la société SEILPCA aux dépens,
- dit que l'AGS devra faire l'avance des créances visées à l'article L3253-8 et suivants du code du travail dans les conditions et limites prévues par les articles L3253-17, L3253-19, L3253-20 et D3253-5 du code du travail.
Monsieur X..., qui a reçu notification de ce jugement le 8 février 2016, en a régulièrement interjeté appel par lettre expédiée le 15 février 2016.
Suivant écritures soutenues et déposées à l'audience, il demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de dire, pour la période non prescrite, soit de juin 2010 au 26 mai 2015, qu'il a travaillé en qualité de Reporter 2ème échelon, coefficient 155 et de fixer au passif de la liquidation de la société SEILPCA sa créance aux sommes de :
* 40 307,65 € bruts à titre de rappel de salaire,
* 4 030,76 € au titre des congés payés afférents,
* 4 071,74 € au titre du complément du 13ème mois,
* 1 745,40 € au titre du complément de la prime de transport,
Il demande également de dire le jugement opposable au CGEA, déduction faite des sommes qui ont déjà été versées et d'ordonner la remise par le mandataire liquidateur d'une attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire pour chacune des années concernées conformes à la décision à intervenir.
Suivant écritures soutenues et déposées à l'audience, Maître Y... demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ses dispositions ayant déclaré prescrites les demandes de Monsieur X... pour la période de 2010 à mai 2012 et ayant fixé au passif de la société SEILPCA les sommes de 159,23 € à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2012, 2 093,84 € à titre de rappel de salaire pour la période de juillet 2012 à août 2013, 2 671,84 € à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2013 à août 2014, 2 362,04 € à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2014 à mai 2015 et 1 047,27 € à titre de complément de prime de transport,
- fixer au passif de la société SEILPCA les sommes de 1 637,76 € au titre du complément de la prime d'ancienneté pour la période de juin 2012 à septembre 2013, 1 964,40 € au titre du complément de la prime d'ancienneté pour la période de septembre 2013 à septembre 2014,
2 129,09 € au titre du complément de la prime d'ancienneté pour la période d'octobre 2014 à mai 2015,
- débouter Monsieur X... du surplus de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Suivant écritures soutenues et déposées à l'audience, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Marseille demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur le fond à l'argumentation développée par la société SEILPCA représentée par son mandataire liquidateur, de dire que la décision à intervenir ne pourra prononcer qu'une fixation au passif de la procédure collective, qu'il sera fait application des dispositions des articles L 3253-8, L3252-17, L3253-20 et D3253-5 du code du travail et que le jugement d'ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels.
Pour plus ample exposé des faits et moyens des parties, il est renvoyé aux écritures déposées et réitérées oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de reclassification de l'emploi
Monsieur X..., qui avait la classification conventionnelle de Rédacteur 2ème échelon, revendique celle de Reporter 2ème échelon dès lors qu'il prétend avoir assuré des reportages ou mené des enquêtes dont l'intérêt débordait le cadre local ou régional, que ces reportages et enquêtes présentaient un caractère régulier et qu'il devait être considéré comme un journaliste expérimenté.
Monsieur X... soutient qu'il est recevable à demander un rappel de salaire sur les 5 années précédant l'introduction de la demande et que toute autre interprétation des dispositions de la loi du 14 juin 2013 serait contraire au principe d'interprétation conforme de la loi à la Constitution et à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme.
Maître Y..., sur le fondement de l'article L3245-1 du code du travail, soulève la prescription de l'action concernant les demandes de rappels de salaire pour la période de mai 2010 à mai 2012 dès lors qu'il convient de faire application du délai de prescription de trois ans à compter de la date de la rupture du contrat de travail intervenue le 26 mai 2015.
Par ailleurs, il fait valoir que Monsieur X... ne peut revendiquer la classification de reporter 2ème échelon car celui-ci n'effectuait pas de déplacement régulier en France ou à l'étranger à l'occasion de l'élaboration de ses reportages ou enquêtes, que le fait que les événements régionaux puissent avoir une portée nationale ne révèle pas que les articles soient élaborés par un reporter ayant effectué l'enquête, que les articles dits d'intérêt national ou international produits par Monsieur X... représentent moins de la moitié des articles présentés tous les mois, que Monsieur X... ne peut être considéré comme étant un reporter expérimenté au sens de la définition du SNJ.
En droit, il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure, de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.
Déterminer la classification dont relève un salarié suppose l'analyse de la réalité des fonctions par lui exercées, au vu des éléments qu'il produit et de ceux produits par l'employeur, et leur comparaison avec la classification de la convention collective nationale applicable.
En l'espèce, les parties s'accordent sur l'application des définitions des fonctions telles que figurant dans l'accord collectif du 3 juillet 1974 aux termes duquel le reporter 2ème échelon est 'un journaliste expérimenté assurant régulièrement des reportages et enquêtes dont l'intérêt peut déborder le cadre local ou éventuellement régional'.
Le reporter au sein d'une rédaction de presse écrite est un journaliste de terrain qui rapporte aux lecteurs par le biais de reportages ou d'enquêtes qu'il élabore lui-même des événements dont il a été le témoin ce qui implique nécessairement des déplacements sur les lieux des événements couverts pour recueillir les informations et croiser leurs sources.
Monsieur X..., qui a travaillé pour divers journaux sportifs en tant que correspondant de presse pigiste pour l'hebdomadaire de rugby 'Midi Olympique', puis pour 'le Provençal' à compter de 1987 puis pour 'la Marseillaise' à compter de 1997, doit être considéré à l'évidence comme un journaliste expérimenté dans son domaine de prédilection, à savoir le journalisme sportif et notamment le rugby et plus particulièrement le club professionnel de Toulon.
Il ressort des articles produits par Monsieur X... entre 2010 et 2015 dont il est l'auteur qu'un certain nombre d'entre eux porte sur des événements locaux ou sur des portraits de sportifs originaires ou résidant dans la Région PACA.
D'autres articles visent des manifestations sportives nationales (Championnat de rugby, tour de France à la voile) ou internationales (C... Davis de tennis, tournois de 6 nations de rugby, America's cup, Master de golf, jeux olympiques de Londres et de Rio de Janeiro etc...) ou concernent des sportifs locaux engagés dans les compétitions nationales ou internationales.
Cependant, Monsieur X... ne démontre pas qu'il a effectué ces reportages ou enquêtes aux termes d'investigations réalisées sur le lieu des événements en France ou à l'étranger.
Au contraire, il ressort du mémorandum rédigé par Monsieur D..., chef de rubrique du service des sports et versé au débat par l'appelant, que concernant l'actualité nationale ou internationale sportive, la source principale d'information était l'AFP de sorte que dans les faits Monsieur X... donnait une forme journalistique aux communiqués et informations transmis à la rédaction, travail qui caractérise la fonction de Rédacteur 2ème échelon.
Si Monsieur X... a également rédigé des articles publiés dans 'la Marseillaise' portant sur des thèmes sportifs engageant une réflexion générale sur des sujets tels que 'jeux d'argent et sport, un cocktail explosif', 'l'injustice dans le sport', l'archéologie et bio-diversité sous-marine, l'analyse des fonctions d'un arbitre, leur nombre est insuffisant pour caractériser une activité régulière et permanente de reporter.
Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de reclassification de l'emploi formulée par Monsieur X.... Le jugement sera confirmé sur ce point.
Il y a également lieu de débouter Monsieur X... de sa demande de rappel de salaire et de prime de 13ème mois uniquement fondée sur la revendication catégorielle revendiquée de reporter 2ème échelon, Monsieur X..., qui soutient avoir perçu une rémunération inférieure au minimum garanti par les accords collectifs, ne présentant pas de demande subsidiaire au titre d'un rappel de salaire sur la classification contestée. Le jugement, qui a accordé un rappel de salaire sera infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de la prime de transport
Maître Y... soulève la prescription de l'action en paiement de la prime de transport.
Dès lors que l'instance n'était pas en cours à la date de promulgation de la loi du 14 juin 2013, l'article V de ladite dispose que 'les dispositions du code du travail prévues aux III (prescription biennale de l'article L. 1471-1) et IV (prescription triennale de l'article L. 3245-1) du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'.
Monsieur X... ayant saisi la juridiction le 16 juin 2015, soit postérieurement au 14 juin 2013, il disposait jusqu'au 14 juin 2018 pour agir en paiement d'un rappel de salaire pour la période du 16 juin 2010 au 16 juin 2015.
La prescription sera donc écartée.
Il est établi que Monsieur X... a perçu au titre de cette prime la somme de mensuelle de 3,51 € et que celle-ci a été portée à la somme de 33 € par mois à compter du 1er juillet 2008 par accord d'étape du 11 juin 2008.
La demande formulée au titre du rappel de la prime de transport à hauteur de 1 745,40 € est fondée. Le jugement sera infirmé sur le montant de la prime allouée.
Monsieur X... ne maintient pas en cause d'appel sa demande en paiement d'une indemnité de licenciement. La disposition du jugement qui l'a débouté de ce chef de demande sera donc confirmée.
Le mandataire liquidateur devra remettre à Monsieur X... un bulletin de salaire rectifié conforme à la présente décision.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées. Il est équitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais qu'il a engagés que ce soit en première instance qu'en cours d'appel.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la liquidation de la société SEILPCA, pour partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives aux rappels de salaire, au montant du complément de la prime de transport, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que l'action en paiement de la prime de transport pour la période du 16 juin 2010 au 16 juin 2015 n'est pas prescrite
Fixe au passif de la société d'Edition et d'Impression du Languedoc Provence-Côte d'Azur dite SEILPCA la créance de Monsieur Jean-Luc X... à la somme de 1 745,40 € au titre du complément de la prime de transport,
Déboute Monsieur Jean-Luc X... de ses demandes de rappel de salaire et de prime de 13ème mois.
Dit que le mandataire liquidateur devra remettre à Monsieur X... un bulletin de salaire rectifié conforme à la présente décision.
Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels,
Dit la présente décision opposable au CGEA-AGS de Marseille,
Dit que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées à l'article L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19 et L3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L3253-20 du code du travail,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société d'Edition et d'Impression du Languedoc Provence-Côte d'Azur dite SEILPCA.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
David MACOUIN faisant fonction