COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
3e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 12 AVRIL 2018
N° 2018/113
Rôle N° 16/04839
SCI LES EUCALYPTUS DE VILLEPEY
C/
SAS FRE.CO.SUD
Grosse délivrée
le :
à :
Me J. LATIL
Me J. CARLHIAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 15 Mars 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/06871.
APPELANTE
SCI LES EUCALYPTUS DE VILLEPEY
immatriculée au RCS de LYON sous le N° 452 668 486,
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]
représentée par Me Jérôme LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Stéphane BONNET, avocat au barreau de LYON, substitué par sa collaboratrice Me Noémie DAVID, avocate au barreau de LYON
INTIMEE
SAS FRE.CO.SUD,
immatriculée au RCS de FREJUS sous le N° 438.613.242,
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège [Adresse 2]
représentée et plaidant par Me Jenny CARLHIAN, avocate au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 Février 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Jean-François BANCAL, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Jean-François BANCAL, Président (rédacteur)
Mme Patricia TOURNIER, Conseillère
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2018,
Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'assignation délivrée le 2.7.2014 à la requête de la S.A.S. FRE-CO-SUD à la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY aux fins d'obtenir du tribunal de grande instance de Draguignan sa condamnation à lui payer :
- 442.077,84€ au titre d'un solde de travaux de son lot gros oeuvre concernant le chantier de construction d'une résidence de tourisme de 89 logements, dénommée '[Adresse 3],
- 44207,78€ à titre de dommages et intérêts,
- 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions en réponse de la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY du 25.9.2015, par lesquelles elle soulève à titre principal la prescription, et demande, à titre subsidiaire, la condamnation de la S.A.S. FRE-CO-SUD à lui payer la somme de 738.177,18€ correspondant à des pénalités de retard et au coût de travaux de reprise de malfaçons,
Vu le jugement rendu le 15.3.2016 par lequel le tribunal de grande instance de Draguignan a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour agir soulevée par la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY, qu'il qualifie d' 'exception de procédure', au motif que l'examen de la prescription relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état,
- condamné la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY à payer à la S.A.S. FRE-CO-SUD :
** 442.077,84€ avec intérêts au taux légal à compter du 16.11.2006,
** 3500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY aux dépens,
après avoir indiqué dans les motifs que la demande reconventionnelle de la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY était prescrite et que la demande de dommages et intérêts de la S.A.S. FRE-CO-SUD était rejetée,
Vu l'appel interjeté le 16.3.2016 par la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY,
Vu les conclusions de la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY avec bordereau de communication de pièces notifiées par le R.P.V.A. le 29.1.2018,
Vu les conclusions de la S.A.S. FRE-CO-SUD avec bordereau de communication de pièces notifiées par le R.P.V.A. le 19.1.2018,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30.1.2018,
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les demandes en paiement d'un solde de travaux et de dommages et intérêts formulées par la S.A.S. FRE-CO-SUD et la fin de non-recevoir tirée de la prescription :
La S.A.S. FRE-CO-SUD demande la condamnation de la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY à lui payer la somme de 442.077,84€ au titre d'un solde de travaux de son lot gros oeuvre, ainsi que celle de 44207,78€ à titre de dommages et intérêts, la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY lui opposant la prescription.
Contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, le moyen tiré de la prescription pour agir en justice ne constitue pas une exception de procédure, mais, comme l'indique l'article 122 du code de procédure civile, une fin de non-recevoir qui ne relève pas de la compétence exclusive du juge de la mise en état définie à l'article 771 du même code, mais de celle du juge du fond.
Comme le reconnaissent les deux parties, le point de départ du délai de prescription pour agir en recouvrement du solde de travaux et en paiement de dommages et intérêts est ici la date du document intitulé 'PV RECEPTION' des 18 & 21.7.2006, établi contradictoirement entre l'architecte PCR Architectes et la S.A.S. FRE-CO-SUD, soit en conséquence le 21.7.2006.
Cette demande en paiement était soumise au délai de prescription de droit commun de trente ans. Le délai pour agir expirait alors le 21.7.2036.
Ce délai a été interrompu le 16.11.2006 par la délivrance à la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY, à la requête de la S.A.S. FRE-CO-SUD, d'une assignation en référé expertise devant le président du tribunal de grande instance de Draguignan, interruption se poursuivant jusqu'au 24.1.2007, date à laquelle ce magistrat a ordonné une expertise.
Il expirait alors le 24.1.2037.
Avec la réforme de la prescription issue de la loi du 17.6.2008, ce délai a été porté à cinq ans. Compte tenu de l'article 26 II de cette loi, cette nouvelle disposition s'applique à compter du 19.6.2008, date d'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En conséquence, au délai de prescription qui a courru du 24.1.2007 au 19.6.2008, s'est ajouté un délai de 5 ans. Sauf interruption ou suspension, il expirait le 19.6.2013, n'excédant pas ainsi la durée de 30 ans prévue par la loi antérieure.
Contrairement à ce que la S.A.S. FRE-CO-SUD prétend, dans le présent litige, qui n'oppose pas un assureur à son assuré, les ordonnances de changement d'expert rendues les 12.10.2009 et 29.10.2009 ne peuvent avoir d'effet interruptif que s'il est justifié qu'elles auraient été précédées d'assignations délivrées à la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY ou qu'elles lui auraient été notifiées ou signifiées. Tel n'étant pas le cas, l'intimée ne peut donc se prévaloir du moindre effet interruptif attaché à ces ordonnances.
Enfin, si la S.A.S. FRE-CO-SUD allègue, en se fondant sur la note aux parties du 6.1.2011 de l'expert [Y] (pièce 52 de la S.A.S. FRE-CO-SUD), la reconnaissance par la SCI les EUCALYPTUS de V ILLEPEY de la créance que l'entreprise invoque à son encontre, la lecture de ce seul document révèle qu'il s'agit de simples appréciations de l'expert et non d'un aveu de la SCI les EUCALYPTUS de V ILLEPEY portant sur le solde réclamé et caractérisant une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de reconnaître le bien fondé de la réclamation de l'entreprise, permettant d'invoquer les dispositions de l'article 2240 du code civil.
Enfin, alors que l'instance en référé expertise a été introduite le 16.11.2006, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 17.6.2008 portant réforme de la prescription, les dispositions de l'article 2239 du code civil résultant de cette loi, concernant la suspension de la prescription pendant l'exécution d'une mesure d'instruction, ne sont pas applicables ici en vertu des articles 2 du code civil et 26 III de cette loi.
Ainsi, alors que le délai pour agir en paiement d'un solde de travaux et de dommages et intérêts expirait le 19.6.2013, l'action engagée par la S.A.S. FRE-CO-SUD par assignation délivrée le 2.7.2014 le fut tardivement.
En conséquence, les demandes en paiement formées par la S.A.S. FRE-CO-SUD sont irrecevables et le jugement déféré doit ici être réformé.
Sur la demande en paiement du maître de l'ouvrage :
Par conclusions du 25.9.2015, la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY demandait au premier juge, à titre subsidiaire, la condamnation de la S.A.S. FRE-CO-SUD à lui payer la somme de 738.177,18€, correspondant d'une part à des pénalités de retard à hauteur de 630.537,18€ TTC, d'autre part, au coût de travaux de reprise de malfaçons objet de réserves lors de la réception, pour la somme de 90000€ HT, soit 107640€ TTC.
En appel, elle maintient cette demande, produisant un certificat de paiement établi le 21.11.2006, signé par le maître de l'ouvrage délégué et le maître d'oeuvre, fixant les pénalités de retard contractuelles à 630.537,18€ TTC, ainsi qu'une lettre de mise en demeure qu'elle aurait adressée à l'entreprise le 18.12.2006 pour lui réclamer cette somme, ainsi que celle de 90000€ H.T correspondant à une ' estimation' des 'reprises et malfaçons (et) remises en état suivant PV du 18 et 21 07/2006 signé par (l') entreprise. Au titre des malfaçons piscine et sous-sols des bâtiments A & B '.
S'il est indiqué par le maître de l'ouvrage qu'en vertu de la norme AFNOR NF 03-001 valant CCAG, applicable au marché conclu, la S.A.S. FRE-CO-SUD n'a pas contesté ce décompte définitif dans le délai de 30 jours de sa notification et qu'elle est réputée l'avoir accepté, il n'est pas établi que ce décompte a été envoyé à la S.A.S. FRE-CO-SUD, celle-ci contestant l'avoir reçu et avoir reçu une mise en demeure d'avoir à payer les sommes réclamées.
Alors que le maître de l'ouvrage ne produit que la photocopie de la lettre précitée du 18.12.2006 portant la mention 'LETTRE RECOMMANDEE AVEC AR ', d'un mémoire récapitulatif de travaux supplémentaires et du certificat de paiement concernant les pénalités de retard, mais ne verse aucun avis de dépôt de ce courrier ou de réception, il ne prouve ni son envoi à l'entreprise, ni sa réception.
Le maître de l'ouvrage réclamant des pénalités de retard depuis le 18.12.2006, le délai de prescription pour agir en paiement était initialement de 30 ans et expirait donc, sauf interruption ou suspension, le 18.12.2036.
Avec la réforme de la prescription issue de la loi du 17.6.2008, ce délai a été porté à cinq ans. En vertu de l'article 26 II de cette loi, cette nouvelle disposition s'applique à compter du 19.6.2008, date d'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En conséquence, au délai de prescription qui s'est écoulé du 18.12.2006 au 19.6.2008, s'est ajouté un délai de 5 ans. Il expirait, sauf interruption ou suspension, le 19.6.2013, n'excédant pas ainsi la durée de 30 ans prévue par la loi antérieure.
La demande en paiement de ces pénalités de retard formulée par conclusions du 25.9.2015 l'a donc été tardivement. Elle est irrecevable.
La demande en paiement du coût de travaux de reprise des désordres réservés ressort de la responsabilité contractuelle de droit commun des articles 1147 et suivants du code civil, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10.2.2016 applicable au litige. Elle doit être formulée dans les 10 ans de la réception, en application de l'article 1792-4-3 du code civil.
Les parties s'accordant pour considérer qu'une ' réception' est intervenue les 18 & 21.7.2006, le délai pour agir en paiement au titre de ces travaux de reprise expirait donc le 21.7.2016.
Cette demande en paiement formée le 25.9.2015 est donc recevable.
Par contre, alors qu'il s'agit d'une simple 'estimation' que la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY ne précise pas quels sont ses divers postes de réclamation et quel est le coût des travaux de reprise de chacun de ces postes, qu'il est en outre fait état, ce qui n'est pas contesté, d'une autre procédure qui serait en cours relativement aux désordres et malfaçons de ce chantier, que la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY se ne se réfère pas aux analyses de l'expert judiciaire, elle ne prouve pas être créancière de la somme qu'elle réclame. Elle doit donc être déboutée de cette demande.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce que le premier juge a, dans les motifs de sa décision, déclaré prescrite la demande en paiement de pénalités de retard formée par la SCI les EUCALYPTUS de V ILLEPEY, mais réformé, en ce qu'il a également déclaré prescrite la demande en paiement de travaux de reprise, celle-ci étant en réalité mal fondée.
Ces questions ne faisant l'objet d'aucune mention dans le dispositif du jugement déféré, il y sera ajouté comme indiqué au dispositif.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
Succombant, la S.A.S. FRE-CO-SUD supportera les dépens de première instance et d'appel.
Compte tenu des circonstances de la cause, l'équité ne commande nullement d'allouer aux parties la moindre somme au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement,
Contradictoirement,
CONFIRME partiellement le jugement déféré en ce que le premier juge a :
- dit dans les motifs de sa décision que la demande de dommages et intérêts de la S.A.S. FRE-CO-SUD était rejetée et que la demande reconventionnelle en paiement de pénalités de retard de la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY était prescrite,
- débouté la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LE REFORME pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU ET [Localité 1] AJOUTANT,
REÇOIT la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour agir soulevée par la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY,
DECLARE en conséquence irrecevables les demandes de la S.A.S. FRE-CO-SUD en paiement des sommes de 442.077,84€ au titre d'un solde de travaux et de 44207,78€ à titre de dommages et intérêts,
REÇOIT la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour agir soulevée par la S.A.S. FRE-CO-SUD,
DECLARE irrecevable la demande en paiement de la somme de 630.537,18€ formée par la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY au titre des pénalités de retard,
DÉBOUTE la SCI les EUCALYPTUS de VILLEPEY de sa demande en paiement de la somme de 107640€ au titre de travaux de reprise de malfaçons,
DÉBOUTE la S.A.S. FRE-CO-SUD de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que le greffe communiquera à l'expert [E] [Y] une copie du présent arrêt,
CONDAMNE la S.A.S. FRE-CO-SUD aux dépens de première instance et d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT