COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 07 DÉCEMBRE 2017
N° 2017/ 415
Rôle N° 15/13135
[M] [D] épouse [Z]
C/
SA CREDIT LYONNAIS
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Marie josé COUDERC POUEY, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
- Me Alain USANNAZ-JORIS de l'ASSOCIATION USANNAZ-JORIS / AGOSTINI NICOLE, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 01 Juin 2015 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2014F02815.
APPELANTE
Madame [M] [D] épouse [Z]
née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 1]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marie josé COUDERC POUEY, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉE
SA CREDIT LYONNAIS
poursuites et diligences de son représentant légal,
dont le siège social est [Adresse 2]
représentée par Me Alain USANNAZ-JORIS de l'ASSOCIATION USANNAZ-JORIS / AGOSTINI NICOLE, avocat au barreau de MARSEILLE
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COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Octobre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2017
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Lydie BERENGUIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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LA COUR
Le Crédit lyonnais a consenti à la société Secret de fleurs, qui venait d'être constituée en janvier 2011 :
- le 22 avril 2011, un prêt de 45 000 € sur 7 ans, au taux de 4,90%, destiné à financer intégralement l'acquisition d'un fonds de commerce de fleuriste ; le crédit est garanti par un engagement de caution solidaire souscrit, dans l'acte de prêt, à concurrence de 51 750 €, par Mme [M] [Z], associée et dirigeante de la société garantie ;
- le 18 juillet 2011, un prêt de 7 500 € sur 5 ans, au taux de 5,50 %, destiné à financer des travaux ; le crédit est garanti par un engagement de caution solidaire souscrit, dans l'acte de prêt, par Mme [M] [Z], dans la limite de 8 625€.
Des échéances étant restées impayées, le Crédit lyonnais s'est prévalu de la déchéance du terme.
La société Secret de fleurs ayant été mise en liquidation judiciaire, le 6 février 2014, la banque a déclaré au passif le solde dû sur chaque prêt, a mis en demeure Mme [Z], le 20 février 2014, puis l'a fait assigner en paiement, le 4 novembre suivant.
Mme [Z] s'est prévalue d'une disproportion manifeste de ses engagements, a demandé la modération de la clause pénale et a sollicité des délais de paiement.
Par jugement du 1er juin 2015, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Marseille a :
- écarté le grief de disproportion manifeste et rejeté la demande en modération d'une clause pénale ;
- condamné Mme [Z] à payer :
- au titre du prêt de 45 000 €, la somme de 31 434,63 €, avec intérêts au taux de 7,90 % à compter du 20 février 2014 ;
- au titre du prêt de 7 500 €, la somme de 4 333,11 €, avec intérêts au taux de 8,50 % à compter du 20 février 2014 ;
- dit que les intérêts se capitalisent dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
- dit que Mme [Z] peut se libérer en 24 mensualités égales, la première à compter de la signification du jugement ;
- condamné Mme [Z] aux dépens et au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [Z] a relevé appel de ce jugement.
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Par arrêt mixte du 15 juin 2017, cette cour a :
- confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de défense tiré d'une disproportion manifeste des engagements de caution ;
- rejeté la demande en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel ;
- rejeté la demande en modération des clauses pénales ;
- confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a condamné Mme [Z] à payer, au titre du prêt de 45 000 €, la somme de 31 434,63 €, avec intérêts au taux de 7,90 % à compter du 20 février 2014, et au titre du prêt de 7 500 €, la somme de 4 333,11 €, avec intérêts au taux de 8,50 % à compter du 20 février 2014 ;
- confirmé le jugement attaqué sur la capitalisation des intérêts ;
- dit que lors de la souscription par Mme [M] [Z] des engagements de caution garantissant les prêts de 45 000 € et de 7 500 € consentis à la société Secret de fleurs, le Crédit lyonnais a manqué à l'obligation de mise en garde envers une caution non avertie ;
Avant dire droit sur la demande en paiement de dommages-intérêts,
- invité les parties à présenter des observations sur le moyen de droit suivant :
'Le préjudice découlant d'un manquement à l'obligation de mise en garde ne consiste que dans la perte d'une chance de ne pas contracter. La réparation de ce préjudice n'est qu'à la mesure de la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée'.
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Par conclusions remises le 15 juin 2017, le Crédit lyonnais demande à la cour de débouter Mme [Z] de sa demande en indemnisation et de lui allouer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que Mme [Z] était parfaitement informée des charges du prêt et des risques liés à l'octroi du crédit compte tenu de son implication dans les sociétés MC Riviera et Secret de fleurs, des éléments financiers du précédent exploitant et de son expérience dans le domaine d'activité de fleuriste.
Par conclusions remises le 25 juillet 2017, Mme [Z] demande à la cour de :
- juger que les chances perdues de refuser son engagement de caution représentent 90 % ;
- condamner le Crédit lyonnais au paiement d'une somme équivalente à 90 % du solde de sa créance actualisée à la date de prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- ordonner la compensation des créances réciproques ;
- condamner le Crédit lyonnais aux dépens et au paiement de la somme de 4 785 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que la perte de chance doit s'apprécier au regard de la décision de la banque de consentir un prêt à une entreprise dont les résultats d'exploitation démontraient qu'elle serait dans l'incapacité de faire face aux échéances de remboursement ;
- que le Crédit lyonnais n'a consenti le prêt que sur la considération que seul le patrimoine immobilier de la caution lui garantirait le remboursement du capital prêté et des intérêts.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 septembre 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour, qui a constaté les manquements de la banque à l'obligation de mise en garde à laquelle elle était tenue lors de la souscription des deux cautionnements litigieux, doit statuer sur les préjudices qui en découlent.
Le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à une obligation de mise en garde envers une caution ne consiste pour celle-ci que dans la perte d'une chance de ne pas s'être engagée.
Mme [Z] soutient que ce préjudice doit s'apprécier au regard de l'importance du risque financier pris par la banque, laquelle n'a octroyé les crédits que sur la seule considération de la solidité des garanties personnelles qu'elle a souscrites.
Mais, la perte de chance ne se mesure qu'à la probabilité pour Mme [Z] de renoncer à se porter caution dans le cas où elle aurait été mise en garde.
Cette probabilité est faible, dès lors que les engagements de caution étaient la condition de l'octroi des prêts et que Mme [Z] était profondément impliquée dans les opérations financées.
En effet, les crédits litigieux ont permis à la société Secret de fleurs, créée à cette fin par Mme [Z], associée unique et gérante, d'acquérir et d'effectuer des travaux dans un fonds de commerce cédé par la société MC Riviera, au sein de laquelle Mme [Z] était précédemment titulaire de la moitié des parts, employée et épouse du gérant. Il s'agissait ainsi de poursuivre la même activité par l'intermédiaire d'une nouvelle société, circonstance que les parties n'ont pas mise en évidence avant le prononcé de l'arrêt mixte du 15 juin 2017. Au demeurant, aucune explication n'est donnée par Mme [Z] sur les motifs dont cette opération procède.
En considération de ces éléments, les préjudices découlant des manquements à l'obligation de mise en garde lors de la souscription par Mme [Z] des cautionnements des 22 avril et 18 juillet 2011 doivent être indemnisés par l'allocation de la somme globale de 1 000 €.
Mme [Z], qui succombe pour l'essentiel, est condamnée aux dépens et, en considération de l'équité, au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de l'indemnité allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Vu l'arrêt mixte du 15 juin 2017,
Statuant sur les préjudices découlant des manquements du Crédit lyonnais à l'obligation de mise en garde lors de la souscription par Mme [M] [Z] des cautionnements des 22 avril et 18 juillet 2011,
Condamne le Crédit lyonnais à payer à Mme [M] [Z] la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts,
Ordonne la compensation de cette créance avec les condamnations cumulées prononcées à l'encontre de Mme [M] [Z] au titre des prêts de 45 000 € et 7 500 € consentis à la société Secret de fleurs,
Confirme le jugement attaqué sur le délai de paiement, sur la condamnation aux dépens et sur l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [M] [Z] aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT