COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 22 SEPTEMBRE 2017
N° 2017/925
Rôle N° 17/05461
[T] [E]
C/
SCP [J] & [U]
AGS - CGEA DE MARSEILLE UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST
SCP [F] [G]
SEL [H]
Grosse délivrée
le :
à :Me Marie-Julie CONCIATORI-BOUCHARD
Me Béatrice DUPUY
Me Michel FRUCTUS
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal d'Instance de MARSEILLE - section - en date du 05 Janvier 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 11 14-3946.
APPELANT
Monsieur [T] [E], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Marie-Julie CONCIATORI-BOUCHARD, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMEES
SCP [J] & [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE
AGS - CGEA DE MARSEILLE UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE
SCP [F] [G], demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE
SEL [H], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Juin 2017 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe RUIN, Président
Mme Marina ALBERTI, Conseiller
Monsieur Yann CATTIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017.
Signé par Monsieur Christophe RUIN, Président et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 juin 2013, Monsieur [T] [E], dans le cadre d'une demande de versement de dommages et intérêts par la SA Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (dénommée ci-après SNCM), en réparation de préjudices d'anxiété et de modification des conditions de vie liés à une exposition à l'amiante, a saisi la direction départementale des territoires et de la mer (préfecture des Bouches-du-Rhône) à fin de conciliation.
Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé en date du 7 juillet 2014 par le chef du service mer et littoral de la direction départementale des territoires et de la mer et signé par celui-ci ainsi que par le salarié et le représentant de l'employeur.
Par acte d'huissier du 30 juillet 2014, reçu au greffe le 1er août 2014, Monsieur [T] [E] a saisi le tribunal d'instance de Marseille aux fins de voir condamner la SNCM à lui verser des dommages et intérêts, au titre de l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, et une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 28 novembre 2014, le tribunal de commerce de Marseille a :
- ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SNCM ;
- désigné la SCP [F] [G] et la SEL [H] ès qualités d'administrateurs judiciaires ;
- désigné la SCP [O] [J] et A [U] en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 20 novembre 2015, le tribunal de commerce de Marseille a notamment (avec exécution provisoire) :
- retenu l'offre de reprise présentée par Monsieur [H] [I] ;
- ordonné la cession de l'entreprise SNCM au profit de Monsieur [H] [I] (avec faculté de substitution) ;
- pris acte que Monsieur [H] [I] offre de reprendre 845 contrats de travail et ordonné le licenciement du personnel non repris (583 contrats de travail) ;
- maintenu en fonction la SCP [F] [G] et la SEL [H], ès qualités d'administrateurs judiciaires, pour la mise en oeuvre du plan jusqu'à la réalisation de la cession ;
- fixé à six mois la durée pour la signature des actes de cession ;
- prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire à l'égard de la SNCM ;
- désigné la SCP [O] [J] et A [U], représentée par Maître [O] [J], en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM ;
- désigné la SCP [F] [G], représentée par Maître [Z] [F], et la SEP [H], représentée par Maître [E] [H], co-administrateurs judiciaires de la SNCM, avec mission d'assurer l'administration de l'entreprise pendant la durée du maintien de l'activité en liquidation judiciaire ainsi que la mise en oeuvre du plan, en ce compris la notification des licenciements pour motif économique, jusqu'à la signature des actes de cession.
Par jugement réputé contradictoire rendu en date du 5 janvier 2016, le tribunal d'instance de Marseille a notamment :
- débouté Monsieur [T] [E] de toutes ses demandes ;
- condamné Monsieur [T] [E] aux entiers dépens ainsi qu'à payer la somme de 150 euros à, ensemble, la SNCM, la SCP [F] [G] et la SEL [H], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 28 janvier 2016, Monsieur [T] [E] a interjeté appel de ce jugement.
L'affaire a été appelée à l'audience du 20 janvier 2017 puis a fait l'objet d'un retrait du rôle, demandé par les parties et constaté par un arrêt rendu en date du 10 février 2017.
Par courrier du 24 février 2017, le conseil de Monsieur [T] [E] a sollicité le réenrôlement de l'affaire.
À l'audience du 9 juin 2017, le salarié, la SCP [O] [J] et A [U] et le le CGEA de Marseille étaient représentés par leurs conseils. Maître Béatrice DUPUY a indiqué qu'elle représentait également la SCP [F] [G] et la SEL [H], ès qualités d'administrateurs judiciaires de la SNCM, qui comparaissent donc volontairement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures reprises oralement lors de l'audience du 9 juin 2017, Monsieur [T] [E] conclut que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les exceptions de procédure, mais infirmé pour le surplus, et demande que :
- il soit jugé bien fondé à solliciter l'indemnisation de son préjudice d'anxiété ;
- une somme de 20.000 euros soit fixée au passif de la procédure collective de la SNCM, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice d'anxiété ;
- il soit constaté qu'il a été pendant toute son activité professionnelle en contact avec l'amiante sans protection, quel que soit son poste de travail, et que de ce fait la SNCM a commis l'infraction de mise en danger d'autrui ;
- il soit jugé que du fait de son exposition à l'amiante sans protection il a droit à des dommages et intérêts même s'il ne présente aucun trouble psychologique ;
- une somme de 20.000 euros soit fixée au passif de la procédure collective de la SNCM, à titre de dommages et intérêts, en réparation d'un préjudice spécifique résultant d'une mise en danger de la vie du salarié imputable à l'employeur ;
- ses créances soient déclarées opposables au CGEA ;
- sa créance porte intérêts au taux légal à compter de la saisine de la direction départementale des territoires et de la mer jusqu'au jour de la procédure de redressement, avec capitalisation des intérêts ;
- l'arrêt soit déclaré opposable à la SCP [O] [J] et A [U], représentée par Maître [O] [J], ès qualités de liquidateur de la SNCM, ainsi qu'au CGEA ;
- les défendeurs soient condamnés aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser une somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Dans ses dernières conclusions oralement présentées lors de l'audience du 9 juin 2017, la SCP [O] [J] et A [U], représentée par Maître [O] [J], ès qualités de liquidateur de la SNCM, qui ne soutient plus la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale ni aucune autre exception de procédure, sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté le salarié de toutes ses demandes. À titre subsidiaire, le liquidateur relève que les sommes qui seraient dues au salarié, en réparation d'un préjudice d'anxiété, doivent être garanties par l'AGS.
Dans ses dernières conclusions oralement présentées lors de l'audience du 9 juin 2017, le CGEA de Marseille conclut au rejet des demandes d'indemnisation présentées par le salarié et, à titre subsidiaire, à l'absence de garantie de l'AGS s'agissant des créances invoquées par le salarié, en tout cas au constat des limites légales de cette garantie.
La SCP [F] [G] et la SEL [H] concluent à leur mise hors de cause.
MOTIFS
- Sur la procédure -
Les exceptions de procédure et fins de non-recevoir présentées en première instance ne sont plus soutenues en cause d'appel au regard des conclusions oralement précisées lors de l'audience du 9 juin 2017.
- Sur la mise hors de cause de la SCP [F] [G] et de la SEL [H] -
Le conseil de la SCP [F] [G] et de la SEL [H] fait valoir que la mission des administrateurs judiciaires a pris fin et qu'il n'y a plus aucun intérêt à les maintenir en la cause.
Sur ce point, les autres parties s'en rapportent à la sagesse de la cour.
À la lecture des jugements susvisés, rendus en date des 28 novembre 2014 et 20 novembre 2015 par le tribunal de commerce de Marseille, alors qu'il n'est pas contesté que la cession de l'entreprise SNCM au profit de Monsieur [H] [I] a été effectivement réalisée depuis, il échet de constater que la mission des administrateurs judiciaires de la SNCM a pris fin en conséquence.
En outre, s'agissant de demandes d'inscription de créances au passif de la procédure collective de la SNCM, la SCP [O] [J] et A [U], représentée par Maître [O] [J] en tant que liquidateur judiciaire de la société, a qualité pour représenter seule les intérêts de la SNCM et répondre des obligations de l'employeur.
Il sera donc fait droit à la mise hors de cause de la SCP [F] [G] et de la SEL [H].
- Sur l'indemnisation -
Monsieur [T] [E] demande d'abord l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété causé selon lui par une exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à la SNCM. Il fait valoir, notamment sur le fondement des dispositions de l'ancien article 1147 du code civil (responsabilité contractuelle de l'employeur / désormais articles 1231 et suivants du code civil) et de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'obligation de sécurité de résultat incombant à l'employeur en matière de protection et de santé des travailleurs dans l'entreprise.
Le salarié soutient qu'il bénéficie en l'espèce d'une présomption de manquement de l'employeur à cette obligation de sécurité de résultat, et d'une présomption d'existence d'un préjudice d'anxiété afférent, découlant tant de l'arrêté du 7 juillet 2000 (liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante) que du décret n° 2002-1272 du 18 octobre 2002 modifiant le décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins.
Il considère que la SNCM est une entreprise listée amiante en son intégralité, en ce compris les navires de la flotte qui ne sont pas des établissements distincts, pouvant être énumérés ou nommés sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, mais de simples biens faisant partie intégrante de la SNCM en tant qu'entreprise 'amiante'.
En tout état de cause, faute pour la cour de le faire bénéficier de la présomption susvisée, le salarié expose que la SNCM ne démontre pas avoir pris, s'agissant de l'exposition des salariés à l'amiante, avant 1996-1997 et même après, des mesures de prévention et/ou de protection sur les navires de l'entreprise. Il fait valoir ainsi que l'employeur, qui avait connaissance du risque, a manqué à son obligation (contractuelle) de sécurité de résultat, alors que les navires de la SNCM sur lesquels il a travaillé présentaient une concentration certaine d'amiante et que les mesures mises en oeuvre par l'entreprise, à compter de 1999, se sont avérées inexistantes et/ou insuffisantes. Il relève que ce manquement contractuel de l'employeur lui cause un préjudice moral qui correspond à une situation d'inquiétude face au risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l'amiante, pathologie mettant en jeu le pronostic vital susceptible de se déclarer jusqu'à 40 années après l'exposition.
Monsieur [T] [E] demande également la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages et intérêts sur le fondement des articles 121-3 et 223-1 du code pénal, 4, 4-1 et 10 du code de procédure pénale, L. 4121-1 du code du travail. Il soutient qu'il a droit à une indemnisation, hors existence d'un préjudice d'anxiété ou d'un trouble psychologique quelconque, du fait que l'employeur a commis l'infraction de mise en danger délibérée de la vie d'autrui puisqu'il a été pendant toute son activité professionnelle exposé à l'amiante, quel que soit son poste de travail, sans protection. Il prétend que tout salarié se trouvant exposé à l'amiante doit être indemnisé par l'employeur auteur de l'infraction, sans autres conditions ou considérations.
La SCP [O] [J] et A [U], représentée par Maître [O] [J], ès qualités de liquidateur de la SNCM, fait valoir que le salarié ne remplit pas toutes les conditions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et ne bénéficie donc pas d'une présomption d'exposition à l'amiante générant un préjudice d'anxiété, alors que si certains établissements de la SNCM sont mentionnés sur la liste établie par les arrêtés du 7 juillet 2000 et du 26 mai 2015, aucun des navires de l'entreprise n'a jamais été considéré comme un établissement Acaata. Elle précise que la SNCM ne fabrique pas de bateaux et que si certains de ses établissements sont spécifiquement listés par ces arrêtés au titre de la construction et de la réparation navales, c'est parce que la réparation des navires est essentiellement effectuée dans les ateliers de l'entreprise aux adresses mentionnées par les arrêtés.
Pour le surplus, l'intimée relève que le salarié ne démontre pas avoir été exposé, dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, de manière significative à l'inhalation de fibres d'amiante et avoir subi un préjudice d'anxiété en raison d'un manquement fautif de l'employeur à son obligation de sécurité. Elle ajoute que c'est seulement à compter du mois de mai 1996 (décret n° 96-445 du 22 mai 2016) que la SNCM devait avoir conscience des dangers de l'exposition de ses salariés au risque d'inhalation des fibres d'amiante, que certains navires n'ont jamais contenu d'amiante (PAGLIO ORBA / [D] [L] / PASIPHAE PALACE ou [W] [R] / [U] [Y]), que les seuils fixés en la matière par les pouvoirs publics n'ont jamais été atteints, sauf de façon très ponctuelle ou épisodique, en tout cas marginale, dans les autres navires de la SNCM.
Le CGEA de Marseille relève que la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété devra être rejetée comme ne répondant pas à toutes les conditions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 (cessation d'activité professionnelle + âge + non-cumul avec une autre pension ou retraite + emploi dans un établissement listé + exercice d'un métier listé + période de référence) comme à celles fixées par la jurisprudence. Il expose que les navires de la SNCM ne sont pas visés par la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité. Il ajoute que le salarié ne démontre ni que l'employeur aurait manqué à son obligation de résultat en matière de sécurité ni l'existence d'un préjudice. Le CGEA de Marseille indique également que la demande d'indemnisation d'un préjudice spécifique, telle que présentée par le salarié au titre notamment d'une mise en danger délibérée d'autrui, n'est pas en lien avec l'exécution du contrat de travail et ne saurait être garantie par l'AGS. Pour le surplus, le CGEA indique faire sienne l'argumentation du liquidateur.
À titre subsidiaire, le CGEA de Marseille demande une réduction du montant des dommages et intérêts accordés en réparation d'un préjudice d'anxiété. Il rappelle que l'AGS ne garantit que les créances du contrat de travail nées avant l'ouverture de la procédure collective et, en tout état de cause, ne garantit pas les dépens ni les frais irrépétibles.
Suite aux conséquences sanitaires de l'utilisation de l'amiante durant plusieurs décennies, le législateur a créé, par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dite 'de financement de la sécurité sociale pour 1999", un dispositif spécifique de départ anticipé à la retraite, avec perception d'une Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante, autrement appelée Acaata, en faveur des salariés qui ont été particulièrement exposés à l'amiante.
Ce dispositif s'applique aux salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, aux salariés des établissements de flocage et de calorifugeage à l'aide d'amiante, aux salariés des établissements de construction et de réparation navales, aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention.
En application de ce dispositif, les salariés démontrant travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou ports inscrits sur la liste établie par arrêté ministériel, peuvent solliciter, à partir de l'âge de 50 ans, et sous réserve de cesser toute activité professionnelle, le bénéfice de l'Acaata. Cette allocation est ensuite versée jusqu'à ce que le salarié remplisse les conditions pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein.
La chambre sociale de la Cour de cassation, en sa formation plénière, a consacré l'existence d'un préjudice d'anxiété pour les salariés relevant du dispositif de l'Acaata.
Hors dispositions spécifiques, seuls les salariés exposés à l'amiante dans un établissement inscrit sur la liste établie par arrêté ministériel comme susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante peuvent obtenir réparation d'un préjudice d'anxiété. En outre, s'agissant des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales inscrits sur la liste établie par arrêté ministériel, un salarié ayant travaillé dans un établissement inscrit, mais n'y ayant pas exercé l'un des métiers visés par cette même liste, n'est pas éligible au dispositif de l'Acaata et est dès lors aussi exclu de la réparation d'un préjudice d'anxiété.
En revanche, le salarié, pour bénéficier de l'indemnisation du préjudice d'anxiété, n'a pas à rapporter la preuve de son anxiété ni d'avoir été exposé personnellement ou directement à l'amiante au sein de l'établissement listé dans lequel il travaillait. Un salarié ayant travaillé dans un établissement inscrit sur la liste des sites ouvrant droit au bénéfice de l'Acaata, mais qui n'a pas demandé à percevoir cette allocation, peut néanmoins obtenir réparation de son préjudice d'anxiété. Les salariés, qui ont travaillé dans un établissement inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'Acaata pendant une période de référence, peuvent obtenir la réparation de leur préjudice spécifique d'anxiété, qu'ils aient ou non adhéré au dispositif légal et peu important leur âge à la date de la mise en place de ce dispositif.
L'indemnisation des salariés exposés à l'amiante, dans les conditions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ne peut prendre la forme que d'un préjudice patrimonial réparé par l'Acaata d'une part et d'un préjudice extra-patrimonial réparé par l'allocation de dommages et intérêts au titre du seul préjudice d'anxiété d'autre part. Cette double indemnisation couvre la totalité des préjudices subis par ces salariés (hors maladie professionnelle), lesquels ne peuvent obtenir d'autre réparation résultant de l'exposition à l'amiante.
Le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est donc constitué par le seul préjudice d'anxiété.
Ainsi, le salarié ne peut, s'agissant du préjudice extra-patrimonial ou moral ou psychologique résultant d'une exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, être indemnisé, en supplément du préjudice d'anxiété, pour un autre préjudice qui résulterait d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. En conséquence, les dommages et intérêts alloués au titre du préjudice d'anxiété reconnu aux travailleurs de l'amiante, éligibles à l'allocation de cessation anticipée d'activité, réparent l'intégralité du préjudice lié au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Le préjudice d'anxiété n'est indemnisable que pour une catégorie restrictive de salariés ou d'anciens salariés et ce en lien avec l'allocation de cessation anticipée d'activité accordée à certains travailleurs exposés ou ayant été exposés à l'amiante. Ce préjudice d'anxiété naît lorsque le salarié ou l'ancien salarié apprend qu'il est éligible à cette allocation et comprend que son espérance de vie (ou sa qualité de vie) est statistiquement réduite puisque tel est le fondement de l'allocation (et de la retraite anticipée) accordée à des personnes ayant travaillé sur des sites désignés expressément par les pouvoirs publics comme ayant été particulièrement exposés à la substance dangereuse pour la santé, et parfois létale, que constitue l'amiante.
Nonobstant les conditions d'âge ou de durée d'activité (ou d'exposition) qui ne sont pas considérées comme déterminantes en la matière, le préjudice d'anxiété est reconnu au salarié (ou à l'ancien salarié) qui a travaillé pendant une période de référence sur un site classé amiante par les pouvoirs publics, c'est à dire visé ou listé comme ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité, avec parfois la condition supplémentaire d'avoir exercé au sein de ce site une fonction désignée comme particulièrement exposée à l'amiante (fonction listée) et nécessaire alors pour bénéficier de l'allocation. Si le salarié remplit de telles conditions, alors son préjudice d'anxiété doit être indemnisé car il bénéficie d'une présomption en la matière. Cette présomption étant simple, l'employeur a la possibilité de démontrer que le préjudice d'anxiété n'existe pas bien que le salarié ait travaillé pendant la période de référence dans un établissement listé (en exerçant éventuellement une fonction listée).
Quand les conditions susvisées sont remplies, le préjudice d'anxiété naît le jour où le salarié apprend, ou aurait dû apprendre, qu'il a travaillé sur un site classé (et éventuellement dans une fonction classée), c'est à dire le jour de la publication au JORF du texte réglementaire désignant son lieu de travail (et éventuellement sa fonction) comme un site amiante au sens du bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité.
Pour pouvoir prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral, en tout cas extra-patrimonial, au titre de son exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il appartient donc d'abord à Monsieur [T] [E] d'établir qu'il a travaillé dans l'un des établissements (ou sites) mentionnés (ou visés) par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en tout cas au juge d'en faire le constat.
La SNCM n'est pas mentionnée sur la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante, susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité (arrêté du 3 juillet 2000 publié au JORF du 16 juillet 2000).
À la lecture de l'arrêté du 7 juillet 2000 (publié au JORF du 22 juillet 2000) et de l'arrêté du 26 mai 2015 (publié au JORF du 9 juin 2015), s'agissant de la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, seuls les établissement suivants de la SNCM sont mentionnés:
- De 1950 à 2014 :
* [Adresse 6],
* [Adresse 7],
* [Adresse 8] ;
- A compter de l'année 2014 :
* [Adresse 9] et [Localité 1],
* [Adresse 10].
S'agissant de la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales, dans la mesure où le salarié, bénéficiant de l'allocation de cessation anticipée d'activité ou éligible à celle-ci, établit avoir exercé dans l'établissement considéré l'un des métiers mentionnés dans la liste, il bénéficie d'une présomption triple (présomption d'exposition suffisamment significative à l'amiante de par un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat, présomption d'existence d'un préjudice d'anxiété et présomption de lien de causalité entre la faute de l'employeur et le préjudice subi), sans avoir d'autre preuve à rapporter. Toutefois, l'employeur a la possibilité d'apporter la preuve contraire et donc de renverser cette présomption.
Monsieur [T] [E] produit un relevé de carrière (détail et ventilation des services du marin) mentionnant qu'il a occupé, entre avril 1974 et novembre 2001, différentes fonctions (cambusier et garçon dans le service général) à bord de navires à passagers de la SNCM. Ce document mentionne tant le nom des navires sur lesquels Monsieur [T] [E] a embarqué qu'un libellé précis des fonctions exercées. Outre les congés payés ou périodes de repos, il est également mentionné quelques périodes de formation professionnelle ou de mission à terre, mais sans localisation indiquée.
Les sites de la SNCM listés au titre des établissements de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (cf supra) ne sont jamais mentionnés dans le détail et ventilation des services du marin concernant Monsieur [T] [E], document qui est pourtant assez précis quant aux lieux d'affectation du salarié sur la période considérée (cf période de référence de l'arrêté) et pendant toute sa carrière professionnelle au sein de l'entreprise SNCM.
Si l'adresse [Adresse 6], figure sur les bulletins de paie du salarié, c'est en tant que siège social de l'entreprise (jusqu'en 2014 / par la suite : [Adresse 9]) et donc lieu d'établissement des documents administratifs, non en tant qu'établissement où Monsieur [T] [E] aurait effectivement travaillé.
Le salarié ne saurait soutenir que du fait de l'inscription de certains établissements de la SNCM sur les arrêtés du 7 juillet 2000 et du 26 mai 2015, dont le siège social sis [Adresse 6] puis [Adresse 11], tous les établissements ou sites de l'entreprise non listés seraient également susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante par assimilation (ou connexité) à une société qui serait globalement qualifiée 'entreprise amiante'. L'inscription du siège social d'une société sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante ne vaut pas présomption pour tous les établissements, sites ou biens de l'entreprise. Il en est de même en cas d'inscription d'un site ou d'une partie des établissements pour tous les autres sites ou établissements (non listés) de l'entreprise.
S'agissant des navires de la SNCM en la cause, dont l'affectation essentielle (voire exclusive) au transport de passagers n'est pas contestée, ils sont qualifiés de biens meubles par le salarié mais d'établissements distincts par le liquidateur. Reste que ces navires à passagers ne sont pas rattachables au siège social de la SNCM, ni aux établissements listés par les arrêtés des 7 juillet 2000 et 26 mai 2015, comme susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante. Il échet en outre de rappeler que la liste susvisée concerne des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales mais nullement l'activité régulière de transport de passagers des navires de la SNCM en la cause, en tout cas hors période de construction ou de réparation des bateaux de l'entreprise au sein des établissements listés par les arrêtés susvisés dans le cadre de l'exercice de métiers listés d'atelier, de bord ou de coque.
Au regard des observations précitées et des pièces versées aux débats, il n'est nullement établi que Monsieur [T] [E] aurait travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 au titre des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'aide d'amiante, des établissements de construction et de réparation navales.
Surabondamment, les fonctions exercées par Monsieur [T] [E], dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à la SNCM, ne figurent pas sur la liste des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante.
Toutefois, s'agissant des salariés marins (ou anciens marins), il existe un dispositif spécifique et autonome prévoyant le bénéfice d'une allocation de cessation anticipée d'activité totalement assimilable à celle prévue par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.
Un décret n°98-332 du 29 avril 1998 (publié au JORF du 6 mai 1998), relatif à la prévention des risques dus à l'amiante à bord des navires, applicable à tous les navires civils français, a interdit, sur tout navire, l'embarquement pour les besoins de celui-ci de toutes variétés de fibres d'amiante et de tout produit ou matériau en contenant, ainsi que l'utilisation de toutes variétés de fibres d'amiante et de tout produit ou matériau en contenant pour la construction de tout navire. Des obligations ont également été mises à la charge de l'armateur, notamment en matière de recherche d'amiante, de consultation de documents, d'expertise, de contrôle, d'évaluation d'empoussièrement, d'information et de travaux d'enlèvement de matériaux et produits contenant de l'amiante (sauf pour les navires de plaisance à usage personnel et les navires de pêche d'une longueur inférieure à 12 mètres).
Le décret n° 2002-1272 du 18 octobre 2002 (publié au JORF du 20 octobre 2002), modifiant le décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins, stipule en son article 2 :
' L'article 65 est remplacé par les dispositions suivantes :
Art. 65. - La caisse verse une allocation de cessation anticipée d'activité aux marins et anciens marins, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :
1° Exercer ou avoir exercé :
a) Des fonctions à la machine à bord de navires comportant des équipements contenant de l'amiante ; pour l'application de cette disposition, et sauf preuve contraire, sont considérés comme ayant comporté des équipements de ce type les navires construits avant les dates définies dans le tableau figurant en annexe au décret n° 98-332 du 29 avril 1998 relatif à la prévention des risques dus à l'amiante à bord des navires ;
b) Ou toutes fonctions à bord de navires ayant transporté de l'amiante au cours d'une période déterminée ; la liste des périodes considérées et celle des navires concernés sont fixées par arrêté du ministre chargé de la marine marchande ;
2° Etre âgé d'au moins cinquante ans.
Le montant de cette allocation est égal à 65 % du salaire forfaitaire défini à l'article 7, et correspondant à la catégorie dans laquelle le marin était classé lors de la dernière activité précédant sa demande.
L'âge d'entrée en jouissance de cette allocation est l'âge de soixante ans, diminué du tiers de la période passée dans les fonctions mentionnées au 1°. Pour la détermination de cette période, il est tenu compte, le cas échéant, de la durée de travail effectuée dans les autres activités professionnelles mentionnées au I de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.
L'allocation cesse d'être versée lorsque le bénéficiaire remplit les conditions pour pouvoir bénéficier d'une pension proportionnelle ou d'une pension spéciale sur la caisse de retraite des marins, telles qu'elles sont définies respectivement aux articles L. 5 et L. 8 du code des pensions de retraite des marins. '
Ce même décret du 18 octobre 2002 stipule en son article 3 :
' L'article 66 est remplacé par les dispositions suivantes : Art. 66. - Ont également droit, dès l'âge de cinquante ans, à l'allocation prévue à l'article 65 les marins ou anciens marins reconnus atteints d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du budget et de la marine marchande. L'allocation est servie dès que le demandeur a été reconnu atteint par le Conseil supérieur de santé d'une des maladies visées ci-dessus. Elle est supprimée lorsque le bénéficiaire remplit les conditions pour bénéficier d'une pension proportionnelle ou spéciale sur la caisse de retraite des marins. '.
En application de ce décret, qui vise expressément l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, un dispositif de cessation anticipée d'activité en faveur des marins ayant été exposés à l'amiante a ainsi été créé tant au profit des marins reconnus atteints d'une maladie professionnelle due à l'amiante que des marins qui, sans être malades, ont été gravement ou significativement exposés à l'amiante en raison de leur activité spécifique (toutes fonctions à bord de navires ayant transporté de l'amiante au cours d'une période déterminée ou fonctions à la machine à bord de navires comportant des équipements contenant de l'amiante).
Il en résulte que (cf notamment circulaires n°13 du 22 octobre 2002 et n°19 du 4 avril 2003), hors salarié atteint d'une maladie professionnelle, le marin, pour être éligible à l'allocation de cessation anticipée d'activité aux marins et anciens marins (article 65 / allocation dite C3A) doit notamment :
- exercer ou avoir exercé des fonctions à la machine et/ou polyvalentes à bord de navires construits avant le 1er janvier 1999 (navires à passagers ou de plaisance) ou le 1er juillet 1999 (navires de charge) ou le 1er janvier 2000 (navires de pêche) ;
- ou avoir travaillé à bord de navires de transport d'amiante (que ce soit au pont ou à la machine).
Il n'est pas contesté que les navires sur lesquels le salarié a travaillé, dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à la SNCM, sont des navires à passagers n'effectuant pas de transport d'amiante.
Selon les textes précités, pour être éligible à l'allocation de cessation anticipée d'activité des marins et anciens marins (C3A), s'agissant des fonctions à la machine et/ou polyvalentes exercées à bord de navires à passagers construits avant le 1er janvier 1999 (vérification opérée par lecture du relevé détaillé des services du marin), seules sont prises en compte les périodes de services embarqués, ainsi que les périodes de congés et d'indemnités journalières rattachées à ces services embarqués.
Concernant la durée de service accomplie par le marin et prise en compte pour la cessation anticipée d'activité amiante et la date d'entrée en jouissance de l'allocation, sont retenues les périodes effectuées jusqu'au 31 décembre 1998, sauf à prendre également en compte les périodes postérieures dès lorsque la présence d'amiante au-delà de la date du 31 décembre 1998 est avérée dans les salles de machine de certains navires et confirmée par un rapport d'expertise émanant d'un organisme agréé (et uniquement dans ce cas). Si ces dispositions permettent de déterminer l'âge d'entrée en jouissance de l'allocation, elles sont sans rapport avec la présomption de préjudice d'anxiété.
La présomption de préjudice d'anxiété liée à une exposition à l'amiante, en référence à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et au dispositif spécifique d'allocation de cessation anticipée d'activité institué en faveur des salariés qui ont été particulièrement exposés à l'amiante, bénéficie donc aux marins (ou anciens marins) qui ont exercé des fonctions à la machine et/ou polyvalentes à bord de navires à passagers construits avant le 1er janvier 1999, nonobstant leur âge, la durée de service ou d'exposition, le constat d'une cessation totale d'activité ou non, le cumul d'autres avantages ou revenus, la perception effective de l'allocation C3A etc.
En conséquence, pour pouvoir prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral, en tout cas extra-patrimonial, au titre de son exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à la SNCM, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il appartient à Monsieur [T] [E] d'établir qu'il a exercé sur un navire de la SNCM, jusqu'au 31 décembre 1998 ou après cette date mais sur un navire construit avant le 1er janvier 1999, un emploi relevant des fonctions à la machine ou des fonctions polyvalentes ouvrant droit à l'allocation C3A telles que listées dans des tableaux annexés aux textes susvisés.
En l'espèce, à la lecture du relevé de carrière (détail et ventilation des services du marin) de Monsieur [T] [E], il apparaît que ce salarié n'a jamais exercé une fonction listée (à la machine et/ou polyvalentes) à bord d'un navire à passagers de la SNCM.
Monsieur [T] [E] ne peut donc prétendre à une présomption de préjudice d'anxiété au titre des dispositions du décret n° 2002-1272 du 18 octobre 2002 visant expressément l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.
Pour le surplus, sont produits par les parties des documents concernant, de façon générale, la réglementation amiante, le risque amiante, les mesures ou constats effectués au sein de certains navires concernant la présence d'amiante, les actions de prévention et d'information en la matière au sein de l'entreprise SNCM.
Il échet de relever que Monsieur [T] [E] ne fait pas état de l'existence d'une action pénale en matière de mise en danger délibéré d'autrui pas plus qu'il ne précise la nature du préjudice qu'il aurait effectivement subi mais ne relèverait pas du domaine de l'anxiété. Force est de constater que le salarié semble avancer, à titre complémentaire, une demande d'indemnisation fondée sur une responsabilité civile sans préjudice ou avec un préjudice nécessairement causé par un contact, voire la présence sans contact effectif, d'amiante dans son environnement de travail ou même extra-professionnel.
Au regard des pièces produites, il n'est nullement établi, nonobstant la présence éventuelle d'amiante dans certaines parties des navires les plus anciens de la SNCM, que Monsieur [T] [E] aurait dans ce cadre, directement et personnellement, subi un préjudice ou même été exposé à un risque en matière de santé.
Le régime de droit commun de la responsabilité civile implique la démonstration de la faute d'autrui, d'un préjudice et d'un lien de causalité direct et certain entre eux. Monsieur [T] [E], qui ne fait pas état d'un préjudice indemnisable autre que celui relevant du préjudice d'anxiété précité, ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct ou spécifique en lien avec un manquement de l'employeur (SNCM) à ses obligations contractuelles. Il n'est pas plus établi qu'en dehors de l'exécution du contrat de travail, que ce soit comme passager ou dans un autre cadre indéterminé puisque le demandeur n'apporte aucune précision sur ce point, la SNCM aurait commis une faute délictuelle en relation directe avec un préjudice subi par Monsieur [T] [E].
Monsieur [T] [E] ne peut pas plus invoquer la violation des articles L.4121-1 et suivants du code du travail pour réclamer des dommages et intérêts, alors qu'il n'est pas établi que le salarié a, dans le cadre de l'exécution du contrat de travail le liant à la SNCM, été exposé à un risque en matière d'amiante du fait du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise. Monsieur [T] [E] ne saurait ainsi soutenir qu'il a nécessairement subi un préjudice du fait de la présence d'amiante dans certains navires, notamment les plus anciens, de la SNCM.
Surtout, comme cela a été rappelé dans les attendus qui précèdent, en matière d'exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail, alors que le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété (ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque), l'indemnisation du préjudice d'anxiété n'est ouverte qu'au salarié qui a travaillé dans l'un des établissements ou sites susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité, et ce, pendant une période précisée par les textes en la matière, voire sous la condition cumulative d'avoir exercé l'un des métiers (ou fonctions) mentionnés s'agissant du domaine de la construction et de la réparation navales ou des marins embarqués à bord d'un navire à passagers construit avant le 1er janvier 1999, de sorte que le salarié ne remplissant pas les conditions précitées ne peut prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral au titre de l'exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ou du droit commun de la responsabilité civile ou de la notion de mise en danger d'autrui.
En conséquence, Monsieur [T] [E] sera débouté de toutes ses demandes d'indemnisation en matière d'exposition à l'amiante et le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Les décisions de justice sont de plein droit opposables à l'AGS.
Monsieur [T] [E], qui succombe totalement en son recours, sera condamné aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire,
- Déboute Monsieur [T] [E] de toutes ses demandes d'indemnisation en matière d'exposition à l'amiante ;
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- Y ajoutant, déclare hors de cause la SCP [F] [G] et la SEL [H];
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamne Monsieur [T] [E] aux entiers dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT