COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
3e Chambre B
ARRÊT AU FOND
SUR RENVOI APRES CASSATION
DU 21 SEPTEMBRE 2017
N° 2017/262
Rôle N° 15/11519
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
[I] [N]
Grosse délivrée
le :
à :
Me L. ROUSSEAU
Me H. ABOUDARAM-COHEN
Décision déférée à la Cour :
sur déclaration de saisine de la Cour suite à un arrêt de la Cour de Cassation en date du 15 Janvier 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 40 F-D, ayant cassé un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 19 septembre 2013 lequel avait statué sur appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 10 septembre 2012.
APPELANTE - DEMANDERESSE A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
S.A. AXA FRANCE IARD
inscrite au RCS de PARIS sous le n° B 722 057 460
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Me Ludovic ROUSSEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Jean-Max VIALATTE, avocat au barreau de GRASSE, substitué par Me Florence GEMSA, avocate au barreau de GRASSE
INTIME - DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION
Monsieur [I] [N]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 1] (TUNISIE),
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Hélène ABOUDARAM-COHEN, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de NICE, substitué par Me Candice BAUDOUX, avocate au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Mai 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Jean-François BANCAL, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Jean-François BANCAL, Président (rédacteur)
Mme Patricia TOURNIER, Conseillère
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Septembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Septembre 2017,
Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige :
A effet au 25.7.2008, [I] [N] a souscrit auprès de la S.A. AXA FRANCE IARD, un contrat d'assurance automobile pour un véhicule Mercedes classe M, ML 320 CDI pack luxe immatriculé [Immatriculation 1] dont la première mise en circulation remontait au mois d'avril 2008.
Le 2 janvier 2010, sa s'ur, [E] [N], déposait plainte auprès de la brigade de gendarmerie de [Localité 2], en indiquant qu'alors qu'elle conduisait le véhicule Mercedes de son frère [I], immatriculé [Immatriculation 1], elle avait été victime d'un « car jacking» puisqu'à un stop, elle avait été aspergée de gaz lacrymogène et sortie du véhicule avant que celui-ci ne soit dérobé.
[I] [N] déclarait le sinistre à son assureur, et, le 20 janvier 2010 répondait à un questionnaire en indiquant notamment qu'il avait acquis le véhicule le 17 juin 2008 au prix de 54'000€, 21'500 € ayant été réglés par chèque, le solde, soit 32'500 € ayant été réglé en espèces.
Selon courrier du 9 mars 2010, l'expert automobile missionné par l'assureur fixait la valeur du véhicule volé à la somme de 47'000 € TTC.
Après avoir missionné des enquêteurs privés, l'assureur avertissait [I] [N], par lettre du 27 avril 2010, que compte tenu d'un certain nombre d'anomalies concernant le véhicule objet du vol, qui appartenait toujours à une société de leasing : Mercedes-Benz finances services, elle n'indemniserait pas le sinistre déclaré.
Par acte du 7 février 2011, [I] [N] faisait assigner la S.A. AXA FRANCE IARD devant le tribunal de grande instance de Grasse afin notamment d'obtenir sa condamnation à l'indemniser à hauteur de la somme de 47'000 € en raison du préjudice subi par lui suite au vol de son véhicule, sollicitant en outre sa condamnation au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 15'000€.
Par jugement du 10 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Grasse a :
' dit et jugé que [I] [N] rapporte la preuve du paiement intégral du prix du véhicule qui lui a été demandé par une société d'import-export de véhicules immatriculés dans un état européen,
' dit et jugé que la compagnie Axa France ne justifie pas que la déclaration de vol serait frauduleuse,
' dit et jugé que la compagnie Axa France est mal fondée à dénier à [I] [N] la prise en charge du sinistre consécutif au vol de son véhicule, sur le fondement des articles 1315, 1134 du Code civil, les dispositions des articles L. 113 ' 2, L. 112 ' 4, L. 112 ' 13 ' 2ème alinéa et L. 113 ' 11 du code des assurances,
' condamné la compagnie Axa France à payer à [I] [N] 47'000 € avec intérêts au taux légal passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement,
' débouté [I] [N] de sa demande de dommages-intérêts,
' condamné la compagnie Axa France à payer à [I] [N] 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,
' débouté les parties de leurs autres demandes.
Le 4 octobre 2012, la S.A. AXA FRANCE IARD interjetait appel.
Par arrêt rendu le 19 septembre 2013, la cour de ce siège a infirmé le jugement déféré, et, statuant à nouveau, a débouté [I] [N] de toutes ses demandes, au motif qu'il ne rapportait pas la preuve de la propriété effective du véhicule déclaré volé faute de démontrer notamment le paiement effectif de celui-ci.
Sur pourvoi formé par [I] [N], la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation, a, par arrêt du 15 janvier 2015 rendu au visa de l'article L. 121 ' 6 du code des assurances, ensemble des articles L. 121 ' 1 du code des assurances et 1134 du Code civil, cassé et annulé l'arrêt rendu le 19 septembre 2013 et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix en Provence autrement composée.
Après avoir indiqué que « pour débouter M. [N] de ses demandes, l'arrêt énonce qu'il appartient à l'assuré qui demande la garantie au titre d'un vol du véhicule de rapporter la preuve à la fois de la propriété du véhicule volé et de la réalité du vol, que ce dernier ne rapporte pas la preuve de la propriété effective du véhicule déclaré volé ; », la cour a estimé «qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la qualité de propriétaire du véhicule assuré, alors qu'elle avait constaté que M. [N] était l'assuré, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Par déclaration du 25 juin 2015, la S.A. AXA FRANCE IARD a saisi la cour de renvoi.
Par conclusions avec bordereau de communication de pièces signifiées par le R.P.V.A. le 21 octobre 2016, la S.A. AXA FRANCE IARD conclut à la réformation et demande à la cour de:
' constater qu'il appartient à [I] [N], qui réclame l'exécution d'une obligation, de la prouver, et donc de prouver l'existence du contrat, de prouver la matérialité du vol, et d'apporter la preuve de l'existence de la valeur des biens dérobés et de l'acquisition du bien,
' constater qu'il ne démontre pas qu'il est réellement le propriétaire du véhicule, lequel appartient à la société Mercedes-Benz Finances service,
' constater que [I] [N] a commis de fausses déclarations sur les circonstances d'acquisition du véhicule,
' dire et juger qu'il est déchu de tout droit à garantie du fait de sa mauvaise foi lors de la déclaration de sinistre,
' constater en toute hypothèse qu'il ne justifie nullement de sa qualité de propriétaire et des conditions d'acquisition du véhicule,
' le débouter de ses demandes et le condamner aux dépens.
Par conclusions avec bordereau de communication de pièces signifiées par le R.P.V.A. le 12 mai 2017, [I] [N] conclut à la confirmation en ce que le premier juge a fait droit à ses demandes en condamnant l'assureur à l'indemniser à hauteur de la somme de 47'000€, mais à la réformation en ce qu'il a été débouté de sa demande de dommages-intérêts, sollicitant en conséquence la condamnation de l'assureur à lui payer « la somme de 15'000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'inobservation de l'exécution de son obligation de loyauté », demandant en tout état de cause de débouter l'assureur de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16.5.2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la garantie du sinistre, la déchéance de garantie et l'indemnisation :
En application de l'article 9 du Code de procédure civile : ' Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.'
Et l'article 1315 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10.2.2016 applicable au litige, énonce que :
' Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.'
Il appartient donc à l'assuré de rapporter d'une part, la preuve du sinistre qu'il invoque, d'autre part, d'établir que les garanties du contrat souscrit par lui doivent être mobilisées, alors que c'est à l'assureur qui dénie sa garantie de prouver que le contrat ne peut recevoir application faute pour l'assuré de remplir les conditions contractuelles.
Et la déchéance de garantie, sanction contractuelle qui doit figurer dans le contrat d'assurance, prive l'assuré, qu'il soit ou non de bonne foi, de son droit à garantie.
En page 31 in fine des conditions générales du contrat d'assurance, dont l'assuré ne conteste pas l'application, figure une clause de déchéance de garantie ainsi libellée : « Si vous faites sciemment de fausses déclarations sur la nature et les causes, circonstances et conséquences d'un sinistre, vous serez déchu de tout droit à la garantie pour la totalité de ce sinistre » .
En l'espèce, [I] [N] a déclaré le sinistre à l'assureur en faisant état du vol de son véhicule Mercedes classe M, ML 320 CDI pack luxe, immatriculé [Immatriculation 1], intervenu le 2 janvier 2010, à [Localité 2], alors qu'il était conduit par sa soeur [E] [N], victime d'un «car jacking» puisqu'arrêtée à un stop, aspergée de gaz lacrymogène, elle avait été, selon les termes de sa plainte, sortie du véhicule avant que celui-ci ne soit dérobé.
Dans ses conclusions, il expose avoir acheté ce véhicule le 17 juin 2008 à la société SONED à [Localité 3] pour un montant de 43'000€, facturé le 25 juin 2008, un chèque d'acompte de 21'500€ ayant été remis le jour de la commande, le solde ayant été réglé en espèces.
Il ajoute, qu'après avoir fait procéder à la pose de plusieurs accessoires sur ce véhicule, il l'a fait estimer par un cabinet d'expertise, qui, dans un rapport du 9 mars 2009 a fixé sa valeur à la somme de 53'000€.
Indiquant qu'il est bien l'assuré, il sollicite la condamnation de l'assureur à l'indemniser à hauteur de la somme de 47'000 €, fixée par l'expert de la compagnie.
Il produit la photocopie d'un bon de commande du 17.6.2008, concernant la commande auprès d'une société SONED de [Localité 4], d'un véhicule modèle ML 320 CDI, à moteur diesel, version luxe ambitions, de couleur noire, au prix de 43'000 € TTC, devant être livré le 25 juin 2008, à régler comptant, avec mention d'un acompte de 21'500 € versé par chèque. (Pièce 1).
Il convient de relever que sur cette photocopie, comportant la signature du vendeur et du client, ne figure nullement la marque du véhicule acheté, à savoir Mercedes.
[I] [N] produit en outre la photocopie d'une facture, portant le numéro 630, datée du 25 juin 2008, établie par la SARL SONED à [Localité 4], concernant un véhicule Mercedes modèle ML 320 Cdi matic, noir, mis en circulation le 24 avril 2008, immatriculé [Immatriculation 2], vendu au prix de 43'000 €TTC, comportant la mention manuscrite suivante : «acquite ce jour par chèque » au-dessus du tampon de la société et d'une signature. (Pièce 2).
L'examen des pièces 3 et 21 versées par [I] [N], révèle que le 17 juin 2008, il a établi un chèque de 21'500 € à l'ordre de SONED et que le 24 Juin 2008, ce chèque a été débité de son compte ouvert auprès de la caisse d'épargne Côte d'Azur.
Si [I] [N] affirme avoir réglé en espèces la somme de 21500€ le jour de la livraison, il n'en rapporte cependant pas la preuve, puisque la photocopie de la facture qu'il produit ne fait nullement état d'un tel règlement, qu'aucun reçu d'espèces établi par la Soned n'est versé, la production de photocopies partielles de ce qui est présenté comme étant ses relevés de compte ne permettant que d'établir l'existence de retraits d'espèces, dont l'un près de 3 mois avant la livraison, et non la remise d'espèces au vendeur.
Au surplus, en remplissant le 'questionnaire de vol de véhicule automobile' que l'assureur lui adressait et en le signant le 20.1.2010, [I] [N] a indiqué un autre prix d'achat de ce véhicule : 54000€ et un autre montant réglé en espèces : 32500€ (annexes du rapport AG , pièce 3 de la S.A. AXA FRANCE IARD).
Enfin, il ressort des recherches approfondies des enquêteurs privés missionnés par AXA et des documents joints à leur rapport, non contredits par des pièces contraires, que le véhicule en question, d'abord livré au garage Mercedes de [Localité 5] en Belgique en avril 2008, fut vendu le 24.4.2008 à la société de leasing MERCEDES BENZ FINANCIAL SERVICES BE, laquelle le donna en location à la société belge FOOD DISTRIBUTION.
Immatriculé en Belgique [Immatriculation 3], ce véhicule ne fut jamais restitué à son propriétaire la société de leasing MERCEDES BENZ FINANCIAL SERVICES BE.
Le 22.9.2009, son locataire, la société belge FOOD DISTRIBUTION a fait l'objet d'une procédure de faillite ouverte par le tribunal de commerce de Tournai.
L'assureur AXA FRANCE IARD a donc émis des doutes sur les conditions d' 'achat' de ce véhicule par [I] [N], resté propriété de la société de leasing MERCEDES BENZ FINANCIAL SERVICES BE, alors même que l'assuré lui-même varie dans ses déclarations relatives au prix d'achat et aux sommes qu'il aurait réglées.
S'il est exact que la qualité de propriétaire n'est pas une condition nécessaire à l'existence de l'intérêt d'assurance, puisqu'en vertu de l'article L.121-6 du code des assurances 'toute personne ayant un intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer (et que) tout intérêt direct ou indirect à la non réalisation d'un risque peut faire l'objet d'une assurance', il n'en demeure pas moins que pour pouvoir obtenir l'indemnisation des conséquences dommageables du sinistre qu'il déclare, l'assuré [I] [N] ne doit pas faire 'sciemment de fausses déclarations sur la nature et les causes, circonstances et conséquences d'un sinistre', faute de quoi, en application du contrat, il sera 'déchu de tout droit à la garantie pour la totalité de ce sinistre'.
C'est donc à juste titre que l'assureur a refusé de prendre en charge le sinistre, en présence des déclarations de [I] [N] pouvant légitimement être qualifiées de fausses déclarations sur les conséquences du sinistre faites sciemment par leur auteur pour obtenir l'indemnisation des conséquences d'un vol de véhicule, donné en leasing et non restitué à son véritable propriétaire, introduit en France depuis la Belgique dans des circonstances qui restent ignorées, ayant fait l'objet par la suite d'une ' vente' à un 'prix' qui n'est pas déterminé avec certitude.
[I] [N] ayant donc faussement déclaré à l'assureur avoir subi une perte financière de 47000€ à la suite du vol du véhicule, la déchéance de garantie est invoquée avec raison par la S.A. AXA FRANCE IARD.
En conséquence, la décision déférée doit être infirmée sur ce point.
Sur les dommages et intérêts :
Alors que [I] [N] succombe et ne démontre pas que l'attitude de l'assureur a été fautive, c'est avec raison que le premier juge l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts formée contre AXA pour ' inobservation de l'exécution de son obligation de loyauté'.
Cette disposition du jugement déféré doit donc être confirmée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
Succombant, [I] [N] supportera les dépens de première instance et d'appel et ne peut obtenir une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement,
Contradictoirement,
Sur renvoi après cassation,
CONFIRME partiellement le jugement déféré en ce que le premier juge a débouté [I] [N] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de la S.A. AXA FRANCE IARD à l'exécution de son obligation de loyauté,
LE REFORME pour le surplus,
STATUANT À NOUVEAU et Y AJOUTANT,
DIT QUE la S.A. AXA FRANCE IARD est fondée à invoquer une déchéance de garantie à l'encontre de [I] [N] pour le sinistre concernant le vol du véhicule automobile Mercedes classe M, ML 320 CDI pack luxe immatriculé [Immatriculation 1], déclaré volé le 2 janvier 2010,
DÉBOUTE en conséquence [I] [N] de sa demande d'indemnisation,
DÉBOUTE [I] [N] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE [I] [N] aux dépens de première instance et d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT