COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
10e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2017
N°2017/296
Rôle N° 17/02876
Société GEDESEL
C/
[P] [O]
[Q] [M]
LA COMPAGNIE L'EQUITE
CPAM DES ALPES MARITIMES
SAS SOCIETE TRIUMPH
Grosse délivrée
le :
à :
Me Bruno ZANDOTTI
Me Olivier BLANC
SELARL BOULAN
SCP AZE BOZZI
TASS DE NICE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état de NICE en date du 14 Novembre 2016 enregistrée au répertoire général sous le n° 15/01421.
APPELANTE
Société GEDESEL,
dont le siège social est : [Adresse 1]
représentée par Me Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me BREMENT, avocat au barreau de MARSEILLE,
INTIMES
Monsieur [P] [O]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Olivier BLANC, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [Q] [M]
née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 1] ([Localité 1]), demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Alban BORGEL, avocat au barreau de MARSEILLE
LA COMPAGNIE L'EQUITE,
dont le siège social est : [Adresse 4]
représentée par Me Laurence BOZZI de la SCP AZE BOZZI & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DES ALPES MARITIMES
dont le siège social est : CPAM 679 Service contentieux recours contre tiers - 06180 NICE CEDEX
défaillante
SAS SOCIETE TRIUMPH
dont le siège social est : [Adresse 5]
défaillante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2017 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Olivier GOURSAUD, Président, et Madame Anne VELLA, Conseiller, chargés du rapport.
Monsieur Olivier GOURSAUD, Président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier GOURSAUD, Président
Madame Anne VELLA, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Sylvaine MENGUY.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2017.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2017.
Signé par Monsieur Olivier GOURSAUD, Président et Madame Sylvaine MENGUY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [Q] [M], intermittente du spectacle, exerce depuis 2007 la profession de 'figurante-silhouette-comédienne-doublure-cascadeuse' et signe à ce titre régulièrement des contrats journaliers avec des sociétés de production de films pour les besoins de tournages cinématographiques et télévisés.
Le 5 juillet 2013, elle a signé un contrat d'acteur de complément avec la société Gedesel pour les besoins d'une série télévisée.
Ce jour là, passagère d'une motocyclette de marque Triumph, pilotée par M. [P] [O], lui même sous contrat avec la société Gedesel, elle devait pour les besoins d'une scène à filmer assurer une séquence avec une entrée de champ avec moto.
Au cours du tournage, elle a été victime d'un accident de la circulation sur la [Adresse 6] à [Localité 2] et a été blessée.
Par exploits d'huissier en date des 27 février, 6 et 9 mars 2015, Mme [Q] [M] a fait assigner M. [P] [O], la société Gedesel et la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes devant le tribunal de grande instance de Nice aux fins d'indemnisation de son préjudice consécutif à cet accident.
Par exploits d'huissier en date des 13 et 14 août 2015, la société Gedesel a fait assigner la société Triumph et son assureur, la société l'Equité Assurances, aux fins de garantie.
Les deux instances ont été jointes.
Par conclusions d'incident, la société Gedesel a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer le tribunal de grande instance incompétent au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nice.
Mme [M] s'est opposée à cette demande et a sollicité du juge de la mise en état qu'il déclare le tribunal de grande instance compétent pour connaître de l'indemnisation de son préjudice.
La société l'Equité Assurances a conclu également à l'incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale.
Par ordonnance en date du 14 novembre 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Gedesel et par la société l'Equité Assurances,
- fait injonction à la société Gedesel de communiquer à la société l'Equité Assurances avant la prochaine audience de mise en état, l'identité de la société d'assurances garantissant le véhicule emprunté ainsi que celle de la société d'assurances garantissant sa responsabilité civile outre les références du contrat,
- dit n'y avoir lieu à assortir cette injonction du prononcé d'une astreinte,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande subsidiaire de la société l'Equité Assurances aux fins de voir condamner la société Gedesel à la relever et garantir de toute condamnation,
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles exposés dans le cadre de l'incident,
- renvoyé la cause à une audience de mise en état.
Le premier juge a relevé que par application de l'article L 454-1-1 du code de la sécurité sociale, l'exception d'incompétence devait être rejetée dés lors qu'il n'était pas démontré que la [Adresse 6] où s'était produit l'accident n'était pas ouverte à la circulation publique.
Par déclaration en date du 13 février 2017, la société Gedesel a interjeté appel de cette décision.
L'affaire a été fixée à l'audience du 17 mai 2017, conformément à l'article 905 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 28 mars 2017, la société Gedesel demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance entreprise,
- dire et juger que la juridiction saisie est incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nice,
- condamner Mme [M] au règlement d'une somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Gedesel fait valoir que :
- en application de l'article L 451-1 du code de la sécurité sociale, les actions en réparation des accidents du travail ne peuvent être exercées conformément au droit commun et la juridiction compétente pour statuer sur la demande de Mme [M] est le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nice,
- les pièces produites aux débats démontrent que l'endroit où l'accident s'est déroulé est une voie fermée à la circulation publique dans son ensemble et durant toute l'année.
Aux termes de ses conclusions en date du 18 avril 2017, Mme [Q] [M] demande à la cour de :
- recevoir l'appel de la société Gedesel et le déclarer mal fondé,
au fond,
- confirmer l'ordonnance entreprise,
- dire et juger que le tribunal de grande instance de Nice est compétent pour connaître de l'indemnisation de ses préjudices dans les suites de l'accident dont elle a été victime le 5 juillet 2013,
- condamner la société Gedesel, solidairement avec M. [P] [O], la société Triumph et la société l'Equité Assurances à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Gedesel, solidairement avec M. [P] [O], la société Triumph et la société l'Equité Assurances aux entiers dépens distraits au profit de la selarl Lexavoué Aix en Provence, avocat au barreau d'Aix en Provence, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [M] fait valoir que :
- si selon l'article L 455-1-1 du code de la sécurité sociale, l'accident de la circulation constitutif d'un accident du travail doit a priori se produire sur une voie ouverte à la circulation publique, l'étude de la jurisprudence amène à observer un rapprochement des conditions de mise en oeuvre du régime de l'article L 455-1-1 du code de la sécurité sociale avec celui de la loi du 5 juillet 1985, indépendamment du caractère juridique propre de la voie sur laquelle l'accident peut survenir, et qu'elle applique cette loi, y compris sur des chantiers privatifs de travaux,
- il importe donc désormais peu que l'accident de la circulation se soit produit sur une voie ouverte à la circulation publique, cette ouverture à la circulation publique n'étant pas un critère déterminant de l'application de la loi du 5 juillet 2005;
- en outre, l'attestation du 2 avril 2015 selon laquelle la [Adresse 6] est fermée à la circulation publique toute l'année ne prouve pas que tel était le cas deux ans plus tôt, soit le jour de l'accident,
- dés lors qu'au moment de l'accident, la motocyclette était pilotée par M. [O], également employé de la société Gedesel, les conditions édictées par l'article L 451-1-1 du code de la sécurité sociale sont remplies et lui permettent de saisir le tribunal de grande instance pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la loi du 5 juillet 2005.
Aux termes de ses conclusions en date du 16 mai 2017, M. [P] [O] demande à la cour de:
- réformer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice,
- prononcer l'incompétence du tribunal de grande instance de Nice au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nice,
- condamner Mme [Q] [M] à lui payer la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Q] [M] aux entiers dépens.
M. [O] fait valoir que :
- par application de l'article L 451-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal des affaires de sécurité sociale est seul compétent pour apprécier les demandes indemnitaires liées aux conséquences d'un accident du travail sur le fondement de la faut inexcusable de l'employeur,
- l'extension du bénéfice de la loi du 5 juillet 1985 aux victimes d'un accident du travail suppose que l'accident survienne sur une voie ouverte à la circulation publique ce que ne démontre pas Mme [Q] [M] en l'espèce,
- il est par contre établi par la société Gedesel que la [Adresse 6] est une route forestière fermée à la circulation publique.
Aux termes de ses conclusions en date du 16 mai 2017, la société l'Equité Assurances, assureur de la société Triumph, propriétaire du véhicule, demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice le 14 novembre 2016 en ce qu'elle a retenu la compétence de ladite juridiction pour connaître du litige,
statuant de nouveau,
- déclarer le tribunal de grande instance de Nice incompétent au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes Maritimes pour connaître du présent litige,
à titre infiniment subsidiaire,
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Gedesel à lui communiquer l'identité de la compagnie d'assurance garantissant le véhicule emprunté et garantissant sa responsabilité civile ainsi que les références du contrat,
la réformant pour le surplus et statuant de nouveau,
- assortir cette condamnation d'une astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir jusqu'à communication complète des éléments demandés,
en toute hypothèse,
- débouter Mme [M] de ses prétentions dirigées à son encontre au titre des frais irrépétibles,
- condamner toute parties succombante à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [M] et à défaut, toute parties succombante, aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Bozzi, membre de la scp Bozzi et associés, avocat aux offres de droit.
La société l'Equité Assurances fait valoir que :
- l'indemnisation des conséquences de l'accident dont Mme [M] a été victime relève de la législation sur les accidents du travail,
- il appartient à la demanderesse qui revendique le bénéfice des dispositions de droit commun prévues par la loi du 5 juillet 2005 de rapporter la double preuve d'un dommage occasionné par un véhicule conduit par l'employeur ou un préposé d'une part et, d'autre part, d'un dommage occasionné sur une voie ouverte à la circulation publique,
- au vu des pièces versées aux débats, il apparaît que la circulation est interdite sur le portion de route conduisant au sommet du Mont Vinaigre près duquel l'accident s'est produit,
- en conséquence, Mme [M] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un accident survenue sur une voie ouverte à la circulation publique.
Par exploits d'huissier en date du 11 et 13 avril 2017 remis à personne habilité, la société Gedesel a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à la société Triumph et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes.
Par exploit des 26 et 27 avril 2017, Mme [M] a fait signifier ses conclusions à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes et à la société Triumph .
La caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes et la société Triumph n'ont pas constitué avocat et il convient de statuer par décision réputée contradictoire.
L'affaire a été clôturée à l'audience du 17 mai 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il n'est pas discuté que l'accident dont Mme [M] a été victime le 5 juillet 2013 est un accident du travail, ni que la société Gedesel était son employeur au moment des faits.
Il ressort des dispositions des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, notamment l'article L 452-4, que l'action en indemnisation de son préjudice engagée par la victime d'un accident du travail à l'encontre de son employeur ou de l'un de ses préposés relève de la compétence de la juridiction de la sécurité sociale.
L'article L 455-1-1 du même code qui confère à la victime la faculté d'agir contre son employeur devant la juridiction de droit commun ne trouve application qu'à la double condition que l'accident ait impliqué un véhicule terrestre à moteur conduit par l'employeur ou son préposé, ce qui est le cas en l'espèce, M. [O] qui conduisait la motocyclette sur laquelle Mme [M] avait pris place étant lui même préposé de la société Gedesel, mais aussi que l'accident soit survenu sur une voie ouverte à la circulation publique.
Ce texte en ce qu'il vise la notion de voie ouverte à la circulation publique n'est pas sujet à interprétation.
Il ressort des pièces produites, notamment de l'audition de Mme [M] et d'une main courante, que l'accident s'est produit sur la [Adresse 6] à 600 mètres d'altitude soit pratiquement au sommet puisque celui-ci est situé à 614 mètres d'altitude ainsi qu'il ressort d'une documentation wikipédia sur le Mont Vinaigre produite aux débats.
Selon une attestation du responsable de l'unité territoriale de l'office national des forêts, la route forestière dit du Mont Vinaigre est fermée à la circulation publique et ce toute l'année.
Cette attestation rédigée en termes généraux ne fait nullement référence à une réglementation récente et Mme [M] est mal fondé à se prévaloir de ce qu'elle aurait été rédigée deux ans après les faits.
Cet élément est en outre confirmé par une photographie du site figurant une barrière et un panneau d'interdiction et par la documentation wikipédia qui rappelle l'existence de cette barrière fermant l'accès un kilomètre après la maison forestière du Malpey et précise que seuls les véhicules de l'office national des forêts ou les véhicules de secours sont autorisés à dépasser ce point.
Il est donc établi que l'accident ne s'est pas produit sur une voie ouverte à la circulation publique de sorte que les dispositions de l'article L 455-1-1 du code de la sécurité sociale alléguées par Mme [M] ne trouvent pas application en l'espèce.
En vertu des dispositions sus visées, l'action en indemnisation engagée par Mme [M] à l'encontre de la société Gedesel ou de son préposé, M. [O], relève de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes Maritimes.
Il convient donc de constater l'incompétence du tribunal de grande instance de Nice pour statuer sur cette action en responsabilité et de renvoyer la cause devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes Maritimes.
Par ailleurs, si la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale ne s'étend pas aux actions en garantie à l'encontre des tiers, les dispositions de l'article L 452-4 du code de la sécurité sociale n'interdisent pas que d'autres personnes y ayant intérêt interviennent à l'instance devant cette juridiction, ou qu'elles y soient attraites, de sorte qu'en l'absence de demande devant la cour tendant à réserver la compétence de la juridiction de droit commun pour statuer sur les éventuelles actions aux garanties que pourraient former la société Gedesel ou M. [O] à l'encontre de la société Triumph ou de son assureur, il n'y a pas lieu de procéder à une telle réserve.
La demande de la société l'Equité Assurances tendant à voir assortir d'une astreinte l'injonction de communication de renseignements devient sans objet puisque le conseiller de la mise en état n'avait pas compétence pour la prononcer et cette demande formée à nouveau en cause d'appel ne l'est d'ailleurs qu'à titre subsidiaire.
L'équité ne commande pas en l'espèce de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Les dépens de première instance et de la procédure d'appel sont mis à la charge de Mme [M].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate l'incompétence du tribunal de grande instance de Nice pour statuer sur l'action en indemnisation de son préjudice engagée par Mme [Q] [M] à l'encontre de la société Gedesel et de M. [P] [O] et renvoie les parties devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes Maritimes.
Dit que le dossier de l'affaire sera aussitôt transmis par le secrétariat avec une copie de la présente décision.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [M] aux dépens de première instance et aux dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT