La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/01/2017 | FRANCE | N°017

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, Ct0753, 26 janvier 2017, 017


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre B

ARRÊT AU FOND
SUR RENVOI APRES CASSATION
DU 26 JANVIER 2017

No2017/017

Rôle No 14/24902

SA SAFRAN CERAMICS
SA ALLIANZ IARD

C/

SAS THALES SESO ANCIENNEMENT DENOMMEE SAS SOCIETE EUROPEENNE DE SYSTEMES OPTIQUES

Grosse délivrée
le :
à :
Me L. X...
Me F. Y...

Décision déférée à la Cour :

sur déclaration de saisine de la Cour suite à un arrêt de la Cour de Cassation en date du 11 Septembre 2014 enregistré au répertoire général sous le no 1402 F-D, ayant

partiellement cassé un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 02 mai 2013 lequel avait statué sur appel d'un jugement du...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre B

ARRÊT AU FOND
SUR RENVOI APRES CASSATION
DU 26 JANVIER 2017

No2017/017

Rôle No 14/24902

SA SAFRAN CERAMICS
SA ALLIANZ IARD

C/

SAS THALES SESO ANCIENNEMENT DENOMMEE SAS SOCIETE EUROPEENNE DE SYSTEMES OPTIQUES

Grosse délivrée
le :
à :
Me L. X...
Me F. Y...

Décision déférée à la Cour :

sur déclaration de saisine de la Cour suite à un arrêt de la Cour de Cassation en date du 11 Septembre 2014 enregistré au répertoire général sous le no 1402 F-D, ayant partiellement cassé un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 02 mai 2013 lequel avait statué sur appel d'un jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence du 02 avril 2012.

APPELANTES - DEMANDERESSES A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

SA SAFRAN CERAMICS anciennement dénommée "HERAKLES SA", venant aux droits de SNECMA PROPULSION SOLIDE
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le no 440 513 059
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié [...]
représentée par Me Ludovic X..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Jean-Marie Z... de la SCP Z... L HECQUET PAYET-GODEL, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Carine A... de la SCP Z... L HECQUET PAYET-GODEL, avocate au barreau de PARIS

SA ALLIANZ IARD venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié [...]
représentée par Me Ludovic X..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Jean-Marie Z... de la SCP Z... L HECQUET PAYET-GODEL, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Carine A... de la SCP Z... L HECQUET PAYET-GODEL, avocate au barreau de PARIS

INTIMÉE - DÉFENDERESSE A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

SAS THALES SESO anciennement dénommée SAS SOCIETE EUROPEENNE DE SYSTEMES OPTIQUES
prise en la personne de son représentant légal en exercice
siège social [...] - [...]
représentée par Me Françoise Y... de la SELARL Y... E... IMPERATORE, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Emmanuelle B... de la SCP BELLAICHE-B..., avocate au barreau de PARIS, substituée par Me Caroline C... de la SCP BELLAICHE-B..., avocate au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-François BANCAL, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Jean-François BANCAL, Président (rédacteur)
Mme Patricia TOURNIER, Conseillère
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2017,

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2017,

Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige :

Par marché du 29 juin 2005 d'un montant de 633.400 € H.T., la Direction Générale de l'Armement (DGA) a confié à la S.A. Société Européenne de Systèmes Optiques, dite SESO, aux droits de laquelle se trouve actuellement la S.A.S. THALES SESO, assurée auprès de GENERALI , l'exécution de prestations de "polissage" et de "tests d'un miroir en SIC" (carbure de silicium), conçu par la société ASTRIUM et élaboré par la société BOOSTEC.

Il était mentionné que " le miroir prêté par le SPOTI est assuré pendant toute la mise à disposition du miroir pour la somme de 440.000€ H.T."

Par commande du 22.3.2006, puis avenant du 19.10.2006, la société SESO a confié à la société SNECMA PROPULSION SOLIDE, assurée auprès de la société GAN EUROCOURTAGE aux droits de laquelle se trouve actuellement la S.A. ALLIANZ IARD, la "prestation de dépôt SiC ICVI (carbure de silicium) sur un miroir et 2 bouchons conception et réalisation des outillages compris rapport de production et PV de conformité fournis", moyennant un prix de 72 000€ H.T.

A cette fin, le miroir a été transporté en Gironde, dans les locaux de la société SNECMA PROPULSION SOLIDE.

A réception, la société SNECMA PROPULSION SOLIDE a constaté la présence d'un éclat sur le miroir, en a fait part à la société SESO, en indiquant dans un mail du 23 octobre 2006 que, sauf contre ordre de sa part, elle continuerait les opérations prévues.

Par mél du 24.10.2006, la société SESO a répondu que cet éclat était préexistant et qu'il pouvait être procédé aux opérations prévues.

Le miroir a été introduit et maintenu pendant plusieurs heures dans un four à infiltration. Après cette opération, à la sortie du four, le 21.11.2006, la présence d'une fissure radiale sur le dépôt de SiC de la face optique du miroir a été constatée.

La société SNECMA PROPULSION SOLIDE a arrêté ses opérations et informé la société SESO.

Une discussion technique s'est alors engagée entre les parties afin de déterminer la cause de l'accident.

Par lettre du 4.6.2007, la D.G.A a résilié le contrat conclu avec la société SESO et demandé à être indemnisée.

Suite à assignation en référé du 26.6.2007, la société SESO a obtenu du président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, par ordonnance du 27 juin 2007, la désignation de M. Didier D... en qualité d'expert.

Par lettre du 25.3.2010, la D.G.A a établi un décompte définitif de liquidation du marché pour la somme de 627.244,64€ TTC décomposé à la demande du titulaire, de la manière suivante :
règlement à effectuer par l'assureur du titulaire : 420.992, 00€ TTC
règlement à effectuer par le titulaire SESO : 206.252,64€ TTC.

L'expert Didier D... a clôturé son rapport le 9.11.2010.

Selon quittance subrogatoire du 26.10.2011, la société THALES SESO a reconnu avoir perçu de l'assureur GENERALI au titre du sinistre du 21.11.2006, la somme de 352.000€ se décomposant comme suit : montant H.T. du miroir selon valeur assurée 440.000€ dont à déduire la franchise contractuelle de 88000€.

**

Par acte du 22 février 2011, la société THALES SESO et son assureur, la compagnie GENERALI IARD, ont fait assigner au fond devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence la société SNECMA PROPULSION SOLIDE, ainsi que son assureur de responsabilité civile, la Compagnie GAN EUROCOURTAGE, aux droits de laquelle se trouve actuellement la S.A. ALLIANZ IARD aux fins de condamnation à paiement de diverses sommes à titre d'indemnisation.

Par jugement du 2 avril 2012, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, a :

– déclaré irrecevable comme tardive l'exception d'incompétence d'attribution au profit du tribunal arbitral, soulevée par la société SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN, et s'est déclaré compétent pour juger le litige opposant les parties,

– condamné in solidum la S.A. SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à payer à la S.A. SESO la somme de 429.228,96 € avec capitalisation des intérêts se décomposant comme suit :
** 88.000 € correspondant à la valeur du miroir (440.000 €) diminuée du remboursement effectué par la compagnie GENERALI IARD soit 352.000 € ;
** 252.779,25 €, montant des prestations réalisées par la S.A.SESO avant casse du miroir;
** 17.222,40 €, acompte payé par la S.A. SESO à la société SNECMA PROPULSION SOLIDE ;
** 46.795,33 € au titre de la perte de marge ;
** 22.957,10 € correspondant aux frais d'assistance à expertise ;
** 1.474,88 € au titre des frais d'expertise,

– condamné in solidum la SA SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à payer à la société GENERALI IARD la somme de 352.000 €, avec capitalisation des intérêts,

– condamné la SA SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à payer à la S.A. SESO et à la société GENERALI IARD, pour chacune d'entre elles, 3750€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

A la suite d'une fusion absorption, la S.A HERAKLES est venue aux droits de la SA SNECMA PROPULSION SOLIDE.

Le 3.5.2012, la société HERAKLES et le GAN ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 2 mai 2013, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
– infirmé le jugement du 2 avril 2012 en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
– déclaré tant la société GENERALI IARD que la S.A. SESO irrecevables en leurs demandes,
Y ajoutant,
– condamné la société GENERALI IARD et la S.A. SESO à rembourser à la société GAN l'ensemble des sommes reçues au titre de l'exécution de la décision appelée qui était assortie de l'exécution provisoire et ce avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt,
– fait droit à la demande de capitalisation des intérêts,

– condamné in solidum la société GENERALI IARD et la S.A. SESO à payer tant à la S.A. HERAKLES qu'à la société GAN 5000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
– condamné in solidum la société GENERALI IARD et la S.A. SESO aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

**

Le 9.7.2013, la société THALES SESO a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 11.9.2014, rendu au visa de l'article 16 du Code de procédure civile, la 2ème chambre civile de la cour de cassation, a :
– cassé et annulé partiellement l'arrêt rendu entre les parties le 2.5.2013, "mais seulement en ce qu'il a déclaré la société SESO irrecevable en ses demandes et l'a condamnée à rembourser à la société GAN ASSURANCES l'ensemble des sommes reçues au titre de l'exécution de la décision appelée qui était assortie de l'exécution provisoire, avec capitalisation des intérêts et une certaine somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile"
– remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et renvoyé devant la présente cour autrement composée au motif :
"que pour déclarer irrecevables les demandes de la société SESO, l'arrêt retient que cette dernière a confié le miroir à la société HERAKLES dans le cadre d'un contrat de sous-traitance après avoir souscrit auprès de la société GENERALI IARD une assurance pour son compte et pour celui de ses sous-traitants, comprenant une clause, aux termes de laquelle elle renonce à tout recours contre ses sous-traitants ;
(et) qu'en relevant d'office ce moyen, sans le soumettre à la discussion des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé" de l'article 16 du Code de procédure civile.

**

La présente cour a été saisie par déclaration du 23.12.2014.

Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées signifiées par le RPVA le 18.10.2016, la S.A. SAFRAN CERAMICS, anciennement dénommée S.A HERAKLES et la S.A. ALLIANZ IARD venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE demandent essentiellement à la cour :
à titre principal :
sur les irrecevabilités,
– de déclarer irrecevables les demandes de THALES SESO formées contre SAFRAN CERAMICS et contre ALLIANZ,
- de condamner la société THALES SESO à reverser à la compagnie ALLIANZ IARD la somme de 429.586,96€ perçue au titre de l'exécution provisoire outre intérêts au taux légal à compter du 21.5.2012 et capitalisation,
Si les demandes de THALES SESO sont jugées recevables,
– de dire et juger qu'une franchise de 45000€ devra être déduite de toute éventuelle condamnation prononcée à l'encontre de la compagnie ALLIANZ IARD,
à titre subsidiaire et pour le cas où la cour ne ferait pas droit aux irrecevabilités :
– de dire et juger que la clause limitative de responsabilité limitant l'engagement de la société Safran Céramics à hauteur de 72000 € est valide,
– de dire et juger que le préjudice dont se prévaut la société THALÈS SESO et partant l'indemnité qu'elle sollicite, ne saurait excéder 72000 €,
– de condamner la société THALÈS SESO à reverser à la compagnie ALLIANZ la somme de 357228,96 € outre les intérêts versés, réglée au titre de l'exécution provisoire, assortie des intérêts légaux à compter du 21 mai 2012 et capitalisation,

à titre infiniment subsidiaire :
– de dire et juger que la société THALÈS SESO ne rapporte pas la preuve d'une dette certaine liquide et exigible à l'égard de la DGA au titre du miroir et, partant d'un préjudice à ce titre,
– de rejeter en conséquence les demandes de la société THALÈS SESO formulées au titre du miroir,
à titre subsidiaire
– dire et juger que la société THALÈS SESO ne rapporte pas la preuve de la valeur réelle et actuelle du miroir et en conséquence de rejeter ses demandes,
– dire et juger que l'indemnisation globale sollicitée par la suite par THALÈS SESO au titre des dommages à la suite de la fissuration du miroir ne saurait excéder 197730 €,
– condamner la société THALÈS SESO à reverser à la compagnie ALLIANZ la somme de 231498,96 € outre les intérêts versés, réglée au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2012 et capitalisation,
En tout état de cause :
– condamner la société THALÈS SESO à verser aux sociétés SAFRAN CÉRAMICS et ALLIANZ et pour chacune d'entre elles la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles,
- condamner la société THALÈS SESO aux entiers dépens.

**

Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées signifiées par le RPVA le 24.10.2016, la SAS THALES SESO demande à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris et condamner solidairement la société HERAKLES et la compagnie ALLIANZ à lui payer la somme de 429228,96 € avec capitalisation des intérêts,
y ajoutant,
– de dire et juger que les intérêts de retard capitalisés seront dus à compter de la date de l'assignation,
– de condamner lesdites sociétés à lui payer la somme de 20000 € au titre de l'article 700 et à supporter les entiers dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25.10.2016.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité des demandes d'indemnisation de la S.A.S. THALES SESO et la clause de renonciation à recours :

Dans le contrat d'assurance souscrit par SESO auprès de GENERALI, il est notamment stipulé :
« Par la dénomination "l'assuré" utilisée dans le présent contrat, il faut entendre le souscripteur, agissant tant pour son compte que pour celui de qui il appartiendra. ... » (Page 4),
" le souscripteur déclare ...
Que dans le cadre de ses activités, il confie certaines opérations telles que coulage du verre et traitement finaux de surface à des sous-traitants spécialisés dans lesdites activités,....
Agir tant pour son compte que pour celui de ses sous-traitants ,
avoir renoncé à tout recours qu'il serait en droit d'exercer à l'encontre de ses sous traitants ".
(page 43,de la pièce 38 des appelants, passages soulignés par la cour).

En outre, sous l'intitulé: "renonciation à recours", il est indiqué que :
" L'assureur renonce à tout recours qu'en cas de sinistre, il serait fondé à exercer, le cas de malveillance excepté, contre :
2.1. l'assurée ......les fournisseurs à quelque titre que ce soit , y compris les prestataires de service et entreprises opérant pour l'assuré ..
2.2. toutes personnes physiques ou morales, organismes, groupements ....envers qui l'assuré aurait contractuellement ou par obligation, renoncé à tous recours "
(page 58, pièce 38 des appelants).

Il est donc établi que SESO, actuellement THALES SESO, a souscrit auprès de GENERALI une assurance tant pour son compte que pour celui de ses sous traitants et que dans ce document contractuel, cette société a expressément déclaré avoir renoncé à tout recours qu'elle serait en droit d'exercer à l'encontre de ses sous traitants.

Alors qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 21.12.1975, la sous-traitance est définie comme étant " l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ", que dans ses spécifications des 6.12.2005 et 27.3.2006, concernant le dépôt d'une couche de SIC sur le miroir, SESO se réfère régulièrement au "sous traitant", à qui sera remis le miroir (article 1), pour décrire sa prestation (article 3), la spécification du dépôt (article 4), comme pour les articles suivants (5 et 6), (pièces 3 et 5 de THALES SESO), que la mission confiée à SNECMA , actuellement S.A. SAFRAN CERAMICS est bien l'exécution par elle d'une partie du marché conclu par SESO avec la D.G.A. pour le miroir en question, c'est à juste titre que la S.A. SAFRAN CERAMICS revendique sa qualité de sous-traitant de SESO et soulève donc l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation formées par SESO contre elle, puisque cette société a renoncé à tout recours contre les sous-traitants.

En conséquence, la demande d'indemnisation de SESO, actuellement THALES SESO, formée contre son sous-traitant SNECMA PROPULSION SOLIDE, actuellement SAFRAN CERAMICS, est irrecevable et le jugement déféré doit ici être réformé.

Par contre, la clause de renonciation à tout recours contre la personne responsable d'un dommage n'emporte pas, sauf stipulation contraire, renonciation à recourir contre l'assureur de cette personne. Et celui qui a renoncé par avance à tout recours contre la personne responsable d'un dommage peut faire reconnaître, dans son principe et dans son étendue, la responsabilité de cette personne appelée aux débats, pour demander paiement de dommages et intérêts, par voie d'action directe, au seul assureur de cette dernière.

Contrairement à ce qu'allègue ALLIANZ, l'action exercée contre elle n'est pas un "appel en garantie", mais à titre principal une demande de condamnation in solidum du responsable et de son assureur à l'indemniser, et, à titre subsidiaire, une action directe engagée par la victime d'un dommage contre l'assureur du responsable.

En conséquence, l'action en indemnisation formée par THALES SESO contre la S.A ALLIANZ IARD, en qualité d'assureur du sous-traitant SNECMA PROPULSION SOLIDE, actuellement SAFRAN CERAMICS, est recevable.

Sur des demandes d'indemnisation de la S.A.S.THALES SESO formées contre l'assureur ALLIANZ IARD :

Bien que le contrat d'assurance souscrit par SNECMA PROPULSION SOLIDE, actuellement SAFRAN CERAMICS, auprès du GAN EUROCOURTAGE, actuellement S.A ALLIANZ IARD, ne soit pas produit, il n'est nullement contesté que cette dernière société est l'assureur du sous-traitant SAFRAN CERAMICS.

Ayant le même fondement que l'action en responsabilité engagée contre le responsable du dommage, cette action directe diligentée contre l'assureur s'exerce nécessairement dans les mêmes limites, l'assureur ne pouvant être tenu au-delà des engagements de son assuré.

En l'espèce, l'expert judiciaire commis indique dans son rapport :
« En juin 2001, le centre national d'études spatiales (CNES), agissant pour la direction générale de l'armée (DGA) (en réalité direction générale de l'armement) a conclu un contrat de recherche et technologie avec ASTRIUM dont l'objet est de concevoir et réaliser un démonstrateur de grand miroir en carbure de silicium pour des applications d'observations spatiales. Ledit miroir est conçu par Astrium et élaboré par BOOSTEC. Sa particularité innovante réside dans le fait qu'il a été fabriqué en deux parties qui ont été assemblées de manière définitive par un collage céramique pour former le miroir monobloc....
Pour conformer la surface réfléchissante du miroir, CESO effectue entre autres le premier polissage du miroir (douçage) consistant à préparer sa surface à recevoir le traitement superficiel du dépôt de carbure de silicium en phase vapeur appelé CVD, (Chemical vapor Deposition),puis commande à la SNECMA ledit traitement superficiel....
La SNECMA ayant un savoir-faire au sujet du dépôt superficiel de SiC a :
– préparé et installé les masques sur le miroir, afin que le Sic en phase vapeur dans le four de traitement ne se dépose que sur les surfaces désirées ;
– conçu, fabriqué et mis en place le système de positionnement du miroir sur le plateau d'introduction dans le four de traitement ;
– mis en œuvre le traitement : introduction dans le four, mise sous vide, montée en température à environ 1000o C, traitement par introduction d'hydrogène et de MTS (Méthyl Trichloro Silicate), enfin abaissement de la température durant plusieurs dizaines d'heures;
– sorti le miroir du four, puis défait le système de positionnement du miroir et les masques, et finalement constaté une grande fissure du miroir le rendant définitivement hors service.
La finition du miroir par un polissage de finition très précis par CESO n'a donc pas été réalisée » (pages 4 et 5 du rapport).

Il ajoute :
« le miroir a été positionné par un dispositif de bridage conçu par la SNECMA de sorte que les trois platines de fixation comprenant chacune quatre trous (ou alésages) de diamètre 5 mm ont permis la pose de trois fois quatre vis en carbone carbone (noté dans la suite CC) et de huit joints d'étanchéité pour éviter que le carbure de silicium en phase vapeur au cours du traitement de CVD ne vienne se déposer au sein des douze (3 X 4) trous de diamètre 5 mm......
– Les joints d'étanchéité n'ont pas été efficaces de sorte que le carbure de silicium s'est infiltré et a comblé l'espace restant entre les trous de diamètre 5 mm et les vis CC.
– Après le traitement de CVD lors du débridage de la pièce, la SNECMA n'a pas pu extraire les vis CC de leurs trous à cause du comblement par du carbure de silicium qui a produit leur blocage dans le miroir (frettage).
– Pour le patin de fixation inférieure situé au bas du miroir, la fissure s'est trouvée amorcée à partir d'une vis bloquée par le comblement de l'espace entre son corps et le trou (alésage) de 5 mm... » (Pages 5 et 6 du rapport).

L'expert ajoute que « lors de la livraison du miroir.. Celui-ci était exempt de fissure » et que « ni l'examen visuel des parties, ni celui averti du laboratoire SPCTS rattaché au CNRS n'ont permis de détecter un défaut majeur au sein de la matière constituant le miroir sur l'amorce du faciès de rupture pouvant l'expliquer » (page 8 et 9).

Il estime qu'« En conséquence, le miroir livré par la SESO à la SNECMA intègre de toute fissure structurale, s'est fissuré :
– fondamentalement à cause du frettage des vis dû à la déficience d'étanchéité, qui a permis le comblement de l'espace entre les vis en CC et leurs trous par du carbure de silicium SiC en phase vapeur, au cours du traitement de CVD,

– de manière secondaire, lors d'événements survenus ensuite pendant le démontage du miroir de son support après le traitement de CVD (flexion du miroir à partir de sa platine inférieure, casse des vis, dessoudure des platines), durant l'ensemble du cycle lié au traitement de surface de CVD , que la SNECMA a organisé en totalité, sous son unique responsabilité en tant que professionnelle » (page 10 du rapport).

Ainsi, pour le technicien commis: " la cause principale et nécessaire de la fissuration est la déficience d'étanchéité mise en oeuvre par SNECMA sur les 24 vis de sorte qu'elles ont été frettées, serrées et ont généré une sollicitation importante au sein du miroir. Si cette déficience de l'étanchéité n'avait pas eu lieu, il n'y aurait pas eu de fissuration car le blocage du miroir dans ces fixations n'aurait pas eu lieu et de ce fait il n'aurait pas subi de sollicitation" (page 19) et "la fissure résulte de l'unique intervention de la SNECMA" (page 27).

En conséquence, il résulte clairement des recherches de l'expert judiciaire commis, dont le sérieux, la compétence et l'impartialité ne sont pas discutées, et dont les conclusions ne sont pas contredites par le rapport d'un technicien, que c'est bien à l'occasion des prestations réalisées par SNECMA que le sinistre s'est produit, à savoir la fissuration du miroir le rendant impropre à sa destination.

C'est donc avec raison que THALES SESO recherche la responsabilité de son sous traitant qui a endommagé le miroir qu'il était chargé de traiter.

Par ailleurs, il résulte de l'examen des pièces produites que c'est après plusieurs propositions de SNECMA des 27.1.2006, 7.3.2006 et 20.3.2006, que le 23.3.2006, SESO a adressé à SNECMA PROPULSION SOLIDE sa "commande" se référant à ses "conditions générales d'achat notées au verso" (pièce 20 des appelants ), avec la mention " veuillez impérativement nous accuser réception de cette commande".

Dans ces conditions générales, la garantie faisait l'objet du § 7 (pièce 21 des appelants).

Par mél du 6.4.2006, faisant suite au bon de commande du 22.3.2006, SNECMA a certes accusé réception de la commande, mais a aussi et surtout formulé un certain nombre de "réserves" concernant les conditions générales d'achat de SESO et notamment indiqué que " § 7: la limite d'engagement de la part de SNECMA est à la hauteur du montant total du présent contrat " (pièce 16 des appelants).

Contrairement à ce qui est prétendu, cette phrase est dénuée de toute ambiguïté dans la mesure où elle se réfère au §7 des conditions générales SESO qui concernent précisément la garantie due par le co-contractant et sa responsabilité.

Il s'agit donc d'une clause limitative de responsabilité que l'assureur de SNECMA invoque pour faire valoir que la victime du sinistre ne peut obtenir une indemnisation supérieure à la somme de 72000€.

Les conditions générales de SESO n'ayant pas été portées à la connaissance de SNECMA avant la commande du 22.3.2006, n'ont pas fait l'objet d'une acceptation par le destinataire de la commande et ne sont donc pas entrées dans le champ contractuel.

L'accord n'a porté que sur la prestation à effectuer et son prix.

En conséquence, alors que SNECMA a manifesté clairement, de façon très détaillée et explicite les points qu'elle ne pouvait accepter, qu'après le mél de réserves du 6.4.2006, (pièce 16 des appelants), SESO ne justifie pas avoir élevé la moindre protestation et a entendu, au contraire, exécuter le contrat, notamment en procédant à la livraison du miroir, puis, après avoir été informée de l'existence d'un éclat, en donnant pour instruction de réaliser la prestation, il doit être considéré que par son attitude, SESO a accepté les réserves formulées, dont celle concernant la limitation de responsabilité de son sous-traitant.

Alors que cette clause limitative de responsabilité se réfère au coût de la prestation du sous-traitant, qu'elle n'est que l'application de la liberté contractuelle qui permet en vertu de l'article 1150 du code civil, dans sa version applicable au litige, de limiter le montant des dommages et intérêts, que l'existence d'un déséquilibre de l'économie du contrat n'est pas démontrée, que cette prestation s'inscrit dans le cadre plus général d'un contrat de recherche et technologie dont l'objet est de concevoir et réaliser un démonstrateur de grand miroir en carbure de silicium pour des applications d'observations spatiales, (page 4 précitée du rapport de l'expert), elle n'est pas dérisoire.

Et s'il est fait état d'une prétendue faute lourde ou dolosive qu'aurait commise le sous traitant, qui priverait son assureur de la possibilité de se prévaloir de cette clause, il ne ressort ni des recherches de l'expert, ni des différentes pièces produites, que SNECMA ait pu commettre une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant son inaptitude à accomplir sa mission contractuelle.

Il doit d'ailleurs être rappelé que la faute lourde ne se confond pas avec le simple manquement à une obligation essentielle du contrat.

Compte tenu des recherches expertales, des explications des parties et des différentes pièces produites, il est clairement établi que la fissuration du miroir est imputable aux seul comportement de SNECMA, qui doit donc être déclarée responsable des dommages subi par THALES SESO et condamnée à l'indemniser.

Le préjudice subi par THALES SESO est d'abord constitué par :
- la perte du miroir, "irréparable" selon l'expert, assuré pour une valeur H.T. de 440.000€, (soit 526.240€ T.T.C.), pour lequel la DGA formule auprès de SESO, après résiliation, une demande de "liquidation du marché" de 526240€ T.T.C.,(pièce 15 des appelants), alors que la compagnie GENERALI a déjà indemnisé SESO à hauteur de 352.000€, laissant donc à sa charge le montant d'une franchise de 88000€ ,
- le coût des travaux effectués par elle, soit, selon l'expert : 184.381,18€ (page 12 du rapport),
- le montant de l'acompte versé à la SNECMA, soit 14400€.

S'y ajoute notamment le préjudice correspondant au gain manqué et en premier lieu à la perte de marge prévisionnelle, fixée par l'expert à 46795,33€ (page 13 du rapport).

Cependant, alors que le total de ces seules sommes dépasse le plafond d'indemnisation de la clause limitative de responsabilité, l'indemnité due par l'assureur de SNECMA à THALES SESO doit être fixée à la somme de 72000€ , qui portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22.2.2011, la capitalisation s'opérant en application de l'article 1154 du code civil, dans sa version applicable au litige.

En conséquence, le jugement déféré doit ici être partiellement réformé.

Sur la condamnation à rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire:

Alors que l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de la décision, il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation à rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Succombant, la S.A. ALLIANZ IARD supportera les dépens de première instance et d'appel qui comprendront notamment le coût de l'expertise judiciaire.

Si, en première instance, l'équité commandait d'allouer à la S.A.S. THALES SESO une indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, qui, cependant ne doit être supportée que par la S.A. ALLIANZ IARD, il en est de même en appel et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 20000€.

Par contre, l'équité ne commande nullement d'allouer à la S.A. SAFRAN CERAMICS la moindre somme au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR :

Statuant publiquement,

Contradictoirement,

Après cassation partielle,

Et dans les limites du renvoi,

REFORME partiellement le jugement déféré en ce que les premiers juges ont :

– condamné in solidum la S.A. SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à payer à la S.A. SESO la somme de 429.228,96 € avec capitalisation des intérêts se décomposant comme suit :
** 88.000 € correspondant à la valeur du miroir (440.000 €) diminuée du remboursement effectué par la compagnie GENERALI IARD soit 352.000 € ;
** 252.779,25 €, montant des prestations réalisées par la S.A.SESO avant casse du miroir;
** 17.222,40 €, acompte payé par la S.A. SESO à la société SNECMA PROPULSION SOLIDE ;
** 46.795,33 € au titre de la perte de marge ;
** 22.957,10 € correspondant aux frais d'assistance à expertise ;
** 1.474,88 € au titre des frais d'expertise,

– condamné la SA SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à payer à la S.A. SESO 3750€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

– condamné la SA SNECMA PROPULSION SOLIDE et le GAN à supporter les dépens,
ET STATUANT A NOUVEAU,

DECLARE irrecevable la demande d'indemnisation de la société SESO, actuellement S.A.S. THALES SESO, formée contre son sous-traitant SNECMA PROPULSION SOLIDE, actuellement S.A. SAFRAN CERAMICS,

CONDAMNE la S.A ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE à payer à la S.A.S. THALES SESO, venant aux droits de la société SESO :

1o/ 72000€ avec intérêts au taux légal à compter du 22.2.2011 et capitalisation en application de l'article 1154 du code civil, dans sa version applicable au litige,

2o/ 3500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE, aux dépens qui comprendront le coût de l'expertise,

CONFIRME pour le surplus le jugement déféré,

Y AJOUTANT,

RAPPELLE que l'obligation de rembourser les sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de la réformation de la décision,

CONDAMNE la S.A ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE, à payer à la SAS THALES SESO, venant aux droits de la société SESO, 20000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes, notamment d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que le greffe communiquera à l'expert Didier D... une copie du présent arrêt,

CONDAMNE la S.A ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE, aux dépens d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : Ct0753
Numéro d'arrêt : 017
Date de la décision : 26/01/2017

Analyses

Est irrecevable la demande d'indemnisation formée à l'encontre du sous-traitant par le donneur d'ordre qui a souscrit à une clause de renonciation à tout recours. Toutefois, une telle clause ne l'empêche pas de solliciter la condamnation au paiement de dommages et intérêts, par voie d'action directe, de l'assureur du sous-traitant responsable d'un dommage. L'assureur ne pouvant être tenu au-delà des engagements de son assuré, le montant de l'indemnisation ne peut dépasser le plafond prévu par la clause limitative de responsabilité du sous-traitant opposable au donneur d'ordre qui, en exécutant le contrat, a accepté les réserves formulées à l'égard des conditions générales par le sous-traitant, dont celle concernant la limitation de responsabilité de celui-ci. La clause limitative de responsabilité qui se réfère au coût de la prestation du sous-traitant, qui n'est que l'application de la liberté contractuelle qui permet, en vertu de l'article 1150 du code civil dans sa version applicable au litige, de limiter le montant des dommages et intérêts, alors que l'existence d'un déséquilibre de l'économie du contrat n'est pas démontrée, que cette prestation s'inscrit dans le cadre plus général d'un contrat de recherche et technologie dont l'objet et de concevoir et réaliser un démonstrateur de grand miroir en carbure de silicium pour des applications d'observations spatiales, n'est pas dérisoire et est donc valide.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, 02 avril 2012


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2017-01-26;017 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award