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10/11/2016 | FRANCE | N°15/22633

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 10e chambre, 10 novembre 2016, 15/22633


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

10e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 10 NOVEMBRE 2016



N° 2016/ 412













Rôle N° 15/22633







[F] [E]





C/



[G] [M]

SA AXA FRANCE IARD

AGENT JUDICAIRE DE L'ETAT

Mutuelle MASFIP

CPAM DE L'HERAULT





















Grosse délivrée

le :

à :



Me Martine LELIEVRE-BOUCHARAT



Me P

ierre-yves IMPERATORE













Décision déférée à la Cour :



arrêt de Cour d'Appel de NIMES en date du 24 Avril 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03691 sur renvoi par un arrêt n°1125 F-D de la Cour de Cassation du 02 juillet 2015 enregistré sous le N°U-14-23.188, suite à différents recou...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 10 NOVEMBRE 2016

N° 2016/ 412

Rôle N° 15/22633

[F] [E]

C/

[G] [M]

SA AXA FRANCE IARD

AGENT JUDICAIRE DE L'ETAT

Mutuelle MASFIP

CPAM DE L'HERAULT

Grosse délivrée

le :

à :

Me Martine LELIEVRE-BOUCHARAT

Me Pierre-yves IMPERATORE

Décision déférée à la Cour :

arrêt de Cour d'Appel de NIMES en date du 24 Avril 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03691 sur renvoi par un arrêt n°1125 F-D de la Cour de Cassation du 02 juillet 2015 enregistré sous le N°U-14-23.188, suite à différents recours sur un jugement du tribunal de grande instance de CARCASSONNE en date du 12 janvier 2006 .

APPELANTE

Madame [F] [E]

née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Martine LELIEVRE-BOUCHARAT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [G] [M],

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Nathalie CENAC, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SA AXA FRANCE IARD,

dont le siège social est : [Adresse 3]

représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Nathalie CENAC, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

AGENT JUDICAIRE DE L'ETAT,

dont le siège social est : [Adresse 4]

non comparante

MASFIP

dont le siège social est : [Adresse 5]

non comparante

CPAM DE L'HERAULT,

dont le siège social est : [Adresse 6]

non comparante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Olivier GOURSAUD, Président , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier GOURSAUD, Président

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Madame Anne VELLA, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvaine MENGUY.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Novembre 2016

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Novembre 2016,

Signé par Monsieur Olivier GOURSAUD, Président et Madame Sylvaine MENGUY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 17 août 1995, Mme [F] [E] épouse [U] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule conduit par M. [G] [M] et assuré par la société AXA France.

Mme [E] a engagé une action en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Carcassonne afin de voir liquider son préjudice, action dirigée à l'encontre de M. [M] et de la société AXA France en présence de la CPAM de l'Hérault et de l'Agent Judiciaire de l'Etat.

Par jugement en date du 12 janvier 2006, le tribunal de grande instance de Carcassonne a :

- dit que M. [M] est entièrement et exclusivement responsable de la survenance de l'accident dont a été victime Mme [E] le 17 août 1995 et que M. [M] et la société AXA France doivent solidairement en assurer les conséquences dommageables,

- condamné en conséquence M. [M] et la société AXA France à payer les sommes suivantes :

- 150.000 € au titre du déficit fonctionnel permanent,

- 14.400 € pour la gêne dans la vie courante pendant la période d'incapacité,

- 2.400 € au titre des frais médicaux et para-médicaux restés à charge,

- 5.000 € au titre du préjudice professionnel de perte de chance,,

- 236.100 € au titre du préjudice professionnel de perte d'évolution statutaire d'indice,

- 240.000 € au titre du préjudice professionnel au titre de la retraite,

- 8.000 € au titre des souffrances endurées,

- 4.000 € au titre du préjudice esthétique,

- 10.000 € au titre du préjudice d'agrément,

- 4.130,93 € au titre du préjudice matériel,

dont à déduire les provisions versées, soit 24.849,19 €,

- dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter à compter du 21 septembre 2004 et ordonné la capitalisation par année entières des intérêts de retard qui s'y rapportent,

- condamné solidairement M. [G] [M] et la société Axa France à payer à Mme [E] une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement M. [G] [M] et la société Axa France à payer au profit de l'Agent Judiciaire du Trésor la somme totale de 155.093,77 € en remboursement du montant de ses débours servis à Mme [E] du fait de l'accident,

- dit que cette condamnation de 155.093,77 € produira intérêts de retard au taux légal à compter du 21 janvier 2005,

- dit que la créance de l'Agent Judiciaire du Trésor pourra s'imputer sur les postes de créance de Mme [E] soumis au recours des organismes sociaux à l'exception de la pension servie à cette dernière depuis sa mise à la retraite anticipée du 1er octobre 1998, s'agissant d'un avantage statutaire et non indemnitaire,

- condamné solidairement M. [G] [M] et la société Axa France à payer au profit de l'Agent Judiciaire du Trésor une indemnité de 760 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixé les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation soumis au recours de la CPAM de l'Hérault à la somme totale de 20.395,03 €,

- fixé le préjudice d'incapacité temporaire totale de travail du 17 septembre 1995 au 25 juin 1996 et d'incapacité temporaire partielle de travail à 60 % du 25 juin 1996 au 10 octobre 1998 soumis au recours de la CPAM de l'Hérault à la somme de 40.712,01 €,

- dit n'y avoir lieu à réserver les droits de Mme [E] pour la période postérieure en cas d'aggravation de son préjudice,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit que M. [G] [M] et la société Axa France devront supporter solidairement les entiers dépens de l'instance et ordonné en tant que de besoin l'application de l'article 699 du code de procédure civile.

M. [M] et la société AXA France ont relevé appel de cette décision.

Par deux arrêts en date des 11 septembre 2006 et 22 mai 2007, la cour d'appel de Montpellier a statué sur la liquidation du préjudice de Mme [E] et de l'Agent Judiciaire de l'Etat.

Par un arrêt en date du 12 février 2009, la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi diligenté par Mme [E], a cassé ces deux arrêts.

Sur renvoi de cassation, la cour d'appel de Montpellier autrement composée a suivant arrêt du 5 avril 2011 de nouveau statué sur la liquidation du préjudice de Mme [E].

La société AXA France a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt et par un arrêt en date du 28 juin 2012, la Cour de cassation a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum la société AXA France et M. [M] à payer à Mme [E] au titre des préjudices patrimoniaux après consolidation les sommes de 44.357,91 € au titre des frais de santé restant à charge après consolidation, 50.000 € au titre des frais de tierce personne arrêtés à fin 2009, 90.444,98 € au titre de la pension d'invalidité servie, 200.685 € au titre de la perte d'évolution statutaire à grade égal, 156.937 € au titre de l'incidence sur la retraite et 10.000 € au titre de la perte de chance d'évolution de carrière et dit que l'Agent Judiciaire de l'Etat pourra exercer son recours à hauteur de la pension d'invalidité servie de 90.444,98 € par imputation sur les pertes patrimoniales permanentes.

L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Nimes.

Par un arrêt en date du 24 avril 2014, la cour d'appel de Nimes a :

réformant partiellement le jugement déféré,

- fixé comme suit l'indemnisation du préjudice patrimonial permanent subi par Mme [E] à la suite de l'accident du 17 septembre 1995 :

- frais de santé à charge après consolidation : 45.294,51 €

- tierce personne permanente viagère 40 heures par mois :190.919,20 €

- perte d'évolution indiciaire après déduction de la pension

d'invalidité servie par l'Etat :140.534,10 €

- incidence sur retraite :156.937,20 €

- perte de chance d'évolution de carrière : 10.000,00 €

- condamné M. [M] et la société AXA France in solidum à payer ces sommes à Mme [E] sous déduction des provisions et des sommes déjà réglées au titre de l'exécution provisoire,

- confirmé la condamnation in solidum de M. [M] et de la société Axa France à payer à l'Agent Judiciaire de l'Etat la somme de 90.944,98 € au titre de la pension d'invalidité outre les sommes de 45.118,99 € au titre des traitements maintenus et de 19.529,80 € au titre des charges patronales outre intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2005 et celle au titre des frais irrépétibles,

- déclaré l'arrêt opposable à la CPAM de l'Hérault,

- condamné les mêmes sous la même solidarité aux dépens et à payer à Mme [E] une somme complémentaire de 3.000 € et à l'Agent Judiciaire de l'Etat celle complémentaire de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F] [E] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision.

Par un arrêt en date du 2 juillet 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nimes le 24 avril 2014 mais seulement en ce qu'il a fixé la perte d'évolution indiciaire après déduction de la pension d'invalidité servie par l'Etat à 140.534,10 € et condamné in solidum M. [M] et la société Axa France à payer cette somme à Mme [E] et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Aix en Provence.

Cette décision au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime a reproché à la cour d'appel de Nimes d'avoir dans la fixation du préjudice professionnel de Mme [E] déduit de sa perte de gains d'une part, les pensions de retraite perçues du mois d'octobre 1998 au mois d'avril 2006 puis à partir du mois d'avril 2006 et d'autre part, la pension d'invalidité versée par l'Etat du mois d'octobre 1998 au mois d'avril 2006 alors qu'en réalité pour cette période d'octobre 1998 à avril 2006, Mme [E] avait en fait uniquement reçu de l'Etat une pension rémunérant les service rendus de sorte que la cour d'appel avait déduit deux fois la même prestation, qualifiée alternativement de pension de retraite et de pension d'invalidité.

Par déclaration en date du 24 décembre 2015, Mme [E] a saisi la cour d'appel d'Aix en Provence.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 août 2016, Mme [F] [E] divorcée [U] demande à la cour de :

à titre principal,

- constater que la cassation est partielle et limitée à la double imputation de la même prestation, une fois nommée 'pension de retraite', perçue à compter du mois d'octobre 1998 jusqu'au mois d'avril 2006, évaluée à la somme de 106.771,50 €, puis une seconde fois nommée 'pension d'invalidité versée par l'Etat' et présentée dans la créance de l'Agent Judiciaire de l'Etat pour un montant de 90.444,98 €, la différence de montant s'expliquant par la date et l'euro de capitalisation retenus par l'Agent judiciaire de l'Etat,

à titre subsidiaire,

- constater que l'aveu judiciaire de la société AXA France et de M. [M] ne leur permet pas de discuter le montant de la perte indiciaire de carrière tant au regard du salaire de référence qu'au regard de la date théorique de la retraite retenue,

en tout état de cause,

- rejeter les écritures de M. [M] et la société AXA France tendant à réévaluer le montant de la perte indiciaire de carrière tant au regard du salaire de référence qu'au regard de la date théorique de la retraite retenue,

- rejeter la demande d'expertise comptable,

- réformer la décision du tribunal de grande instance de Carcassonne du 12 janvier 2006 en ce qu'elle a fixé le préjudice professionnel de perte d'évolution statutaire indiciaire à un montant de 236.100 €,

- condamner in solidum la société AXA France et M. [M] à lui verser une somme de 337.750,58 € (416.076,82 - 8.326,24), dont il convient de déduire le montant du recours subrogatoire de l'Agent judiciaire de l'Etat de 90.444,98 €, ainsi que le montant versé en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes, de 140.534,10 €, soit un montant lui revenant de 106.771,50 €, correspondant au montant de la retraite perçue à compter du mois d'octobre 1998 jusqu'au mois d'avril 2006, et soustrait à tort, comme en a décidé la Cour de cassation,

- condamner solidairement la société AXA France et M. [M] à verser la somme de 10.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger que dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes par lui retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080, devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger que les sommes allouées en principal seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, et que les intérêts seront capitalisés par année entière à compter de cette même date, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil,

- condamner in solidum la société AXA France et M. [M] aux dépens distraits au profit de Maître Elsa Valenza, sur son affirmation de droit.

Mme [E] soutient sur l'étendue de la cassation que la cour n'est saisie que de la rectification de la double soustraction versée par l'Etat et que la société Axa France n'est pas fondée à réviser l'intégralité des données permettant le calcul de l'indemnisation de la perte d'évolution indiciaire, et fait valoir notamment que :

- la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation et qu'en l'espèce, seule la double soustraction de la pension qualifiée alternativement de pension de retraite et de pension d'invalidité a été censurée par la Cour de cassation,

- le mode de calcul du gain n'a pas fait l'objet du pourvoi et la référence prise à un salaire net ou un salaire brut ne peut plus être en débats devant la cour de renvoi,

- de même, ne peut plus être discuté l'âge théorique de départ à la retraite puisque cette demande tend en réalité à redéfinir le poste d'indemnisation du préjudice d'incidence sur la retraite sur lequel la cour d'appel de Nimes a aujourd'hui autorité de chose jugée,

- l'arrêt de cette cour du 24 avril 2014 a en effet fixé à 156.937,20 € l'indemnisation de cette incidence sur la retraite en prenant comme point de départ une retraite prise à 65 ans,

- c'est d'ailleurs pour cette raison que la Cour de cassation a mis l'Agent Judiciaire de l'Etat hors de cause, celui-ci ayant été rempli de ses droits.

Mme [E] expose par ailleurs les éléments du poste de préjudice de perte d'évolution indiciaire tels qu'elles les avait présentés à la cour d'appel de Nimes et soutient que dans ses écritures devant la cour de Nimes, la société Axa France ne contestait pas l'évaluation de la rémunération qu'elle aurait du percevoir (416.076,82 €) ce qui vaut aveu judiciaire, et qu'elle ne peut se prévaloir d'une erreur puisqu'elle avait une parfaite connaissance des éléments permettant d'aboutir à ce chiffre.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 5 septembre 2016, la société AXA France et M. [M] demandent à la cour de :

- débouter Mme [E] de son appel,

- accueillir leur appel,

- dire et juger que la réparation des perte de gains futurs de la victime doit être appréciée en fonction des revenus nets qui auraient été perçus,

- dire et juger que la poursuite d'activités de la victime au delà du 22 mars 2006, date de ses 60 ans et de son accession normale à la retraite n'est pas certaine et que seule une perte de chance de perception de gains d'activités au delà de cette date est indemnisable,

en conséquence,

- fixer à la somme de 140.056,55 € l'indemnité réparant les perte de gains futurs de la victime ou préjudice d'évolution statutaire indiciaire, après imputation de la créance de l'Agent Judiciaire de l'Etat,

- prononcer une condamnation en deniers ou quittances ou, à défaut, en déduire la somme de 140.534,10 € réglée à ce titre en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Nimes du 14 avril 2014,

- débouter Mme [E] du surplus de ses demandes,

subsidiairement,

- désigner tel expert comptable qu'il plaira avec mission de déterminer la perte théorique de gains nette de la victime d'octobre 1998 à avril 2011,

- réduire l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'application éventuelle de l'article 10 du décret du 8 mars 2011,

- statuer ce que de droit sur les dépens, ceux d'appel distraits au profit de la selarl Lex avoué, Aix en Provence, avocats associés aux offres de droit.

La société Axa France et M. [M] font valoir que :

- si la Cour de cassation a sanctionné à juste titre l'arrêt de la cour d'appel de Nimes pour avoir déduit deux fois les sommes perçues au titre de la pension prématurée, l'indemnisation de la victime n'est pas conforme au principe de la réparation intégrale,

- en effet, le calcul de la perte théorique de gains est basé sur des traitements bruts alors que les perte de gains futures s'apprécient en fonction des revenus nets,

- par ailleurs, il n'est pas démontré qu'en l'absence d'accident, Mme [E] ait poursuivi son activité jusqu'à l'âge de 65 ans et son préjudice doit être évalué sur la base de 85 % du montant global de la perte de revenus revendiquée,

- l'indemnité susceptible d'être mise à sa charge peut donc être fixée à 140.056,55 €,

- elle avait émis des contestations devant la cour d'appel de Nimes, notamment sur la prise en compte d'une réfaction forfaitaire dans le cadre d'une indemnisation de perte de chance et en l'absence d'offre de paiement ou de reconnaissance de dette, il ne peut être invoqué l'existence d'un aveu judiciaire.

Par exploits d'huissier en date des 16 et 19 février 2016, Mme [E] a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à l'Etat Français représenté par l'Agent Judiciaire de l'Etat, à la mutuelle des agents des impôts et à la CPAM de l'Hérault.

Par exploits d'huissier en date des 23, 24 et 26 août 2016, Mme [E] a fait signifier ses dernières conclusions à l'Etat Français représenté par l'Agent Judiciaire de l'Etat, à la mutuelle des agents des impôts et à la CPAM de l'Hérault.

L'Etat Français, la mutuelle des agents des impôts et à la CPAM de l'Hérault n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 septembre 2016 et l'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 28 septembre 2016.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur l'étendue de la cassation :

Il ressort des dispositions des articles 624, 631, 632 et 633 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quelque soit le moyen qui a déterminé la cassation et que par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de droit ou de fait ayant justifié la décision annulée ne subsiste de sorte que les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens devant la cour de renvoi.

L'article 624 du code de procédure civile dans sa nouvelle rédaction résultant du décret du 6 novembre 2014 dispose d'ailleurs que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.

En l'espèce, l'arrêt de la Cour de cassation en ce qu'il a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nimes le 24 avril 2014 mais seulement en ce qu'il a fixé la perte d'évolution indiciaire après déduction de la pension d'invalidité servie par l'Etat à 140.534,10 € et condamné in solidum M. [M] et la société Axa France à payer cette somme à Mme [E], atteint la disposition de l'arrêt de la cour d'appel de Nimes qui a statué sur l'évaluation de cette perte d'évolution indiciaire et a prononcé condamnation à ce titre, et non pas seulement le fait que la juridiction ait dans son calcul déduit deux fois la même prestation.

La cour de ce siège est donc saisie à nouveau de l'appréciation entière de ce chef de préjudice et il n'est pas interdit à M. [M] et à son assureur de soulever de nouveaux moyens qui n'auraient pas été soulevés devant la cour d'appel de Nimes.

- sur l'évaluation du poste de préjudice perte de gains professionnels futurs :

Mme [E] sollicite l'indemnisation d'une perte d'évolution indiciaire subie du fait de l'accident.

Elle exerçait la profession de contrôleur des impôt et n'a jamais repris son travail après l'accident.

Elle a bénéficié le 1er octobre 1998 d'une retraite anticipée et l'Etat lui a versé une pension civile d'invalidité dite 'pension prématurée' jusqu'au 22 mars 2006, date normale de son accession à la retraite.

Elle a sollicité notamment l'indemnisation d'un préjudice professionnel de perte d'évolution statutaire d'indice en faisant valoir qu'en l'absence d'accident, elle aurait travaillé jusqu'en mars 2011, date de ses 65 ans.

Mme [E] soutient au préalable que M. [M] et la société AXA France n'auraient pas contesté son mode de calcul devant la cour d'appel de Nimes ce qui vaudrait aveu judiciaire et leur interdirait d'opposer une nouvelle contestation.

Toutefois, l'examen des conclusions respectives de Mme [E], d'une part, et de M. [M] et la société AXA France, d'autre part, devant la cour d'appel de Nimes permet de constater qu'il n'y avait aucune reconnaissance de la part de ces dernières du droit de Mme [E] à être indemnisée de ce poste de préjudice à hauteur des sommes qu'elle réclamait.

Mme [E] sollicitait en effet l'allocation d'une somme de 337.750,58 €, avant déduction du recours subrogatoire de l'Etat, alors que M. [M] et la société AXA France proposaient d'indemniser ce poste de préjudice par l'allocation d'une somme de 200.685 €, ce montant incluant la prise en compte d'une indemnisation au titre d'une perte de chance.

Il n'y a donc pas aveu judiciaire, au sens de l'article 1356 du code civil, portant sur le droit de Mme [E] à être indemnisée à hauteur de ce qu'elle réclame peu important que l'assureur n'ait pas spécifiquement discuté devant la cour d'appel de Nimes le fait que la demande incluait un calcul de revenus bruts.

Il ressort d'un document produit par Mme [E] intitulé 'déroulement de carrière fictive de Mme [F] [U]-[E] établi sur des bases théoriques moyennes du 1er octobre 1998, date de sa mise à la retraite d'office, jusqu'à son départ à la retraite en 2011" que le total des salaires ou traitement que Mme [E] aurait perçu pendant cette période se serait élevé à 416.076,82 €.

Ce calcul qui n'est pas quant à lui spécifiquement discuté par M. [M] et son assureur, lesquels le tiennent au contraire pour exact, mérite de servir de base de calcul à l'évaluation du perte de gains professionnels futurs subi par Mme [E].

Il s'agit toutefois d'un traitement en brut alors que le calcul du poste de préjudice perte de gains professionnels futurs ne peut se faire qu'à partir d'un revenu salarial net.

Le calcul du revenu net de Mme [E] peut s'établir à 15 % de son revenu brut soit 353.665,30€.

Il convient de déduire de ce montant celui de la retraite effectivement perçue entre avril 2006 et mars 2011, soit 78.326,24 €, ramenant ainsi la perte de gains subi par Mme [E] à 275.339,06€.

En réalité, il ne peut être tenu pour acquis, ainsi que l'a retenu le premier juge, que de façon certaine, si l'accident s'était produit, Mme [E] aurait travaillé jusqu'à l'âge de 65 ans et ce alors même que l'âge moyen du départ à la retraite des fonctionnaires était en 2011 légèrement inférieur à 60 ans.

L'indemnisation de cette perte de revenus ne peut être appréciée qu'en considération d'une perte de chance et à cet égard, l'offre de M. [M] et de la société AXA France d'indemniser ce poste de préjudice sur une base de 85 % apparaît raisonnable et mérite d'être retenue par la cour, le jugement étant réformé de ce chef.

Après application de ce pourcentage, le préjudice de Mme [E] de perte de revenus résultant d'une perte d'évolution indiciaire peut donc être fixé à 275.339,06 € x 85 % soit 234.038,20 €.

Sur ce montant s'impute la créance de l'Agent Judiciaire de l'Etat au titre d'une pension d'invalidité, soit 90.444,98 € de sorte qu'il revient à la victime de ce chef la somme de 143.593,22€.

Il convient ainsi de condamner M. [M] et la société AXA France in solidum à payer à Mme [E] la somme de 143.593,22 €, cette condamnation étant prononcée en deniers ou quittances pour tenir compte des sommes qui auraient été versées au titre de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Nimes du 24 avril 2014.

Dés lors que Mme [E] n'a pas sollicité la réactualisation de sa perte de revenus ce qu'elle aurait été en droit de faire eu égard à la date à laquelle sa perte de revenus a été calculée, il convient, conformément à sa demande sur ce point et à titre d'indemnisation complémentaire, de dire que cette somme portera outre intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2004, date des conclusions devant le tribunal de grande instance de Carcassonne.

Conformément à la demande et en application de l'article 1154 du code civil, il convient de dire aussi que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.

La demande de Mme [E] tendant à dire que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application du tarif des huissiers sera supporté intégralement par le débiteur n'étant motivée ni en fait ni en droit, il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions du décret du 12 décembre 1996 sur le tarif des huissiers de justice.

L'équité commande en l'espèce de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [E] et il convient de lui allouer à titre complémentaire la somme de 1.500€.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2015,

Vidant le renvoi,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Carcassonne en ce qu'il a fixé à 236.100€ le poste de préjudice subi par Mme [E] en suite de l'accident dont elle a été victime le 17 août 1995,

Statuant de nouveau,

Fixe le préjudice professionnel de perte d'évolution statutaire indiciaire subi par Mme [E] à la somme de 234.038,20 €,

Après imputation de la créance de l'Agent Judiciaire de l'Etat au titre d'une pension d'invalidité, condamne M. [G] [M] et la société AXA France in solidum à payer en deniers ou quittances à Mme [F] [E] divorcée [U] la somme de CENT QUARANTE TROIS MILLE CINQ CENT QUATRE VINGT TREIZE EUROS VINGT DEUX (143.593,22 €) outre intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2004.

Dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.

Condamne M. [G] [M] et la société AXA France in solidum à payer à Mme [F] [E] divorcée [U] la somme complémentaire de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500€) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute Mme [E] du surplus de ses demandes.

Condamne M. [G] [M] et la société AXA France in solidum aux dépens qui comprendront ceux de l'arrêt cassé et accorde à Maître Elsa Valenza, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 10e chambre
Numéro d'arrêt : 15/22633
Date de la décision : 10/11/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°15/22633 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-11-10;15.22633 ?
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