COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 10 NOVEMBRE 2016
No 2016/ 681
Rôle No 14/ 19384
Vincent X...
C/
SAS AYME ET FILS
Grosse délivrée
le :
à : MOATTI
GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 02 Octobre 2014 enregistré au répertoire général sous le no 2014L00229.
APPELANT
Maître Vincent X... es qualité de mandataire liquidateur de la sarl trucks garage 13, demeurant ...-13001 MARSEILLE
représenté par Me Michel MOATTI, avocat au barreau de MARSEILLE et assisté de Me Vincent CARADEC, avocat au barreau de MARSEILLE substituant me MOATTI, avocat
INTIMEE
La société Ayme et Fils sas, poursuites et diligences de son représentant légal, dont le siège est sis 216, Avenue du Pont des Fontaines-84200 CARPENTRAS
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
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COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Octobre 2016 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Dominique PONSOT, Président
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller
Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Novembre 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Novembre 2016,
Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 2 octobre 2014 ayant, notamment :
- débouté Me Vincent X... ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Trucks Garage 13 de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- dit les dépens en frais privilégiés de la procédure collective ;
Vu la déclaration du 7 octobre 2010, par laquelle Me Vincent X... a relevé appel de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2014, aux termes desquelles Me Vincent X... demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Statuant à nouveau
-condamner la société Aymé et Fils à lui payer, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Trucks Garage 13, la somme de 195. 952, 75 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société Aymé et Fils à lui payer ès qualités la somme de 5. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 30 janvier 2015, aux termes desquelles la SAS Aymé et Fils demande à la cour de :
- dire et juger Me X... irrecevable et mal fondé en son action,
- dire et juger que l'offre de reprise de la société Aymé et FilsS était conditionnelle et conditionnée,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter Me X... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à lui payer la somme de 1. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction ;
SUR CE, LA COUR,
Attendu que le 31 janvier 2013, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Trucks Garage 13 ; que Me Y...a été désigné comme administrateur et Me X... en qualité de mandataire judiciaire ;
Que la SARL Trucks Garage avait été constituée en 2007 en vue de reprendre le fonds de commerce d'une ancienne entreprise, acquis au prix de 500. 000 euros moyennant 2 prêts bancaires d'égal montant, l'un consenti par la Banque Populaire Côte d'Azur, l'autre par le Crédit du Nord ;
Que la présentation d'un plan de continuation s'avérant compromise, l'administrateur a lancé un appel d'offres de reprise, auquel seule la société Aymé et Fils a répondu ;
Que l'offre de cession précisait que le fonds était grevé de 2 nantissements au profit des 2 banques ayant financé son acquisition, en l'occurrence la Banque Populaire et le Crédit du Nord ; qu'elle précisait qu'en application de l'article L 642-12 du code de commerce, le repreneur devrait se voir transférer :
- la charge des sûretés mobilières et immobilières spéciales garantissant le remboursement des deux emprunts, en l'occurrence un nantissement de premier rang sur le fonds de commerce
-la charge des deux dettes garanties pour le montant en principal non échu à la date du transfert de propriété, dont le capital restant dû au 1er décembre 2013 s'élevait à 30. 771, 15 euros pour le premier prêt et à 27. 557, 18 pour le second prêt, soit un total de 58. 328, 33 euros ;
Que l'offre de reprise présentée par la société Aymé et Fils pour un montant de 20. 000 euros, après avoir rappelé le transfert au repreneur du montant en principal non échu de ces prêts et celui des nantissement garantissant leur remboursement, était libellée dans les termes suivants :
Dès lors, le repreneur entend expressément conditionner sa présente offre de reprise à l'obtention préalablement à l'audience du tribunal de commerce devant statuer sur le plan de cession d'un accord écrit des deux banques concernées, à savoir la Banque Populaire Côte d'Azur et le Crédit du nord, convenant :
- Du solde, par le repreneur au jour du transfert de propriété, du montant non échu en principal de leur créance respective à ladite date ;
- Et de la mainlevée du nantissement du fonds de commerce dont s'agit et par là-même de l'absence de transmission de la sûreté garantissant le remboursement de leur créance respective, les deux créanciers devant faire leur affaire personnelle, sans recours contre le repreneur, du non-paiement éventuel de la partie échue de leur créance respective.
Que le 23 octobre 2013, le dirigeant de la société Aymé et Fils s'est présenté à l'audience au cours de laquelle devait être examinée son offre de reprise, porteur d'un chèque de 20. 000 euros ;
Que par jugement du 30 octobre 2013, le tribunal a constaté que la société Aymé et Fils indiquait ne plus vouloir maintenir son offre, au motif que les banques l'auraient avisée que le solde de l'emprunt à échoir ainsi que des arriérés resteraient à sa charge après la reprise ;
Qu'estimant que la société Aymé et Fils avait retiré son offre en violation de l'article L 642-2 du code de commerce, Me X..., ès qualités, a fait assigner la société Aymé et Fils devant le tribunal de commerce de Marseille en responsabilité pour retrait abusif d'une offre de reprise, demandant196. 085, 53 euros à titre de dommages-intérêts ;
Qu'il en a été débouté par le jugement entrepris, qui a considéré que l'offre était conditionnelle, ce qui est possible au regard des textes, et que la condition n'avait pas été levée ;
Attendu que Me X..., appelant, demande la condamnation de la société Aymé et Fils à lui payer la somme de 196. 085, 53 euros, correspondant au montant dont les créanciers de la liquidation ont été privés ;
Qu'il soutient que l'offre était ferme et irrévocable ; qu'il observe tout d'abord que la première condition énoncée par l'offre de reprise n'en était pas une, le montant non échu des deux prêts étant mentionné dans l'offre de cession, et Me Y...ayant, de surcroît, confirmé ces montants avant l'audience ;
Qu'en ce qui concerne la seconde condition de l'offre de reprise, elle se subdivisait elle-même en deux sous-conditions, dont la dernière, prévoyant que les créanciers fassent leur affaire personnelle de la partie non échue des prêts n'en était pas une, puisqu'il résulte des dispositions de l'article L 642-12, alinéa 4, du code de commerce, que seule la partie à échoir et non la partie échue des créances transmises peut être mise à la charge du repreneur ;
Qu'en ce qui concerne l'autre sous-condition, Me X... considère qu'il était impossible que les créanciers donnent un accord de mainlevée avant l'audience, faute de paiement, mais que cette mainlevée aurait été de droit après paiement ; que selon l'article R 642-10 du code de commerce, en effet, dès paiement du prix de cession et des échéances à échoir à la date du transfert de propriété, la radiation des inscriptions grevant le fonds de commerce est de droit, sans formalité de purge ; qu'ainsi, cette seconde sous-condition était elle-même inexistante ;
Qu'en réponse la société Aymé et Fils soutient que son offre était conditionnée à la signature d'un accord avec les banques concernant la mainlevée des nantissements, et, par conséquent, à l'absence de transmission des sûretés ; que la condition de son offre n'ayant pas été remplie, faute d'accord des banques, son offre de reprise était caduque ; qu'elle indique avoir informé Me Y...les 15 et 16 octobre 2013 du défaut de réponse ou d'accord des banques, et s'étonne que le rapport établi par Me Y...le 20 octobre 2013 ne faisait pas mention de cette condition suspensive ;
Que la société Aymé et Fils, fait état des échanges qu'elle a eus avec Me Y...et Me X... à ce sujet, qui, selon elle, n'ont pas pris la mesure de la condition suspensive à laquelle elle avait soumis son offre, en l'assimilant à une simple redite de l'article L 642-12 du code de commerce ; qu'il note que le rapport établi par Me X..., mentionne l'existence d'une condition ;
Que la société Aymé et Fils rappelle que le principe posé par l'article L 642-12 est que le paiement du prix de cession fait obstacle à l'exercice, par le cessionnaire, des droits des créancier inscrits sur les biens cédé, mais qu'en revanche, son alinéa 4 prévoit que le transfert de la charge des créances qui restent due à compte du transfert de propriété et le transfert des sûretés, les parties pouvant néanmoins déroger à cet alinéa ;
Que l'objet de la condition contenue dans son offre était précisément d'obtenir des banques un accord dérogatoire à la transmission des sûretés, en échange du solde des deux prêts ; qu'un tel accord est parfaitement possible et a été consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation ; que la société Aymé et Fils fait valoir qu'elle s'emploie à ce qu'aucun des fonds de commerce qu'elle détient ne soit grevé de nantissement, et ce, afin de conserver les meilleures cotations bancaires ; que tel était l'objectif du remboursement immédiat des prêts en échange de la mainlevée des nantissements ;
Attendu qu'il résulte de l'article L 642-12, alinéa 4, du code de commerce que, par exception à la règle selon laquelle les créanciers sont remplis de leurs droits par le paiement de la quote-part du prix de cession qui leur est affectée, la charge des échéances à échoir d'une créance cédée dans le cadre d'un plan de cession est transmise au repreneur, ainsi que les sûretés en garantissant le paiement, prises sur les biens transmis ; que, toutefois, il peut être dérogé par accord entre le cessionnaire et les créanciers inscrits au principe de la transmission au cessionnaire de la charge de ces sûretés ;
Attendu qu'il ressort des éléments produits aux débats qu'en application de ce texte, la société Aymé et Fils a entendu obtenir des banquiers titulaires de nantissements grevant le fonds de commerce objet de l'offre de cession un accord à la mainlevée des nantissements, en échange de leur désintéressement concernant la part non échue des créances cédées ;
Que, contrairement à ce que soutient Me X..., le remboursement anticipé des prêts n'était pas un dû, mais était subordonné au consentement des banques prêteuses, compte tenu, en particulier, des conditions susceptibles de l'affecter selon les stipulations des contrats de prêt, auxquels il n'est pas discuté que la société Aymé et Fils n'a pas eu accès ;
Attendu que s'il est incontestable que, en ce qu'elle énonçait les créanciers devant faire leur affaire personnelle, sans recours contre le repreneur, du non-paiement éventuel de la partie échue de leur créance respective, la condition affectant l'offre de reprise de la société Aymé et Fils était redondante tant avec le mécanisme d'ordre public de la cession d'entreprise qu'avec l'offre de cession elle-même, en revanche, en ce qu'elle prévoyait l'accord préalable des créanciers nantis à la mainlevée de leur nantissement en contrepartie du solde des créances à échoir, la condition faisait bien dépendre l'offre de reprise d'un événement futur et incertain, poursuivant par ailleurs un objectif légitime ;
Qu'il sera précisé que l'appel d'offres a été publié le 2 août 2013 fixant au 20 septembre 2013 la date limite de réception des offres de reprise ; qu'il n'est pas contesté qu'un tel délai permettait difficilement à la société Aymé et Fils de collecter les éléments d'information nécessaires à l'élaboration de son offre et d'obtenir dans le même temps l'accord des banques à la mainlevée de leur nantissement ; que par suite, la société Aymé et Fils n'avait d'autre possibilité que de soumettre une offre de reprise soumise à la condition d'un accord préalable à la mainlevée, par les banques prêteuses, de leur nantissement ; que la société Aymé et Fils justifie avoir, le 3 octobre 2013, soumis à Me Y...un projet de lettre à adresser aux banques, en vue de solliciter leur accord à la mainlevée des nantissement ; que ces lettres ont été adressées le 8 octobre suivant ; que seul le Crédit du Nord y a, le 15 octobre 2013, répondu, en faisant toutefois état d'une créance de 60. 795, 96 euros, alors que le montant non échu au 1er décembre 2013 s'élevait à 27. 557, 18 euros, selon l'offre de cession publiée ;
Attendu que dans le contexte précédemment rappelé, la soumission d'une offre de reprise soumise à la condition suspensive d'un accord préalable des banques prêteuses à la mainlevée des nantissement en contrepartie du règlement immédiat de la créance à échoir en capital, accord entrant dans les prévisions de l'alinéa 4 de l'article L 624-12 susvisé du code de commerce, apparaît licite ; que cet accord n'ayant pas été obtenu, l'offre s'est trouvée caduque, et c'est sans méconnaître les prescriptions de l'article L 642-2 V que la société Aymé et Fils s'en est trouvée libérée ;
Qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Me X... de sa demande ;
Attendu que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 octobre 2014 par le tribunal de commerce de Marseille ;
REJETTE toute autre demande des parties, et notamment celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT