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09/09/2016 | FRANCE | N°15/09216

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 09 septembre 2016, 15/09216


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 09 SEPTEMBRE 2016



N° 2016/1445





Rôle N° 15/09216





[D] [M]



C/



[Q] [C]

[Z] [J]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DE MANUTENTION DU PORT DE MARSEILLE

GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE (GPMM)

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (BCMO)

CGEA AGS DE MARSEILLE - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST



Grosse délivrée

le : 14 septembre 2016

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Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE



GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE (G...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 09 SEPTEMBRE 2016

N° 2016/1445

Rôle N° 15/09216

[D] [M]

C/

[Q] [C]

[Z] [J]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DE MANUTENTION DU PORT DE MARSEILLE

GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE (GPMM)

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (BCMO)

CGEA AGS DE MARSEILLE - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST

Grosse délivrée

le : 14 septembre 2016

à :

Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE (GPMM)

Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

14 septembre 2016

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 23 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 11/2191.

APPELANT

Monsieur [D] [M], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Lugdivine SANCHEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Maître [Q] [C], mandataire liquidateur de la Société SOMOTRANS, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Perrine MARGUET, avocat au barreau de MARSEILLE

Maître [Z] [J], mandataire liquidateur de la Société UPA, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DE MANUTENTION DU PORT DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE

GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE (GPMM), demeurant [Adresse 5]

non comparant, non représenté

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (BCMO), demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE INTERVENANTE

CGEA AGS DE MARSEILLE - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST, demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE,

représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 27 Mai 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Mme Marina ALBERTI, Conseiller

Monsieur Yann CATTIN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2016.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2016.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

M. [D] [M] expose avoir travaillé en qualité de docker professionnel intermittent pour le compte de diverses entreprises de manutention sur le port de Marseille du 16 février 1967 au 22 décembre 1987.

Le 3 mai 2011, il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de réparation de divers préjudices résultant selon lui de son exposition à l'amiante à l'encontre :

- du Grand Port autonome de Marseille (ci-après Gpmm),

- de la Caisse de compensation des congés payés (ci-après Cccp),

- de la Société Moderne de Transbordement (ci-après Somotrans), représentée par M. [C], désigné mandataire ad hoc, 'liquidateur sociétaire' par décision de l'assemblée générale du 14 décembre 2007,

- de l'Union Phocéenne d'Acconage (ci-après Upa), représentée par M. [J], mandataire liquidateur désigné par jugement de liquidation judiciaire du 20 novembre 2000,

- du Cgea de Marseille.

M. [C], ès qualités, a fait convoquer, en intervention forcée, le Bureau central de la main d'oeuvre (ci-après Bcmo).

Par jugement de départage en date du 23 avril 2015, le conseil de prud'hommes de Marseille, après avoir rejeté les exceptions d'incompétence et mis hors de cause le Gpmm, le Bcmo, la Cccp, a :

- constaté que le requérant ne démontre pas l'existence d'une relation de travail avec les sociétés défenderesses,

- déclaré ses demandes irrecevables,

- dit le jugement commun et opposable à l'Ags-Cgea, M. [J] et M. [C] en leur qualité,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

et condamné le demandeur aux dépens.

M. [D] [M] a interjeté appel de cette décision le 19 mai 2015.

Prétentions et moyens des parties

M. [D] [M] a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :

- lui donner acte de son désistement à l'encontre du Bcmo, de la Cccp et du Gpmm,

sur le fond

vu l'article 11 du code de procédure civile,

avant dire droit, en tant que de besoin,

- ordonner aux sociétés défenderesses la production de leurs DADS entre 1977 et 1993,

infirmant le jugement déféré,

- constater qu'il a été employé par les sociétés Somotrans et Upa, qu'elles n'ont pas respecté les dispositions du décret n° 77-949 du 17 août 1977 et qu'elles l'ont exposé aux poussières d'amiante sans protection,

- les déclarer solidairement responsables des préjudices subis,

- fixer au passif des sociétés Somotrans et Upa la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de leur obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat de travail, celle de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, outre celle de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au Cgea,

Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de Marseille-Fos, pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du 16 février 1967 au 22 décembre 1987, et que dans l'exercice de cette activité, il a été amené à décharger de l'amiante, principalement sous forme de sacs et a ainsi été exposé à l'inhalation des poussières d'amiante, n'ayant jamais bénéficié de protections individuelles ; que ce port est d'ailleurs inscrit sur la liste des ports 'amiante' permettant aux dockers de bénéficier de l'Acaata pour la période d'exposition de 1957 à 1993 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992, et se trouvait donc employé sous la forme d'un contrat à durée déterminée par l'acconier qui disposait d'un véritable pouvoir de direction à son égard et devait assurer sa sécurité ; que celui-ci était par ailleurs tenu d'adhérer à la Cccp et avait pour obligation de l'y déclarer ; qu'il a bénéficié de l'Acaata à partir du 1er juin 2001 ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés Somotrans et Upa, mentionnées sur la liste établie par la direction générale du port de Marseille dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que même s'il est susceptible de justifier, dans la plupart des cas, de ses relations contractuelles avec ces sociétés notamment par la communication d'attestations émanant d'anciens collègues, valables et probantes, il appartient à la cour, eu égard à l'impasse probatoire dans laquelle il se trouve, de procéder à l'aménagement de la charge de la preuve par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les victimes d'une contamination d'origine transfusionnelle ayant subi des transfusions sanguines multiples, en considérant que le seul fait pour un docker, par ailleurs bénéficiaire de l'Acaata, d'avoir travaillé sur le port de Marseille pendant la période visée à l'arrêté suffit à caractériser l'existence du préjudice subi, en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'apporter tant la preuve de sa relation de travail avec l'une ou l'autre société du fait des modalités d'organisation du travail de l'époque que celle de son exposition à l'amiante sans aucune protection, fait non mentionné sur les documents en sa possession et dont seul l'employeur détient la preuve ; qu'il convient en conséquence d'imputer aux sociétés mises en cause la charge de prouver qu'elles ne l'ont pas employé, ni exposé à l'amiante sans protection ; que la cour pourra ordonner si nécessaire, avant dire droit, à celles-ci de produire les DADS entre 1977 et 1993 et, à défaut, en tirer les conséquences, voire enjoindre à la Cccp de les communiquer ; que, dans le cadre de son activité pour le compte des sociétés Somotrans et Upa, il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret du 17 août 1977) et que ce faisant, les employeurs - qui ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante - ont délibérément maintenu leurs salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel en résultant, les privant ainsi d'une chance de s'y soustraire, et n'ont pas respecté leur obligation de sécurité de résultat ce qui lui fait nécessairement subir un préjudice qu'il convient d'indemniser sans qu'il soit nécessaire qu'il démontre une exposition régulière et habituelle ; que l'indemnisation du préjudice autonome d'anxiété est par ailleurs ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le port de Marseille comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture de la procédure collective ouverte tant à l'encontre de la société Upa que de la société Somotrans, même si elle ne lui a été révélée que postérieurement et qu'elle doit être garantie par l'Ags.

Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des affaires du rôle, la société Upa représentée par M. [J], ès qualités de liquidateur, concluant à la confirmation du jugement, sollicite de la cour :

à titre liminaire,

- se déclarer incompétente rationae materiae, en ce qui concerne la demande au titre du préjudice d'anxiété, au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al.2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie,

à titre très subsidiaire sur le fond,

- constater que M. [D] [M] a connu une multiplicité d'employeurs,

- constater qu'il ne justifie pas de la qualité d'employeur de la société Upa à son égard,

ni d'une quelconque faute qu'elle aurait commise à son encontre, ni d'une exposition à l'amiante de son fait, ni d'un préjudice que ce soit en son principe ou en son quantum,

- constater que la société Upa justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité,

- constater qu'il n'existe aucune obligation solidaire ou « in solidum » en l'espèce,

- en conséquence, le débouter de l'ensemble de ses prétentions et le condamner à lui payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, la société Somotrans, représentée par M. [C], sollicite de la cour, de :

à titre liminaire,

- se déclarer incompétente rationae materiae, en ce qui concerne la demande au titre du préjudice d'anxiété, au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al.2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie,

- constater l'irrecevabilité de la demande dirigée à tort à son encontre en ce qu'elle n'a pas été son employeur,

- dire bien fondée et justifiée la mise en cause du Bcmo de Marseille, venant aux droits des Bcmo de Port-de-Bouc et de Port Saint-Louis, dès lors que ceux-ci ont exercé les prérogatives d'employeurs à l'égard des dockers pendant la période 1957-1993 visée dans l'arrêté du 7 juillet 2000,

- en conséquence, mettre la société Somotrans hors de cause, d'une part en ce qu'elle n'a pas revêtu la qualité d'employeur de M. [D] [M] pendant la période d'exposition potentielle à l'amiante et d'autre part, en raison de sa dissolution du fait de la cession totale de ses actifs, puis de la clôture subséquente de la procédure collective dont elle a fait l'objet,

à titre subsidiaire, sur le fond,

- confirmant le jugement déféré,

- dire et juger que M. [D] [M] ne démontre pas avoir régulièrement travaillé pour la société Somotrans,

- dire et juger qu'il ne démontre pas la responsabilité de la société Somotrans,

- dire et juger qu'il ne démontre pas avoir subi un préjudice,

- dire et juger qu'il ne peut y avoir lieu à responsabilité in solidum entre les différentes sociétés mises en cause,

- en conséquence, le débouter de l'ensemble de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

- apprécier le préjudice subi par M. [D] [M] qui lui serait imputable,

- le débouter de ses prétentions forfaitaires,

- ordonner une expertise afin de déterminer tout à la fois les préjudices subis par celui-ci et la part de responsabilité de la société Somotrans,

- dire et juger que le Cgea Ags devra garantir toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.

- condamner M. [D] [M] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le Cgea délégation régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, qui concernent d'autres intimés aux termes desquelles il demande à la cour, confirmant le jugement déféré, de :

à titre liminaire,

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Somotrans pour laquelle sa garantie ne peut intervenir dès lors qu'elle a fait l'objet d'une liquidation amiable non susceptible d'engager la garantie de l'Ags,

- prononcer sa mise hors de cause pour cette société en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur des intimés,

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Upa en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur des intimés,

- prononcer sa mise hors de cause en ce que certains intimés ne démontrent pas avoir travaillé pour une société aujourd'hui en liquidation judiciaire,

- déclarer irrecevables les demandes de condamnations solidaires à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire,

- dire et juger que la jurisprudence citée par les dockers et relative aux contaminations au VIH et aux autres maladies n'est pas applicable à l'amiante,

sur le fond,

sur le préjudice d'anxiété,

vu les arrêts de la Cour de cassation du 3 mars 2015 et du 15 décembre 2015,

- dire et juger que seules les sociétés mentionnées aux termes de l'Acaata peuvent être condamnées à réparer le préjudice d'anxiété et que les sociétés en cause ne sont pas nominativement classées Acaata et qu'en conséquence M. [D] [M] ne peut prétendre à indemnisation du préjudice d'anxiété,

en tout état de cause,

- dire et juger que seuls les salariés dont la situation correspond aux critères de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sont susceptibles de se voir reconnaître un préjudice d'anxiété,

- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata date de 2000 et que les procédures collectives datent au plus tard de 1996, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,

sur l'obligation de sécurité de résultat,

- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L. 4121-1 du code du travail, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété et que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété,

en tout état de cause,

- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,

- dire que la garantie de l'Ags est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,

- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner le demandeur aux dépens.

Le Bcmo a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :

- constater qu'il est dépourvu de la personnalité juridique,

- constater qu'il n'a pas été l'employeur des dockers,

- constater qu'aucune demande de condamnation n'est formulée contre lui,

- en conséquence, déclarer irrecevable la demande formulée à son encontre par la société Somotrans tendant à lui voir reconnaître la qualité d'employeur.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera référé à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

Le Gpmm, régulièrement convoqué à l'audience, n'était ni présent, ni représenté.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les premiers juges ont d'ores et déjà mis hors de cause le Gpmm, le Bcmo, la Cccp. Il est donc inutile de donner acte à M. [D] [M] de son désistement à l'encontre de ces parties.

Sur l'exception d'incompétence

Selon l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Dès lors que les demandes en réparation d'un préjudice extra-patrimonial formées par M. [D] [M] sont fondées sur l'inexécution par le ou les employeurs de l'obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail qui les aurait liés, que le préjudice d'anxiété correspond non pas à une maladie professionnelle répertoriée mais à l'inquiétude de déclencher à tout moment une maladie en rapport avec une exposition à l'amiante et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont il a été attributaire le 1er juin 2001, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige et le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté cette exception.

Sur les fins de non-recevoir soulevées par la société Somotrans

La personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et la société Somotrans est représentée à l'instance par son liquidateur.

Par ailleurs, dès lors que les ouvriers dockers étaient unis à diverses entreprises d'acconage (environ quatre-vingts sur le port de Marseille, entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le syndicat des entrepreneurs de manutention portuaire dont la société Somotrans), par un lien de subordination, en sorte que celles-ci ont été leurs employeurs, à la différence du Bcmo, organisme paritaire dépourvu de la personnalité juridique, et que la créance invoquée trouve son origine dans l'exécution d'un contrat de travail allégué avec la société Somotrans, la demande est recevable, le bien-fondé de celle-ci devant être examiné dans le cadre du fond du litige.

Sur l'intervention forcée formée par la société Somotrans à l'encontre du Bcmo

Cet organisme paritaire, au service des entreprises de manutention portuaire, est dépourvu de la personnalité juridique. D'ailleurs, il a été mis hors de cause dans la décision déférée dont la société Somotrans n'est pas appelante. Dès lors, son intervention forcée à la demande de celle-ci, représentée par son liquidateur, aux fins de lui voir reconnaître la qualité d'employeur de M. [D] [M] ne peut qu'être déclarée irrecevable.

Sur le fond

M. [D] [M], se prévalant de sa situation d'allocataire d'une rente Acaata, invoque une impasse probatoire devant conduire selon lui et par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la contamination transfusionnelle, à faire peser la charge de la preuve sur les sociétés en cause, tant de leur absence de la qualité d'employeur que du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.

A titre liminaire, il sera rappelé que si le site du port de Marseille est inscrit sur la liste des ports permettant aux dockers de bénéficier de l'allocation anticipée des salariés de l'amiante, liste fixée par arrêté du 7 juillet 2000, modifié, aucune des deux sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et qu'en conséquence, M. [D] [M] ne peut prétendre bénéficier de l'Acaata au titre de son activité supposée au bénéfice de l'une ou l'autre d'entre elles.

Par ailleurs, il doit être relevé qu'il :
- ne conteste pas avoir reçu en contrepartie de son activité de docker auprès de chacune des sociétés pour lesquelles il dit avoir travaillé des bulletins de salaire qu'il lui appartenait de conserver ; 

- ne produit aucun élément de nature à établir que la manutention de l'amiante a constitué une part significative de l'activité de ces sociétés au cours de la période pendant laquelle il a été employé sur le port dont il pourrait être déduit qu'il a été nécessairement exposé à l'amiante par leur fait, étant observé que si, comme vu supra, l'intégralité du site du port est concernée par le classement Acaata et que quatre-vingts acconiers exerçaient une activité sur ce site entre 1957 et 1993 (cf. attestation établie le 15 juin 2010 par le syndicat des entrepreneurs de manutention portuaire), il n'a fait le choix d'agir que contre deux d'entre-eux (alors même que cinq sont visés dans la lettre du directeur du Port du 21 décembre 1999 dont il se prévaut, d'ailleurs rédigée en termes hypothétiques, et d'autres encore dans les attestations qu'il produit), admettant ainsi que le seul fait pour une entreprise de manutention d'avoir exercé une activité dans un port classé au cours de la période de classement ne suffit pas à établir qu'elle a nécessairement exposé ses salariés à l'inhalation de fibres ou de poussières d'amiante.

En conséquence, il appartient à M. [D] [M] de justifier tout à la fois de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés de manutention portuaire attraites dans la cause et de son exposition à l'amiante par leur fait.

Sur la qualité d'employeur des sociétés Somotrans et Upa à l'égard de M. [D] [M]

La loi du 6 septembre 1947 a défini un statut de docker et a réduit la fonction des organismes antérieurs, comme le Bcmo, qui a été chargé d'identifier et de classer les ouvriers dockers, à organiser et contrôler l'embauche dans le port au service des différentes sociétés manutentionnaires, au nombre de quatre-vingts entre les années 1957 et 1993, à répartir numériquement le travail entre les ouvriers, à effectuer la paie à la journée, établir les certificats de travail et les bulletins de salaire quand ils existaient et régler les cotisations aux organismes sociaux pour le compte des entreprises de manutention.

Cette organisation a affecté le recrutement et les embauches journalières mais n'a pas supprimé les entreprises de manutention portuaire ; les chefs d'équipe de ces entreprises fixaient, eux-mêmes, le nombre des dockers et leurs qualifications nécessaires aux déchargements, les tâches affectées à chacun sur les navires, donnaient les instructions sur les opérations à entreprendre, surveillaient le déroulement de celles-ci et fournissaient également des matériels (tracteurs, chariots élévateurs, auto grues, transporteurs et norias).

Si la loi de 1947 a réduit l'étendue des attributions patronales dans la relation de travail, elle n'a pas supprimé totalement celle-ci ; ce n'est que la loi du 9 juin 1992 qui a modifié le régime de travail dans les ports maritimes, en autorisant le recrutement de dockers par des entreprises de manutention portuaire dans le cadre de contrats de travail de droit commun.

Pour faire la preuve de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés attraites en la cause, entre 1967 et 1987, M. [D] [M] communique essentiellement :

- un certificat de travail établi le 29 avril 2010 par la Cccp qui mentionne qu'il a été inscrit comme ouvrier docker au port de Marseille le 16 février 1967 et radié le 22 décembre 1987 mais sans préciser les sociétés qui l'ont employé,

- les attestations établies par MM. [X] [F], [R] [I], et [Y] [A], certifiant brièvement et en termes quasiment identiques, avoir travaillé avec lui en qualité de docker, pour le compte de plusieurs sociétés sur le port de Marseille, dont Upa, Somotrans, Rodrigue et Smmt, et avoir ainsi déchargé et manipulé de l'amiante en vrac ou en sacs de jute poreux, sans protection et sans avoir été avisé des dangers d'une telle exposition.

Ces quelques éléments, s'ils sont insuffisants à démontrer une relation de travail continue ou habituelle entre M. [D] [M] et les sociétés attraites, établissent néanmoins le fait qu'il a travaillé de façon ponctuelle pour le compte de celles-ci pendant la période couverte par le classement du port, sans qu'il apparaisse par ailleurs nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, aucun texte ne faisant obligation aux entreprises concernées, voire à la Cccp, de conserver les DADS, sur une période aussi longue.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées à l'encontre des sociétés défenderesses.

Sur les préjudices allégués

L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. La demande d'indemnisation d'un manquement à cette obligation n'est donc pas contraire aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de la séparation des pouvoirs.

Aucune des sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; elles n'étaient ni des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante, ni des établissement de construction et de réparation navales et elles ne fabriquaient ni ne traitaient l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; elles ne peuvent en conséquence être considérées comme des entreprises utilisatrices d'amiante.

En l'espèce, M. [D] [M] produit essentiellement pour preuve de son exposition fautive à l'amiante par ces sociétés, outre les attestations précitées dont les termes imprécis ne permettent pas de déterminer qu'il a été réellement exposé à l'amiante de façon régulière et habituelle de leur fait, ni quels auraient été la durée et le caractère de l'exposition alléguée :

- la lettre du directeur général du port de Marseille au ministère de l'équipement, des transports et du logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :

'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.

Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établi : - Société Industrielle de Trafic Maritime (INTRAMAR) - Union Phocéenne d'Acconage (UPA) - Société Moderne de Transbordements (SOMOTRANS) - Société MANUCAR - Etablissements MAIFFREDY - Société CARFOS.

Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990 et 'conteneurs' à partir de 1991',

- les attestations de Madame [L], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société Somotrans, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', et de Monsieur [B] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés Intramar et Somotrans, de 1956 à 1988 (sans autre précision sur ses périodes d'emploi au sein de cette dernière société), qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait, du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne, étant observé qu'aucun de ces témoins ne mentionne le nom de M. [D] [M] et que la société Somotrans conteste que Madame [L] ait pu voir depuis son poste les faits dont elle fait état, exposant, au vu du procès-verbal du CE du 12 avril 1996, que jusqu'à cette date, les bureaux dédiés à la facturation ne se trouvaient pas sur les quais.

En l'état du caractère insuffisant de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité des sociétés attraites quant à l'existence d'un préjudice d'anxiété. Par ailleurs, en l'absence de l'existence d'une exposition fautive à l'amiante qui résulterait de leur fait, M. [D] [M] sera encore débouté de sa demande au titre de l'indemnisation d'un préjudice qui aurait été causé par la seule violation par ces sociétés de leur obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat de travail, le jugement étant également confirmé à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les demandes formulées à ce titre seront rejetées et M. [D] [M], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale et par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. [D] [M] à l'encontre des société Somotrans et Upa,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes de M. [D] [M] à l'encontre des société Somotrans et Upa,

Déclare irrecevable l'intervention forcée diligentée par la société Somotrans à l'encontre du Bcmo,

Déboute M. [D] [M] de l'intégralité de ses demandes,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] [M] aux entiers dépens.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 15/09216
Date de la décision : 09/09/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-09;15.09216 ?
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