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30/06/2016 | FRANCE | N°14/05219

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 4e chambre a, 30 juin 2016, 14/05219


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

4e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 30 JUIN 2016

jlp

N° 2016/ 425













Rôle N° 14/05219

14/05374

15/21872





Société BULACE INVESTMENT LIMITED





C/



SCI OVER MONTE CARLO

Société WOORI INVESTMENT & SECURITIES CO.LTD



[Y] [T]

SCP [T]



















Grosse délivrée

le :

à :



Me Ch

arles TOLLINCHI



SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH



Me Frédéric CHAMBONNAUD

la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 18 Février 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05701.



APPELANTE ET INTIM...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

4e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 30 JUIN 2016

jlp

N° 2016/ 425

Rôle N° 14/05219

14/05374

15/21872

Société BULACE INVESTMENT LIMITED

C/

SCI OVER MONTE CARLO

Société WOORI INVESTMENT & SECURITIES CO.LTD

[Y] [T]

SCP [T]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Charles TOLLINCHI

SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH

Me Frédéric CHAMBONNAUD

la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 18 Février 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05701.

APPELANTE ET INTIMEE

Société BULACE INVESTMENT LIMITED Société de droit Chypriote, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, y domicilié.

dont le siège social est [Adresse 4]

représentée par Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉE ET APPELANTE

Société NH INVESTMENT & SECURITIES CO LTD, anciennement Société WOORI INVESTMENT & SECURITIES CO.LTD dont le siège social est [Adresse 2])

société à responsabilité limitée de droit coréen, domiciliée chez Maître A. [T], Notaire, domicilié [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me François DE BERARD, avocat au barreau de PARIS et de Me Cyril BONAN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SCI OVER MONTE CARLO, anciennement dénommée SCI JASMIN dont le siège social est [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric CHAMBONNAUD de la SELARL CHAMBONNAUD BAGNOLI SECHER, avocat au barreau de NICE

PARTIES INTERVENANTES

Maître [Y] [T], sur Intervention volontaire

demeurant [Adresse 7]

représenté par la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE

SCP [T], Notaires associés, titulaires de l'office notarial, sur Intervention volontaire,

demeurant [Adresse 7]

représentée par la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 19 Mai 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-Luc PROUZAT, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Monsieur Jean-Luc GUERY, Conseiller

Madame Hélène GIAMI, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Juin 2016

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Juin 2016,

Signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La société civile immobilière Jasmin, aujourd'hui dénommée Over Monte Carlo, dont le siège social est à [Localité 4], est propriétaire d'un tènement immobilier composé des parcelles cadastrées à [Localité 1] section [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 1], constituant l'assiette foncière d'une opération immobilière, objet d'un permis de construire délivré le 18 janvier 2006.

La SCI Jasmin est détenue à 99% par la société de droit luxembourgeois Beausoleil Jasmin et à 1% par la société Jasmin Luxembourg, société également de droit luxembourgeois et qui détient elle-même 100% des parts de la société Beausoleil Jasmin.

La totalité des parts de la société Jasmin Luxembourg, qui contrôle donc les sociétés du groupe Jasmin, alors détenue par la société de droit irlandais Davy Capital Growth Fund Plc, a été cédée, le 29 juin 2007, pour le prix de 97 500 000 €, à la société sud-coréenne Suodam, ainsi que 100% des certificats d'équité préférentiels convertibles émis par la société Beausoleil Jasmin ; la société de droit chypriote Cladrast Investments Ltd, filiale de la société sud-coréenne Doms Partners Co. Ltd, s'est ensuite substituée à la société Suodam.

Pour financer l'opération représentant un coût d'environ 111 millions d'euros, y compris les droits d'enregistrement et les frais et honoraires des rédacteurs d'actes, deux contrats de prêt, soumis au droit sud-coréen, ont été conclus le 27 juillet 2007 :

-un premier prêt (dit prêt WCL) de 110 milliards de wons (soit 87 649 402,39 €) a été souscrit par la société Doms Partners auprès de la banque sud-coréenne Tong Yang Investment Bank ;

-un second prêt (dit prêt FCL) a été consenti par la société chypriote Bulace Investment Ltd à la société Cladrast, filiale de la société Doms Partners, d'un montant de 30 milliards de wons (23 904 382,47 €), le contrat prévoyant, par ailleurs, que la société Doms Partners mettait à la disposition de sa filiale la somme de 110 milliards de wons.

Le 31 juillet 2007, la banque Tong Yang a cédé une partie de sa créance de prêt sur la société Doms Partners à un pool bancaire composé de trois établissements financiers sud-coréens, dont la société Woori Investment & Securities Co Ltd, aujourd'hui dénommé NH Investment & Securities Co Ltd, intervenue comme agent garant et agent de gestion des fonds.

Pour le remboursement des prêts ainsi consentis, diverses garanties ont été constituées, à savoir :

-le nantissement des parts sociales de la société Doms Partners, de sa filiale, la société Cladrast, des sociétés luxembourgeoises Beausoleil Jasmin et Jasmin Luxembourg et de la société monégasque, la SCI Jasmin ;

-le cautionnement solidaire des dirigeants de ces sociétés, [I] Lee et [J] [B] ;

-deux cautionnements hypothécaires consentis par acte de Me [T], notaire associé à [Localité 5], en date du 3 août 2007, l'un de 1er rang en garantie de la somme de 87 649 402,39 € en principal et de celle de 26 294 820,72 € au titre des intérêts, frais et accessoires à la société Woori en sa qualité d'agent garant et d'agent de gestion des fonds, l'autre de 2ème rang en garantie de la somme de 23 904,382,47 € en principal et de celle de 7 171 314,74 € au titre des intérêts, frais et accessoires à la société Bulace.

La SCI Jasmin était représentée à l'acte du 3 août 2007 par Lee [I] agissant tant en sa qualité de gérant de la société nommé à ladite fonction aux termes d'une assemblée générale extraordinaire en date de ce jour qu'en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés aux termes d'une assemblée générale extraordinaire de ladite société en date de ce jour, dont les copies certifiées conformes sont demeurées annexées aux présentes après mention ; il est également indiqué dans l'acte, page 3, que le prêt consenti par Tong Yang Investment Bank a été transféré dans le cadre d'une cession de créance à la société Woori Investment & Securities Co, Ltd, nouveau créancier subrogé, selon acte à Séoul en date du 3 août 2007, ainsi qu'il résulte d'une lettre en date de ce jour dont une copie est demeurée annexée aux présentes après mention.

Par exploits du 8 juillet 2011, la SCI Jasmin, devenue Over Monte Carlo, a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nice la société Woori et la société Bulace en vue d'obtenir l'annulation de l'acte d'affectation hypothécaire du 3 août 2007 aux motifs notamment d'un défaut de pouvoir de [I] [M] pour la représenter, d'un dépassement de son objet social et d'un défaut de remise des fonds prêtés rendant sans cause la garantie hypothécaire.

En cours de procédure, la SCI a soulevé un incident de faux contre l'acte notarié du 3 août 2007, par acte remis au greffe le 30 janvier 2013, aux motifs que contrairement aux énonciations de l'acte, aucune lettre matérialisant la cession de créance (banque Tong Yang ' société Woori) ne se trouvait annexée à l'acte et qu'il n'existait aucune lettre de cession de créance en date du 3 août 2007, puisque la société Woori avait communiqué un contrat de cession de créance daté du 31 juillet 2007 pour un montant de 27 042 168,22 € et non de 87 649 402,39 €.

Par jugement du 14 février 2014, le tribunal a notamment :

-fait droit à l'inscription de faux incidente soulevée par la SCI Over Monte Carlo à l'encontre de l'acte authentique du 3 août 2007 contenant affectations hypothécaires en garantie de la dette d'autrui, reçu en l'étude de Me [T], notaire, conclu entre la société Woori Investment & Securities Co, Ltd, la société Bulace Investment Ltd et la SCI Over Monte Carlo Jasmin,

-ordonné la mention de la présente décision en marge de l'acte du 3 août 2007 reconnu faux, en application des dispositions de l'article 310 du code de procédure civile,

-dit que l'acte notarié du 3 août 2007 est nul de nullité absolue et qu'il est privé de son caractère authentique,

-ordonné, en conséquence, la mainlevée de l'inscription hypothécaire prise en application de l'hypothèque conventionnelle contenue dans l'acte notarié du 3 août 2007,

-ordonné la publication de la décision à la conservation des hypothèques,

-dit qu'en application des dispositions de l'article 303 du code de procédure civile, la décision sera communiquée au procureur de la république,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-condamné la société Woori aux dépens et à payer à la SCI Over Monte Carlo la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bulace Investment Ltd (la société Bulace), qui n'avait pas comparu en première instance, a régulièrement relevé appel de ce jugement le 14 mars 2014 et la société Woori Investment & Securities Co Ltd, devenue la société NH Investment & Securities Co Ltd (la société NHIS), le 17 mars 2014.

Me [T] et la SCP [T], titulaire de l'office notarial situé [Adresse 7], sont intervenus volontairement à l'instance.

Les procédures d'appel ont été jointes le 15 avril 2014 pour être suivies sous le n° 14/05219.

La SCI Over Monte Carlo a soulevé devant la cour un incident de faux contre l'acte notarié du 3 août 2007 par acte remis le 26 mars 2015 au greffe, qui a été dénoncé aux parties et communiqué au ministère public, le 7 avril 2015, a déclaré s'en rapporter à la décision de la cour; cette procédure a été enrôlée sous le n° 15/04995.

La société NHIS a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la communication des pièces du dossier pénal instruit par le parquet de Séoul à l'encontre de Lee [I] pour abus de confiance, notamment en ce qui concerne le financement de l'opération « Jasmin » ; par ordonnance du 15 décembre 2015, cette demande de sursis à statuer a été rejetée.

**

*

La société Bulace demande à la cour (conclusions déposées par le RPVA le 31 juillet 2014) de :

Vu l'acte authentique du 3 août 2007,

Vu les articles 2418, 2421 et 2323 du code civil,

-confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nice en date du 18 février 2014 en ce qu'il a considéré que le défaut d'annexion de la lettre de cession de créance en date du 31 juillet 2007 à l'acte notarié d'hypothèque du 3 août 2007, n'a pas fait perdre à ce dernier son caractère authentique,

-infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau,

-dire et juger que l'acte notarié d'hypothèque du 3 août 2007 comporte l'ensemble des mentions obligatoires requises et qu'il n'est pas constitutif d'un faux,

-constater, en conséquence, la parfaite validité de l'acte notarié d'hypothèque du 3 août 2007,

-rejeter la procédure d'inscription de faux incidente soulevée par la SCI Over Monte Carlo à l'encontre de l'acte notarié d'hypothèque du 3 août 2007,

-débouter la SCI Over Monte Carlo de l'intégralité de ses demandes,

-rejeter toute demande de nullité à son égard,

-condamner la SCI Over Monte Carlo à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, elle fait essentiellement valoir que :

-le défaut d'annexion de la lettre de cession de créance du 31 juillet 2007 ne fait pas perdre à l'acte son caractère authentique, d'autant que [I] [M], le gérant de la SCI Jasmin, était parfaitement informé de cette cession, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société du 3 août 2007,

-l'acte litigieux contient l'ensemble des mentions obligatoires prescrites aux articles 2418 et suivants du code civil, tant en ce qui concerne la nature et la situation des immeubles hypothéqués, que la cause de l'hypothèque et du montant garanti,

-il appartenait ainsi à la société Woori, en tant qu'agent de garantie, de prendre une hypothèque à hauteur de la totalité du montant du prêt WCL au nom et pour le compte du pool bancaire, qu'elle représentait, à l'instar des actes de nantissement des parts sociales, et la SCI Jasmin, par l'intermédiaire de son gérant, avait une parfaite connaissance des cessions de créances opérées par la banque Tong Yang et de leurs montants, ainsi que de la qualité de la société Woori, qui agissait comme agent garant représentant l'ensemble des membres du pool bancaire,

-l'acte du 3 août 2007 n'est pas un faux, alors qu'il ne contient aucune altération des faits visant à tromper, le notaire n'ayant fait que retranscrire les constatations qu'il a pu faire à partir des éléments lui ayant été communiqués par les parties et notamment la SCI Jasmin.

La société NHIS, anciennement dénommée Woori, sollicite de voir (conclusions déposées par le RPVA le 21 avril 2016) :

Vu l'acte authentique du 3 août 2007,

(')

Vu les articles 2418, 2421 et 2423 du code civil,

Vu les articles 32-1 et 378 et suivants du code de procédure civile,

-confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 18 février 2014 en ce qu'il a jugé que l'absence de la lettre de cession de créance intervenue entre Tong Yang et NH Investment & Securities Co. Ltd le 31 juillet 2007 au rang des annexes de l'acte notarié du 3 août 2007 ne fait pas perdre à ce dernier son caractère authentique,

-infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau,

-dire et juger que l'acte authentique du 3 août 2007 comportant cautionnement hypothécaire de la SCI Jasmin / Over Monte Carlo au profit de NH Investment &Securities Co, Ldt, en qualité d'agent garant et d'agent de gestion des fonds du pool bancaire, n'est pas faux et est parfaitement régulier et valable en ce qu'il respecte les prescriptions obligatoires des articles 2418, 2421 et 2423 du code civil,

-dire et juger que l'acte authentique du 3 août 2007 comportant cautionnement hypothécaire de la SCI Over Monte Carlo Jasmin / Over Monte Carlo au profit de NH Investment &Securities Co, Ldt, en qualité d'agent garant et d'agent de gestion des fonds du pool bancaire, est conforme à l'intérêt social de la SCI Jasmin / Over Monte Carlo,

-constater que les inscriptions hypothécaires ont été valablement renouvelées par le notaire le 11 mai 2012,

-débouter la SCI Over Monte Carlo de toutes ses demandes et incidents, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

-condamner la SCI Over Monte Carlo à lui payer les sommes de 3000 € et 100 000 € en réparation de l'abus de procédure dont elle est victime,

-condamner la SCI Over Monte Carlo à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal a jugé que l'acte authentique comportait une fausse mention, alors que la société Woori est partie à l'acte en qualité d'agent garant et d'agent gestionnaire des fonds, au nom et pour le compte des préteurs au titre du contrat de prêt « Doms Partners », que la SCI Jasmin / Over Monte Carlo avait, conformément au droit français applicable, une parfaite connaissance de la charge hypothécaire pesant sur elle aux termes de cet acte et des contrats de prêts des sociétés Doms Partners et Cladrast, que le notaire a parfaitement reproduit les éléments portés à sa connaissance par les parties et notamment la SCI Jasmin / Over Monte Carlo, que l'acte authentique du 3 août 2007, contenant toutes les mentions obligatoires, est parfait en la forme comme au fond et ne constitue pas un faux et que le cautionnement hypothécaire consenti est conforme à l'intérêt social de la SCI, compte tenu de l'intérêt qu'elle avait à garantir les dettes de sociétés du même groupe.

La SCI Over Monte Carlo demande à la cour (conclusions déposées par le RPVA le 15 juin 2015) de :

Vu l'article 310 du code de procédure civile,

Vu les articles 1319, 2413 et suivants du code civil,

Vu les dispositions du code civil monégasque,

(')

A titre principal :

-confirmer le jugement du 18 février 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Nice en toutes ses dispositions, en jugeant que :

'l'acte authentique du 3 août 2007 contenant affectations hypothécaires en garantie de la dette d'autrui, reçu en l'étude de Me [T], notaire à la résidence de [Localité 5], conclu entre la société Woori Investment & Securities Co. Ltd, la société Bulace Investment Ltd et la SCI Jasmin est faux, car il indique de manière fallacieuse que :

' il était annexé à cet acte une lettre du 3 août 2007 matérialisant une cession de créance entre la société Tong Yang Investment Bank et la société Woori Investment & Securities Co. Ltd,

' la société Woori Investment & Securities Co. Ltd intervenait en tant que créancier subrogé de Tong Yang Investment Bank, selon acte à Séoul du 3 août 2007,

' la société Woori Investment & Securities Co. Ltd intervenait en tant que créancier subrogé de Tong Yang Investment Bank, selon acte à Séoul du 3 août 2007, pour un montant de 87 649 402,39 €, alors que la cession de créance du 31 juillet 2007 porte sur un montant de 27 042 168,22 € seulement,

'l'acte du 3 août 2007 est privé de son caractère authentique et qu'il est nul de nullité absolue,

-ordonner, par conséquent, la mention de la décision à intervenir en marge de l'acte du 3 août 2007 reconnu faux dans les termes et conditions de l'article 310 du code de procédure civile,

-ordonner la mainlevée de l'inscription hypothécaire prise en application de cette hypothèque conventionnelle et la publication à la conservation des hypothèques de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire si par extraordinaire, il n'était pas fait droit à l'inscription de faux soulevée à l'encontre de l'acte d'affectation hypothécaire du 3 août 2007 :

-dire et juger que l'acte d'affectation hypothécaire est nul parce que contraire à l'intérêt social, tant en droit français que monégasque, en jugeant que cet acte est nul pour :

'défaut d'intérêt social,

'dépassement de l'objet social,

-ordonner la mainlevée de l'inscription hypothécaire prise en application de cette hypothèque conventionnelle et la publication à la conservation des hypothèques de la décision à intervenir,

A titre infiniment subsidiaire :

-limiter à la somme de 27 042 168,22 € l'inscription hypothécaire prise en application de l'acte d'affectation hypothécaire du 3 août 2007, donnée au profit de la société Woori Investment, en jugeant que la société Woori Investment ne bénéficie d'une cession de créance de la société Tong Yang qu'à hauteur de la somme de 27 042 168,22 €,

-ordonner pour le surplus, qui n'est pas causé, la mainlevée des inscriptions hypothécaires prises en application de l'acte d'affectation hypothécaire du 3 août 2007 donnée au profit de la société Woori Investment, et la publication à la conservation des hypothèques de la décision à intervenir,

En tout état de cause :

-condamner in solidum les sociétés Woori Investment et Bulace Investment et Me [T] au paiement de la somme de 50 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Me [T] et la SCP [T] sollicitent de voir (conclusions déposées par le RPVA le 12 juin 2015):

Vu l'article 554 du code de procédure civile,

-accueillir leur intervention volontaire et la dire recevable,

-dire et juger irrecevable l'inscription de faux incidente du 30 Janvier 2013 pour défaut de dénonce à la société Bulace dans les délais, et de ce seul fait, infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu,

-statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'inscription de faux du 26 Mars 2015, mais la -dire en tout état de cause radicalement infondée,

-dire et juger que le défaut d'annexion à l'acte authentique de la lettre du 3 août2007 faisant état de la cession de créance, non nécessaire à la validité de l'acte et parfaitement connue des parties, ne constitue pas un faux en écritures publiques et qu'en tout état de cause, il ne fait pas perdre à l'acte, pour le reste, son caractère authentique,

-dire et juger que la mention dans l'acte d'une cession de créance au profit de Woori qui existe bel et bien, sans précision de ce qu'elle n'était que partielle, ne constitue en rien un faux en écritures publiques dès lors qu'il s'agit d'une mention relevant des indications fournies par les parties elles-mêmes et notamment la caution hypothécaire et non d'un fait personnellement constaté par le notaire,

-dire et juger que ni l'allégation d'un prétendu défaut d'information de la caution, ou d'une hypothétique irrégularité formelle de la constitution d'hypothèque ne sont de nature à justifier une quelconque nullité de l'acte sur le fondement de l'inscription de faux en écritures publique, alors qu'il ne pourrait s'agir que de vices affectant le negocium, et non pas l'instrumentum,

-dire et juger encore que l'affectation hypothécaire de la SCI Jasmin au profit de Bulace, qui a sa propre cause, un créancier différent, a donné lieu à la délivrance d'une copie exécutoire séparée et a permis l'inscription d'une hypothèque indépendante, ne pouvait en aucun cas, bien que contenue dans le même acte que celle au profit de la société Woori, être affectée par la nullité alléguée,

-in'rmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

-débouter la SCI Over Monte Carlo, anciennement SCI Jasmin des fins de son inscription de faux,

-la condamner à payer à Me [T] la somme de 10,000 € par application des articles 305 du code de procédure civile et 1382 du code civil,

Par ailleurs, subsidiairement :

-constater en tant que de besoin la parfaite information de la caution quant au fait que Woori ne bénéficiait que d'une cession de créance partielle du prêt Tong Yang, mais qu'e1le était désignée comme seule bénéficiaire de l'hypothèque convenue en tant qu'agent de garantie et agent de gestion désignée par les prêteurs,

-constater également l'absence de toute erreur sur le montant de la garantie hypothécaire consentie,

-constater que la SCI Over Monte Carlo n'a pas tiré les conséquences de ses allégations à ce titre puisqu'elle n'a jamais poursuivi la nullité pour dol ou erreur de son cautionnement, bien consciente de l'inanité de ses affirmations, toute action sur ce fondement étant d'ailleurs désormais prescrite,

-dire et juger encore que l'acte d'affectation hypothécaire (negotium) est parfaitement régulier au regard des articles 2418, 2421 et 2423 du code civil, et que notamment, la cause des hypothèques, qui ne se confond pas avec l'identité du créancier, ni de sa qualité pour bénéficier de l'inscription est expressément visée dans l'acte,

-constater au demeurant la parfaite qualité de la société Woori pour inscrire et bénéficier en son nom de l'hypothèque, en tant qu'agent de sûreté et créancier partiellement subrogé

-débouter en conséquence la SCI Over Monte Carlo de sa demande de nullité de l'acte sur ce fondement,

Enfin,

-dire et juger l'action en nullité du cautionnement fondée sur une prétendue violation de l'intérêt social ou un dépassement de l'objet social prescrite par application de l'article 1844-14 du code civil, dès lors que l'on se trouve bien dans l'hypothèse où la nullité de l'acte notarié est fondée implicitement mais nécessairement sur l'irrégularité d'un acte interne,

savoir la délibération des associés décidant du cautionnement et donnant tout pouvoir au gérant pour signer l'acte notarié,

Subsidiairement, à supposer l'action recevable:

-dire et juger que le cautionnement d'une SCI monégasque est soumis au droit civil monégasque, qui ne subordonne pas sa validité à une quelconque conformité à l'intérêt social, dès lors que la délibération a été prise à l'unanimité des associés, ce qui est le cas ici, et débouter la SCI Over Monte carlo de ses prétentions,

Très subsidiairement et même si l'on devait appliquer le droit français:

-constater que la SCI Jasmin avait une communauté d'intérêt avec les sociétés emprunteuses compte tenu de leurs liens capitalistiques, qu'elle profitait directement ou indirectement du crédit garanti, par mise à disposition de fonds qui ont permis de régler les créanciers antérieurs et de dégrever son bien des hypothèques préexistantes, également par le paiement de divers frais (d'architectes, de juristes, de commercialisation ...) afférents au projet de construction, tels que prévus aux articles 3 des contrats de prêt, et qu'enfin, les prêts avaient partiellement vocation à financer l'opération de promotion immobilière sur son terrain et donc à valoriser son actif immobilier,

-dire et juger en conséquence que son cautionnement hypothécaire était conforme à l'intérêt social, conforme à l'objet social et approuvé à l'unanimité par les associés, de sorte que la délibération a valablement été prise et que l'acte notarié ne peut encourir aucune nullité de ce chef,

-débouter, en conséquence, la SCI Over Monte Carlo, anciennement SCI Jasmin, de toutes ses demandes fins et conclusions.

-la condamner, en toute hypothèse, au paiement d'une somme de 8 000 € au titre de l'article

700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 mai 2016.

MOTIFS de la DECISION :

Il convient, en premier lieu, de prononcer la jonction des instances enrôlées sous les n° 14/05219 et 15/04995 en raison du lien de connexité les unissant et de statuer sur l'ensemble du litige par un seul et même arrêt.

Me [T], en tant que notaire rédacteur de l'acte argué de faux, et la SCP [T], solidairement responsable avec lui des éventuelles conséquences dommageables d'un tel acte sur le fondement de l'article 16 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, justifient ainsi d'un intérêt à intervenir en cause d'appel au sens de l'article 554 du code de procédure civile ; leur intervention volontaire doit dès lors être déclarée recevable, n'étant au demeurant contestée par aucune des parties au procès.

* *

*

1-l'inscription de faux :

Il résulte de l'article 306 du code de procédure civile que l'inscription de faux est formée par acte remis au greffe par la partie ou son mandataire muni d'un pouvoir spécial, que l'acte, établi en double exemplaire, doit, à peine d'irrecevabilité, articuler avec précision les moyens que la partie invoque pour établir le faux, que l'un des exemplaires est immédiatement versé au dossier de l'affaire et l'autre, daté et visé par le greffier, est restitué à la partie en vue de la dénonciation de l'inscription au défendeur et que la dénonciation doit être faite par notification entre avocats ou signification à la partie adverse dans le mois de l'inscription ; en l'occurrence, il est constant que l'acte d'inscription de faux contre l'acte authentique du 3 août 2003 établi par Me [T], notaire, déposé le 30 janvier 2013 au greffe du tribunal de grande instance de Nice, s'il a été dénoncé le 31 janvier 2013 à la société Woori, par notification à son avocat, n'a pas été signifié à la société Bulace, laquelle n'avait pas constitué avocat ; la SCI Over Monte Carlo ne peut soutenir que l'absence de signification de l'acte d'inscription de faux à la société Bulace permettait au tribunal de passer outre l'incident sans l'évoquer, ce qu'il n'a pas fait, alors que le défaut de dénonciation de l'acte au défendeur constitue une formalité substantielle, dont la sanction est l'irrecevabilité de l'inscription de faux.

Le tribunal ne pouvait donc statuer sur l'incident, dont il était saisi, alors que l'acte d'inscription de faux n'avait pas été signifié à l'un des défendeurs, la société Bulace, laquelle n'a donc pas été mise en mesure de faire valoir ses moyens ; la demande d'inscription de faux, telle qu'elle a été présentée en premiere instance par la SCI Over Monte Carlo, doit ainsi être déclarée irrecevable.

Pour autant, l'incident de faux, qui tend à contester une preuve littérale invoquée au soutien d'une prétention, constitue non une exception de procédure, mais une défense au fond et peut, dès lors, être proposé en tout état de cause ; devant la cour, la SCI Over Monte Carlo a inscrit un nouvel incident de faux contre l'acte notarié du 3 août 2003, par un acte motivé, déposé le 26 mars 2015 au greffe, auquel se trouve annexé le pouvoir spécial donné à son avocat par le représentant de la SCI désigné à cet effet par une assemblée générale extraordinaire du 4 mars 2015, et qui a été communiqué au ministère public le 7 avril 2015 et dénoncé, le 20 avril, à l'ensemble des avocats constitués pour la société Woori, la société Bulace, Me [T] et la SCP [T] ; la demande d'inscription de faux présentée devant la cour apparaît ainsi recevable.

Sur le fond, l'acte authentique établi le 3 août 2003 par Me [T] a pour objet la constitution d'hypothèques par la SCI Jasmin, caution hypothécaire de la société Doms Partners et de la société Cladrast, en vue de garantir le remboursement, d'une part, des sommes de 87 649 402,39 € en principal et 26 294 820,72 € en intérêts, frais et accessoires, au titre du prêt octroyé à la société Doms Partners par la société sud-coréenne Tong Yang et, d'autre part, des sommes de 23 904 382,47 € en principal et 7 171 314,74 € en intérêts, frais et accessoires au titre du prêt octroyé à la société Cladrast par la société chypriote Bulace, les biens hypothéqués par la SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, étant précisément désignés dans l'acte, à savoir un terrain non bâti cadastré commune de [Localité 3], section [Cadastre 2] pour 4844 m² et un terrain non bâti cadastré à [Localité 2], section [Cadastre 3] pour 120 m², [Cadastre 4] pour 625 m², [Cadastre 5] pour 55 m² et n° [Cadastre 1] pour 841 m².

Au paragraphe « Identification des parties », l'acte désigne la société Woori comme « créancier subrogé » et comporte, avant le paragraphe consacré aux « Affectations hypothécaires de la dette d'autrui » consenties par la SCI Jasmin, un paragraphe « Exposé » ainsi rédigé :

Les comparants aux présentes attestent et certifient ce qui suit :

1-les liens capitalistiques

La SCI Jasmin susnommée est détenue par :

-la société Beausoleil Jasmin Sarl, société à responsabilité limitée constituée selon les lois du Luxembourg, au capital de 500,000 euros, ayant son siège social [Adresse 3] et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 120064, à hauteur de 35 099 parts ;

-la société Jasmin Luxembourg Sarl, société à responsabilité limitée constituée selon les lois du Luxembourg, au capital de 12,500 euros, ayant son siège social [Adresse 3] et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 120063, à hauteur d'une part.

La société Beausoleil Jasmin Sarl est détenue elle-même à hauteur de 100% par la société Jasmin Luxembourg Sarl.

Ladite société Jasmin Luxembourg Sarl est elle-même détenue à 100% par la société Cladrast Investments Limited, ci-après dénommée, elle-même détenue à 100% par la société Doms Partners Co Ltd, emprunteur, ci-après dénommée.

2-les prêts

a-Aux termes d'un acte établi en la forme sous seing privé à Séoul en date du 27 juillet 2007, la société Tong Yang Investment Bank, ayant son siège social à Séoul (Corée), 185 Euljiro 2-ga, Chung-gu a consenti un prêt à la société Doms Partners, Co, Ltd, ayant son siège social à [Adresse 5], dont une copie simple, sans les annexes, est demeurée annexée aux présentes après mention en sa version établie en langue anglaise accompagnée de sa traduction en langue française établie par Mle [E], susnommée.

b-Aux termes d'un acte de prêt en date du 27 juillet 2007 la société Bulace Investment Limited, susnommée, a consenti un prêt à la société Cladrast Investments Limited au capital de 5000 €, ayant son siège social à [Adresse 6] (Chypre), dont une copie simple, sans les annexes, est demeurée annexée aux présentes après mention en sa version établie en langue anglaise accompagnée de sa traduction en langue française établie par Mle [E], susnommée.

3-Subrogation ' Cession de créance

Ledit prêt consenti par Tong Yang Investment Bank a été transféré dans le cadre d'une cession de créance à la société Woori Investement & Sécurities Co, Ltd, nouveau créancier subrogé, selon acte à Séoul en date du 3 août 2007, ainsi qu'il résulte d'une lettre en date de ce jour dont une copie est demeurée annexée aux présentes après mention.

En premier lieu, le fait que la lettre du 3 août 2003, portant cession de créance de la société Tong Yang à la société Woori, n'ait pas été annexée à l'acte, comme le reconnaît Me [T], n'est pas de nature à faire perdre audit acte son caractère authentique, alors qu'un tel document, simplement informatif, ne constituait pas une annexe obligatoire au sens de l'article 21 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 et que le défaut d'annexion de cette lettre procédait d'une simple omission matérielle du notaire, insusceptible d'affecter la validité de l'acte lui-même ; au demeurant, il est fait référence à cette lettre du 3 août 2003 dans le procès-verbal de l'assemblée générale de la SCI Jasmin du 3 août 2003 ayant autorisé son gérant, Lee [I], aux termes de la 1ère résolution, à consentir un cautionnement hypothécaire sur les biens immobiliers de la SCI en garantie des sommes dues au titre des prêts accordés à la société Doms Partners et à la société Cladrast, puisqu'il est précisé, dans cette résolution, que le prêt de 110 milliards de wons consenti par la société Tong Yang, soit la contre-valeur de 87 649 402,39 €, a été par suite transféré dans le cadre d'une cession de créance à la société Woori Investments & Securities Co., Ltd, nouveau créancier subrogé, selon acte à Séoul en date du 3 août 2007, ainsi qu'il résulte d'une lettre en date de ce jour.

Il est, par ailleurs, de principe que l'acte authentique ne fait foi jusqu'à inscription de faux que des faits que l'officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s'étant passés en sa présence dans l'exercice de ses fonctions ; en l'espèce, le notaire n'a fait que retranscrire, en page 3 de l'acte, les déclarations faites par les parties comparantes, qui ont ainsi personnellement attesté et certifié (sic) divers faits sur la nature de leurs relations, notamment sur les prêts antérieurement consentis et l'existence d'une cession de créance, dont aurait bénéficié la société Woori de la part de la société Tong Yang relativement au prêt (WCL), objet d'un acte sous seing privé du 27 juillet 2007, alors qu'en réalité, outre le fait que la cession de créance au profit de la société Woori, est intervenue, non le 3 août 2007, mais le 31 juillet 2007, elle a porté, non pas sur l'intégralité du prêt de 110 milliards de wons, soit 87 649 402,39 €, comme le laisse à penser les déclarations des comparants, mais sur 40 milliards de wons, correspondant à la contre-valeur de 31 872 509,96 € ; il n'appartenait pas au notaire de vérifier l'exactitude d'énonciations fournies par les parties, dont la preuve contraire pouvait, en effet, être administrée sans qu'il soit besoin de recourir à la procédure d'inscription de faux.

En outre, si Me [T], dans la partie de l'acte consacrée aux affectations hypothécaires, mentionne que le prêt consenti par la société Tong Yang a fait l'objet d'une cession de créance à la société Woori en vue de la prise de l'inscription au profit de cette société, créancier subrogé, ces indications le sont par référence aux déclarations des parties elles-mêmes, rapportées au paragraphe « Exposé » de l'acte,  et ne procèdent pas de faits qu'il a personnellement constatés.

Au surplus, il résulte des pièces produites, d'une part, que le contrat de prêt (WCL) du 27 juillet 2007, annexé à l'acte notarié du 3 août 2007, désigne Woori Investment & Securities (WIS) comme agent garant, notamment chargée de la création, la gestion et l'application de la sûreté créée sur le terrain détenu par la SCI Jasmin (') pour et au nom du préteur, les prêteurs WCL étant Tong Yang et ses successeurs, notamment en cas de cession de la créance de prêt, et dispose qu'un accord d'hypothèque pour la création de droits de sûreté sur le terrain devra être contracté avec le propriétaire au profit de l'agent de garantie en tant que premier créancier hypothécaire conformément aux lois françaises et, d'autre part, que la cession de créance de la société Tong Yang à la société Woori, intervenue le 31 juillet 2007 à hauteur de 40 milliards de wons (35 milliards sur le montant du prêt de 1er rang et 5 milliards sur le montant du prêt de 2ème rang), a été portée à la connaissance de la société Dom Partners avant la signature de l'acte notarié du 3 août 2007, celle-ci ayant ainsi, par courrier, confirmé que les sommes dues en vertu de la convention de prêt en won seront payées à WIS à titre de manager chef de file et de gestionnaire de fonds lequel procèdera au transfert de la somme aux membres des bailleurs de fonds, conformément à l'article 23 de la convention de prêt (') et que toute hypothèque ou mise en gages d'actions de sociétés, y compris des sociétés civiles immobilières, devant être donnée au titre de la convention de prêt ('), sera donnée au profit de WIS à titre de bénéficiaire de l'hypothèque ou de la mise en gages, lequel agira à titre de manager chef de file et de gestionnaire de fonds, conformément à la convention de prêt (') et à la convention de transfert de prêt.

La SCI Jasmin, dont le gérant 'Lee [I]' était également celui de la société Dom Partners n'ignorait donc pas que la société Woori n'était bénéficiaire d'une cession de créance de la société Tong Yang qu'à hauteur de 31 872 509,96 € et que cette société intervenait à l'acte comme agent garant chargée d'obtenir la constitution d'hypothèques sur les biens immobiliers de la SCI, en tant que représentant des membres du pool bancaire regroupant, outre la société Tong Yang, la société Jinheung Savings Bank, la société Gyeonggi Savings Bank et la société Sangji Construction.

Il s'ensuit que l'acte du 3 août 2007, dont les énonciations se rapportant à la constitution d'hypothèques, qui en était l'objet, et que le notaire était chargé de formaliser, ne comportent aucune altération de la vérité, qui soit imputable à ce dernier, de nature à lui faire perdre son caractère d'acte authentique au sens de l'article 1319 du code civil ; l'acte est d'ailleurs efficace puisqu'il contient, sans qu'elles soient arguées de faux, l'ensemble des mentions exigées aux articles 2418, 2421 et 2423 du code civil sur la nature et la situation des immeubles hypothèqués, l'indication des créances de prêt, causes de la sûreté, et le montant des sommes garanties tant en principal qu'au titre des intérêts, frais et accessoires.

L'inscription de faux de la SCI Over Monte Carlo à l'encontre de l'acte établi par Me [T] le 3 août 2007 doit en conséquence être rejetée ; il convient en outre, par application de l'article 305 du code de procédure civile, de condamner la SCI Over Monte Carlo au paiement d'une amende civile d'un montant de 3000 €.

2-la nullité de l'acte d'affectation hypothécaire :

La cour se trouve saisie d'une demande d'annulation, non de la délibération prise le 3 août 2007 par les associés de la SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, autorisant son gérant à consentir un cautionnement hypothécaire sur les biens immobiliers de la société, mais de l'acte d'affectation hypothécaire conclu en vertu de cette délibération ; il s'ensuit que la prescription applicable n'est pas la prescription triennale de l'article 1844-14 du code civil, mais celle du droit commun de l'article 1304 du même code, quand bien même l'acte, dont la nullité est demandée, a été accompli en vertu de la délibération du 3 août 2007 ; l'action de la SCI Over Monte Carlo engagée par exploit du 8 juillet 2011, moins de cinq ans après la conclusion de l'acte, n'est donc pas atteinte par la prescription.

La SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, est une société ayant son siège social à [Localité 4] et, partant, soumise au droit monégasque notamment en ce qui concerne la conformité à l'intérêt social de l'acte d'affectation hypothécaire conclu par son gérant aux termes de l'acte notarié du 3 août 2007 ; il résulte à cet égard de l'article 1671 du code civil monégasque, que toute société doit avoir un objet licite, et être contractée pour l'intérêt commun des parties et de l'article 1697 2° du même code, que chaque associé peut se servir des choses appartenant à la société, pourvu qu'il les emploie à leur destination fixée par l'usage, et qu'il ne s'en serve pas contre l'intérêt de la société, ou de manière à empêcher les associés d'en user selon leurs droits ; il importe donc de rechercher si le cautionnement hypothécaire souscrit, qui a pour effet d'augmenter les engagements des associés, n'est pas contraire à l'intérêt de la société, ce qui, en cas de contrariété de l'acte litigieux à l'intérêt social, est de nature à affecter la validité de celui-ci.

En premier lieu, force est de constater que la sûreté consentie le 3 août 2007 l'a été en conformité de l'objet social, puisque selon ses statuts, modifiés par une assemblée générale extraordinaire du 3 mars 2007, la société a notamment pour objet le cautionnement à titre simplement hypothécaire sur les biens de la société à l'effet de garantir les emprunts contractés par ses associés pour financer l'acquisition par ses derniers des droits sociaux de la société, et qu'aux termes de la 1ère résolution de l'assemblée générale du 3 août 2007, l'autorisation de consentir un cautionnement hypothécaire destiné à garantir les prêts contractés auprès de la société Woori et de la société Bulace a été donnée à l'unanimité des associés de la SCI, les sociétés Beausoleil Jasmin et Jasmin Luxembourg, ayant d'ailleurs l'une et l'autre le même gérant, Lee [I].

Au soutien de sa demande d'annulation de l'acte, la SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, fait valoir que celui-ci est nécessairement contraire à l'intérêt social, dès lors que, la valeur du bien, objet du cautionnement hypothécaire, est supérieure au montant des créances garanties, ce dont il résulte que l'existence même de la société se trouve compromise en cas de mise en jeu de la garantie ; elle souligne ainsi que le montant total des créances garanties est de 145 019 920,32 €, alors que le terrain constructible, qu'elle possède à [Localité 1], seul élément de son patrimoine, est comptabilisé à l'actif de ses bilans pour la somme de 19 739 215 € et a été évalué par une agence immobilière à hauteur de 65 452 450 € HT, compte tenu d'une surface hors 'uvre nette totale de 26 180 m².

Pour autant, les prêts consentis étaient, en l'occurrence, destinés à financer l'acquisition par la société Doms Partners, via sa filiale, la société Cladrast, de la totalité des parts de la société Jasmin Luxembourg, détenant elle-même 100% des parts de la société Beausoleil Jasmin, outre l'intégralité des certificats d'équité préférentiels convertibles émis par la société Beausoleil Jasmin, ce qui lui assurait ainsi le contrôle de la SCI Jasmin (dont 35 099 parts sur 35 100 étaient détenues par la société Beausoleil Jasmin et une part par la société Jasmin Luxembourg) ; cette opération conduisait à la création d'un groupe de sociétés, unies par des liens capitalistiques, dans lequel la SCI Jasmin se trouvait donc contrôlée indirectement par la société Doms Partners détentrice, par l'intermédiaire de sa filiale, de 100% des parts des deux sociétés luxembourgeoises, associées au sein de la SCI ; les prêts, totalisant environ 111 millions d'euros, étaient également destinés à financer, aux termes de l'article 3 des contrats de prêt, tous frais juridiques et dépens (y compris les frais juridiques locaux et étrangers), les frais d'évaluation et dépens concernant la faisabilité du projet, dépenses d'évaluation immobilière, ('), frais auxiliaires légaux d'agence encourus par rapport ou découlant du projet ('), tous frais et dépens, intérêts par défaut, réserves pour intérêts et autres coûts de financement en rapport avec le projet par rapport au prêt, le projet étant clairement défini en préambule des contrats comme étant la construction et la vente d'appartements et de parkings sur le territoire de [S] [K] et [Localité 3], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 1] à [Localité 1], France (le terrain), qui est détenu la SCI Jasmin ; le procès-verbal de l'assemblée générale des associés de la SCI Jasmin indiquait également, dans sa 1ère résolution, que lesdits prêts ont été consentis notamment pour l'acquisition par Cladrast Investement limited des titres de la société Jasmin Luxembourg Sarl, et pour financer divers frais concernant le lancement de l'opération de construction devant être réalisée par la SCI Jasmin.

Il est d'ailleurs justifié du règlement par la société Cladrast de diverses sommes au titre notamment des travaux préparatoires à l'opération de construction (reconnaissance de sol, études de conception ') et il est indiqué, dans l'acte notarié du 3 août 2007, pages 6, 7 et 8, que des inscriptions d'hypothèques conventionnelles, prises au profit de la Anglo Irisk Bank Corporation PLC, ont fait l'objet de mainlevées, dont les frais ont été acquittés par la société Cladrast.

Dès lors que les prêts consentis à la société Cladrast, qui appartenait avec elle au même groupe de sociétés, étaient en partie destinés à financer le démarrage de l'opération de construction pour laquelle elle bénéficiait déjà d'un permis de construire, pour lui permettre, à terme, dans le cadre de la mise en 'uvre du projet, de réaliser d'importants profits en raison de la localisation même dudit projet, à proximité de la principauté de [Localité 4], la SCI Jasmin avait un avantage direct à garantir le remboursement des prêts, contractés par une société avec laquelle elle avait des intérêts communs, quand bien même l'affectation hypothécaire, qu'elle consentait, portait sur son unique bien immobilier ; il en résulte que le cautionnement, objet de l'acte notarié du 3 août 2007, n'apparaît pas manifestement contraire à l'intérêt social, en sorte que la SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, ne peut qu'être déboutée de sa demande de nullité de l'acte.

Le contrat de prêt (WCL) du 27 juillet 2007, soumis au droit sud-coréen, institue la société Woori Investment & Securities comme agent garant, chargé d'inscrire une sûreté sur le terrain en tant que chef de file du pool bancaire, ce que la SCI Jasmin, ayant le même gérant que la société emprunteuse, la société Doms Parners, ne pouvait ignorer ; il ne peut dès lors être soutenu que l'affectation hypothécaire doit être réduite au montant de la seule créance de la société Woori, alors que la garantie a été prise, conformément aux termes du contrat de prêt et des dispositions de l'article 2423 du code civil, pour sûreté de la somme de 87 649 402,39 € en principal et de la somme de 26 294 820,72 € au titre des intérêts, frais et accessoires, au profit de la société Woori, non pas seulement en tant que créancier subrogé, mais également en sa qualité d'agent garant et d'agent de gestion des fonds.

3-les demandes de dommages et intérêts présentées à l'encontre de la SCI Over Monte Carlo :

En dépit des déclarations, qui auraient été faites devant le procureur de Séoul en charge de l'enquête pénale le concernant par [I] [M], lequel a notamment indiqué qu'il avait engagé l'action en justice pour obtenir l'annulation de l'hypothèque afin de retarder la procédure d'enchère, mais qu'il ne s'attendait pas du tout à avoir gain de cause dans cette procédure, il n'est pas établi en quoi l'action en justice engagée par la SCI Jasmin, devenue la SCI Over Monte Carlo, procède d'un abus de droit caractérisé de sa part, alors qu'elle développe des moyens de droit pertinents, notamment en ce qui concerne l'annulation du cautionnement hypothécaire comme contraire à l'intérêt social ; la société NHIS, anciennement dénommée Woori, doit en conséquence être déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.

De même, Me [T] et la SCP [T], qui n'établissent pas avoir subi un préjudice lié à l'inscription de faux, doivent également être déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts.

* *

*

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la SCI Over Monte Carlo doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société NHIS, anciennement dénommée Woori, la somme de 10 000 €, à la société Bulace la somme de 5000 € et à Me [T] et la SCP [T] la même somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en remboursement des frais, qu'ils ont dû exposer, non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Prononce la jonction des instances enrôlées sous les n° 14/05219 et 15//04995,

Déclare recevable l'intervention volontaire en cause d'appel de Me [T] et de la SCP [T],

Au fond, infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Déclare irrecevable la demande d'inscription de faux, telle qu'elle a été présentée en première instance par la SCI Over Monte Carlo,

Rejette l'inscription de faux déposée en cause d'appel par la SCI Over Monte Carlo à l'encontre de l'acte établi par Me [T], notaire associé, le 3 août 2007,

Condamne la SCI Over Monte Carlo au paiement d'une amende civile de 3000 €,

Déboute la SCI Over Monte Carlo de sa demande de nullité de l'acte d'affectation hypothécaire du 3 août 2007 et de sa demande subsidiaire de réduction du montant de la dite affectation hypothécaire,

Déboute la société NHIS, ainsi que Me [T] et la SCP [T] de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la SCI Over Monte Carlo aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société NHIS, anciennement dénommée Woori, la somme de 10 000 €, à la société Bulace la somme de 5000 € et à Me [T] et la SCP [T] la même somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code,

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 4e chambre a
Numéro d'arrêt : 14/05219
Date de la décision : 30/06/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 4A, arrêt n°14/05219 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-06-30;14.05219 ?
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