COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUIN 2016
N°2016/751
Rôle N° 14/20037
[T] [P]
C/
CMA CGM
CPAM DES BOUCHES DU RHONE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Alain TUILLIER
Me Lucien TOURNAIRE
CPAM DES BOUCHES DU RHONE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des BOUCHES DU RHÔNE en date du 10 Septembre 2014,enregistré au répertoire général sous le n° 21304770.
APPELANT
Monsieur [T] [P], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉES
CMA CGM, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Lucien TOURNAIRE, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 4]
représenté par Mme [G] [Y] (Inspectrice juridique) en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE INTERVENANTE
MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 3]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 Mai 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gérard FORET-DODELIN, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2016
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 9 août 2012, [T] [P] a déposé un certificat médical initial établi par son médecin faisant état d'un « malaise vagal suite à contrariété sur le lieu de travail » survenu la veille le 8 août 2012, dont il a sollicité la prise en charge à titre d'accident du travail.
Après enquête et expertise médicale protocolaire de l'article L.141-1 du Code de la sécurité sociale, la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a fait droit à se demande et un taux d'IPP de 15 % lui a été reconnu générant le versement à son profit d'une rente trimestrielle d'un montant de 788,20 euros à partir du 4 novembre 2014.
Selon requête déposée devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône le 20 septembre 2013, [T] [P] a saisi cette juridiction aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur la Société CMA-CGM comme étant à l'origine de son accident du travail.
Aux termes du jugement prononcé le 10 septembre 2014, le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône l'a débouté de cette prétention.
[T] [P] a relevé appel de cette décision.
Le Conseil d'[T] [P] a déposé des conclusions devant la Cour en vue de l'audience à intervenir, dont il a développé oralement le contenu lors de celle-ci, pour solliciter la réformation du jugement, de voir dire et juger que l'accident du travail qui lui est advenu le 12 août 2012 (le 8 août 2012 en réalité) est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, ordonner la majoration à son taux maximum de la rente qui lui est versée par l'organisme social, surseoir à statuer sur les autres chefs de préjudices et voir ordonner une expertise médicale, condamner d'ores et déjà l'employeur au versement à son profit d'une indemnité provisionnelle de 50.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses divers chefs de préjudices, outre la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Conseil de la Société CMA-CGM a déposé des conclusions dont il a développé oralement le contenu lors de l'audience, pour solliciter la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et le versement à son profit de la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le représentant de la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a déposé les conclusions usuelles en matière de faute inexcusable de l'employeur, aux termes desquelles il a déclaré s'en rapporter à justice au principal, tout en rappelant que si la faute inexcusable est reconnue son action récursoire doit être constatée et pour s'opposer à ce que les frais de consignation des honoraires de l'expert médical soient avancés par ses services.
La Mission Nationale de Contrôle et d'Audit des Organismes de Sécurité Sociale régulièrement avisée ne comparaît pas.
La Cour s'en rapporte pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties au contenu de leurs écritures déposées et verbalement exposées.
ET SUR CE :
Attendu qu'à l'appui de sa demande de réformation du jugement, [T] [P] expose pour l'essentiel que l'accident du travail qu'il a subi trouve sa cause dans la dégradation inhumaine de ses conditions de travail, l'absence de respect par l'employeur de l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, le comportement harcelant de ses supérieurs hiérarchiques, autant de circonstances dont il avait fait part à son employeur sans que ce dernier n'y apporte de correction, dans des conditions qui constituent une violation de l'obligation de sécurité dont il était tenu à son endroit ;
Que l'employeur s'oppose à ces prétentions et expose qu'il n'avait jamais été avisé de ce que son salarié présentait une quelconque fragilité psychologique et que rien ne lui permettait de présager d'un danger particulier inhérent aux directives reçues, au poste de travail ou à la fonction telle que définie au contrat de travail, que [T] [P] n'a jamais fait l'objet de harcèlement, que si ses conditions de travail ont pu se dégrader c'est à seule raison du comportement négatif du salarié, que ses conditions de travail étaient tout à fait normales et que la Caisse n'a reconnu l'accident du travail qu'à l'issue d'une enquête et d'un examen médical du salarié qui a été rendu hors de son contradictoire ;
Que l'employeur conclut que le salarié ne rapporte aucun élément de nature à prouver l'existence d'actes constitutifs de harcèlement moral ou leur répétition, qu'[T] [P] faisait preuve d'un comportement inapproprié et fermé, que son supérieur hiérarchique n'a jamais fait preuve de violence physique ou morale à son endroit, que de nombreuses pièces produites démontrent le caractère non-fondé des griefs du salarié à son encontre, que le malaise dont fait état le salarié n'est qu'un malaise vagal et que lors de l'enquête contradictoire le Docteur [N] a considéré qu'il n'y avait pas de relation de cause à effet entre les faits évoqués et les lésions médicalement contestées ;
Attendu sur le harcèlement moral que le Conseil des prud'hommes aux termes d'un jugement à ce jour définitif intervenu le 5 décembre 2014, a considéré que si [T] [P] n'avait pas bénéficié de la promotion à la fonction de surintendant, c'est seulement à raison de ce qu'il ne présentait pas l'expérience requise, et que s'il avait fait l'objet de 6 reproches, tous explicités, ceux-ci étaient reliés ou rattachés au fonctionnement de la société ou à son activité et ne pouvaient constituer des faits de harcèlement moral ;
Qu'il a ainsi fait litière de tout grief de harcèlement moral articulé par [T] [P] à l'encontre de son employeur dans des conditions qui s'imposent dès lors à la présente juridiction ;
Attendu que l'employeur démontre, notamment par les attestations d'[C] [E], de [R] [Q] et de [L] [J], qu'[T] [P] présentait des difficultés certaines d'adaptabilité au travail justifiant les remarques de ses supérieurs hiérarchiques ;
Que l'employeur argue de plus sans être contredit, qu'[T] [P] était volontaire pour effectuer des astreintes lors des fins de semaine, alors qu'il les exécutait à partir de son domicile et en récupérait la contrepartie durant la semaine ;
Que force est d'observer que le certificat médical d'hospitalisation fait mention d'une « douleur thoracique atypique avec symptomatologie vagale sur le lieu de travail dans les suites d'une discussion contrariante ' sur un patient très anxieux pour lequel on ne retient pas d'étiologie cardiaque quant à sa symptomatologie » ;
Que l'employeur avait accompagné cette déclaration de ses plus « vives réserves quant à l'éventuelle prise en charge de cet accident au titre des risques professionnels », alors même que le salarié refusait d'en donner les circonstances à son employeur (cote 31 du dossier de l'intimée) ;
Que ce n'est au demeurant qu'à la suite de l'expertise médicale protocolaire établie par le Docteur [O] selon laquelle « l'état dépressif réactionnel est dû aux conditions de travail » que cet accident a été reconnu par la Caisse au titre des risques professionnels ;
Que l'employeur démontre également que l'entretien qui a précédé la survenance du malaise vagal de [T] [P] s'est déroulé dans un climat de cordialité et en dehors de tout comportement violent et agressif de l'équipe de direction ;
Attendu que le 3 juin 2015, le Tribunal du Contentieux de l'Incapacité statuant sur le recours en inopposabilité de l'employeur du chef du taux d'IPP de 15 % reconnu par la Caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône au salarié victime de l'accident du travail, a considéré qu'[T] [P] présentait un fond dépressif constitutif d'un état antérieur ayant décompensé (dépression il y a 14 ans) et que son traitement en cours confirmait l'existence d'une pathologie psychiatrique lourde qui ne correspondait pas à un simple état anxio-dépressif, même sur une personnalité névrotique, pour en déduire en l'absence de bilan neurologique détaillé sollicité par la Caisse que le taux d'IPP de 15 % retenu par celle-ci devait être réduit à 0 % à l'égard de l'employeur ;
Qu'il se déduit nécessairement de cette motivation, que la pathologie lourde présentée par le salarié avait nécessairement pour effet de rendre disproportionnés à son égard tous les comportements légitimes de son employeur ou de sa hiérarchie, alors qu'en tout état de cause [T] [P] ne démontre pas avoir jamais fait état de telles difficultés notamment à la médecine du travail, laquelle aurait pu intervenir à son profit pour solliciter de l'employeur un aménagement de ses conditions de travail en rapport avec ses difficultés psychiatriques ;
Qu'il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la Société CMA-CGM ne pouvait valablement avoir conscience qu'elle faisait courir à son salarié un risque particulier pour sa santé et que consciente de ce risque elle n'aurait pas pris les mesures pour l'en préserver ;
Que c'est dès lors à bon droit que le Tribunal a considéré que la preuve de la commission par l'employeur d'une faute inexcusable n'était pas rapportée et qu'il convenait de débouter [T] [P] de ses prétentions de ce chef ;
Que confirmation du jugement sera ordonnée ;
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'employeur ;
Qu'[T] [P] qui succombe en ses prétentions devant la Cour sera débouté de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il convient de dispenser [T] [P] du paiement du droit édicté par l'alinéa 2 de l'article R.144-10 du Code de la sécurité sociale ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant contradictoirement en matière de sécurité sociale, par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Déclare [T] [P] recevable en son appel,
Au fond l'en déboute,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Déboute la Société CMA-CGM de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT