COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 19 MAI 2016
N° 2016/ 356
Rôle N° 14/02681
SARL SOCIETE NOUVELLES TECHNOLOGIES ELECTRIQUES ET DE CHAUFFAGE
C/
[B] [Q]
[X] [Q]-[H]
[F] [Q]
[G] [M] épouse [Q]
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Guillaume BUY, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
- Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 23 Décembre 2013 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2013F01344.
APPELANTE
SARL SOCIETE NOUVELLES TECHNOLOGIES ELECTRIQUES ET DE CHAUFFAGE
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Guillaume BUY, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [B] [Q] décédé le [Date décès 1] 2014
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 1]
représenté par Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [X] [Q]-[H]
agissant en qualité d'héritière de M. [B] [Q]
décédé le [Date décès 1] 2014
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [F] [Q]
agissant en qualité d'héritière de M. [Q] [B]
décédé le [Date décès 1] 2014
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [G] [M] épouse [Q]
agissant en qualité d'héritière de M. [B] [Q]
décédé le [Date décès 1] 2014
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Mars 2016 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUSSEL, Président magistrat rapporteur
Madame Anne CHALBOS, Conseiller
Madame Anne DUBOIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2016,
Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La SARL Société Nouvelles Technologies Electriques et de Chauffage (SONTEC) a été constituée le 12 juillet 1983, avec pour objet et activité la création, l'exploitation, l'acquisition, la prise en gérance libre de tout fonds de commerce d'entreprise générale d'électricité et la vente en détail de tous produits se rapportant à l'électricité.
Elle avait pour associé unique et pour gérant M. [B] [Q].
Le 10 juillet 2009 celui-ci a signé un procès-verbal contenant la décision suivante : « l'associé unique décide une distribution de dividendes à son profit d'un montant de 70 000 €. Ce montant sera prélevé sur le poste « réserves » et sera versé en deux fois, à savoir pour moitié, soit 35 000 € le 31 juillet 2009 et le solde, soit 35 000 € le 31 mars 2010 ».
M. [B] [Q] a cédé toutes ses parts à M. [I] [X], salarié de la société, par un acte sous seing privé signé le 20 juillet 2009 prévoyant les modalités de paiement des dividendes, ledit acte mentionnant que « aucun dividende complémentaire ne serait exigible si le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 s'élevait à 65 000 € ».
Par lettre en date du 4 juin 2010, la société SONTEC a fait connaître à M. [Q] que le solde de la distribution des dividendes ne serait pas payé, car le montant des capitaux propres était inférieur au chiffre de 65.000 euros.
Après plusieurs courriers échangés entre les parties, M. [Q] a assigné la société SONTEC devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 35 000 euros bruts au titre du solde de la distribution des dividendes, ainsi que la somme de 2000 euros au titre de son préjudice moral.
La société SONTEC a formé des demandes reconventionnelles au titre de la garantie d'actif et de passif.
Par jugement en date du 23 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Marseille a condamné la société SONTEC à payer à M. [Q] la somme de 29 264 euros bruts au titre de la distribution des dividendes, ainsi que la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et a débouté la défenderesse de ses demandes reconventionnelles.
La société SONTEC a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 10 février 2014.
M. [B] [Q] étant décédé le [Date décès 1] 2014, son épouse intervient volontairement à l'instance.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 11 juin 2015 par la société SONTEC.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel, de juger que le montant des capitaux propres doit être pris en considération après distribution, de constater que le montant des capitaux propres est inférieur à 65.000 euros au 31 décembre 2009 et que M. [B] [Q] ne pouvait donc réclamer la somme de 35 000 €, pas plus que ses héritiers, de rejeter les demandes de Mme [Q] en paiement de ladite somme et en paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral de M. [B] [Q], à titre subsidiaire de juger qu'elle n'a pas le droit de verser plus de 63,5 % du dividende calculé en application de l'article 7. 3, en tout état de cause de condamner Mme [G] [Q], ainsi que Mmes [F] [Q] et [X] [Q] ès qualités d'héritières de M. [Q], à lui restituer toutes les sommes qui leur ont été versées en exécution du jugement dont appel, sous astreinte de 100 € par jour de retard et de les condamner aux dépens distraits au profit de Me Buy, avocat, outre la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 18 décembre 2014 par Mme [G] [Q] , ès qualités.
Elle demande à la cour de rejeter la demande de la société SONTEC , de la condamner à lui payer la somme de 35 000 € bruts au titre du solde de la distribution des dividendes, outre 10 000 € au titre du préjudice moral subi par M. [B] [Q] et des troubles subis dans ses conditions d'existence, subsidiairement de confirmer le jugement dont appel, de condamner la société SONTEC à lui payer, en sa qualité la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 28 avril 2015 par Mme [X] [Q]'[H] et par Mme [F] [Q], agissant en qualité d'héritières de M. [B] [Q].
Elles demandent à la cour de leur donner acte de leur intervention volontaire en qualité d'héritières de M. [B] [Q], de faire droit aux demandes principales du requérant, de condamner la société SONTEC à leur payer, chacune, en qualité d'héritières la somme de 10 000 € au titre du préjudice moral subi par M. [B] [Q] et des troubles dans ses conditions d'existence.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 mars 2016.
SUR CE, LA COUR,
1. L'article 7-3 de l'acte du 20 juillet 2009 contenant cession de parts sociales, repris dans l'acte de garantie d'actif et de passif, est ainsi rédigé : « Les parties rappellent que, d'un commun accord, le cédant a eu droit, préalablement à la présente cession, à une distribution de dividendes par prélèvement sur les réserves de la société, d'un montant de 70 000 euros bruts. Conformément aux accords des parties, la décision de distribution du 10 juillet 2009 (') a prévu une mise en paiement immédiate d'un montant de 35 000 euros bruts payés ce jour en même temps que la signature du présent acte de cession de parts sociales. Le solde de la distribution décidée, soit la somme nette de 30 765 euros (soit 35 000 euros diminués des contributions exigibles) sera payable au 30 juin 2010. De convention expresse des parties cette somme sera payable par la société exclusivement dans l'hypothèse où le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 serait au moins égal à 100.000 euros. Les parties conviennent que pour le versement de cette fraction de dividendes acquis au cédant, la différence entre le montant des capitaux propres, s'il était inférieur à 100 000 € et la somme de 100 000 € viendrait en diminution de ce dividende, de façon proportionnelle. Ainsi, aucun dividende complémentaire ne serait exigible si le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 s'élevait à 65 000 € ».
2. Mme [G] [Q] fait valoir qu'en intégrant dans les comptes de 2009 le solde de la distribution des dividendes à venir, la société SONTEC a diminué arithmétiquement mais anormalement le montant des capitaux propres, puisque ce montant aurait dû être apprécié avant la comptabilisation de la distribution de la seconde partie des dividendes, car celle-ci dépendait d'un évènement aléatoire , qui était le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 ; que la dette était donc conditionnelle ce qui interdisait sa comptabilisation au titre de l'année 2009 ; qu'en toute hypothèse, selon l'article 212-1 du Plan comptable Général, seuls les passifs probables et certains sont comptabilisés, l'article 212-2 du plan comptable précisant qu'est un passif certain celui dont « l'échéance et le montant sont fixés de façon précise » ; que tel n'est pas le cas puisque la dette dépend du montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 et que le versement du solde de la distribution des dividendes n'était pas certain au moment de l'arrêt des comptes de l'année 2009 ; que cette distribution ne pouvait pas davantage faire l'objet d'une provision, car une dette n'est provisionnée que lorsque son montant peut être évalué avec une précision suffisante et de manière fiable, ce qui n'est pas le cas, puisqu'il a été convenu qu'au-dessous de 65 000 € aucun solde n'était dû et que dans l'hypothèse où le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 était supérieur à cette somme, le montant de la dette pouvait varier entre 1 euro et 35.000 euros, imprécision qui fait obstacle à ce que le solde de la distribution des dividendes soit inscrit au bilan en provisions pour charges.
3. Mais la dette n'était pas conditionnelle, car elle était certaine à la date de la délibération de l'associé unique, le 10 juillet 2009 qui a décidé d'une distribution de dividendes à son profit de 70.000 euros, les modalités de prélèvement de celle-ci, en deux versements, étant étrangères à la décision de l'appropriation de ladite somme par lui.
La cour fait donc sien l'avis de Mme [Q] [Z], expert-comptable, qui indique qu'il est correct « de comptabiliser la distribution à la date de l'assemblée (')» et celui de M. [A] [U], expert-comptable , qui estime que : « La décision de distribution est définitive et la convention postérieure entre M. [Q] et le cessionnaire ne peut venir changer la nature de la distribution, ('), le profit exceptionnel ne peut pas être enregistré en 2009 mais qu'en 2010 », l'un et l'autre produits par l'appelante.
4. Ceci autorise la société SONTEC à soutenir que la décision, prise en juillet 2009, de suspendre le paiement de la seconde partie du dividende voté par l'associé unique, d'un montant de 35 000 €, a laissé subsister la dette comptable de la société envers M. [B] [Q] ; qu'elle a donc dû être enregistrée comptablement, ce qui a eu pour effet de ramener le montant des capitaux propres au 31 décembre 2009 à la somme de 59 264 €, soit à un montant inférieur aux 65 000 € minimum ouvrant droit au paiement du solde; qu'ensuite , en juin 2010, elle a, dans la logique des règles comptables, constaté un produit sur l'exercice 2010 correspondant à la dette comptabilisée mais non payée ; qu'elle ne pouvait pas prendre en considération les capitaux propres avant distribution, car selon l'article R. 123-191 du Code de commerce, les capitaux propres constituent la somme algébrique des comptes de classe 10, 11, 12, 13 et 14 , c'est-à-dire, notamment, le capital social, les écarts de réévaluation, les réserves, le bénéfice où la perte de l'exercice, à l'exclusion des bénéfices pour lesquels une décision de distribution est intervenue, puisque la convention des parties ne mentionne pas que la fraction du dividende non encore payée à M. [Q] ne devait pas être comptabilisée en dettes et que le terme clair et précis de « capitaux propres » utilisé dans cette convention ne saurait être dénaturé pour que lui soit donné le sens souhaité par la partie adverse.
5. A supposer même qu'il faille considérer que la dette de 35.000 euros était aléatoire, une provision pour charge aurait dû être comptabilisée pour tenir compte du passif créé par la décision de l'associé unique et celle-ci aurait affecté un compte de passif et donc le montant des capitaux propres, étant ici observé que selon le Conseil National de la Comptabilité « une provision pour risques et charges est un passif dont l'échéance ou le montant ne sont pas fixés de façon précise » et que « Les provisions pour risques et charges ont un caractère éventuel au titre de leur montant ou de leur échéance mais correspondent à une obligation probable ou certaine à la date de clôture. Le passif éventuel correspond à une obligation qui n'est ni probable ni certaine à la date d'établissement des comptes, ou à une obligation probable pour laquelle la sortie de ressources ne l'est pas » ( CNC avis 00-01 ; ass. plen. du 20 avril 2000).
6. Indépendamment de la comptabilisation des 35.000 euros, examinée aux points précédents, les consorts [Q] considèrent que le montant des capitaux propres déterminé par la société SONTEC n'est pas exact, car au 31 décembre 2009 a été comptabilisée une provision pour litige devant le conseil des prud'hommes d'un montant de 33 437 euros, alors qu'il n'est pas justifié du bien-fondé de cette provision ; que M. [B] [Q] avait d'ailleurs vainement demandé à la société SONTEC , par un courrier du 12 juillet 2011 de l'informer des procédures prud'homales engagées par M. [R] et Mme [K] et de lui expédier la copie des jugements rendus ; qu'en second lieu, les comptes 2010 font apparaitre un profit exceptionnel de 41 606 euros , pour lequel des justifications doivent être produites, sauf à admettre qu'il s'agit d'un profit sur exercices antérieurs, ce qui modifierait les capitaux propres au 31 décembre 2009.
Mais les spéculations faites par les consorts [Q] à partir des bilans postérieurs pour émettre un doute sur la sincérité du bilan arrêté au 31 décembre 2009, seul visé dans l'acte de cession, ne font pas la preuve que ce bilan est inexact et la société SONTEC leur oppose de manière suffisante que des instances prud'homales étaient en cours en 2009, que cela impliquait la comptabilisation d'une provision et qu'en juin 2010, elle a dû logiquement constater un produit sur l'exercice 2010 correspondant à la dette comptabilisée mais non payé ce que confirme M. [A] [U], expert-comptable , qui estime que : « le profit exceptionnel ne peut pas être enregistré en 2009 mais qu'en 2010 »,
Le jugement sera donc infirmé et les demandes des consorts [Q] seront rejetées, y compris la demande de dommages-intérêts, puisque la résistance de la société SONTEC n'était pas fautive et que son appel est justifié.
7. La société SONTEC demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu'elle a versées aux consorts [Q] en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire, sous astreinte.
Cependant, le présent arrêt , infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.
Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande.
8. Les consorts [Q], qui succombent, seront condamnés aux dépens, la cour estimant, pour des raisons tirées de l'équité, qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement,
Donne acte à Mme [G] [Q], et à Mmes [F] [Q] et [X] [Q], de leur intervention volontaire en qualité d'héritières de M. [B] [Q],
Infirme le jugement dont appel,
Dit que le montant des capitaux propres de la société SONTEC était inférieur à 65.000 euros au 31 décembre 2009,
En conséquence,
Dit que les héritiers de M. [B] [Q] ne peuvent réclamer aucune somme au titre de la distribution sur réserves décidée par leur auteur, en qualité d'associé unique de SONTEC, le 10 juillet 2009,
Rejette leur demande de ce chef ainsi que toute autre demande,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées par la société SONTEC en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,
Condamne Mme [G] [Q], ainsi que Mmes [F] [Q] et [X] [Q] ès qualités d'héritières de M. [Q], in solidum, aux dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me Buy, avocat.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT