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25/03/2016 | FRANCE | N°14/18297

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, 18e chambre b, 25 mars 2016, 14/18297


ARRÊT AU FOND DU 25 MARS 2016

No 2016/ 668

Rôle No 14/ 18297

AGS-CGEA DE MARSEILLE-UNEDIC AGS-DELEGATION REGIONALE SUD-EST

C/

Bouadjmi X... SCP Y...et Z..., Mandataire ad'hoc de la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION CIOTADENNE DES Ets GARDELLA

Grosse délivrée le : à :

Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD

Me Christine SOUCHE-MARTINEZ
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de MARSE

ILLE-section I-en date du 04 Septembre 2014, enregistré au répertoire général sous le no 13/ 4308.
APPELANT
AGS-CGEA DE M...

ARRÊT AU FOND DU 25 MARS 2016

No 2016/ 668

Rôle No 14/ 18297

AGS-CGEA DE MARSEILLE-UNEDIC AGS-DELEGATION REGIONALE SUD-EST

C/

Bouadjmi X... SCP Y...et Z..., Mandataire ad'hoc de la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION CIOTADENNE DES Ets GARDELLA

Grosse délivrée le : à :

Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD

Me Christine SOUCHE-MARTINEZ
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de MARSEILLE-section I-en date du 04 Septembre 2014, enregistré au répertoire général sous le no 13/ 4308.
APPELANT
AGS-CGEA DE MARSEILLE-UNEDIC AGS-DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant Les Docks, Atrium 10. 5-10 place de la Joliette, BP 76514-13567 MARSEILLE CEDEX 02
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE,
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Olivia ROGER-VASSELIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur Bouadjmi X..., demeurant ...-13600 LA CIOTAT
représenté par Me Marie-julie CONCIATORI-BOUCHARD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Laurent GINTZ, avocat au barreau de MARSEILLE
SCP Y...et Z..., Mandataire ad'hoc de la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION CIOTADENNE DES Ets GARDELLA, demeurant ...-13001 MARSEILLE
représentée par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Isabelle RAFEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*- *- *- *- * COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre Mme Marina ALBERTI, Conseiller Monsieur Yann CATTIN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2016.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

M. Bouadjmi X...a été employé par la société d'exploitation ciotadenne des établissements Gardella (ci-après S. E. C. Gardella) en qualité de sableur du 2 juin 1972 au 30 juin 1988.
Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 23 septembre 1987. Un plan de cession a été arrêté par jugement du 8 avril 1988.
Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) par arrêté du 7 juillet 2000 fixant les dates d'exposition à l'amiante de 1970 à 1990.
M. Bouadjmi X...a été bénéficiaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif à compter du 1er octobre 2001.
M. Y...a été désigné en qualité de mandataire ad hoc avec mission de représenter la société d'exploitation ciotadenne des établissements Gardella, par ordonnance du président du tribunal de commerce de Marseille en date du 22 avril 2013.
Le 17 octobre 2013, M. Bouadjmi X...a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices résultant de son exposition à l'amiante.
Le Cgea-Ags de Marseille a été appelé en la cause.
Par jugement en date du 4 septembre 2014, le conseil de prud'hommes de Marseille a :- fixé la créance de M. Bouadjmi X...à la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, à valoir sur la procédure collective de la société d'exploitation ciotadenne des établissements Gardella,- déclaré le jugement opposable au Cgea de Marseille dans les limites de l'article L. 3253-8 du code du travail,- débouté M. Bouadjmi X...du surplus de ses demandes,- dit que les dépens seront prélevés sur l'actif de la société.

Le Cgea-Ags de Marseille a interjeté appel de cette décision le 12 septembre 2014.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, M. Y..., ès qualités, et le Cgea-Ags de Marseille demandent à la cour,
à titre principal, de : sur la demande au titre du préjudice d'anxiété,- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et, par conséquent, débouter les salariés qui n'apportent pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata de leur demande relative à leur exposition à l'amiante,- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata est postérieur à l'ouverture de la procédure collective, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie, sur la demande au titre du préjudice pour non-respect de l'obligation de résultat,- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat,

à titre subsidiaire, de :- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,- dire que la garantie de l'Ags ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens de l'article L. 143-11-1 ancien du code du travail, les astreintes et les frais de procédure étant exclus de la garantie,- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner les demandeurs aux dépens.

Par conclusions écrites, déposées et plaidées à la barre, M. Bouadjmi X...demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence du préjudice d'anxiété et déclaré la décision opposable à l'Ags-Cgea de Marseille, et, par la voie d'un appel incident, infirmant ce jugement sur les dommages et intérêts, de fixer sa créance au passif de la société d'exploitation ciotadenne des établissements Gardella aux sommes suivantes :. 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'angoisse,. 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de la violation des règles de sécurité,- déclarer l'arrêt opposable au Cgea qui devra faire l'avance des sommes dans le cadre du plafond 13,- condamner le Cgea à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de M. Bouadjmi X...
En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, étant précisé que l'obligation de prévention des risques inhérents au poste de travail n'est que l'une des composantes de cette obligation de résultat.
D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi no 91-1414 du 31 décembre 1991 disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.
Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que " les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers. "
En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 1er juillet 1988 que M. Bouadjmi X...a travaillé pour le compte de la société S. E. C. Gardella du 2 juin 1972 au 30 juin 1988 en qualité de sableur.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat
M. Bouadjmi X...sollicite l'allocation de la somme de 15 000 euros à ce titre, faisant valoir qu'il a été exposé à l'amiante du fait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
Il soutient que cette entreprise a été classée amiante et que son activité professionnelle l'exposait à l'amiante.
Il n'est produit aucune pièce par le mandataire ad hoc et l'Ags de nature à démontrer que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977.
Il en résulte que l'employeur a manqué aux dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail en ce qu'il n'a pas pris ces mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et en ce qu'il s'est abstenu de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que d'une organisation et de moyens adaptés. Le manquement à l'obligation de sécurité de résultat et l'inexécution fautive du contrat de travail sont donc avérés et le préjudice qui en découle directement est l'inquiétude que le salarié peut manifester face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et qui n'a pu naître qu'au moment où il a été informé de son exposition à l'amiante du fait de l'absence de prévention par l'employeur.
Ce préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque.
M. Bouadjmi X...qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande, nouvelle en cause d'appel, en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété

Le droit à indemnisation du préjudice d'anxiété repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante.
La société S. E. C. Gardella a été classée parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 pour la période de 1970 à 1990. Comme vu supra, M. Bouadjmi X...justifie y avoir été salarié du 2 juin 1972 au 30 juin 1988.
Il résulte de ces éléments qu'il a travaillé dans les conditions prévues par l'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté du 7 juillet 2000 pendant une période où étaient traités dans l'établissement mentionné par cet arrêté, de l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante (il a d'ailleurs bénéficié du dispositif Acaata) et se trouve-de par le fait de l'employeur-dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.
Ce préjudice spécifique n'a pas été pris en compte par l'Acaata, dispositif n'ayant pas pour finalité de réparer le dommage résultant de cette anxiété, mais dont le principal objet est d'indemniser le salarié ayant subi une exposition à l'amiante qui a demandé à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité.
Compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, sera plus exactement réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts qui sera fixée au passif du redressement judiciaire de la société S. E. C. Gardella.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur la garantie du Cgea-Ags

En application des dispositions des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 du code du travail, le Cgea-Ags couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié ; aucun des éléments versés aux débats ne peut permettre de retenir que ce préjudice aurait pu naître à une date antérieure à celle de la publication de l'arrêté ministériel d'inscription de la société S. E. C. Gardella sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, la société ayant été placée en redressement judiciaire le 23 septembre 1987.
Dès lors, l'Ags ne peut être tenue à garantie. Le jugement sera infirmé à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La demande de M. Bouadjmi X...au titre de l'article 700 du code de procédure civile formulée contre le Cgea-Ags de Marseille sera rejetée.
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés du redressement judiciaire de la société S. E. C. Gardella, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :- fixé à la somme de 8 000 euros la créance de M. Bouadjmi X...au titre de son préjudice d'anxiété,- dit que le Cgea-Ags de Marseille devait en garantir le paiement,

Statuant de nouveau et y ajoutant,
Déboute M. Bouadjmi X...de sa demande nouvelle formée au titre de la réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,
Fixe la créance de M. Bouadjmi X...au passif du redressement judiciaire de la société d'exploitation ciotadenne des établissements Gardella à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
Dit que la créance ainsi fixée n'est pas garantie par le Cgea-Ags de Marseille,
Déboute M. Bouadjmi X...de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/18297
Date de la décision : 25/03/2016
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2016-03-25;14.18297 ?
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