COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 22 MARS 2016
N° 2016/ 163
Rôle N° 14/07112
[N] [O]
C/
ETAT FRANCAIS
Grosse délivrée
le :
à :
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Me Thierry BAUDIN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal d'Instance de CANNES en date du 20 Mars 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11-11-0005.
APPELANT
Monsieur [N] [O]
né le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 1], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Catherine MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE,
INTIME
ETAT FRANCAIS Représenté par Monsieur le Préfet des Alpes-Maritimes Direction Départementale du Territoire et de la Mer, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Thierry BAUDIN, avocat au barreau de NICE substitué par Me Jean pierre BERDAH, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Février 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Sylvie PEREZ, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Véronique BEBON, Présidente
Madame Frédérique BRUEL, Conseillère
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2016,
Signé par Mme Véronique BEBON, Présidente et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Monsieur [O], fonctionnaire retraité de la Direction Départementale de l'Equipement, occupe depuis 1983, une maison dont l'Etat français est propriétaire, en vertu de conventions d'occupation à titre précaire et révocable qui lui ont été dénoncées pour le 31 décembre 2005.
Monsieur [O] se maintenant dans les lieux depuis, l'Etat français l'a fait assigner.
Par jugement du 20 mars 2014, le tribunal d'instance de Cannes a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par Monsieur [O] et la demande de requalification formée par celui-ci des titres d'occupation des lieux en bail d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 et, constatant que Monsieur [O] est occupant sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2006, a ordonné son expulsion et fixé l'indemnité mensuelle d'occupation à compter du mois de mars 2008 à la somme de 500 euros par mois, celui-ci étant en outre condamné au paiement d'une indemnité de 500 euros.
M. [O] a relevé appel de la décision.
Par conclusions déposées et signifiées le 7 juillet 2014, Monsieur [O] conclut à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, demande à la cour de prononcer la nullité de l'assignation délivrée le 30 mai 2011, subsidiairement la requalification des autorisations d'occupation en bail d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989, de constater qu'aucun congé n'a été valablement délivré et conclut au débouté de l'Etat français de ses demandes. A titre infiniment subsidiaire, il sollicite un délai d'un an renouvelable pour lui permettre de retrouver un logement et en tout état de cause, la condamnation de l'intimé au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il dénie la qualité à agir et le pouvoir du préfet des Alpes Maritimes et de la Direction Départementale du Territoire de la Mer, en application de l'article R. 158 du Code du domaine de l'état en vigueur au jour de l'assignation qui prévoit que le service des domaines est seul compétent pour suivre les instances de toute nature relatives aux biens domaniaux qui lui sont affectés dont il lui a été fait remise.
Il en déduit que l'assignation est affectée d'un vice de fond.
Sur le fond, Monsieur [O] reproche à l'Etat français un abus de droit du fait de son maintien dans les lieux sur la base d'une autorisation d'occupation précaire et révocable.
Il fait valoir que la commune intention des parties n'était pas de conclure une convention d'occupation précaire dépourvue de tout lien avec le projet de la pénétrante [Localité 1]-[Localité 2], mais de considérer que, dès lors que ce projet de pénétrante n'avait pas nécessité l'utilisation de la maison qu'il occupait, son engagement de vider les lieux n'avait plus lieu d'être.
Il ajoute que du fait que la loi de 89 est d'ordre public et s'applique aux locations de locaux à usage d'habitation principale, il n'y a pas lieu, comme l'a fait le premier juge dans le cadre de la demande subsidiaire en requalification, de s'attacher à la commune intention des parties.
Par conclusions notifiées le 27 août 2014, l'Etat français conclut à la confirmation du jugement mais fait appel incident sur les délais accordés à l'occupant pour quitter les lieux et conclut à la condamnation de Monsieur [O] au paiement de la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour frais de procès.
L'Etat français expose être propriétaire du bien immobilier dont s'agit, en vertu d'un acte de vente du 26 mai 1967, bien qui constitue une réserve foncière dans les termes de l'article L. 2211-1 du C.G.P.P.P. Il indique que l'article L. 2331-1 de ce code visé par Monsieur [O] confère compétence aux juridictions administratives pour tout contrat ou autorisation comportant autorisation du domaine public et qu'en l'espèce, il ne s'agit pas d'un bien public.
Sur la nullité de l'assignation, l'intimé fait valoir que l'appelant commet une erreur en invoquant l'article R. 2331-1 du Code général de la Propriété des Personnes Publiques, texte consacré par un décret du 22 novembre 2011 et non applicable lors de la délivrance de l'assignation le 30 mai 2011.
Sur le fond, l'Etat français rappelle que l'occupant a pris l'engagement de vider les lieux à compter du jour où l'administration le lui demanderait et que Monsieur [O] ne paye plus la moindre indemnité depuis 2006.
Il fait valoir qu'un bail consenti par une collectivité locale, qui contient une clause exorbitante de droit privé, en l'occurrence la faculté de reprendre les lieux loués pour les besoins du service est exclue du champ d'application de la loi de 1989, le caractère d'ordre public de cette loi ne pouvant entraîner novation aux accords contractuels de base.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En application de l'article R.163 du Code du domaine de l'Etat, applicable à la date de la délivrance de l'assignation, devant les juridictions administratives et judiciaires autres que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, la procédure de toutes les instances auxquelles le service des domaines est partie en exécution des articles R. 158, R. 158-1 et R. 159 est préparée et suivie jusqu'à l'entière exécution des jugements et arrêts :
1° Pour les instances visées à l'article R. 158-2°, par le préfet du département où est géré le patrimoine privé concerné...
3° Pour les autres instances, par le préfet du département dans lequel le litige a pris naissance.
Ces dispositions établissent ainsi la qualité à agir le pouvoir du préfet des Alpes maritimes et de la Direction Départementale du Territoire de la Mer
De plus, la demande de nullité de l'assignation délivrée le 30 mai 2011 étant fondée sur un vice de fond, il y a lieu de relever, comme l'a fait le premier juge, en application des dispositions de l'article 121 du Code de procédure civile, que le texte ci-dessus a été abrogé par un décret du 22 novembre 2011 qui, à l'article R. 2331-6 du Code général de la Propriété des Personnes Publiques, prévoit que devant les juridictions judiciaires autres que la Cour de cassation, l'Etat est représenté par le préfet du département dans lequel le litige a pris naissance, de sorte que la nullité invoquée par Monsieur [O] a été couverte au moment où le juge a statué.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté le moyen soulevé par Monsieur [O] de la nullité de l'assignation.
Sur le fond, Monsieur [O] soutient une demande de requalification de l'autorisation d'occupation en bail soumis à la loi du 6 juillet 1989.
L'article 221-2 du Code de l'urbanisme n'autorise pour les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières, que les signatures de concessions temporaires ne conférant au preneur aucun droit de renouvellement lorsque le bien est repris en vue de son utilisation définitive
Aux termes de soumissions dont la première a été consentie le 20 octobre 1983 à Monsieur [O], celui-ci occupe un logement situé à [Adresse 1].
Il y est indiqué que cette occupation est consentie à titre précaire et révocable, moyennant une redevance et rappelé que la propriété a été acquise par l'Etat en vue des travaux d'aménagement comme indiqué ci-dessus, le locataire prenant l'engagement de vider les lieux, sans indemnité et moyennant un préavis de trois mois, à compter du jour où l'administration de l'équipement le lui demandera.
Par lettre du 17 mai 1994, Monsieur [O] a sollicité la possibilité d'acquérir l'immeuble loué dans la mesure où celui-ci n'avait pas été utilisé pour la réalisation des travaux envisagés, ce à quoi il lui a été répondu le 25 juillet 1994 que la valeur vénale de l'immeuble n'était pas connue, de même que la volonté du service des domaines de se dessaisir du bien ou pas.
Les circonstances extérieures à la volonté du bailleur, à savoir les travaux d'aménagement projetés, qui, conditionnaient la validité de la convention précaire et empêchaient la conclusion d'un bail de droit commun, avaient disparu, le bien immobilier dont s'agit étant exclu du périmètre de la réserve foncière.
A cette date, la loi d'ordre public du 6 juillet 1989 régissait par conséquent les rapports entre Monsieur [O] et l'Etat français, la convention des parties étant requalifiée en bail d'habitation soumis à la dite loi, le jugement étant réformé de ce chef.
Les dépens seront laissés à la charge de l'état, sans qu'il y ait lieu à application de l'article700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement du 20 mars 2014 prononcé par le tribunal d'instance de Cannes du chef du rejet de l'exception de nullité de l'assignation mais le réforme pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
Requalifie la conven tion d'occupation précaire relative au logement occupé par Monsieur [O] situé à [Adresse 1], en bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989;
Y ajoutant :
Laisse les dépens à la charge de l'état ;
Condamne l'Etat français, agissant par Monsieur le Préfet des Alpes Maritimes aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,