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19/02/2016 | FRANCE | N°13/15047

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre a, 19 février 2016, 13/15047


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A



ARRÊT AU FOND



DU 19 FEVRIER 2016



N° 2016/ 167













Rôle N° 13/15047





SARL TALENS FRANCE





C/



[R] [A]



























Grosse délivrée le :



à :



- Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS



- Me Juliette GOLDMANN, avocat au barreau de MARSEILLE >


Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section - en date du 06 Juin 2013, enregistré au répertoire général sous le n° F 12/00379.







APPELANTE



SARL TALENS FRANCE, demeurant [Adr...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 19 FEVRIER 2016

N° 2016/ 167

Rôle N° 13/15047

SARL TALENS FRANCE

C/

[R] [A]

Grosse délivrée le :

à :

- Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS

- Me Juliette GOLDMANN, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section - en date du 06 Juin 2013, enregistré au répertoire général sous le n° F 12/00379.

APPELANTE

SARL TALENS FRANCE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [R] [A], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Juliette GOLDMANN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Cedric HEULIN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Pascale MARTIN, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur David MACOUIN, Conseiller

Mme Nathalie FRENOY, Conseiller qui a rapporté

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Février 2016.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Février 2016.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [R] [A] a été engagé par la société TALENS FRANCE à compter du 30 octobre 1981, en qualité d'agent technico-commercial sur le secteur Midi-Pyrénées, la convention collective applicable étant celle des industries chimiques.

Le 29 juillet 1987, il a signé un contrat de travail annulant et remplaçant le précédent.

Par courrier du 29 août 2011, estimant avoir subi une dégradation de ses conditions de travail lors de la réorganisation de l'activité commerciale au sein de la société, il a proposé à son employeur une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Le directeur général de la société TALENS FRANCE, par courrier recommandé du 30 septembre 2011, lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas accepter cette rupture du contrat, rappelant qu'il avait toujours été satisfait du travail et du comportement du salarié.

Par courrier du 15 décembre 2011, Monsieur [R] [A] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur pour différents manquements, indiquant:

'Par lettre du 30 septembre 2011, vous m'avez apporté une réponse à mon courrier du 20 septembre, par une fin de non-recevoir concernant ma demande de.rupture conventionnelle.

Vous confirmez par ailleurs pourtant, l'augmentation de mon secteur géographique celle-ci est effectivement due au départ non remplacé de Monsieur [V] [Y].

Contrairement à ce que vous indiquez également, lors d'un séminaire de fin décembre 2010, j'ai demandé devant l'ensemble de la force de vente, si nos salaires allaient être revus à la hausse du fait de cette charge de travail supplémentaire et une réponse négative nous a été donnée.

J'ai d'ailleurs manifesté mon absence d'enthousiasme face à cette situation qui m'était imposée et qui me plaçait devant le fait accompli.

J'ai par ailleurs noter que les salaires de base de mes collègues exerçant les mêmes fonctions que moi pour des anciennetés largement inférieures étaient pourtant supérieurs, et ce depuis votre prise de fonction.

Concernant les bons d'achat, vous confirmez que ceux-ci viennent bien en complément du plan annuel de primes, tout en omettant de rappeler qu'en 2009, j'ai perçu la somme de 650 €

en bons d'achat et en 2008, 1600 €, ce qui effectivement aurait dû donner lieu à une réintégration dans la rémunération s'agissant de primes salariales.

Compte tenu de la persistance de votre position, je vous indique que je suis contraint de prendre acte de la rupture aux torts exclusifs de l'employeur, rupture prenant effet à la première présentation de cette lettre.

Je vous remercie de bien vouloir tenir à ma disposition, un certificat travail, l'ensemble des documents légaux me concernant.

Je vous remercie de bien vouloir m'informer de la procédure de restitution des outils de travail mis à ma disposition par l'entreprise. Croyez bien que je suis contraint et désolé de la dégradation de nos relations contractuelles, surtout vis-à-vis de l'entreprise pour laquelle j'ai fourni des efforts pendant plus de 30 ans'[...]

Sollicitant la qualification de sa prise d'acte en rupture aux torts de l'employeur en raison des manquements invoqués, Monsieur [R] [A] a saisi le conseil des prud'hommes de Marseille lequel par jugement du 6 juin 2013 a:

- dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail est imputable aux torts exclusifs de l'employeur, et que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la Société TALENS, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à verser à M. [R] [A] les sommes suivantes:

- 53 419,62€ au titre d'indemnité légale de licenciement,

- 28 000€ à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 280,03€ bruts à titre de rappel de prime d'ancienneté,

- 228€ bruts à titre des congés payés afférents,

- 1 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

- dit que la moyenne des 3 derniers mois de salaire s'élève à 4 031,67€,

- condamné le défendeur aux entiers dépens.

*

La société TALENS FRANCE, le 18 juillet 2013, a interjeté appel de ce jugement, qui lui avait été notifié le 24 juin précédent.

Aux termes de ses écritures soutenues à l'audience, la société TALENS FRANCE demande à la Cour:

-d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de MARSEILLE le 6 juin 2013 en ce qu'il a prononcé la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur [A] aux torts exclusifs de l'employeur,

A titre principal,

-constater que la prise d'acte de Monsieur [A] n'est pas fondée sur un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite de son contrat de travail,

-dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Monsieur [A] doit produire les conséquences d'une démission,

-débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes,

A titre reconventionnel,

-condamner le requérant à verser à la société TALENS FRANCE la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

-apprécier dans de plus justes proportions les éventuels dommages et intérêts qui viendraient à être alloués au demandeur, en les limitant en particulier à l'équivalent de 6 mois de salaire, soit la somme de 24 190 €.

La société TALENS FRANCE réfute un par un les griefs qui lui sont opposés et en conteste la gravité en tout état de cause, les prétendus manquements datant de plusieurs mois. Elle fait valoir notamment que l'élargissement du secteur géographique du salarié avait nécessairement entraîné pour lui le bénéfice d'une clientèle plus importante et partant, une augmentation de la part variable de sa rémunération. Elle indique que les griefs nouveaux, connus de l'intéressé ou invoqués postérieurement à la prise d'acte ne sauraient la justifier.

À titre subsidiaire, l'appelante fait valoir que trois jours seulement se sont écoulés entre sa prise d'acte et le nouvel emploi que le salarié a occupé le 18 décembre 2011. Elle souligne que si la prise d'acte devait être qualifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, sa condamnation ne pourrait s'élever qu'au strict minimum, soit six mois de salaire ( ou 24'190 €).

*

Dans ses conclusions développées lors des débats, [R] [A], intimé, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille en toutes ses dispositions.

Y ajouter,

-condamner la société TALENS FRANCE à payer à Monsieur [A] la somme de 20 380 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les 28 000 € déjà alloués par les premiers juges,

-condamner la société TALENS FRANCE à payer à Monsieur [A] la somme de 12 095 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) et 1 209 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

-condamner la société TALENS FRANCE à payer à Monsieur [A] la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l'inégalité de traitement,

-condamner la société TALENS FRANCE à verser à Monsieur [A] la somme de 121,99 € nets correspondant à la somme qui lui a été illégalement retenue sur son solde de tout compte,

-condamner la société TALENS FRANCE à verser à Monsieur [A] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

-débouter la société TALENS FRANCE de ses demandes reconventionnelles,

-condamner la société TALENS FRANCE aux entiers dépens,

-prononcer la capitalisation des intérêts sur les demandes formulées en application de l'article 1154 du Code civil.

Monsieur [A] rappelle que de nouveaux griefs, non contenus dans la lettre de prise d'acte, peuvent être pris en considération pour justifier une rupture aux torts de l'employeur, les manquements invoqués dans l'écrit d'un salarié ne pouvant fixer les limites du litige.

Il nie le caractère tardif de sa prise d'acte, ayant essayé d'entamer des discussions officieuses pour obtenir la régularisation de sa situation.

Pour plus ample exposé, la Cour renvoie aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais aussi consister en des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur ou en des comportements délibérés rendant impossible la poursuite des relations contractuelles.

L'écrit par lequel un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige et le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par ce salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Le moyen tiré de la nouveauté de certains griefs n'est donc pas pertinent. Il convient par conséquent, en l'espèce, d'analyser tous les griefs invoqués par [R] [A], ceux contenus dans le courrier de prise d'acte comme ceux formulés postérieurement.

Les griefs du salarié sont les suivants:

-augmentation du secteur géographique

Monsieur [R] [A] soutient que la modification de son secteur géographique, étendu à tous les départements du Sud-Ouest et portant à 19, puis à 15, le nombre de départements affectés à sa prospection depuis février 2011, lui a causé une surcharge de travail insoutenable et des trajets beaucoup plus longs, ayant rendu nécessaire la consultation son médecin généraliste. Il conteste les motifs économiques - non démontrés- invoqués en justification de cette modification de secteur.

La société TALENS FRANCE, pour sa part, fait valoir que la modification unilatérale du contrat de travail de Monsieur [R] [A] n'est pas établie, le secteur géographique de l'intéressé n'ayant été augmenté que de quatre départements et ce, de façon justifiée, compte tenu du départ de Monsieur [Y] et des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise.

Elle souligne que ce changement de secteur, rendu nécessaire au regard des circonstances, ne peut caractériser une faute de sa part, mais relève de l'exercice de son pouvoir de direction, d'autant que la zone géographique d'intervention du salarié n'était pas contractualisée et que ses fonctions elles-mêmes impliquaient une certaine mobilité.

Elle rappelle que l'intéressé n'a d'ailleurs manifesté son opposition à ce changement qu'un an après son effectivité. S'agissant du rythme de travail allégué, l'appelante soutient que Monsieur [A] n'a jamais été contraint d'exploiter les nouveaux contours de son périmètre d'intervention de façon intensive.

La modification de l'économie fonctionnelle du contrat nécessite l'accord du salarié.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur [R] [A] a vu son secteur de prospection élargi à huit puis quatre départements nouveaux, à la suite du départ de son collègue Monsieur [Y], et ce , sans augmentation de son salaire fixe.

Bien que le contrat de travail ( avenant du 29 juillet 1987) stipule que ' toute modification dans la zone d'activité' 'qui n'entraînerait pas un changement de lieu de résidence ne pourrait constituer la rupture du présent contrat', il est établi que l'augmentation du secteur du salarié a modifié l'économie fonctionnelle de son contrat de travail.

Or, il n'est pas démontré qu'un accord écrit ait été obtenu de l'intéressé et son adhésion ne saurait être déduite de son activité dans ce nouveau cadre géographique pendant plusieurs mois.

Par conséquent, ayant dû faire face à un surcroît de travail et à des trajets objectivement plus longs, sans augmentation de sa rémunération fixe, Monsieur [A] se plaint à juste titre de la modification de son secteur géographique.

-structure de rémunération

Dans sa lettre de prise d'acte, Monsieur [R] [A] critique le paiement en bons d'achat d'une partie des primes sur objectifs, à compter de l'année 2008. Il considère la pratique illégale, l'employeur s'exonérant ainsi du paiement des cotisations sociales sur la rémunération variable et soutient qu'en modifiant ainsi le mode de rémunération et en excluant une partie des primes de la structure du salaire, l'employeur, qui n'a jamais souhaité régulariser, a commis un double manquement.

La société TALENS FRANCE rejette cet argument, non sérieux, comme l'a fait le conseil des prud'hommes le 6 juin 2013. Elle affirme en outre que le salarié ne démontre aucune modification unilatérale de la structure de sa rémunération relativement à ces bons d'achat.

La rémunération du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord.

La perception de primes partiellement en bons d'achat aurait dû recevoir l'aval du salarié, lequel fait défaut en l'espèce, comme l'indiquait déjà M. [R] [A] dans son courrier du 20 septembre 2011 auquel l'employeur a répondu en proposant une réintégration des sommes ainsi versées en nature dans la rémunération de l'intéressé, sans cependant y procéder.

-prime d'ancienneté

Monsieur [R] [A] soutient que sa prime d'ancienneté a été gelée depuis l'année 2002 alors qu'elle aurait dû évoluer en fonction de l'augmentation du salaire minimal conventionnel correspondant au coefficient 300 dont il bénéficiait.

La société TALENS France indique avoir versé une prime mensuelle majorée de 15 % en raison des seuils d'ancienneté acquis, conformément au plafond maximal des prescriptions conventionnelles. Elle conclut à la réformation du jugement du conseil des prud'hommes qui a ajouté à l'argumentation de la partie demanderesse en outrepassant ses demandes.

L'article 16 de l'avenant n°II agents de maîtrise et techniciens du 14 mars 1955 modifié, de la convention collective des industries chimiques prévoit le paiement aux salariés, ' après 15 ans d'ancienneté'd' une prime de 15 % du salaire conventionnel.

Il est établi, à la lecture des bulletins de salaire successifs de [R] [A], que sa prime d'ancienneté est restée fixée à la somme de 266,92 euros depuis 2002.

Le calcul de cette prime, fait en violation des dispositions conventionnelles applicables, ne saurait être compensé par d'autres avantages et constitue un manquement de l'employeur.

Par conséquent, sans même faire l'analyse des autres reproches, il convient de constater que les griefs invoqués par Monsieur [A] constituent des manquements de la société TALENS FRANCE, touchant à l'économie fonctionnelle du contrat de travail du salarié et à sa rémunération, et sont suffisamment graves, nonobstant leur ancienneté, pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille et de dire que la prise d'acte a produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

Lorsque la rupture du contrat de travail par prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à des dommages-intérêts, à l'indemnité de préavis et aux congés payés y afférents ainsi qu'à l'indemnité de licenciement auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient donc de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille en ce qu'il a condamné la société TALENS FRANCE à verser une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En ce qui concerne le montant des dommages-intérêts dont l'intimé sollicite qu'il soit augmenté de 20 380 €, il y a lieu, en considération de l'âge du salarié au jour de la rupture (50 ans), de son ancienneté dans l'entreprise - remontant à 1981-, mais aussi de l'emploi qu'il a retrouvé quelques jours seulement après sa prise d'acte et en l'absence de tout élément nouveau sur un préjudice restant à réparer, de confirmer l'évaluation qui en a été faite par les premiers juges.

En revanche, c'est à tort, après avoir analysé la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le conseil des prud'hommes de Marseille dans son jugement du 6 juin 2013 a débouté M. [R] [A] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents.

Conformément aux dispositions de l'article L1234-1 du code du travail et de l'article 20 de l'avenant n°II agents de maîtrise et techniciens du 14 mars 1955 modifié, de la convention collective nationale des industries chimiques -qui octroie aux salariés bénéficiant d'un coefficient supérieur à 275 un préavis de trois mois-, il convient donc de condamner la société TALENS FRANCE à payer à l'intimé les sommes - non critiquées- qu'il réclame à ce titre, compte tenu du coefficient 300 dont il bénéficiait.

Sur l'indemnisation de l'inégalité de traitement

En vertu du principe ' à travail égal, salaire égal', [R] [A] critique le montant de son salaire de base (d'un montant annuel de 38'610 € ) inférieur à celui d'autres agents technico-commerciaux exerçant les mêmes fonctions, comme [F] [W] ( 40'430 €) et [L] [R] (41'990€) et réfute les arguments avancés, sans preuve, par la société TALENS FRANCE pour justifier ces écarts de salaires.

La société TALENS FRANCE conteste l'inégalité de traitement invoquée et indique que Monsieur [A] n'était pas placé dans une situation identique à celle de M. [R] notamment sur le plan des activités et des responsabilités et bénéficiait d'une rémunération quasiment comparable à celle de M. [W], qui était plus performant.

En ce qui concerne la demande d'indemnisation pour ce manquement nouvellement formulé en cause d'appel et contesté, la société TALENS FRANCE conclut à son rejet, le salarié ne pouvant obtenir une double indemnisation du même préjudice.

Il résulte du principe ' à travail égal, salaire égal' que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant le même travail ou un travail de valeur égale.

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

[R] [A] verse au débat un document portant mention de la rémunération de base de ses deux collègues Messieurs [W] et [R], mais aussi leur bulletin de salaire nominatif de novembre 2011. Il produit aussi ses propres bulletins de paie.

Contrairement aux allégations de la société appelante, le salaire mensuel de base de [R] [A] ( 2970€) est inférieur à celui de Monsieur [R] (3230 €) et à celui de Monsieur [W] (3110€) pour la même qualification d'agent technico-commercial, comme mentionnée sur les bulletins de paie des trois salariés.

L'ancienneté de Monsieur [R], avancée comme justification par la société TALENS FRANCE, n'est pas supérieure à celle de l'intimé; en effet, elle remonte à 1987, à la lecture du curriculum vitae produit, et est même très inférieure dans l'entreprise ( ayant été embauché par la société TALENS FRANCE en 2010 au lieu de 1981 pour l'intimé).

De même, le caractère stratégique de son poste au regard de la clientèle n'est pas démontré par le tableau figurant sur la pièce n° 6-3 de la société TALENS FRANCE, peu explicite et non corroboré par un quelconque élément objectif; il ne saurait donc justifier l'inégalité de traitement constatée.

Par ailleurs, l'allégation de meilleurs résultats de Monsieur [W] n'est pas objectivée par le comparatif dressé par la société elle-même, document unilatéral conforté par aucune donnée comptable.

La société TALENS FRANCE ne justifie donc pas la différence de traitement critiquée.

Cette différence de rémunération a nécessairement causé un préjudice financier au salarié, qui doit en être indemnisé à hauteur de 1500 €, compte tenu du relativement faible écart constaté.

Sur le coût du matériel

Le solde de tout compte adressé le 20 février 2012 à Monsieur [R] [A] contenait la déduction du coût d'un chargeur ' smart adapter' qui n'aurait pas été restitué. Le salarié a contesté le 27 février 2012 avoir conservé cet appareil et a réclamé paiement de la somme de 121,99 €, déduite de son solde de tout compte.

La société TALENS FRANCE conteste devoir tout remboursement, le salarié ne démontrant pas avoir restitué le chargeur litigieux ; l'appelante demande sur ce point la confirmation du jugement de première instance.

Cependant, le courrier du 27 février 2012 que [R] [A] produit - et par lequel il rappelle avoir déposé le chargeur au siège de l'entreprise, pour dysfonctionnement' ne saurait constituer la preuve de ce dépôt, en l'absence de tout élément objectif.

Il apparaît, à la lecture de la facture du 15 février 2012, que le remplacement de cet appareil a coûté 121,99 € à la société TALENS FRANCE.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes de Marseille a rejeté la demande deMonsieur [A] en remboursement de cette somme.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal avec capitalisation sur le fondement de l'article 1154 du code civil sont dus sur la créance salariale ( indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et de congés payésy afférents) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation, soit le 16 février 2012, en l'espèce, et à compter du présent arrêt pour les autres sommes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement de première instance doit être confirmé relativement à l'article 700 du code de procédure civile. Il convient, en outre, l'intimé ayant dû exposer de nouveaux frais en cause d'appel, de condamner la société TALENS FRANCE à lui payer la somme de 1000 € complémentaires, à ce titre.

La société TALENS FRANCE, qui succombe, doit être tenue aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Confirme le jugement déféré sauf dans ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés y afférents,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société TALENS FRANCE à payer à Monsieur [R] [A] les sommes suivantes:

- 12 095 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 209 € au titre des congés payés y afférents,

- 1 500 € à titre de dommages-intérêts pour inégalité de traitement,

- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les intérêts au taux légal avec capitalisation en application de l'article 1154 du code civil sont dus sur la créance salariale ( indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis) à compter du 16 février 2012, et à compter du présent arrêt pour les autres sommes,

Déboute la société TALENS FRANCE de ses demandes,

Condamne la société TALENS FRANCE aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre a
Numéro d'arrêt : 13/15047
Date de la décision : 19/02/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9A, arrêt n°13/15047 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-02-19;13.15047 ?
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