COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 16 FEVRIER 2016
N° 2016/ 91
Rôle N° 14/13698
[T] [S]
C/
SA ANF IMMOBILIER
Grosse délivrée
le :
à :
Me Mireille MOUREN
Me Cécile HIMBAUT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 12 Mai 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/02957.
APPELANT
Monsieur [T] [S] exerçant sous l'enseigne ELEGANCE [Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2] / ISRAEL
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Mireille MOUREN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SA ANF IMMOBILIER Faisant élection de domicile en son établissement de [Adresse 2]., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Cécile HIMBAUT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Janvier 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Véronique BEBON, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Véronique BEBON, Présidente
Madame Frédérique BRUEL, Conseillère
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Février 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Février 2016,
Signé par Mme Véronique BEBON, Présidente et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon bail commercial signé le 4 juin 1993, à effet du 29 septembre 1993, Monsieur [T] [S] exploite un commerce de confection pour hommes à l'enseigne ' [Établissement 1]', dans un local situé [Adresse 2] appartenant actuellement à la SA ANF IMMOBILIER.
Ce bail a été renouvelé à compter du 29 septembre 2005 par avenant du 8 septembre 2006 moyennant un nouveau loyer porté à 10 455 euros par an.
Par acte extra-judiciaire en date du 5 octobre 2011, le bailleur, la SA ANF a sollicité la révision du loyer sur le fondement de l'article L. 145- 38 du code du commerce afin de voir fixer à 43400€ le nouveau loyer annuel compte tenu d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
Après échange de mémoires, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Marseille a été saisi et par jugement avant dire droit du 10 décembre 2012 a ordonné une expertise.
M. [S] a interjeté appel du jugement à la réformation duquel il a conclu en indiquant que le premier juge avait retenu le principe d'une évolution des facteurs locaux de commercialité ainsi qu'au débouté de la SA ANF de ses demandes.
L'expert a déposé son rapport le 23 janvier 2014.
Par jugement en date du 12 mai 2014, le Juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Marseille a :
- rejeté la demande de sursis a statuer,
- fixé à la somme de 29 893,32 € hors taxe et hors charge par an le prix du loyer du bail renouvelé au 5 octobre 2011 afférent aux locaux situés [Adresse 2]) donnés à bail commercial à Monsieur [S] [T] toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
- condamné Monsieur [S] [T] à payer sur l'arriéré résultant du loyer ainsi fixé les intérêts au taux légal à compter de chacune des échéances échues depuis le 5 octobre 2011;
- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts ;
- dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- rejeté toute autre demande ;
- fait masse des dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire et dit que chaque partie en supportera la moitié.
Monsieur [S] a interjeté appel de ce second jugement le 10 juillet 2014.
Dans ses dernières conclusions en date du 10 décembre 2015 auxquelles il est fait expressément référence, Monsieur [S] demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Marseille, juridiction des loyers commerciaux, le 12 mai 2014,
- dire et juger qu'ANF ne rapporte pas la preuve d'une réelle évolution des facteurs locaux de commercialité, notamment sur le plan économique.
- dire et juger que l'évolution des facteurs locaux de commercialité a d'ores et déjà été retenue pour la fixation du loyer déplafonné lors de I'avenant de renouvellement conclu entre les parties le 8 septembre 2006 à effet du 29 septembre 2005.
- dire et juger que l'évolution des facteurs locaux de commercialité n'a aucune incidence sur le fonds de commerce exploité par Monsieur [T] [S] à I'enseigne « [Établissement 1].''
- dire et juger qu`en raison des travaux réalisés par Monsieur [T] [S] à ses seuls frais en 2008 et de la modification notable des caractéristiques du local, ANF ne peut déplafonner le loyer avant le 2ème renouvellement suivant I'achèvement des travaux, soit septembre 2023.
- en conséquence, débouter la société ANF IMMOBILIER de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société ANF IMMOBILIER à payer à Monsieur [T] [S] la somme de 2 500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 2 500€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner la société ANF IMMOBILIER aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Mireille MOUREN - SCP PELLIER ARNAUD MOUREN qui y a pourvu.
Dans ses dernières conclusions en date du 18 décembre 2015 auxquelles il est fait expressément référence, la société ANF IMMOBILIER demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux près le Tribunal de grande instance de MARSEILLE du 12 mai 2014, en ce qu°il a fixé le prix du loyer au octobre 2011 à la somme annuelle de 29 893,32 euros hors taxe et hors charge, toutes autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées,
- réformer le jugement du 12 mai 2014 en ce qu'il a jugé que le bail a été renouvelé au 5 octobre 2011,
en conséquence,
- fixer à la somme de 29 893,32 euros hors taxe et hors charge par an le prix du loyer révisé au 5 octobre 2011, toutes autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées,
- rejeter les prétentions de Monsieur [T] [S],
- condamner Monsieur [T] [S] à payer à la Société ANF IMMOBILIER la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Monsieur [T] [S] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Cécile HIMBAUT.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le sursis à statuer
Cette demande n'est plus reprise devant la cour, en l'état de l'arrêt de la présente cour en date du 31 mars 2015 ayant déclaré irrecevable l'appel du jugement du 10 décembre 2012.
Sur l'évolution des facteurs locaux de commercialité
L'article L. 145-38 du Code de commerce prévoit qu'en matière de révision triennale, la majoration peut excéder la variation de l'indice trimestriel légal de référence, dans l'hypothèse où est rapportée « la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative ''.
Dans ce cas, le loyer doit correspondre à la valeur locative telle que prévue par l'article L 145-33 du même code.
L'expert retient que les locaux considérés sont situés dans le [Localité 1], dans un immeuble urbain implanté au numéro 33 de la rue de la République, à proximité immédiate du [Localité 5] et de l'hyper centre ville.
La [Adresse 2] permettant de relier le quartier du [Localité 5] au [Localité 3], s'étend sur plus d'1 km et a fait l'objet d'une opération de requalification urbaine importante, appuyée par la mise en place du tramway et se concrétisant par une réhabilitation des immeubles haussmanniens bordant la voie.
Le premier tronçon de la rue de la république où se situe le magasin de M. [S] a fait l'objet de travaux importants entre le 29 septembre 2005 au 5 octobre 2011 qui se sont achevés à cette date:
- les trottoirs ont été portés à 5 m,
- le parking public [Localité 4] 700 places a été ouvert en février 2006,
- le tramway a été mis en service en juin 2007,
- les immeubles situés dans le premier troncon de la rue entre le [Localité 5] et la place [Localité 4] ont été ravalés, les parties communes et appartements réhabilités et une population plus aisée que la précédente accueillie,
- les surfaces commerciales ont été restructurées permettant l'installation de magasins de marques et d'enseignes nationales ou internationales.
Monsieur [R], expert, a noté que les loyers de comparaison à la date du 29 septembre 2005 se situaient cette année là dans une fourchette de 192€ à 254€, représentant un prix moyen de 225€/m², alors que l'analyse du marché à la date du 5 octobre 2011 faisait ressortir un prix moyen de 547€/m² .
Il en a donc logiquement déduit que la modification des facteurs locaux de commercialité avait entraîné une variation de la valeur locative largement supérieure à 10%; autorisant la fixation du loyer révisé à la valeur locative réelle du fonds.
Monsieur [S] fait valoir que son commerce spécialisé en vente de vêtements de grande taille n'a pas bénéficié de la nouvelle attractivité commerciale du quartier.
Mais d'une part il apparaît que la publicité du commerce mentionne des tailles du 36 au 98, ce qui inclut les tailles courantes et que son bail lui permet tout commerce de vétêments de 'confection pour homme' ; d'autre part il Monsieur [S] ne prétend pas vendre ces vêtements uniquement sur catalogue et réservé de fait exclusivement la fréquentation de son commerce à une clientèle d'habitués.
Il ne peut donc nier que les aménagements du réseau de transport et l'accroissement des places de stationnement ainsi que l'attractivité d'enseignes de marque améliorent l'achalandise et drainent envers son commerce une clientèle plus nombreuse et au pouvoir d'achat en adéquation avec l'achat de vêtements de qualité.
Il bénéficie donc de cette potentialité élargie et ne peut en outre soutenir que l'attractivité du quartier serait moindre que celle escomptée au regard du turn over des enseignes et sur la base d'un seul article de presse, de nouveaux magasins franchisés venant systématiquement remplacer les commerces déplacés par stratégie commerciale de certains groupes, et la valeur des loyers de comparaison considérée en 2011, attestant de la bonne santé économique de ce quartier sur la période de référence seule à considérer.
Monsieur [S] conteste également les éléments de référence produits par la Société ANF IMMOBILIER, au motif qu'il s'agit de baux consentis par ladite société propriétaire sur cette artère de nombreux immeubles.
Mais les loyers de comparaison librement négociés entre parties distinctes et avec des partenaires économiques d'égale importance demeurent pertinents dès lors qu'il s'agit des éléments de référence exigés par la loi.
Monsieur [S] soutient enfin que l'évolution des facteurs locaux de commercialité avait en réalité déjà été prise en compte par anticipation en 2006, dans le mémoire en fixation de loyer qui lui avait été notifié et qu'il avait fini par accepter amiablement le nouveau loyer proposé de 10 455€ dans le cadre de l'avenant amiablement conclu entre les parties le 08/09/2006 mettant ainsi fin à la procédure de déplafonnement introduite à cette période.
Il invoque les termes employés dans le mémoire soutenu par L'ANF à cette époque et ainsi reproduits :
'La réhabilitation de la [Adresse 2] va nécessairement améliorer de façon notable la commercialité déjà très présente de cette rue actuellement l'objet de grands travaux, tant sur les immeubles eux-mêmes que sur la desserte de cet axe avec la création du tramway. Même si au 29 septembre 2005, les travaux n'étaient pas encore terminés et sont encore en cours, les faits générateurs de cette modification étant antérieurs à la date de renouvellement, doivent bien être considérés comme étant intervenus dans le cours du bail expiré au 29 septembre 2005.
En effet, la Cour de Cassation précise que l'on doit tenir compte de la modification des facteurs locaux de commercialité, même si les effets de cette modification ne seront effectifs que postérieurement au renouvellement du bail.
Il est bien évident que d'ici la fin de l'année 2006, la physionomie de la rue de la République sera diamétralement opposée à celle qui était la sienne avant les grands travaux entrepris en 2005.
La modification des facteurs locaux de commercialité a une incidence directe sur le commerce considéré. Cette artère délaissée par une partie de la population va connaître un regain de fréquentation qu'elle avait quelque peu perdue et ce d'autant que le commerce dont il s'agit est situé dans la partie la plus commerçante de cette rue.
Elle est donc bien fondée en sa demande de déplafonnement tiré des dispositions de l'article 23-4 du décret du 30 septembre 1953 et L 145-24 du code de commerce'
S'il en ressort que la société ANF avait anticipé l'incidence de l'évolution des facteurs de commercialité qui existerait en 2006 pour justifier de les prendre en considération au cours de la période du bail expiré au 29 septembre 2005 et ainsi déplafonner le loyer pour le fixer à la valeur locative connue à cette date, il n'en demeure pas moins que d'autres paramètres tels que le désagrément des travaux non achevés avant fin 2006 devaient être pris en considération à la date de l'avenant ainsi que la valeur locative des loyers de comparaison connus à cette date s'agissant essentiellement de petits commerces de quartier.
Il doit être également précisé que pour les éléments extérieurs, le tramway n'a été achevé qu'en 2007 et que M. [S] reconnait lui-meme dans ces écritures ( page 7 de ses conclusions ) que de nombreux commerces et de grandes enseignes et distributeurs de grandes marques nationales ou internationales ont été installés, surtout à compter de 2008 dans les locaux réhabilités.
Il en résulte que l'avenant ne pouvait prendre en compte que les éléments connus à la date de sa signature et que le prix de la valeur locative n'a été fixé qu'au regard des loyers de comparaison effectifs à cette période qui représentaient à l'époque un prix moyen de 225€/m², soit pour le commerce de M. [S] un loyer annuel de 225x62,20m² un loyer annuel de 13 995€, que n'a même pas permis de rattraper l'avenant conclu en 2006 pour 10 455€.
Ce loyer est sans commune mesure avec la valeur locative de comparaison établie par l'expert à 30 621€ représentant la réalité de l'expansion économique du quartier sur la période de 2006 à 2011 sur laquelle aucune de parties ne pouvait se prononcer ou renoncer par avance au jour de la signature de l'avenant.
Ce moyen sera par conséquent écarté.
Sur le prix du bail révisé
Le juge des loyers commerciaux a retenu que la moyenne des termes de référence, après rejet des loyers atypiques au regard de leur surface ou de leur montant anormalement élevé, permettait de fixer à 480,60 euros le prix au m², représentant pour le commerce susvisé un loyer annuel de : 480,60 euros X 62,20 m2: 29 893.32 euros.
La société ANF, tout en indiquant que la mezzanine créée par M. [S] devrait être prise en compte au moins au titre de sa surface pour augmenter les 62,20 m2 retenue par l'expert et le juge, n'en déduit pas de conséquence dans le dispositif de ses conclusions en sollicitant sur ce point la pure et simple confirmation du jugement.
Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions, sauf à le rectifier en ce qu'il ne peut s'agir que du prix du bail révisé et non renouvelé au 5 octobre 2011, le renouvellement ne pouvant intervenir qu'après l'expiration de son terme prévu au 28 septembre 2014.
Sur les dépens et l'article 700
Il n'y a pas lieu de modifier la charge des dépens de première instance au regard du montant initial de la demande de la société ANF que l'expertise a permis de réduire à de plus justes proportions .
Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [S] qui sera exonéré,par considération d'équité, de l'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à préciser qu'il s'agit du prix du loyer révisé et non renouvelé au 5 octobre 2011,
Déboute les parties de toutes autres demandes,
Condamne M. [S] aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Cécile HIMBAUT, avocate, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,