COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 29 JANVIER 2016
N°2016/148
Rôle N° 14/04235
[D] [H]
C/
SA RICARD
Grosse délivrée le :
à :
Me Alain GUIDI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section I - en date du 13 Février 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/339.
APPELANT
Monsieur [D] [H], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Alain GUIDI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SA RICARD, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 14 Décembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur David MACOUIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Pascale MARTIN, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Marie-Claude REVOL, Conseiller
Monsieur David MACOUIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Janvier 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Janvier 2016
Signé par Madame Pascale MARTIN, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 13 février 2014 qui:
- déboute Monsieur [D] [H] de toutes ses demandes,
- déboute la société RICARD de sa demande reconventionnelle,
- condamne Monsieur [H] aux dépens.
Vu l'appel régulièrement interjeté contre ce jugement par Monsieur [H] suivant lettre recommandée expédiée le 18 février 2014.
Vu ses conclusions reçues au greffe le 11 décembre 2015, réitérées à l'audience, demandant à la cour:
- de réformer le jugement entrepris,
- de condamner la SA RICARD à lui payer les sommes suivantes:
* 1 438,51 euros au titre du solde de congés payés sur préavis,
* 143,85 euros au titre des congés payés sur solde d'indemnité de préavis,
* 822 euros au titre de la retenue ES,
* 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire,
* 10 000 euros à titre d'indemnité pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.
Vu les écritures reçues au greffe le 7 décembre 2015, réitérées à l'audience, tendant à ce que la cour:
- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dise que Monsieur [H] a été rempli de ses droits en matière salariale,
- condamne Monsieur [H] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS
Attendu que Monsieur [H] a été embauché par la SA RICARD le 9 juillet 2007 suivant contrat à durée déterminée en qualité de commercial;
Que les relations contractuelles se sont poursuivies à compter du 1er janvier 2008 par la signature d'un contrat à durée indéterminée;
Que l'employeur lui a notifié son licenciement par courrier du 19 novembre 2012 au motif que la privation de son permis de conduire par le jeu d'une décision de la justice espagnole ordonnant sa suspension pendant une durée de 8 mois, le 2 septembre 2012, à la fin de ses congés, avait une incidence sur son activité professionnelle, le plaçait dans l'impossibilité d'exercer ses missions, cet élément étant indispensable à la réalisation de sa prestation de travail et confrontait l'employeur à des difficultés l'obligeant à revoir l'organisation des équipes commerciales pour pallier son absence; qu'il est ajouté que dans la mesure où l'infraction ayant donné lieu à cette suspension a été commise avec un véhicule portant la marque de l'entreprise, ce comportement était de nature à mettre en cause l'image de la société;
Que Monsieur [H] a saisi, par requête reçue le 5 février 2013, le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de contestation du bien-fondé de la mesure, de paiement d'un solde d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis et d'un rappel de salaire au titre d'une retenue indue;
Qu'il fait grief au jugement entrepris de l'avoir débouté de l'ensemble de ses prétentions;
Qu'à l'appui de son appel il fait valoir que:
* il ressort d'une jurisprudence bien établie que l'employeur ne peut licencier un salarié pour une infraction au code de la route commise en dehors de son contrat de travail qui relève de sa vie personnelle et ne peut donc pas constituer une faute dans les relations contractuelles, étant observé que l'employeur mentionne clairement avoir engagé une procédure disciplinaire,
* son permis de conduire a été en réalité égaré au moment d'un contrôle de police en Espagne,
* la déclaration de perte effectuée par ses soins le 27 septembre 2012 et valant permis de conduire pendant deux mois jusqu'au 27 novembre 2012, le relevé d'informations du 18 septembre 2012 de la préfecture des Bouches du Rhône, la notification de la perte de deux points du fichier national du permis de conduire qui mentionne qu'au 21 janvier 2013 son solde de points était de 10 et la délivrance d'un duplicata de son permis de conduire démontrent qu'il n'était en réalité pas privé de ses droits à conduire, ce que conforte selon lui la production d'un courrier émanant de Monsieur [N] de la sous-direction des conventions et de l'entraide judiciaire du ministère des affaires étrangères,
* en tout état de cause à la supposer établie, cette suspension ne pouvait avoir aucune incidence sur son activité dans la mesure où il était domicilié à côté du siège social à [Localité 1], et qu'après avoir été affecté sur [Localité 2] et [Localité 3], il était basé à [Localité 1] , étant précisé que les éventuels déplacements étaient toujours effectués à deux;
Que l'employeur conclut à la confirmation du jugement entrepris;
Attendu qu'il résulte en premier lieu de la lettre de licenciement et plus particulièrement des termes suivants: 'Bien que ces faits relèvent de votre vie privée, vous nous placez devant des difficultés d'organisation professionnelles en raison du trouble occasionné dans le fonctionnement de la Direction Régionale des Ventes. Nous sommes dans l'obligation de revoir l'organisation des équipes commerciales pour palier à votre absence.', que nonobstant l'indication plus haut de l'engagement d'une procédure disciplinaire qui recouvre au demeurant le second grief tiré de l'atteinte à l'image de l'entreprise, l'employeur s'est placé non pas sur ce terrain disciplinaire mais sur celui de l'incapacité du salarié à satisfaire aux obligations de son contrat de travail;
Qu'il sera rappelé à cet égard que le retrait du permis de conduire, même s'il a été opéré en dehors du temps de travail, peut à l'instar de tous les comportements relevant de la vie privée néanmoins constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement si celui-ci, compte tenu de la nature des fonctions du salarié et de la finalité de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière;
Qu'en l'espèce, il ressort clairement du contrat de travail que les fonctions de Monsieur [H] consistaient à effectuer notamment des déplacements rendant l'usage d'un véhicule indispensable à l'exercice de l'activité, l'employeur mettant même un véhicule de fonction à sa disposition; qu'il est expressément indiqué dans la rubrique 'véhicule' que le fait d'être titulaire d'un permis de conduire non suspendu est un élément indispensable dans l'accomplissement des activités confiées; que le fait que Monsieur [H] ait été basé au siège de la société à [Localité 1] depuis le 1er juillet 2009 ne signifie nullement que ses fonctions de commercial avaient été substantiellement modifiées de sorte que lesdites dispositions contractuelles seraient devenues caduques;
Que ce point observé, l'employeur produit aux débats la copie et sa traduction d'une pièce de procédure émanant du tribunal d'instruction de Tarragona portant mise en demeure à Monsieur [H] de s'abstenir de conduire des véhicules à moteur et des cyclomoteurs pendant 8 mois et de remettre le permis de conduire dont il est titulaire;
Que Monsieur [H] reconnaît dans un mail adressé à l'employeur le 16 novembre 2012 et produit par ses soins (pièce n°16) que les services de police espagnols ont conservé son permis de conduire à la sortie de l'audience; que ce permis n'a donc pas été 'égaré' comme il le prétend; que cette circonstance très particulière n'a pas été mentionnée dans la déclaration effectuée par l'intéressé qui a en outre, de manière erronée, déclaré que cette 'perte' avait eu lieu le 31 août 2012; qu'il sera en outre relevé que la date d'établissement de cette déclaration au 7 septembre 2012 a été surchargée; que Monsieur [H] prétend désormais, pour les besoins de sa démonstration, l'avoir effectuée le 27 septembre 2012; qu'il rappelle cependant à plusieurs reprises dans des mails adressés à l'employeur avoir procédé à la dite déclaration le 7 septembre 2012 ( pièce n°12 de Monsieur [H], pièce n° 8 de l'employeur); qu'il s'ensuit d'une part qu'il ne peut prétendre à l'extension jusqu'au 27 novembre 2012, soit postérieurement au licenciement, de l'autorisation de conduire qui en résulte, ni se prévaloir plus généralement de ce document qui contient des déclarations clairement mensongères et du duplicata du permis de conduire qui a été délivré en conséquence;
Qu'en outre, il sera rappelé que le principe de réciprocité et de reconnaissance mutuelle posé par la directive 91/439 du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 1991 relative au permis de conduire s'applique à la validité des permis de conduire mais également à l'autorité attachée aux jugements et décisions administratives des pays membres de l'Union Européenne; que par application de ce principe, la suspension d'un permis de conduire dans l'un des pays de l'Union entraîne nécessairement l'interdiction de conduire sur le territoire national, tant que l'intéressé ne justifie pas avoir respecté la réglementation du pays concerné en matière de suspension, ce qui ne saurait résulter de la fourniture d'une information quant au solde de points restant sur le permis de conduire par l'autorité préfectorale qui peut tout aussi bien s'expliquer par l'absence d'échanges des informations entre les autorités concernées ou par l'absence de prise en compte de ces informations; que de la même façon, le suivi d'un stage sur le territoire national est sans incidence sur la mise à néant de la mesure de suspension ordonnée par les autorités espagnoles;
Qu'il s'ensuit qu'au moment du licenciement, Monsieur [H] n'était pas en mesure de justifier de sa capacité à conduire sur le territoire national; que cette situation rendait nécessairement l'exercice de son activité professionnelle de commercial impossible; que la mesure de rupture repose donc sur une cause réelle et sérieuse;
Que Monsieur [H] sera en conséquence, par confirmation du jugement entrepris, débouté de ses demandes d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnisation pour licenciement vexatoire;
Qu'il sera en outre débouté de ses demandes non explicitées au titre de l'exécution de mauvaise foi du contrat et du rappel de salaire ainsi que celle formée au titre du solde d'indemnité compensatrice de préavis qui apparaît au demeurant non fondée au regard de ses droits et des mentions figurant au dernier bulletin de paie;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Attendu qu'il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et aux dépens;
Attendu qu'il est équitable de condamner Monsieur [H] à payer à la SA RICARD la somme de 1 000 euros au titre des frais qu'elle a exposés non compris dans les dépens;
Attendu que les dépens d'appel seront à la charge de Monsieur [H], dont les prétentions sont rejetées par la cour, par application de l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant:
Condamne Monsieur [H] à payer à la SA RICARD la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [H] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Pascale MARTIN faisant fonction