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19/01/2016 | FRANCE | N°14/02974

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11e chambre a, 19 janvier 2016, 14/02974


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

11e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 19 JANVIER 2016



N° 2016/ 20













Rôle N° 14/02974







[N] [Z] épouse [O]





C/



[B] [U] [T] [W] épouse [T]





















Grosse délivrée

le :

à :



Me Corine SIMONI





Me Colette TARTANSON







Décision déférée à la Cour

:



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DIGNE-LES-BAINS en date du 18 Décembre 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00512.





APPELANTE



Madame [N] [Z] épouse [O]

née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Corine SIMONI, avo...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

11e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 19 JANVIER 2016

N° 2016/ 20

Rôle N° 14/02974

[N] [Z] épouse [O]

C/

[B] [U] [T] [W] épouse [T]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Corine SIMONI

Me Colette TARTANSON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de DIGNE-LES-BAINS en date du 18 Décembre 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00512.

APPELANTE

Madame [N] [Z] épouse [O]

née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Corine SIMONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Philippe MAGNAN, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE, plaidant

INTIMEE

Madame [B] [U] [T] [W] épouse [T]

née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 2] (83), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Colette TARTANSON de la SELARL CABINET D'AVOCATS TARTANSON, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Décembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Sylvie PEREZ, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Mme Véronique BEBON, Présidente

Madame Frédérique BRUEL, Conseillère

Madame Sylvie PEREZ, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Natacha BARBE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2016.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2016,

Signé par Mme Véronique BEBON, Présidente et Mme Natacha BARBE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte notarié des 6 et 27 janvier 2001, Madame [W] épouse [T] a consenti à Madame [Z] épouse [O], la location à usage commercial d'une remise avec cave en rez-de-chaussée, constituant le lot n°[Cadastre 1] d'un immeuble collectif situé sur la commune [Localité 3], à l'angle formé par la [Adresse 3] et de la [Adresse 4].

Le 4 janvier 2002, une canalisation d'eau s'est rompue au 2ème étage de l'immeuble, entraînant un dégât des eaux dans le local commercial, dénoncé au bailleur le 9 janvier, la locataire cessant de payer les loyers dès septembre 2002.

Invoquant la disparition du fonds en ce que les locaux n'étaient pas exploitables, Madame [O] a le 9 avril 2004, cessé son activité et a été radiée du Registre du Commerce.

Plusieurs procédures en référé vont être engagées par les parties dont :

- une ordonnance rendue le 6 décembre 2002 va rejeter la demande de la locataire aux fins de suspension du paiement des loyers mais fera droit à la demande d'expertise, expertise qui fera l'objet d'une ordonnance de caducité le 22 mai 2003 ;

- le 12 avril 2005 sur l'initiative de la bailleresse, qui sollicite la résiliation du bail pour non-paiement des loyers, le juge des référés va par ordonnance du 2 juin 2005,ordonner la suspension de la clause résolutoire, une expertise et rejeter la demande de suspension des loyers ;

- une autre ordonnance rendue le 27 novembre 2009 va constater la résiliation du bail et ordonner le paiement d'une indemnité provisionnelle.

L'expert a noté que la présence d'importantes dégradations dans le local et proposé aux parties, le 19 février 2009, d'appeler en cause les propriétaires et/ou les occupants des appartements ainsi que le gestionnaire de l'immeuble pour ce qui concerne les parties communes et indiqué ne pouvoir poursuivre sa mission d'expertise dès lors que ces mises en cause ne sont pas effectués. Le rapport d'expertise sera déposé le 27 octobre 2010 en l'état du refus des parties de régulariser les appels en cause.

Le 4 avril 2012, Madame [O] a fait assigner Madame [T] en paiement d'une somme de 150.019 euros à titre d'indemnisation pour la perte de son fonds de commerce.

Par jugement du 18 décembre 2013, le tribunal de grande instance [Localité 3] a, avec exécution provisoire, rejeté les exceptions de prescription de l'action, débouté Madame [O] de l'intégralité de ses demandes faites à l'encontre du bailleur et l'a condamnée à payer à Madame [T] la somme de 28.238,21 euros au titre des loyers impayés et indemnités d'occupation pour la période de septembre 2002 au 30 mars 2010, date de la remise des clés du local.

Pour rejeter l'exception tirée de la prescription de l'action, le premier juge a considéré que l'article 110-4 du Code de commerce et l'article 2224 code civil sont applicables, que la perte du fonds de commerce se situe au 27 novembre 2003 et constitue le point de départ de la prescription, interrompue le 2 juin 2005 par l'ordonnance de référé ordonnant une expertise ainsi que par une ordonnance de remplacement de l'expert du 2 novembre 2008.

Concernant la demande d'indemnisation de la perte du fonds de commerce, le premier juge s'est fondé sur la carence du preneur à satisfaire à ses obligations résultant de la clause d'exonération de garantie contenue au bail.

Madame [O] a fait appel du jugement.

Par conclusions notifiées le 24 novembre 2015, elle a conclu à la réformation du jugement sauf concernant les moyens tirés de la prescription et demandé à la cour d'une part d'écarter la clause exonératoire de responsabilité en ce qu'elle porte sur une obligation essentielle du bailleur, à savoir les obligations de délivrance et d'entretien prévues aux articles 1719 et 1720 du code civil et d'autre part de dire et juger qu'elle était fondée à s'abstenir du paiement des loyers. Elle a conclu à la recevabilité de son appel et à la condamnation de Madame [T] au paiement de la somme de 155 019 euros représentant la valeur du fonds de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2012, date de l'assignation, outre les sommes de 100 000 euros en réparation d'un préjudice moral et de 5 000 euros à titre d'indemnité pour frais de procès.

Par conclusions notifiées le 10 août 2015, Madame [T] a conclu à la réformation du jugement concernant la prescription et statuant à nouveau de ce chef, au débouté de Madame [O] de ses demandes comme prescrites par application tant de l'article L. 145-60 du Code de commerce que des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du Code de commerce. A titre subsidiaire, Madame [T] a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Madame [O] en raison de la clause d'exonération prévue au bail et au besoin, en application de l'article 1725 du code civil. Elle a conclu à la condamnation de Madame [O] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Recevabilité de l'action :

C'est à bon droit que le premier juge considérant que l'action engagée par Madame [O] ne relevait pas du statut a écarté la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce mais a retenu les dispositions de l'article 110-4 du même code et de l'article 2224 du code civil comme s'appliquant à l'espèce.

Madame [T] considère que la prescription quinquennale prévues aux articles ci-dessus était à cette date écoulée, le point de départ de cette prescription devant être fixée au 4 janvier 2002, date du dégât des eaux.

Cependant, le point de départ du délai à l'expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance, point de départ établi à bon droit par le premier juge à la date du 27 novembre 2003 qui selon le rapport d'expertise PolyExpert, établit que les murs des lieux loués ne pourront être asséchés et constitue donc la date de la perte du fonds de commerce.

A cette date cependant, le délai de prescription de l'article 110-4 du Code de commerce était de dix ans et celui de l'ancien article 2262 de trente ans, délai modifié par la loi du 17 juin 2008 qui a institué un délai de cinq ans, l'article 2262 devenant désormais l'article 2224.

Cette loi a prévu en son article 26, que les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ayant engagé son action le 4 avril 2012, soit dans le délai de cinq ans à compter du 19 juin 2008 et sans que la durée totale excède dix ans, Madame [O] a engagé son action dans le délai imparti, laquelle action est recevable, le jugement étant confirmé de ce chef.

2. La clause de non responsabilité du bailleur:

Le bail signé entre les parties contient une clause restrictive de responsabilité du bailleur libellée comme suit :

« Le bailleur écarte toute responsabilité, vis-à-vis du preneur, dans les cas suivants :

...

- En cas d'inondations par les eaux pluviales, fuites d'eau, écoulement par chéneaux et autres circonstances provoquant ces débordements.

Le preneur fera son affaire personnelle des cas ci-dessus cités, et de toutes autres éventualités imprévues, excepté son recours contre qui de droit, en dehors du bailleur. En conséquence, le preneur contractera toutes assurances indispensables de manière que la responsabilité du bailleur ne soit jamais engagée ».

Madame [T] expose que cette clause a expressément été prévue dans le bail, contre tenu de la nature du local loué, parfaitement connu de Madame [O] et qu'elle avait squatté avant la signature du bail et pour tenir compte de l'état déjà vétuste de la remise avec cave, comportant une cour intérieure, rappelant que la locataire a accepté cette clause en signant le bail.

Madame [T] fait valoir que les dispositions de l'article 1721 ne sont pas d'ordre public et qu'il peut y être dérogé par des conventions particulières dès lors que les clauses à ce sujet sont claires, précises et non équivoques, rappelant que les clauses d'exonération en matière de garantie de jouissance, qui sont licites, ne peuvent être écartées qu'en cas de faute lourde du bailleur ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Madame [O] conteste la validité de cette clause comme portante atteinte à l'équilibre économique de la convention et sur une obligation essentielle du contrat comment l'espèce l'obligation de délivrance, d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage auquel elle est destinée, l'obligation de jouissance paisible prévue aux articles 1719 et 1720 du Code civil, faisant valoir de plus le caractère imprécis de la clause tant sur l'origine des désordres que sur les travaux consécutifs à ces derniers.

Si l'obligation de délivrer la chose en bon état est supplétive de la volonté des parties, le bailleur reste tenu de délivrer les lieux et de les maintenir, en cours de bail en état de servir à l'usage auquel ils sont destinés.

Ainsi, d'une part l'entrée dans les lieux d'un preneur connaissant le mauvais état des lieux n'équivaut pas à une renonciation de celui-ci à se prévaloir de ses droits concernant l'obligation d'entretien du bailleur et d'autre part, la clause restrictive inscrite au bail concernant les obligations du bailleur doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

La clause litigieuse ne constitue aucunement une stipulation dédiée expressément au problème de la vétusté et doit être écartée des débats.

 

3. Le fait du tiers :

Madame [T] soutient, en application de l'article 1725, que le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voie de fait à sa jouissance, sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel.

Il ressort des éléments du débat que le local commercial loué a subi des infiltrations d'eau en provenance des étages supérieurs, qui ont entraîné la perte du fonds.

Il en ressort que ces désordres n'ont pas seulement entravé la jouissance des lieux mais également leur matérialité de sorte que les dispositions visées par la bailleresse ne sont pas applicables.

4. L'indemnisation :

Madame [T] fait valoir que les désordres ont affecté principalement le salon de musique et non les lieux loués qui constituaient une annexe au local principal et présentaient une petite superficie.

Madame [O] indique que le deuxième local commercial situé [Adresse 5], comportant local de vente d'instruments de musique, de disques et de CD, n'a aucun lien avec le local sinistré.

Il est constant que les lieux loués sont constitués d'une remise avec cave située au rez-de-chaussée de l'immeuble avec cour intérieure, le bail signé entre les parties étant un bail tout commerce.

Or l'expert judiciaire Monsieur [G], a indiqué au cours de ses opérations d'expertise que les locaux loués par Madame [O] étaient situés au niveau -1, 0 et + 1 de l'immeuble, sans que la confusion ne soit levée dans le cadre de ces opérations puisque l'expert a rendu son rapport en l'état, aucune des parties n'ayant accepté la mise en cause ni du syndic de l'immeuble ni du copropriétaire de l'appartement vraisemblablement à l'origine de ces inondations.

Il ressort d'un extrait Kbis daté du 27 août 2009, que Madame [O] exploite au [Adresse 5] un commerce de vente de partitions et de documents musicaux, disques, cassettes, instruments de musique, dépôt vente d'instruments, sonorisation et éclairages de spectacles.

Dans le cadre de la police d'assurance de Madame [O], un cabinet d'expertise, le cabinet PolyExpert a établi un rapport le 27 novembre 2003 dans lequel il est indiqué que le sinistre concerne des locaux situés [Adresse 4] à usage d'école de musique et entrepôt de matériel de musique et d'autres, situés [Adresse 5] à usage de local de vente d'instruments de musique, de disques et CD avec réserve. Ce cabinet d'expertise a chiffré le préjudice commercial de Madame [O] à la somme de 11.084 euros résultant de la différence entre le chiffre d'affaire prévisionnel et celui réalisé sur douze mois après le sinistre.

Madame [O] sollicite de paiement d'une somme de 155.019 euros comme représentant la valeur de son fonds de commerce, sur la base d'un chiffre d'affaire moyen TTC de 310.038 euros.

Si les documents comptables qui sont produits par Madame [O] concernent tant l'activité du local commercial loué [Adresse 5] que celui loué à Madame [T], il convient de considérer que la perte de ce local, constituant à tout le moins une annexe du commerce de salon de musique, local dont la bailleresse, se retranchant derrière une clause dénuée d'efficacité, n'a pas assuré son obligation de mise à disposition justifie que soit allouée à cette dernière la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

5. Les loyers :

Il est constant que dès le mois de septembre 2002, Madame [O] va cesser de s'acquitter du loyer et que les clés du local loué seront restituées le 31 mars 2010.

Madame [O] fait valoir à tort qu'au regard de l'inexécution de ses obligations par le bailleur, elle était fondée à ne plus payer les loyers alors que l'abstention du bailleur dans l'accomplissement de ses obligations n'exonère pas le locataire de son obligation principale du paiement du loyer, sauf à en être autorisé par le juge, Madame [T] rappelant que cette autorisation a été refusée à Madame [O] par le juge des référés sans que celle-ci ne conteste la décision ou ne saisisse le juge du fond.

Le jugement sera en conséquence confirmé du chef de la condamnation de Madame [O] au paiement des loyers.

6. Le préjudice moral :

Madame [O] sollicite de ce chef une somme de 100 000 euros, demande qui n'est pas motivée de sorte qu'elle doit être rejetée.

7. Demandes accessoires :

Chacune des parties supporte la charge des frais irrépétibles exposés par elle au cours de

l'instance en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront partagés par moitié entre les parties.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort,

Réformant partiellement le jugement entrepris sur la clause de non responsabilité du bailleur et l'indemnisation de la perte du fonds de commerce ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Ecarte la clause du bail intitulée 'Clause de non responsabilité du bailleur' ;

Condamne Madame [T] à payer à Madame [O] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Y ajoutant :

Déboute Madame [O] de sa demande au titre d'un préjudice moral ;

Confirme ce jugement en toutes ses autres dispositions non contraires ;

Dit que chacune des parties supportera la charge des frais irrépétibles exposés par elle au cours de l'instance en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Fait masse des entiers dépens de première instance et d'appel, dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties et que ceux d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 11e chambre a
Numéro d'arrêt : 14/02974
Date de la décision : 19/01/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence A1, arrêt n°14/02974 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-01-19;14.02974 ?
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