COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 05 JANVIER 2016
N°2016/01
Rôle N° 13/18879
Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS
C/
[X] [Q]
CPAM DU VAR
FIVA
Grosse délivrée le :
à :
Me Laurent RIQUELME,
Me Julie ANDREU
Me Jean-Marc CAZERES
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du VAR en date du 29 Mars 2013,enregistré au répertoire général sous le n° 21100424.
APPELANTE
Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS,
Anciennement dénomée SOFITAM INTERNATIONAL prise en la personne de Monsieur [D] [Y], es qualités de mandataire ad'hoc de la société SOFITAM EQUIPEMENT (société radiée)
Société par actions simplifiées à associé unique, prise en la personne de son Président, Monsieur [D] [Y], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Laurent RIQUELME, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [X] [Q], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Julie ANDREU de la SCP CABINET SECONDAIRE TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Jean-Marc CAZERES de la SCP CAZERES-DEPIEDS-PINATEL, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Ludovic HERINGUEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
FIVA, demeurant [Adresse 5]
non comparante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 17 Novembre 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
M. Gérard FORET-DODELIN, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Janvier 2016
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Janvier 2016
Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS a relevé appel d'un jugement prononcé le 14 janvier 2013 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Var qui a dit que la maladie professionnelle qui affecte [X] [Q] résulte d'une faute inexcusable de la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS venant aux droits de la Société SATAM, mis hors de cause la SAS SATAM, fixé au maximum la majoration des rentes perçues par [X] [Q] sous forme de capital à compter du 23 janvier 2010 et quels que soient les taux d'IPP dont les rentes suivront l'évolution, fixé aux sommes de 5.000 euros pour les souffrances physiques et 15.000 euros pour les souffrances morales l'indemnisation des préjudices subis par la victime, débouté [X] [Q] de sa demande de réparation d'un préjudice d'agrément, dit que la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS devra rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie les sommes avancées par elle, débouté [X] [Q] de sa demande de paiement de la somme de 29,95 euros correspondant aux frais d'enregistrement de la requête devant le Tribunal de commerce de Bobigny, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
Aux termes des conclusions dont son Conseil a exposé oralement le contenu lors de l'audience, la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS sollicite l'infirmation du jugement sauf en ce qu'il a débouté [X] [Q] de sa demande au titre de son préjudice d'agrément, de mettre hors de cause la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS anciennement dénommée « SOFITAM INTERNATIONAL » en la personne de Monsieur [D] [Y], en ce qu'elle a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de la société SOFITAM EQUIPEMENT, dire et juger que la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS venant aux droits de la Société SOFITAM EQUIPEMENT (anciennement SATAM) ne peut être l'auteur d'une quelconque faute à l'origine de la maladie professionnelle de [X] [Q], débouter celui-ci de ses demandes et le condamner au versement à son profit de la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
[X] [Q] a fait déposer par son Conseil des conclusions que celui-ci a développées oralement lors de l'audience, pour solliciter la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle dont il est atteint est la conséquence de la faute inexcusable de la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS, venant aux droit de la SA SATAM et ayant comme dénomination sociale la Société SOFITAM EQUIPEMENT, fixé au maximum la majoration des rentes perçues par lui et à 5.000 euros le montant de ses souffrances physiques et à 15.000 euros l'indemnisation de son préjudice moral, tout en élevant un appel incident pour solliciter le versement à son profit de la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice d'agrément et celle de 1.411,20 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire.
La Caisse primaire d'assurance maladie du Var a fait déposer des conclusions que son Conseil a développées oralement lors de l'audience pour se voir donner acte qu'elle s'en rapporte sur l'appréciation de la faute inexcusable de l'employeur et sur le montant des réparations des préjudices.
Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a adressé un courrier à la Cour faisant état qu'il était en train d'instruire une demande d'indemnisation présentée par [X] [Q].
La Cour s'en rapporte pour le surplus des moyens et prétentions des parties au contenu de leurs écritures per elles déposées.
ET SUR CE :
Sur la faute inexcusable de l'employeur :
Attendu qu'à l'appui de sa demande de réformation du jugement, la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS expose qu'il a existé pas moins de trois sociétés SATAM au cours du dernier siècle, que [X] [Q] a été salarié de pas moins de deux d'entre elles au titre de deux activités différentes dont une seule l'a exposé à l'amiante, SATAM 1 créé en 1921 qui avait deux activités, une de fabrication d'équipements pétroliers, la seconde de chauffage/froid, laquelle a apporté en 1974 l'activité de fabrication d'équipement pétrolier à SATAM 2 qui a été absorbée en 2008 par la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS, laquelle vient ainsi à ses droits, que l'activité « chauffage/froid » a été transféré par SATAM 1 à la Société GENERALE FRIGORIFIQUE France en 1974, qu'il résulte des éléments fournis par la Caisse primaire d'assurance maladie que les matériels impliquant une exposition à l'amiante ne peuvent pas résulter de l'activité de fabrication de distributeurs de carburant mais uniquement de l'activité « chauffage/froid » à laquelle elle est étrangère et que la période d'exposition de [X] [Q] au risque amiante est nécessairement antérieure à l'apport par SATAM 1 de l'activité de « fabrication d'équipements pétroliers » à SATAM 2 soit entre 1954 et 1974 et que sa responsabilité en tant qu'elle vient aux droits de la société SATAM 2 doit être écartée et que la seule société dont la responsabilité est de nature à être recherchée est soit le successeur de la société SATAM 1 soit la société GENERALE FRIGORIFIQUE France, à laquelle la première société SATAM a transféré son activité « chauffage/froid » ;
Que [X] [Q] s'oppose à cette prétention et produit à cette fin son certificat de travail tel qu'établi par la Société SATAM ;
Attendu que [X] [Q] a été diagnostiqué en 2009 porteur de plaques pleurales calcifiées associées à de petits épaississements ;
Que le caractère professionnel de cette maladie en conséquence de son exposition à l'amiante a été reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie du Var le 8 juillet 2010 ;
Attendu que pour voir établir la faute inexcusable de son employeur la société SATAM, [X] [Q] justifie d'un certificat de travail établi par celle-ci en 1994 reprenant son activité professionnelle au sein de cette entreprise du 26 juin 1954 au 31 décembre 1994 en qualité de chef d'atelier ;
Que la délivrance d'un tel certificat de travail par la société SATAM aux droits de laquelle vient en dernier lieu la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS, en ce qu'elle vise la période d'activité incriminée au titre de l'exposition à l'amiante et notamment de 1954 à 1974, apparaît d'ores et déjà suffisante à ce que celle-ci soit régulièrement mise en cause au sein de la présente procédure, sauf pour la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS à démontrer qu'elle est totalement étrangère au contenu de ces activités ;
Qu'il est en effet communément admis que la victime peut poursuivre l'employeur qu'elle estime auteur de la faute inexcusable à l'origine de sa maladie sans avoir égard aux conventions conclues entre ses employeurs successifs ;
Attendu que quoique la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS argue que la branche d'activité ayant exposé [X] [Q] à l'amiante à savoir la branche « froid » aurait été reprise en 1974 par la Société GENERALE FRIGORIFIQUE France, elle ne peut valablement expliquer pourquoi le contrat de travail de celui-ci n'a pas été repris par celle-là et qu'elle l'a conservé auprès d'elle ;
Attendu que le Tribunal aux termes d'une analyse particulièrement détaillée de la chronologie et de l'historique de la société appelante, a relevé que si le certificat de travail avait été délivré en 1994 par la société SATAM, demeurant [Adresse 3], celle-ci avait changé de dénomination sociale en 1995 pour devenir SOFITAM EQUIPEMENT, que celle-là avait été radiée du registre du commerce le 17 juin 1998 après que son fonds ait été apporté à la Société SOFITAM INTERNATIONAL le 28 mai 1998 et qu'elle avait changé de nom à cette date pour devenir la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS qui a entrepris de conserver son siège social [Adresse 3] pour le transférer ensuite [Adresse 2] où elle demeure encore à ce jour, ce qui a permis au Tribunal de considérer à bon droit que la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS devait répondre des demandes présentées par [X] [Q] ;
Attendu en outre qu'au regard de l'exposition à l'amiante, le Tribunal a également relevé que nonobstant les affirmations de la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS selon lesquelles la société SATAM 1 se serait débarrassée de la branche « chauffage/froid » en 1974 au profit de la Société GENERALE FRIGORIFIQUE France, qu'elle n'a cependant pas appelée en la cause, les témoignages versés aux débats émanant notamment des anciens collègues de travail de la victime établissent qu'ils ont travaillé à ses côtés à la fabrication d'appareils de chauffage ce qui impliquait la découpe d'amiante de briques réfractaires et qu'ils ne faisaient l'objet d'aucune protection car à cette époque les « protections de sécurité n'étaient pas encore d'actualité et inexistantes » ;
Que force est au demeurant d'observer que même si la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS argue sans le démontrer s'être débarrassée de l'activité « chauffage/froid » en 1974, elle ne peut occulter le fait qu'elle a exercé cette activité dans un tel domaine de manière incontestable avant 1974 ;
Que l'affirmation selon laquelle elle aurait vendu toute l'activité « chauffage/froid » à un tiers en 1974 est démentie par [X] [Q] lequel a lui-même déclaré avoir au cours de son activité professionnelle au sein de la société SATAM, participé à la fabrication des réfrigérateurs professionnels, des pompes à essence ou gas-oil, des chauffages à accumulation et des chauffages électriques mobiles et avoir été exposé au risque de l'amiante dans des conditions qu'est venue accréditer la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'Ile de France le 4 mai 2010 ;
Qu'au regard de la réglementation applicable résultant à la fois des textes législatifs et réglementaires publiés au début du siècle, puis de la création du tableau n° 25 des maladies professionnelles et en1951 de celle du tableau n° 30 propre à l'asbestose, le Tribunal en a justement déduit que l'employeur de [X] [Q] aux droits duquel intervient désormais la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS, avait manqué de manière fautive à l'obligation de sécurité de résultat lui incombant et qu'il ne pouvait méconnaître le risque auquel il exposait son salarié par la manipulation de l'amiante à laquelle celui-ci se livrait sans protection et que nonobstant le jeu des apports de fond, fusion, absorption, celle-ci devait répondre des conséquences financières de la faute inexcusable ainsi reconnue ;
Que le jugement ne pourra qu'être confirmé de ce chef ;
Sur les conséquences financières :
Attendu que c'est à bon droit qu'en conséquence de la faute inexcusable de l'employeur qu'il relevait à la charge de la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS que le Tribunal a ordonné la majoration à son maximum de la rente /capital qui lui était servi par la Caisse ;
Attendu sur les souffrances physiques et morales subies par [X] [Q] que la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS quoique sollicitant l'infirmation de la décision déférée de ces chefs, n'articule à son encontre aucune critique ;
Qu'il est établi au contraire que le Tribunal a réalisé de ces deux chefs de préjudices une exacte appréciation de telle sorte que le jugement sera confirmé sur ces points ;
Attendu que pour débouter [X] [Q] de sa demande d'indemnisation de son préjudice d'agrément, le tribunal a relevé qu'il ne rapportait pas la preuve de son impossibilité désormais de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs ;
Attendu qu'à l'appui de sa demande de ce chef, [X] [Q] verse deux attestations d'amis faisant état de ce que désormais il ne les accompagne plus au sein de leurs ballades bi hebdomadaires et qu'il s'enferme chez lui devant sa télévision ;
Attendu que ces témoignages qui démontrent seulement de la perte d'un appétit de vivre ou d'un goût pour les sorties entre amis n'établissent pas l'existence d'un préjudice d'agrément spécifique dûment documenté en conséquence de son affection et auquel celle-ci aurait ainsi mis fin ;
Que c'est à bon droit que le Tribunal n'a pas fait droit à sa demande sur ce point ;
Attendu que le déficit fonctionnel temporaire n'est pas réparé par l'attribution après consolidation de la rente d'incapacité permanente ou de son capital et est distinct des souffrances dès lors qu'il vise à indemniser l'invalidité subie par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu'à sa consolidation ;
Que [X] [Q] expose que c'est le 16 septembre 2009 qu'un examen médical a mis en évidence la présence de plaques pleurales calcifiées associées à de petits épaississements, mais que la consolidation de son état n'est intervenue que le 22 janvier 2010, de sorte qu'il s'est écoulé 4 mois et 6 jours entre les premiers signes de sa maladie actés par un scanner thoracique et la consolidation ;
Que même si la découverte de plaques pleurales n'est pas en soi douloureuse, elle n'en génère pas mois lors de sa survenance une légitime anxiété, notamment au regard des interrogations que peut se poser la victime avant que son état ne soit consolidé ;
Qu'il convient de lui accorder la somme de 1.365 euros de ce chef ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement contradictoirement en matière de sécurité sociale, par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Déclare la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS et [X] [Q] recevables en leur appel tant principal qu'incident,
Au fond déboute la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS des fins de celui-ci,
Confirme la décision entreprise,
Y ajoutant,
Fixe à la somme de 1.365 euros le montant de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de [X] [Q],
Dit que le paiement de cette somme dont l'avance incombe à la Caisse primaire d'assurance maladie du Var sera supporté en définitive par la Société TOKHEIM SOFITAM APPLICATIONS,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Et la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT