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27/11/2015 | FRANCE | N°13/24367

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 27 novembre 2015, 13/24367


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 27 NOVEMBRE 2015



N°2015/1975















Rôle N° 13/24367







SA SNEF





C/



[L] [T]









































Grosse délivrée le :

à :



Me Agnès PEYROT DES GACHONS



par Me Cyril MICHEL



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section - en date du 03 Décembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° F 12/01937.





APPELANTE



SA SNEF, demeurant [Adresse 2]



représentée par Me Agnès PEYROT DES GACHONS, avocat ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 27 NOVEMBRE 2015

N°2015/1975

Rôle N° 13/24367

SA SNEF

C/

[L] [T]

Grosse délivrée le :

à :

Me Agnès PEYROT DES GACHONS

par Me Cyril MICHEL

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section - en date du 03 Décembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° F 12/01937.

APPELANTE

SA SNEF, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Agnès PEYROT DES GACHONS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [L] [T], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marina ALBERTI et M. Yann CATTIN, conseillers, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Mme Marina ALBERTI, Conseiller

Monsieur Yann CATTIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le

27 Novembre 2015.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Novembre 2015

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Nathalie ARNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [L] [T] a été employé par la société SNEF successivement en qualité de monteur puis de chef de chantier du 3 février 1975 au 25 février 2000.

La société SNEF a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) par arrêté du 7 juillet 2000.

Monsieur [L] [T] a été attributaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif à compter du 1er janvier 2004.

Le 13 juillet 2012, Monsieur [L] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation de divers préjudices résultant de son exposition à l'amiante.

Par jugement en date du 3 décembre 2013, assorti de l'exécution provisoire, le conseil de prud'hommes de Marseille a :

- déclaré recevable l'action de Monsieur [L] [T],

- condamné la société SNEF à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices d'anxiété et bouleversement dans les conditions d'existence, outre celle de 350 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Monsieur [L] [T] du surplus de ses demandes,

- débouté la société SNEF de sa demande reconventionnelle.

La société SNEF a interjeté appel de cette décision le 20 décembre 2013.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, la société SNEF demande à la cour, infirmant le jugement en toutes ses dispositions, de :

à titre principal,

- dire et juger que les dommages et intérêts sollicité par Monsieur [L] [T] au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat et de l'inexécution fautive du contrat de travail doivent être appréciées au seul titre du préjudice d'anxiété,

- débouter Monsieur [L] [T] qui n'apporte pas la preuve d'un préjudice de toutes ses demandes,

à titre subsidiaire,

- ramener le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges à de plus justes proportions,

- ramener le montant des dommages et intérêts sollicités en cause d'appel à de plus justes proportions, et condamner Monsieur [L] [T] à lui payer la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.

Par conclusions écrites, déposées et plaidées à la barre, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, Monsieur [L] [T] demande à la cour, au visa des articles L.1222-1 et L.4121-1 du code du travail, de confirmer le jugement entrepris sur la reconnaissance du préjudice d'anxiété et, par la voie d'un appel incident, de condamner la société SNEF à lui payer les sommes suivantes :

- 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat et de l'inexécution fautive du contrat de travail,

- 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice autonome d'anxiété,

- 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de dommages et intérêts

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers'.

En l'espèce, il résulte du certificat de travail délivré par la société SNEF et des pièces versées aux débats que Monsieur [L] [T] a travaillé pour le compte de cette société à [Localité 1] du 3 février 1975 au 25 février 2000 successivement en qualité de monteur puis de chef de chantier.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat :

Le salarié expose que l'amiante se trouvait partout et sous différentes formes sur les chantiers de réparation navale et qu'il a exercé son activité au sein des bâtiments et à bord de navires en contact permanent avec des poussières d'amiante.

Il soutient que le manquement de la société SNEF à son obligation de sécurité de résultat telle que résultant des dispositions du décret du 17 août 1977 lui a nécessairement causé un préjudice, tenant au seul fait d'avoir été exposé à un danger sans que l'employeur ne prenne les mesures de protection nécessaires pour prévenir le dommage prévisible, ce préjudice devant être indemnisé indépendamment d'un préjudice distinct, le préjudice autonome d'anxiété, issu de la prise de conscience postérieure de l'existence et de la gravité de ce danger et que cette abstention délictueuse présente un caractère de particulière gravité. Il ajoute que la société SNEF a délibérément maintenu ses salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel que cela représentait, les privant volontairement de la perte d'une chance de se soustraire au risque auquel ils étaient exposés en exerçant leur droit de retrait ou en quittant la société, ce qui constitue une inexécution fautive du contrat de travail en application des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail.

En l'espèce, l'activité de l'entreprise sur le site des chantiers navals de [Localité 1] a impliqué l'exposition des salariés aux poussières d'amiante ; il n'est pas justifié par l'une quelconque des pièces figurant au dossier que la société SNEF a pris, de manière effective, sur le site où Monsieur [L] [T] exerçait son activité professionnelle au cours de la période considérée, les dispositions nécessaires, notamment les mesures particulières visées par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle du salarié, absence de contre-indication médicale et surveillance médicale du salarié) pour assurer sa sécurité et protéger sa santé contre les poussières d'amiante, ni ne révèlent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur.

Il en résulte que l'employeur a manqué aux dispositions de l'article L.4121-1 du code du travail en ce qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et en ce qu'il s'est abstenu de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que d'une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à l'obligation de sécurité de résultat est donc avéré et le préjudice qui en découle directement est l'inquiétude que le salarié peut manifester face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et qui n'a pu naître qu'au moment où il a été informé de son exposition à l'amiante du fait de l'absence de prévention par l'employeur. Ce préjudice qui comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci de ce risque correspond au préjudice spécifique d'anxiété.

Monsieur [L] [T] qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande, nouvelle en cause d'appel, en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de prévention laquelle est l'une des composantes de l'obligation de sécurité de résultat.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété :

L'indemnisation du préjudice d'anxiété, qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité.

La société SNEF, pour son établissement de [Localité 1], a été classée, jusqu'à l'année 1985, parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Le poste de monteur occupé par Monsieur [L] [T] jusqu'en 1987 est l'un de ceux visés sur cette liste des métiers.

Il résulte de ces éléments qu'il a travaillé pour le compte de la société SNEF en exerçant un métier figurant sur la liste annexée à l'arrêté du 7 juillet 2000 durant la période d'exposition au risque visée par cet arrêté et remplit les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ; il a d'ailleurs bénéficié de l'Acaata à compter du 1er janvier 2004.

Celui-ci a donc été exposé à l'amiante et se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la société SNEF était responsable du préjudice d'anxiété subi par le salarié, et compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées, les attestations produites quant à son état de santé et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, a été exactement réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement déféré sera confirmé tant sur le principe de la créance du salarié au titre de l'indemnisation du préjudice d'anxiété que sur son montant, lequel a été exactement évalué.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande d'allouer à l'intimé la somme de 200 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

La société SNEF qui succombe en son appel supportera les entiers dépens..

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, en matière prud'homale :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [L] [T] de sa demande nouvelle de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du seul manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,

Condamne la société SNEF à payer à Monsieur [L] [T] la somme de 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SNEF aux entiers dépens.

LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 13/24367
Date de la décision : 27/11/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°13/24367 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-11-27;13.24367 ?
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