COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 22 OCTOBRE 2015
N° 2015/440
Rôle N° 14/15696
[J] [R]
C/
[M] [F]
ASSOCIATION TUTELAIRE DES PERSONNES PROTÉGEE DES A LPES MARITIMES
Grosse délivrée
le :
à :
Me Valentini
Me Escallier
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 05 Juin 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00549.
APPELANT
Monsieur [J] [R]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2] (ITALIE), demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Walter VALENTINI, avocat au barreau de GRASSE
INTIME
Monsieur [M] [F]
né le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Didier ESCALIER de la SELAFA COMPAGNIE FIDUCIAIRE ANTIBOISE, avocat au barreau de GRASSE, constitué aux lieux et place de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté de Me Samuel PROTON DE LA CHAPELLE, avocat au barreau de GRASSE
PARTIE INTERVENANTE
ASSOCIATION TUTELAIRE DES PERSONNES PROTÉGÉES DES ALPES MARITIMES[Adresse 1]
représentée par Me Didier ESCALIER de la SELAFA COMPAGNIE FIDUCIAIRE ANTIBOISE, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Septembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christiane BELIERES, Présidente
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Mme Anne VELLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Octobre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Octobre 2015,
Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Priscilla BOSIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DES FAITS ET PROCÉDURE
Le 15 janvier 2009 M. [M] [F] a déposé plainte contre M. [J] [R] pour blessures volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail personnel de plus de 8 jours ; il a indiqué à l'appui de cette plainte qu'entré dans le restaurant tenu par M. [J] [R] à [Localité 1] avec son chien, ce dernier avait mordu la fille de M. [J] [R] qui s'était approchée de lui, qu'à la suite de cela M. [J] [R] lui avait porté des coups, l'avait poussé violemment, le faisant chuter à terre, qu'il avait subi une incapacité temporaire totale de travail de 45 jours.
Par jugement du 24 février 2010, le tribunal correctionnel de Grasse a relaxé M. [J] [R] des faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail personnel de plus de huit jours.
Par jugement 5 juin 2014, le tribunal de grande instance de Grasse, sur assignation délivrée à la requête de M. [M] [F] a, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil, 4 du code de procédure pénale et 32-1 du code de procédure civile :
- dit que M. [J] [R] a commis une faute en tentant de donner un coup de pied au chien de M. [M] [F],
- dit que cette faute est responsable de la chute de M. [M] [F],
- condamné M. [J] [R] à réparer les conséquences de cette chute,
- condamné M. [J] [R] à verser à M. [M] [F] une provision de 5 000 euros à valoir sur son préjudice corporel,
- ordonné une expertise médicale de M. [M] [F] et désigné le Dr. [G] [J] pour ce faire,
- enjoint à M. [M] [F] de régulariser la procédure en faisant intervenir les organismes sociaux ayant versé des prestations,
- débouté M. [J] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. [J] [R] à verser à M. [M] [F] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
Par acte du 7 août 2014, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [J] [R] a interjeté appel général de cette décision.
Par acte du 8 septembre 2015 l'Association tutélaire des majeurs protégés des Alpes Méridionales (ATIAM) désignée à la protection du majeur M. [M] [F] est intervenue volontairement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [J] [R] demande à la cour dans ses conclusions du 19 janvier 2015, au visa des articles 4 du code de procédure pénale, 1351, 1382 et suivants du code civil, de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter M. [M] [F] de toutes ses demandes à son encontre,
- condamner M. [M] [F] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- le condamner à lui verser la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens avec application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que :
- le premier juge a méconnu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, qu'ainsi :
* si la juridiction pénale était saisie au titre de violences volontaires, c'est l'entier dossier concernant les faits survenus le 15 janvier 2009 qui lui était soumis,
* qu'une requalification des faits en violences involontaires qui était possible n'a pas été retenue par le juge pénal,
* que l'article 4 du code de procédure pénale vise également le préjudice subi, interdisant à une partie civile dont la demande d'indemnisation a été rejetée par le juge pénal de saisir la juridiction civile afin d'indemnisation du même préjudice,
- le premier juge a indûment retenu eu égard aux décisions pénales rendues et à la teneur des procès-verbaux du dossier pénal que M. [J] [R] avait commis une faute en tentant de donner un coup de pied au chien de M. [M] [F] et que cette faute était responsable de sa chute, qu'au surplus il n'a porté aucun coup sur M. [M] [F] et ne l'a pas poussé, qu'il l'a seulement accompagné dehors pour mettre sa fille hors de danger.
M. [M] [F] dans ses conclusions du 23 décembre 2014, demande à la cour, en application des articles 1382 et suivants, 1351 du code civil, de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter M. [J] [R] de toutes ses demandes reconventionnelles ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] [R] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile et à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que si le préjudice dont il demande réparation est similaire, la demande formée devant le juge civil repose sur des faits distincts de ceux soumis au juge pénal, à savoir que M. [J] [R] a apeuré son chien qui l'a fait tomber, ce qui ne constitue pas des violences, de sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut lui être opposée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'autorité de la chose jugée au pénal
Ainsi que relevé par le premier juge, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui il est imputé. Elle s'étend, par ailleurs, au motif qui constitue le soutien nécessaire de la décision pénale.
En l'espèce, le tribunal correctionnel de Grasse par le jugement du 24 février 2010, dont le caractère définitif n'est pas contesté, a relaxé M. [J] [R] des faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail personnel de plus de huit jours sur M. [M] [F], aucune preuve des faits n'étant rapportée, et a déclaré en conséquence ce dernier irrecevable en sa constitution de partie civile.
Il doit être rappelé que dans sa plainte M. [M] [F] soutenait que M. [J] [R] lui avait porté des coups et l'avait poussé violemment, le faisant chuter à terre.
En outre, dans ses conclusions de partie civile devant la juridiction pénale, M. [M] [F] a réaffirmé que M. [J] [R] s'en était pris à lui de manière totalement disproportionnée après que son chien ait mordu sa fille en le rouant de coups et en le laissant à terre sur la chaussée sans lui porter secours et qu'il souffrait d'une double fracture du bras gauche.
Or, il résulte du jugement entrepris que dans son assignation devant le tribunal de grande instance de Grasse, M. [M] [F] a sollicité que M. [J] [R] soit reconnu responsable de son préjudice corporel, en exposant que, sous le coup de la colère, après que son chien qu'il tenait en laisse ait mordu sa fille, celui-ci avait voulu lui donner un coup de pied et que prenant peur l'animal avait tiré sur la laisse et l'avait fait chuter à terre.
M. [M] [F] ayant fondé son action en réparation devant le tribunal de grande instance de Grasse sur un fait différent (coup porté au chien ayant effrayé celui-ci qui a déséquilibré son maître) de celui examiné par le tribunal correctionnel (coups et poussée sur lui-même), sa demande est recevable et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la faute
Il ressort des procès-verbaux établis par les services de police que :
- M. [M] [F] a toujours déclaré lors de ses diverses auditions que M. [J] [R] lui avait porté des coups, l'avait poussé violemment en arrière ce qui l'avait déséquilibré et fait tomber,
- sur question posée par les policiers il a ajouté qu'il n'avait pas du tout chuté au sol en raison d'un déséquilibre causé par son chien,
- l'employé de M. [J] [R], M. [K] [S], a lui-même témoigné que 'alors que M. [J] [R] parlait vertement à l'individu, la laisse qui tenait le chien s'est tendue, et l'homme est tombé en arrière'.
Si M. [J] [R] a lui-même déclaré, ainsi que noté par le premier juge 'je l'ai juste saisi par le blouson et je l'ai sorti de l'établissement et alors que je voulais mettre un coup de pied à son chien, M. [M] [F] a percuté le poteau qui se trouve à côté de l'entrée et il a été déséquilibré par son chien', cela ne signifie pas qu'il a mis son intention à exécution et tend plutôt à démontrer que c'est à la suite du mouvement de M. [M] [F] qui a percuté le poteau que son chien l'a déséquilibré, étant précisé que l'action éventuelle de poussée sur M. [M] [F] lui-même reprochée à M. [J] [R] entrerait dans le champ des faits jugés par le tribunal correctionnel et ne pourrait en conséquence donner lieu à condamnation sur le plan civil.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la faute alléguée devant la juridiction civile contre M. [J] [R], en relation de cause à effet avec le préjudice subi par M. [M] [F], n'est pas suffisamment établie.
Le jugement doit en conséquence être infirmé.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :
M. [J] [R] ne rapporte pas une preuve suffisante de la faute qui aurait été commise par M. [M] [F] de nature à faire dégénérer en abus l'exercice du droit d'ester en justice, d'autant que la légitimité de l'action qu'il a engagée a été reconnue par la juridiction du premier degré.
Il sera donc débouté de cette demande et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes annexes
Eu égard à la nature de l'affaire, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel ; les demandes d'application de l'article 699 du code de procédure civile s'avèrent dès lors sans objet.
Aucune considération d'équité ni circonstance économique ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance et en cause d'appel au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Constate l'intervention volontaire de l'Association tutélaire des majeurs protégés des Alpes Méridionales (ATIAM) désignée à la protection du majeur M. [M] [F],
- Infirme le jugement,
sauf en ses dispositions relatives à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
- Déboute M. [M] [F] de toutes ses demandes,
- Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel,
- Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel,
- Dit sans objet les demandes d'application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,Le président,