COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 09 OCTOBRE 2015
N° 2015/1708
Rôle N° 14/07238
[Q] [M]
C/
[G] [S]
[A] [T]
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DE MANUTENTION DU PORT DE MARSEILLE
GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (B.C.M.O.)
Société COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA)
CGEA DE MARSEILLE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Eric SEMELAIGNE
Me Cyril MICHEL
Me Frédéric MARCOUYEUX
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section C - en date du 27 Février 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 11/3816.
APPELANT
Monsieur [Q] [M], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Maître [G] [S], liquidateur de SOMOTRANS, demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE
Maître [A] [T], mandataire liqiudateur de la Société UPA, demeurant [Adresse 7]
représenté par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE
CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DE MANUTENTION DU PORT DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE
GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE
BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (B.C.M.O.), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE
Société COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA), demeurant [Adresse 8]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie THERY, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
CGEA DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE,
et
Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Juillet 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre
Madame Christine LORENZINI, Conseiller
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2015.
ARRÊT
réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2015.
Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Nathalie ARNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
M. [Q] [M] a travaillé en qualité de docker professionnel intermittent pour le compte de diverses entreprises de manutention sur le port de Marseille du 1er août 1977 au 30 juin 2009.
Il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 29 juillet 2011 aux fins de réparation de divers préjudices résultant selon lui de son exposition à l'amiante à l'encontre :
- du Grand Port maritime de Marseille (ci-après GPMM), établissement public de l'Etat,
- de la Société Moderne de Transbordement(ci-après Somotrans), représentée à ce jour par Monsieur [S], désigné mandataire ad hoc, 'liquidateur sociétaire' par décision de l'assemblée générale du 14 décembre 2007,
- du CGEA de Marseille,
- de l'Union Phocéenne d'Acconage (ci-après Upa), représentée par Maître [T], mandataire liquidateur désigné par jugement de liquidation judiciaire du 20 novembre 2000,
- la Société Coopérative de Manutention (ci-après Socoma),
- de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention du Port de Marseille (ci-après CCCP) à titre personnel et aux droits du Service Auxiliaire de la manutention (SAM).
Monsieur [S], ès qualités, a fait convoquer, en intervention forcée, le Bureau central de la main d'oeuvre (ci-après BCMO).
Par jugement du 27 février 2014, le conseil de prud'hommes de Marseille a :
- retenu sa compétence pour statuer,
- dit qu'aucun obstacle ne s'opposait à l'opposabilité au CGEA de la créance salariale au titre du préjudice d'anxiété,
- donné acte à Monsieur M. [Q] [M] de son désistement à l'encontre de la CCCP, du GPMM et du BCMO,
- condamné les sociétés Upa et Somotrans, prises en la personne de leur liquidateur, à verser à chaque salarié dont M. [Q] [M] la somme de 2 666 euros en réparation de leur préjudice d'anxiété et celle de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- déclaré le jugement opposable au CGEA-AGS dans les limites de l'article L.3253-6 du code du travail,
- dit que les dépens seraient à la charge de la partie défenderesse dont les frais de l'assignation par voie d'huissier et le montant de 35 euros payés au titre du timbre fiscal pris en charge par le requérant pour initier l'instance.
M. [Q] [M] a interjeté appel de ce jugement.
Prétentions et moyens des parties :
' M. [Q] [M] a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :
- lui donner acte de son désistement à l'encontre du Bcmo, de la Cccp et du GPMM,
vu la radiation de la société Somotrans,
vu l'article R 123-131 du code de commerce,
- surseoir à statuer dans les dossiers dans lesquels intervient la société Somotrans dans l'attente de prorogation de l'immatriculation de la société par Maître [S] en sa qualité de liquidateur amiable,
sur le fond
vu l'article 11 du code de procédure civile,
- avant dire droit, en tant que de besoin,
ordonner aux sociétés défenderesses la production de leurs DADS entre 1977 et 1993 ou à défaut, à la Cccp,
vu l'article 138 du code de procédure civile,
- ordonner à la Cccp la production des DADS des sociétés Intramar, Upa et Somotrans entre 1977 et 19993,
vu les articles 1147 et 1353 du code civil et L. 1222-1 du code du travail,
vu le bénéfice de l'ACAATA accordé aux requérants,
infirmant pour partie le jugement déféré,
- constater qu'il a été employé par les sociétés Socoma, Somotrans et Upa, qu'elles n'ont pas respecté les dispositions du décret n°77-949 du 17 août 1977 et qu'elles l'ont exposé aux poussières d'amiante sans protection,
en conséquence,
- les déclarer solidairement responsables des préjudices subis,
- condamner la société Socoma à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat,
- fixer au passif des sociétés Somotrans et Upa la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat,
- condamner la société Socoma à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
- fixer au passif des sociétés Somotrans et Upa la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,
- condamner la société Socoma à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA,
- condamner le CGEA à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de Marseille-Fos, pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du 1er août 1977 au 30 juin 2009 et que dans l'exercice de cette activité, il a été amené à décharger de l'amiante, principalement sous forme de sacs et a ainsi été exposé à l'inhalation des poussières d'amiante, n'ayant jamais bénéficié de protections individuelles ; que ce port est d'ailleurs inscrit sur la liste des ports 'amiante' permettant aux dockers de bénéficier de l'Acaata pour la période d'exposition de 1957 à 1993 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992, et se trouvait donc employé sous la forme d'un contrat à durée déterminée par l'acconier qui disposait d'un véritable pouvoir de direction à son égard et devait assurer sa sécurité ; que celui-ci était par ailleurs tenu d'adhérer à la Cccp et avait pour obligation de l'y déclarer ; qu'il a été mensualisé à compter du 3 mai 1993 jusqu'au 4 décembre 2000 par la société Somotrans ; qu'il a bénéficié de l'Acaata à partir du 1er juillet 2009
; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés Socoma, Somotrans et Upa, mentionnées sur la liste établie par la direction générale du port de Marseille dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que même s'il est susceptible de justifier, dans la plupart des cas, de ses relations contractuelles avec ces sociétés notamment par la communication d'attestations émanant notamment d'anciens collègues, valables et probantes, il appartient à la cour, eu égard à l'impasse probatoire dans laquelle il se trouve, de procéder à l'aménagement de la charge de la preuve par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les victimes d'une contamination d'origine transfusionnelle ayant subi des transfusions sanguines multiples, en considérant que le seul fait pour un docker, par ailleurs bénéficiaire de l'Acaata, d'avoir travaillé sur le port de Marseille pendant la période visée à l'arrêté suffit à caractériser l'existence du préjudice subi, en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'apporter tant la preuve de sa relation de travail avec l'une ou l'autre société du fait des modalités d'organisation du travail de l'époque que celle de son exposition à l'amiante sans aucune protection, fait non mentionné sur les documents en sa possession et dont seul l'employeur détient la preuve ; qu'il convient en conséquence d'imputer aux société mises en cause la charge de prouver qu'elles ne l'ont pas employé, ni exposé à l'amiante sans protection ;
que la cour pourra ordonner si nécessaire, avant dire droit, à celles-ci de produire les DADS entre 1977 et 1993 et, à défaut, en tirer les conséquences, voire enjoindre à la Cccp de les communiquer ; que, dans le cadre de son activité pour le compte des sociétés Socoma, Somotrans et Upa, il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret du 17 août 1977) et que ce faisant, les employeurs - qui ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante - ont délibérément maintenu leurs salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel qu'il présentait, les privant ainsi d'une chance de s'y soustraire, et n'ont pas respecté leur obligation de sécurité de résultat ce qui lui fait nécessairement subir un préjudice qu'il convient d'indemniser sans qu'il soit nécessaire qu'il démontre une exposition régulière et habituelle ; que l'indemnisation du préjudice autonome d'anxiété est par ailleurs ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le port de Marseille comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture de la procédure collective ouverte tant à l'encontre de la société Upa que de la société Somotrans, même si elle ne lui a été révélée que postérieurement, qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et qu'en conséquence, la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.
' Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, la société Somotrans, représentée par Monsieur [G] [S], soulevant à titre liminaire l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale au titre de la demande relative au préjudice d'anxiété en faisant valoir que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker, demande à la cour de renvoyer M. [Q] [M] à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône. Par ailleurs, elle sollicite de la cour, infirmant le jugement déféré, de :
- dire n'y avoir lieu à sursis à statuer,
- constater l'irrecevabilité de la demande dirigée à tort contre la société Somotrans en ce qu'elle n'a pas été employeur de dockers,
- dire bien fondée et justifiée la mise en cause du Bcmo de Marseille, venant aux droits des Bcmo de Port-de-Bouc et de Port Saint-Louis, dès lors que ceux-ci ont exercé les prérogatives d'employeurs à l'égard des dockers pendant la période 1957-1993 visée dans l'arrêté du 7 juillet 2000,
- en conséquence, mettre la société Somotrans hors de cause, d'une part en ce qu'elle n'a pas revêtu la qualité d'employeur de M. [Q] [M] pendant la période d'exposition potentielle à l'amiante et d'autre part, en raison de sa dissolution du fait de la cession totale de ses actifs, puis de la clôture subséquente de la procédure collective dont elle a fait l'objet ; elle observe à ce sujet que, faute pour elle d'avoir été l'employeur du demandeur, celui-ci ne pourrait invoquer à son encontre qu'une créance étrangère au contrat de travail, laquelle aurait dû alors faire l'objet d'une déclaration entre les mains du représentant des créanciers, et que toutefois, si la cour considère qu'elle a bien été l'employeur, la demande en réparation devrait être présentée au CGEA-AGS de Marseille, le jugement d'ouverture de la procédure collective de Somotrans en date du 18 avril 1996 étant postérieur à la période d'exposition éventuelle à l'amiante.
Subsidiairement sur le fond, Monsieur [S], ès qualités, demande à la cour de dire et juger :
- que M. [Q] [M] ne peut valablement prétendre à une indemnisation au titre du préjudice d'anxiété en l'état de l'arrêt de principe de la Cour de cassation du 3 mars 2015 aux termes duquel la réparation n'est admise que pour les salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et de l'arrêté ministériel dressant la liste des entreprises ayant manipulé de l'amiante alors même que la Société Somotrans n'a jamais été visée par un tel arrêté,
- qu'au surplus, il ne démontre pas avoir travaillé régulièrement pour la société Somotrans, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il a subi un préjudice et d'écarter la solidarité de même que la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires.
Il fait valoir que l'exposition à l'amiante, lorsqu'elle constitue une maladie professionnelle, est indemnisée par la sécurité sociale et, lorsque tel n'est pas le cas, par l'Acaata ; que si le port de Marseille a été classé comme 'port amiante', la situation des dockers doit être distinguée de celle des salariés ayant travaillé dans un établissement nommément identifié et inscrit sur une liste établie par arrêté, ce qui n'est pas le cas de la société Somotrans ; que M. [Q] [M] ne prouve pas que cette société lui ait demandé de manipuler des produits amiantés ou même qu'elle ait réalisé la manutention de tels produits, ni en conséquence qu'elle l'ait exposé à l'amiante ; que les attestations versées aux débats, établies longtemps après les faits, par des proches ou par d'autres dockers demandeurs, en termes quasiment identiques, à partir d'un modèle préétabli produit de manière probablement fortuite dans l'un des dossiers, et qui ne mentionnent aucune date de début ni de fin de contrat, ni ne rapportent aucun fait précis, sont dépourvues de force probante ; que l'attestation établie par Mme [D] est purement mensongère et a d'ores et déjà été jugée inopérante ; que la société Somotrans n'était pas tenue de conserver les DADS, qu'elle est dans l'incapacité de produire ces documents et que les salariés renversent la charge de la preuve en demandant d'ordonner cette production si nécessaire, alors même qu'il leur appartient de produire leurs bulletins de paie afin de prouver une activité régulière pour le compte de cette société ; qu'à supposer même qu'une exposition à l'amiante du fait de la société Somotrans soit démontrée, elle n'aurait pu être en tout état de cause que très marginale et irrégulière et ne serait intervenue qu'en plein air ou dans un espace très aéré, ce qui limiterait ou exclurait le risque de contamination ; que le demandeur ne précise d'ailleurs pas les moyens de protection dont il aurait dû bénéficier ; qu'il ne démontre pas que la société Somotrans ait été consciente du danger, ni qu'elle ait enfreint la réglementation alors applicable ; que le risque a été évoqué pour la première fois lors de la réunion du CHSCT du port autonome de Marseille, tenue le 22 décembre 1999 ; que l'obligation de sécurité de résultat résulte de la loi n°91-1414 du 31 décembre 1991, dont l'appréciation relèverait en tout état de cause de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale, qu'elle n'est pas rétroactive, qu'elle ne saurait donc générer un droit à une indemnisation sans que celui qui y prétend rapporte la preuve du manquement à celle-ci sur une période antérieure à son entrée en vigueur, que par ailleurs celui-ci ne rapporte pas la preuve d'un préjudice personnel, né, actuel et certain, distinct du préjudice d'anxiété ; que le préjudice d'anxiété invoqué est purement éventuel, que le lien de causalité avec une faute imputable à Somotrans n'est pas établi, et qu'au surplus le demandeur ne justifie d'aucun suivi médical.
A titre infiniment subsidiaire, Monsieur [S], ès qualités, demande à la cour d'apprécier le préjudice réellement subi par le demandeur, imputable à la société Somotrans, d'ordonner une expertise afin de déterminer tout à la fois les préjudices subis par le demandeur et la part de responsabilité de la société Somotrans, et de dire et juger que le CGEA AGS devra garantir toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
Enfin, il sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens.
' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des affaires du rôle, Maître [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Upa, qui conclut à l'infirmation du jugement, soulève également à titre liminaire l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et demande à la cour de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône.
Subsidiairement sur le fond, Maître [T] demande qu'il soit condamné à lui payer la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, soutenant que les arrêtés portant liste des ports dans lesquels les personnels peuvent bénéficier de l'Acaata ne suffisent pas à justifier de la qualité d'employeur de la société Upa, ni de l'exposition au risque par celle-ci et que les salariés ne démontrent pas avoir travaillé pour celle-ci, ou alors à de très rares occasions ; que les attestations qu'ils produisent ont été établies pour les besoins de la cause, qu'elles sont imprécises et sans valeur probante ; qu'ils ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante par la société Upa, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il existe un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué, d'autant que l'amiante a représenté une part infime des marchandises manutentionnées sur l'ensemble du port de Marseille (moins de 0.1 % des volumes hors liquides répartis sur plus de quatre-vingts entreprises employant des dockers) et que les acconiers ne peuvent être considérés comme des professionnels, voire des utilisateurs de l'amiante, aucune entreprise de manutention n'étant visée dans les listes établies par décret relatives aux entreprises et établissements où étaient fabriqué ou traité de l'amiante ; que si la cour venait à retenir la qualité d'employeur de la société Upa, celle-ci justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter qui étaient invitées à chacune des réunions du CHSCT, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un rappel à la loi, ni d'une injonction et encore moins d'une sanction en raison d'un défaut dans la prise en compte et la gestion d'un risque professionnel, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits.
A titre infiniment subsidiaire, Maître [T] soutient que le préjudice d'anxiété allégué n'est pas indemnisable ni justifié, à défaut de preuve tant d'un suivi spécifique aux allocataires Acaata que de l'absence d'un comportement à risque (tabagisme...). Il fait encore valoir qu'il n'existe en l'espèce aucune obligation solidaire ou in solidum. Enfin, il demande à ce qu'il soit dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs affaires inscrites au rôle, la société Socoma demande à la cour de :
* à titre liminaire se déclarer incompétente rationae materiae, en ce qui concerne la demande au titre du préjudice d'anxiété, au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L.451-1 et L.452-1 à L.452-5 du code de la sécurité sociale et L.1411-4 al.2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie,
* à titre très subsidiaire sur le fond, considérant que M. [N] [O] ne justifie ni de sa qualité d'employeur à son égard, ni d'une quelconque faute qu'elle aurait commise ni d'un lien entre la prétendue faute et le préjudice, pas plus que de l'absence de comportement à risque (tabagisme...) ni de l'anxiété alléguée, de le débouter de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner à lui payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
' Le CGEA délégation régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, qui concernent d'autres demandeurs et en conséquence, certaines sociétés non dans la cause, aux termes desquelles il demande à la cour de :
à titre liminaire,
- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Somotrans pour laquelle sa garantie ne peut intervenir dès lors qu'après avoir été placée en redressement judiciaire par jugement du 18 avril 1996 et suite à la cession de ses actifs, cette société a fait l'objet d'un jugement de clôture des opérations de la procédure, prononcé le 21 novembre 2007, suivi d'un procès-verbal de décision de l'actionnaire unique en date du 14 décembre 2007, désignant Maître [G] [S] en qualité de 'liquidateur sociétaire',
- prononcer sa mise hors de cause pour cette société en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur de certains demandeurs,
- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Upa en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur de certains demandeurs,
- prononcer sa mise hors de cause en ce que certains demandeurs ne démontrent pas avoir travaillé pour une société aujourd'hui en liquidation judiciaire,
- déclarer irrecevables les demandes de condamnation solidaires à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire,
- dire et juger que la jurisprudence citée par les dockers et relative aux contaminations au VIH et aux autres maladies n'est pas applicable à l'amiante,
sur le fond,
* sur le préjudice d'anxiété
vu l'arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 2015,
- dire et juger que les sociétés en cause ne sont pas nominativement classées Acaata et qu'en conséquence, M. [Q] [M] ne peut prétendre au préjudice d'anxiété,
- dire et juger que la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'exposition à l'amiante au sein de sociétés classées Acaata est inapplicable aux sociétés du Port de Marseille, non classées comme telles,
en tout état de cause,
- dire et juger que seuls les salariés dont la situation correspond aux critères de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sont susceptibles de se voir reconnaître un préjudice d'anxiété et en conséquence, débouter ceux n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata de leur demande relative à leur exposition à l'amiante,
- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'en l'espèce l'arrêté Acaata date de 2000 et que les procédures collectives datent au plus tard de 1996, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'Ags, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,
* sur les nouveaux fondements invoqués,
- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L.4121-1 du code du travail, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que les salariés apportent la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, leurs demandes seraient, dès lors, prescrites,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que M. [Q] [M] ne démontre pas individuellement avoir été victime de la violation d'une règle de protection liée à l'amiante,
- dire et juger que la faute de l'employeur n'est pas démontrée et que M. [Q] [M] n'établit aucune violation des dispositions d'hygiène et de sécurité applicables aux sociétés de l'époque,
à titre très subsidiaire,
- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,
- dire que la garantie de l'Ags est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,
- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner le demandeur aux dépens.
' Aux termes de ses écritures développées à la barre, le Bcmo demande à la cour de constater qu'il est dépourvu de personnalité juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation, qu'il n'est pas l'employeur des ouvriers dockers, qu'en tout état de cause, aucune demande de condamnation n'est formulée à son encontre, et en conséquence, déclarer irrecevable la demande formulée par la société Somotrans à son encontre aux fins de lui voir reconnaître la qualité d'employeur.
Le GPMM, régulièrement convoqué, n'était ni présent, ni représenté à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est inutile de donner acte à M. [Q] [M] de son désistement à l'encontre du GPMM, de la Cccp et du Bcmo, déjà pris en compte par les premiers juges.
Sur la demande de sursis à statuer :
De la lecture de son Kbis, il apparaît que la Société Somotrans, immatriculée le 18 février 1969 mais sans activité depuis le 14 janvier 1998 et dissoute à compter du 30 juin 1998, a fait l'objet d'une radiation d'office le 19 mai 2015 en application de l'article R 123-131 alinéa 1 du code commerce selon lequel 'est radiée d'office toute personne morale, après mention au registre de sa dissolution, au terme du délai fixé pour la durée de sa liquidation ou, à défaut, au terme d'un délai de trois ans après la date de cette mention'.
M. [Q] [M], se prévalant de l'alinéa 2 de l'article précité aux termes duquel 'toutefois, le liquidateur peut demander la prorogation de l'immatriculation par voie d'inscription modificative pour les besoins de la liquidation ; cette prorogation est valable un an sauf renouvellement d'année en année', sollicite qu'il soit sursis à statuer sur ses demandes formées à l'encontre de celle-ci dans l'attente d'une telle démarche à effectuer par son liquidateur, mesure à laquelle s'oppose Monsieur [G] [S], son liquidateur ad hoc.
Il sera rappelé que la personnalité de la société subsiste pour les besoins de sa liquidation. En conséquence, Monsieur [S], désigné par décision de l'actionnaire unique de la société en date du 14 décembre 2007, en qualité de liquidateur-sociétaire 'pour la durée restant à courir de la liquidation', conserve qualité pour agir en justice au nom de celle-ci, tant en demande qu'en défense, et ce, même s'il a été prononcée la radiation d'office de la société mais sans que les opérations de liquidation ne soient clôturées. En conséquence, l'instance peut valablement être poursuivie.
M. [Q] [M] sera débouté de sa demande à ce titre.
Sur l'exception d'incompétence :
Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
Dès lors que les demandes en réparation d'un préjudice extra-patrimonial formées par M. [Q] [M] sont fondées sur l'inexécution par le ou les employeurs de l'obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail qui les aurait liés, que le préjudice d'anxiété correspond non pas à une maladie professionnelle répertoriée mais à l'inquiétude de déclencher à tout moment une maladie en rapport avec une exposition à l'amiante et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont il a été attributaire le 1er juillet 2009, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige et le jugement sera confirmé à ce titre.
Sur les fins de non recevoir soulevées par la société Somotrans :
La personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et la société Somotrans est représentée à l'instance par son liquidateur sociétaire.
Par ailleurs, dès lors que les ouvriers dockers étaient unis à diverses entreprises d'acconage (environ quatre-vingts sur le port de Marseille, entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire dont la Société Somotrans), par un lien de subordination, en sorte que celles-ci ont été leurs employeurs, à la différence du Bcmo, organisme paritaire dépourvu de la personnalité juridique, et que la créance invoquée trouve son origine dans l'exécution d'un contrat de travail allégué avec celle-ci, le jugement sera confirmé en ce qu'il déclaré M. [Q] [M] recevable à agir à son encontre, le bien fondé de sa demande devant examiné dans le cadre du fond du litige.
Sur l'intervention forcée du Bcmo à l'initiative de la société Somotrans :
Il résulte des explications du Bcmo, confirmées par les pièces versées aux débats et non utilement contredites par la société Somotrans, que cet organisme paritaire, au service des entreprises de manutention portuaire, est dépourvu de la personnalité juridique.
En conséquence, son intervention forcée à la demande du liquidateur de la société Somotrans aux fins de lui voir reconnaître la qualité d'employeur de M. [Q] [M] sera déclarée irrecevable en application de l'article 32 du code de procédure civile.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur le fond :
M. [Q] [M], se prévalant du fait qu'il a été admis au régime de l'Acaata, invoque une impasse probatoire devant conduire selon lui et par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la contamination transfusionnelle, à faire peser la charge de la preuve sur les sociétés en cause, tant de leur absence de la qualité d'employeur que du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.
A titre liminaire, il sera rappelé que si le site du port de Marseille est inscrit sur la liste des ports permettant aux dockers de bénéficier de l'allocation anticipée des salariés de l'amiante, liste fixée par arrêté du 7 juillet 2000, modifié, aucune des sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et qu'en conséquence, M. [Q] [M] ne peut prétendre bénéficier de l'Acaata au titre de son activité supposée au bénéfice de l'une ou l'autre d'entre elles.
Par ailleurs, il doit être relevé qu'il :
- ne conteste pas avoir reçu en contrepartie de son activité de docker auprès de chacune des sociétés pour lesquelles il dit avoir travaillé des bulletins de salaire qu'il lui appartenait de conserver ;
- ne produit aucun élément de nature à établir que la manutention de l'amiante a constitué une part significative de l'activité de ces sociétés au cours de la période pendant laquelle il a été employé sur le port de laquelle on pourrait déduire qu'il a été nécessairement exposé à l'amiante par leur fait, étant observé que si, comme vu supra, l'intégralité du site du port est concernée par le classement Acaata et que quatre-vingts acconiers exerçaient une activité sur ce site entre 1957 et 1993 (cf. attestation établie le 15 juin 2010 par le syndicat des entrepreneurs de manutention portuaire), il n'a fait le choix d'agir que contre trois d'entre-elles (alors même que cinq sont visées dans la lettre du directeur du Port du 21 décembre 1999 dont il se prévaut, d'ailleurs rédigée en termes hypothétiques, et d'autres encore dans les attestations qu'il produit), admettant ainsi que le seul fait pour une entreprise de manutention d'avoir exercé une activité dans un port classé au cours de la période de classement ne suffit pas à établir qu'elle a nécessairement exposé ses salariés à l'inhalation de fibres ou de poussières d'amiante.
En conséquence, il appartient à M. [Q] [M] de justifier tout à la fois de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés de manutention portuaire attraites dans la cause et du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.
Sur la qualité d'employeur des sociétés Socoma, Somotrans et Upa à l'égard de M. [Q] [M]
La loi du 6 septembre 1947 a défini un statut de docker et a réduit la fonction des organismes antérieurs, comme le Bcmo, qui a été chargé d'identifier et de classer les ouvriers dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche dans le port au service des différentes sociétés manutentionnaires, au nombre de quatre-vingts entre les années 1957 et 1993, de répartir numériquement le travail entre les ouvriers, d'effectuer la paie à la journée, d'établir les certificats de travail et les bulletins de salaire quand ils existaient et de régler les cotisations aux organismes sociaux pour le compte des entreprises de manutention.
Cette organisation a affecté le recrutement et les embauches journalières mais n'a pas supprimé les entreprises de manutention portuaire ; les chefs d'équipe de ces entreprises fixaient, eux-mêmes, le nombre des dockers et leurs qualifications nécessaires aux déchargements, les taches affectées à chacun sur les navires, donnaient les instructions sur les opérations à entreprendre, surveillaient le déroulement de celles-ci et fournissaient également des matériels (tracteurs, chariots élévateurs, auto grues, transporteurs et norias).
Si la loi de 1947 a réduit l'étendue des attributions patronales dans la relation de travail, elle n'a pas supprimé totalement celle-ci ; ce n'est que la loi du 9 juin 1992 qui a modifié le régime de travail dans les ports maritimes, en autorisant le recrutement de dockers par des entreprises de manutention portuaire dans le cadre de contrats de travail de droit commun.
Pour faire la preuve de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés Socoma, Somotrans et Upa, entre 1957 et 1993, M. [Q] [M] communique essentiellement :
- un certificat de travail établi le 25 mars 2011 par la Cccp qui mentionne qu'il a été inscrit le 1er août 1977 et successivement, mensualisé le 3 mai 1993 par la société Somotrans, puis par la société Marseille Manut le 20 septembre 1993 et de nouveau radié le 30 juin 2009, mais sans préciser les sociétés qui l'ont employé, à l'exception de ces deux dernières sociétés, et donc insuffisant à établir l'existence d'un lien avec l'ensemble des acconiers, nonobstant les termes de l'attestation rédigée par le directeur de cet organisme le 1er septembre 2010,
- les attestations établies par Messieurs [J] [F], [N] [O] et [H] [R], certifiant avoir travaillé avec lui comme docker, dans différentes entreprises sur le port de Marseille, dont Euroma, Upa, Intramar, Somotrans, Smmt et Rodrigue, et avoir ainsi déchargé et manipulé de l'amiante ou vrac ou en sacs d'amiante de jute poreux, sans protection et sans avoir été avisé des dangers d'une telle exposition.
Ces trois attestations, certes non corroborées par des bulletins de salaire, si elles sont imprécises et insuffisantes à démontrer une relation de travail continue ou habituelle entre M. [Q] [M] et les sociétés Socoma, Somotrans et Upa, établissent néanmoins le fait qu'il a travaillé de façon ponctuelle pour le compte de celles-ci (étant observé qu'il n'a fait choix que d'assigner certaines des entreprises de manutention visées), entre 1957 et 1993, sans qu'il apparaisse par ailleurs nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, aucun texte ne faisant obligation aux entreprises concernées, voire à la Cccp, de conserver les DADS, sur une période aussi longue.
Sur les préjudices allégués
L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Elle n'est donc pas contraire aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de la séparation des pouvoirs.
Il doit être rappelé qu'aucune des sociétés contre laquelle les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, qu'elles ne sont ni des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante, ni des établissement de construction et de réparation navales et qu'elles ne fabriquaient ni ne traitaient l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et ne peuvent en conséquence être considérées comme des entreprises utilisatrices d'amiante.
M. [Q] [M] qui invoque par ailleurs l'existence d'une prime de salissure accordée au titre de la manipulation de l'amiante ne justifie nullement avoir perçu cette prime des sociétés concernées, prime qui en tout état de cause correspondait à la manipulation de très nombreux produits non différenciés.
En l'espèce, il produit essentiellement pour preuve de son exposition fautive à l'amiante par ces sociétés, outre les attestations précitées dont les termes imprécis ne permettent pas de déterminer qu'elles l' ont réellement exposé à l'amiante, ni quels auraient été la durée et le caractère de l'exposition alléguée :
- la lettre du directeur général du port de Marseille au Ministère de l'Equipement, des transports et du logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :
'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.
Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établi : - Société Industrielle de Trafic Maritime (INTRAMAR) - Union Phocéenne d'Acconage (Upa) - Société Moderne de Transbordements (SOMOTRANS) - Société MANUCAR - Etablissements MAIFFREDY - Société CARFOS.
Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991,
- les attestations de Madame [D], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société Somotrans, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', et de Monsieur [C] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés Intramar et Somotrans, de 1956 à 1988 (sans autre précision sur ses périodes d'emploi au sein de cette dernière société), qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait, du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne, étant observé qu'aucun de ces témoins ne mentionne le nom de M. [Q] [M] et que la société Somotrans conteste que Madame [D] ait pu voir depuis son poste les faits qu'elle allègue, exposant, en produisant le procès-verbal du CE du 12 avril 1996, que jusqu'à cette date, les bureaux dédiés à la facturation ne se trouvaient pas sur les quais.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité de la société Socoma et infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de M. [Q] [M] au titre de la réparation d'un préjudice d'anxiété à l'encontre des sociétés Upa et Somotrans. En l'absence d'exposition fautive à l'amiante établie, il sera par ailleurs débouté de sa demande nouvelle au titre de l'indemnisation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par ces sociétés de leur obligation de sécurité de résultat.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les demandes formulées à ce titre seront rejetées et M. [Q] [M], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance. Le jugement sera infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire,
Dit n'y avoir lieu à statuer dans l'attente d'une demande de prorogation de l'immatriculation de la société Somotrans,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale et n'a pas retenu la responsabilité de la société Socoma,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable l'intervention forcée du Bcmo à l'initiative de la Société moderne de transbordement,
Déboute M. [Q] [M] de l'ensemble de ses demandes,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Q] [M] aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT