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01/10/2015 | FRANCE | N°14/24004

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre a, 01 octobre 2015, 14/24004


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

8e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 01 OCTOBRE 2015



N° 2015/













Rôle N° 14/24004







SARL [P]

Groupement COPROPRIETE DU NAVIRE VILLE D'ARZEW II





C/



EURL THON DU LEVANT





















Grosse délivrée

le :

à :



SCP MAGNAN

SCP DESOMBRE













cision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2013F03537.





APPELANTES



SARL [P],

dont le siége social est [Adresse 1]



représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PRO...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

8e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 01 OCTOBRE 2015

N° 2015/

Rôle N° 14/24004

SARL [P]

Groupement COPROPRIETE DU NAVIRE VILLE D'ARZEW II

C/

EURL THON DU LEVANT

Grosse délivrée

le :

à :

SCP MAGNAN

SCP DESOMBRE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2013F03537.

APPELANTES

SARL [P],

dont le siége social est [Adresse 1]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée par Me Ambroise ARNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

Groupement COPROPRIETE DU NAVIRE VILLE D'ARZEW II, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me Ambroise ARNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

EURL THON DU LEVANT,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée par Me Laëtitia JANBON, avocat au barreau de MONTPELLIER

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 01 Juillet 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Catherine DURAND, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Yves ROUSSEL, Président

Madame Catherine DURAND, Conseiller

Madame Anne CHALBOS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame France-Noëlle MASSON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Octobre 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Octobre 2015,

Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Madame France-Noëlle MASSON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

L'Eurl de droit français Thon du Levant, dont l'unique associé est la société de droit maltais Thon du Levant Holding Ltd, créée le 7 avril 2007, est propriétaire du navire de pêche Ville d'Arzew II spécialisé dans la pêche au thon, acquis pour le prix de 1.800.000 euros de la SNC Armement Ville d'Arzew II.

La société de droit maltais Thon du Levant a pour associés Messieurs [R] et [E], citoyens maltais domiciliés à Malte.

La gérance de l'Eurl Thon du Levant a été confiée à Monsieur [V] [U], non associé de la société, selon convention du 7 avril 2007, renouvelée le 15 février 2008 pour une durée de 14 ans 'égale au financement de la part de copropriété du gérant', prévoyant qu'il perçoive à titre de rémunération annuelle 15 % des 60 % de la part armateur.

La convention précisait qu'en cas de faute grave du gérant la société Thon du levant pourrait par LRAR lui notifier la résiliation immédiate du contrat.

Le siège social, fixé à l'origine à [Localité 1], au domicile de Monsieur [V] [U], a été transféré à [Localité 2] et la société Thon du levant a été immatriculée au registre du commerce de Marseille le 19 mai 2008.

Puis par acte du 23 octobre 2009, la société de droit français Thon du Levant a vendu à la société [U], représentée par ses cogérants Messieurs [S] et [V] [U], 51% des parts de propriété du navire, moyennant le prix de 1.130.000 euros, payable comptant à hauteur de 130. 000 euros, le solde l'étant au moyen d'un crédit-vendeur en 60 échéances mensuelles, soit sur 5 années, au taux de 5 %.

Un acte de copropriété du navire, régie par le chapitre VI de la loi 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et l'article 999 du décret 67-697 du 27 octobre 1967, a été signé le même jour que l'acte de cession, entre la société Thon du Levant et la société [U], celle-ci devenant détentrice des 51 des cents parts de la copropriété.

L'objet de la copropriété, d'une durée de 99 ans, est l'armement et l'exploitation du navire 'Ville d'Arzew II', les gérants en sont Messieurs [V] [U] et [E]. Le titulaire de la licence de pêche communautaire est la copropriété.

Les copropriétaires dans cet acte s'engageaient à n'entreprendre, ni directement, ni indirectement, aucune action aboutissant à la revente du navire avant une durée de 14 ans à compter du 23 octobre 2009, l'acte disposant qu'en cas de liquidation de la copropriété, la qualité de 'producteur' revient à la société [U] et qu'en cas de dissolution de la copropriété le 'producteur' sera considéré comme ayant toujours été la société [U].

Toujours le 23 octobre 2009 la copropriété navire 'Ville d'Arzew II', armateur du navire, a consenti à l'Eurl Thon du Levant un contrat d'affrètement dénommé 'charte-partie à temps' d'une durée de 14 ans, pour un loyer de 1 euros par jour, le paiement se faisant par année.

Aprés avoir informé Monsieur [U] par courrier du 27 novembre 2012 de ce qu'en raison de la situation financière de la société et d'une cession éventuelle il était envisagé de mettre fin à ses fonctions de gérant, l'actionnaire unique de l'Eurl Thon du Levant, par décision en date du 30 novembre 2012, a mis fin aux fonctions de gérant de monsieur [V] [U] avec effet au 30 décembre 2012, Monsieur [R] étant désigné en ses lieu et place.

Par décision du 22 janvier 2013, la Copropriété 'Ville d'Arzew II' a mis un terme au contrat d'affrètement consenti à l'Eurl Thon du Levant et a décidé de mutualiser le quota de pêche du navire, et le quota de thon rouge du navire Ville d'Arzew II, soit 58 tonnes, a été transféré à l'armement Scannapieco de [Localité 3] qui lui a réglé en mars 2013 la somme de 351 000 euros.

Par ordonnance du 28 mars 2013, le juge des référés du Tribunal de Commerce de Montpellier, saisi par la société de droit français Thon du Levant, a ordonné sous astreinte la transmission par monsieur [V] [U] de l'original de l'acte de francisation du navire Ville d'Arzew II et a ordonné son séquestre entre les mains de la SELARL FHB représentée par M° [F] [B].

Par acte du 18 octobre 2013, l'Eurl Thon du Levant a fait assigner la société [U] en résolution de la vente du 23 octobre 2009 devant le Tribunal de Commerce de Marseille se prévalant de l'absence de règlement du prix de vente des parts du navire selon les modalités prévues par l'acte de vente.

Selon procès-verbal de réunion du 29 janvier 2014, la copropriété Ville d'Arzew II a décidé de mutualiser les quotas de pêche du navire de l'année 2014 et les quotas de pêche du navire Ville d'Arzew II ont été transférés à l'armement Cisberland V.

Par ordonnance du 4 mars 2014, le président du Tribunal de Commerce de Marseille a fait droit à la demande de l'EurlThon du Levant demandant que le transfert du quota de pêche soit bloqué et que les fonds, versés ou à verser par l'armement Cisberland V, soient séquestrés sur un compte bancaire ouvert à cet effet par le syndicat des thonniers méditerranéens.

Par ordonnance du 30 avril 2014, le juge des référés du Tribunal de Commerce a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance présentée par la société [U].

Par acte du 6 mai 2014, la Copropriété Ville d'Arzew II a saisi le juge des référés du Tribunal de Commerce d'une demande de rétractation de l'ordonnance du 4 mars 2014 et, à titre subsidiaire, de suspension des effets de l'ordonnance du 4 mars 2014 jusqu'à la fin de la campagne de pêche 2014.

Par ordonnance du 7 mai 2014, le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a fait droit à cette demande de rétractation, cette décision étant confirmée par un arrêt du 9 octobre 2014 rendu par la 2ème Chambre de la cour de céans.

S'agissant de la demande de résolution de la vente des parts du navire, par jugement en date du 18 décembre 2014 le tribunal de commerce de Marseille a :

Vu les articles 325 et 328 du code de procédure civile,

Reçu la copropriété du navire 'ville d'Arzew II' en son intervention volontaire,

Prononcé la résolution de la vente de 51 % des parts de la copropriété du navire 'ville d'Arzew II' en date du 23 octobre 2009 sur le fondement des articles 1184 et 1654 du code civil, avec prise d'effet au 23 octobre 2009,

Débouté la Copropriété du navire 'ville d'Arzew II' de ses demandes, fins et conclusions,

Condamné la société [U] à payer à la société Thon du Levant la somme de 351.000 euros qu'elle a reçue au titre des quotas de pêche 2013, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, avec intérêts au taux légal et capitalisés à compter de l'assignation et celle de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté la société Thon du Levant de ses demandes en paiement de dommages et intérêts,

Condamné la société [U] aux dépens.

Par acte du 19 décembre 2014 la SARL [U] et le groupement Copropriété du navire 'ville d'Arzew II' ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance de référé du premier président de la cour de céans en date du 9 janvier 2015 l'exécution provisoire de la présente décision a été arrêtée.

Par dernières conclusions déposées et notifiées le 30 juin 2015, tenues pour intégralement reprises, les appelants demandent à la cour de :

Les recevoir en leur appel,

Réformer le jugement entrepris,

Vu les règles d'ordre public de la pêche maritime au thon rouge,

Vu l'interdiction d'exploiter un navire de pêche au thon rouge par affrètement,

Vu les circonstances ayant prévalu lors de la formations des accords et de leur exécution résultant :

de l'inexécution de l'obligation de délivrance par la société Thon du Levant,

de sa mauvaise foi,

du déséquilibre significatif créé par la société Thon du Levant,

de la force majeure issue des nouvelles modalités de pêche (TCA) et division par trois des quotas,

de l'accord des parties pour ne pas faire application des conditions exorbitantes de délais de paiement au regard de la situation et de la promesse d'alors,

des contreparties indirectes convenues entre les parties,

Constater que la société [U] a effectué le paiement des 51 % des parts de copropriété soit 1.130.000 euros et les déclarer satisfactoires,

Débouter la société Thon du Levant de sa demande de résolution et de sa demande de dommages et intérêts,

Constater que la société [U] a effectué le paiement des sommes dues au titre du refinancement (prêt) à hauteur de 1 million d'euros à la Carpa,

Déclarer la société Thon du levant responsable du préjudice causé à la copropriété du 'navire ville d'Arzew II' sur le fondement de l'article 1147 du code civil,

Désigner un expert-comptable pour donner à la cour les éléments permettant d'apprécier ce préjudice et faire les comptes entre les parties (pertes, manques à gagner, intérêts),

Donner acte à la société [U] de son offre de régler les sommes qui pourraient être dues à la société Thon du Levant à l'issue de l'expertise,

Subsidiairement,

Si la cour considérait par impossible que la société [U] n'a pas exécuté ses obligations sans que les circonstances ne justifient son attitude et entendait prononcer la résiliation du contrat de vente des 51 % des parts de copropriété,

Dire que la résiliation ne sera effective qu'aprés purge préalable du droit de préemption de la société [U] pour le rachat de la totalité des parts de la société Thon du Levant,

Dire que la société Thon du Levant devra purger le droit de préemption de la société [U] avant de récupérer la totalité des parts de copropriété du navire,

Plus subsidiairement,

A défaut de droit de préemption exercé par la société [U],

Ordonner le suivi des antériorités des droits à produire ou droit à quota Thon rouge de la ressource française rattachées au 'Ville d'Arzew II' donnant droit à des allocations annuelles de quota au seul producteur de la copropriété du navire, la société [U], afin qu'elle puisse les transférer sur le navire du contingent senneur de son choix et perpétuer leur exploitation dans le respect des règlements, (article V alinéa 4 et XI du règlement de copropriété),

Condamner la société Thon du Levant à payer à la société [U] la somme de 75.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions n° 3 déposées et notifiées le 26 juin 2015, tenues pour intégralement reprises, la société de droit français Thon du Levant demande à la cour de :

Vu l'article 1654 du code civil,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Faisant droit à son appel incident,

Condamner la société [U] à lui verser la somme qu'elle a reçue au titre de la mutualisation des quotas en 2014 soit celle de 409.500 euros, outre celle reçue en 2015 pour la mutualisation du navire Sainte Bernadette,

La condamner solidairement avec la Copropriété du navire 'ville d'Arzew II' au paiement de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

L'ordonnance de clôture est intervenue en dernier lieu, d'accord des parties le 1er juillet 2015.

MOTIFS

Attendu que les parties doivent formuler expressément leurs prétentions qui sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour ne statue que sur celles énoncées au dispositif et non dans les motifs des écritures ;

Attendu que la société Thon du levant demande la confirmation du jugement et par ailleurs a formé appel incident sollicitant la condamnation de la société [U] au paiement de sommes reçues au titre de la mutualisation des quotas de pêche en 2014 et 2015 ;

Attendu qu'il sera rappelé que la société Thon du levant, la société [U] et la copropriété du navire 'Ville d'Arzew II' sont trois entités juridiques distinctes, dotées chacune de la personnalité morale ;

Sur la résolution de la cession de 51 % des parts de la propriété du navire '[Adresse 3]' :

Attendu que l'acte de cession du 23 octobre 2009, par lequel la société Thon du Levant a vendu à la société [U] 51% des parts de propriété du navire moyennant le prix de 1.130.000 euros, payable comptant à hauteur de 130. 000 euros, le solde l'étant au moyen d'un crédit-vendeur en 60 échéances mensuelles, soit sur 5 années, au taux de 5 %, dispose qu''A défaut de paiement de deux mensualités successives, les vendeurs seront en droit de dénoncer les présents accords et la totalité du prix restant à payer deviendra alors immédiatement exigible, faute de quoi les vendeurs pourront exercer en justice l'ensemble de leurs droits, en ce compris la résiliation de la vente' ;

Attendu qu'a été produit aux débats un procès-verbal de délibération de la copropriété du navire Ville d'Arzew II du 25 janvier 2011 aux termes duquel 'l'acheteur n'ayant pas été à même de régler les mensualités, les parties ont convenu de l'annulation avec effet rétroactif du contrat de vente', cette résolution étant adoptée à l'unanimité des copropriétaires et ce document étant signé de la société Thon du levant et de la Sarl [U], et la société Thon du levant fait valoir que le cessionnaire avait donné son accord à l'annulation de la cession ;

Attendu que le gérant de la société [U] conteste cependant avoir signé, tant ce procès-verbal, que le courrier du 28 janvier 2011attestant de la restitution de la somme de 130.000 euros suite à l'annulation de la cession ; qu'il indique avoir déposé plainte pour faux et usage de faux et que les conclusions de l'expert graphologue commis par le juge d'instruction qu'il produit aux débats corroborent ses dénégations s'agissant de ces deux documents ;

Attendu par ailleurs que l'envoi de documents par Monsieur [U] à Me [I], avocat choisi par la société Thon du levant pour rédiger l'acte contesté du 25 janvier 2011 est insuffisant à établir le consentement invoqué de la société [U] à l'annulation de la cession, étant relevé que Me [I] a précisé que la réunion des associés copropriétaires ne s'était pas tenue dans son cabinet et qu'il n'est plus sérieusement contesté que le gérant de la société [U] n'est pas le signataire du procès verbal et du courrier litigieux ;

Attendu qu'il ne peut donc être utilement soutenu que la société [U] a donné son accord le 25 janvier 2011 à l'annulation de la cession des parts du navire et d'ailleurs la société Thon du levant précise que son action en résolution de la cession n'est fondée que sur l'absence de paiement du prix et non sur le document litigieux du 25 janvier 2011 ;

Attendu qu'il convient en conséquence de statuer sur la résolution de la cession réclamée par la société Thon du levant pour défaut de paiement du prix de cession ;

Attendu en premier lieu que la société [U] produit diverses pièces remises au Conseil Régional aux fins de bénéficier d'une subvention égale à 10 % du prix d'acquisition, payable que sur justification de l'acquittement desdites sommes au vendeur (factures acquittées, virements bancaires internes au vendeur), et soutient qu'elles démontrent le paiement du prix de cession à hauteur de 1million d'euros ;

Mais attendu qu'il résulte des extraits de comptes bancaires produits aux débats que quelques jours aprés chacun des virements effectués par la société [U] en direction du compte de l'Eurl Thon du levant, d'autres intervenaient depuis le compte du vendeur sur celui de la société [U], annulant ainsi les paiements intervenus ;

Attendu que si selon l'attestation de l'expert-comptable Monsieur [O] ces mouvements figurant au crédit du compte 467 110 de la société Thon du Levant étaient parfaitement connus d'elle, les grands livres comptables ayant été consultés en ses bureaux en 2012 par Monsieur [R] en présence de Monsieur [U] et approuvés par celui-là, il n'en demeure pas moins que ce montage, destiné à l'attribution de la subvention par le conseil régional, ne peut être probant du paiement effectif par la société [U] du solde du prix de cession à la société Thon du Levant, qui d'ailleurs désormais offre de s'en acquitter ;

Attendu en second lieu que les virements effectués depuis le compte de la société Thon du Levant sur celui de la société [U] en 2010 et 2011, de la totalité des sommes antérieurement virées sur son compte au titre de la cession des 51 % des parts du navire, n'ont nové ni le contrat de cession des parts du navire, ni l'obligation de paiement du prix par la société [U], et ne peuvent non plus être regardés comme un 'prêt' accordé à l'acquéreur par la société Thon du Levant, remboursable sans condition de délai, comme le soutient la société [U] pour faire valoir que la résolution de la vente ne peut être poursuivie par la société Thon du levant ;

Attendu en conséquence que la société [U] est redevable de la somme de 1 million d'euros à la société Thon du Levant au titre du contrat de cession des parts du navire et non du remboursement d'un prêt ;

Attendu en troisième lieu que la société [U] fait valoir, au visa des articles 1184 et 1654 du code civil, que le juge peut souverainement apprécier si les manquements de l'acquéreur sont suffisamment graves pour justifier le prononcé de la résolution de la vente, qu'il doit tenir compte en cette matière de toutes les circonstances de la cause, qu'il peut ordonner l'exécution du contrat bien que la résolution lui soit demandée et également accorder à l'acquéreur des délais de grâce pour le paiement du prix ;

Attendu que la clause susvisée du contrat ne prévoit pas la résolution de plein droit de la cession en cas de non paiement du prix, n'offrant au vendeur que la faculté de demander sa résiliation en cas de défaut de paiement de deux mensualités successives ;

Attendu que dès le début de leurs relations les parties ont envisagé de conclure trois actes : de cession de parts du navire, de copropriété exploitant le navire Ville d'Arzew II et d'un contrat d'affrètement au bénéfice de la société Thon du levant ;

Attendu que la société [U] soutient que le délai solde de prix de cession d'une durée de 5 ans stipulé dans l'acte de cession, au final conclu le 23 octobre 2009, est abusif, lui a été imposé de mauvaise foi par la société Thon du Levant et qu'il a créé à son détriment un déséquilibre significatif ;

Attendu toutefois que ce délai a été accepté en toute connaissance de cause par l'acquéreur, à même d'apprécier ses facultés de remboursement et en discussion avec la société Thon du Levant depuis plusieurs mois, au fait des actes antérieurement envisagés et de leurs stipulations ainsi que de ceux conclus le même jour dont le contrat d'affrètement d'une durée de 14 ans au profit de la société Thon du levant ;

Attendu en outre que la circonstance qu'un délai d'exécution de 14 ans ait été prévu dans toutes les conventions antérieures, dont la promesse de cession des parts du navire accordant par ailleurs aux acquéreurs la faculté de reporter le paiement des annuités en cas de résultats d'exploitation insuffisants, ne peut à elle seule démontrer le caractère abusif du délai de 5 ans prévu à l'acte de cession ainsi que la mauvaise foi des vendeurs ;

Attendu par ailleurs que la signature par la copropriété, dont Monsieur [U] était cogérant, du contrat d'affrètement dénommé 'charte-partie à temps' d'une durée de 14 ans, consenti à la société Thon du Levant pour un loyer dérisoire de 1 euros par jour, charte dont il est soutenu qu'elle était léonine, n'a pas fait obstacle à la délivrance des 51 % des parts du navire ville d'Arzew II cédées à la société [U], comme le démontrent d'ailleurs les actes accomplis par la copropriété toujours existante, au sein de laquelle la société [U] est majoritaire à hauteur de 51 % : résiliation de la charte-partie à temps, transferts des quotas de pêche de thon rouge affectés à la copropriété ;

Attendu que si la société [U] soutient que l'opération litigieuse (cession des parts du navire par la société Thon du levant, charte-partie à temps consentie par la copropriété à la société Thon du levant et organisation de la copropriété) s'inscrit en réalité dans une opération économique ayant pour objet, pour la société maltaise, d'accéder à la ressource publique française de quota de thon rouge, elle ne soutient pas s'être méprise, ni avoir été induite en erreur sur l'objet poursuivi par la société de droit maltais Thon du Levant Holding Ltd, dont elle a été partie prenante ;

Attendu qu'il sera rappelé par ailleurs que Messieurs [U] étaient tous deux engagés de janvier 2007 à décembre 2012 comme salariés de la société Thon du levant, [V] en qualité de capitaine et [S] de chef mécanicien du navire Ville d'Arzew II, et que [V] [U] avait un statut de gérant interessé délimité par une convention de gérance dont il a partagé les revenus avec son frère ;

Attendu que les moyens tirés de la mauvaise foi de la société Thon du levant sont en conséquence écartés ;

Attendu en quatrième lieu que la société [U] fait valoir que les nouvelles réglementations ayant divisé par trois les quotas de pêche au thon ont entrainé un effondrement des recettes de l'exploitation du navire à partir de 2010, privant la copropriété de revenus et que cette circonstance constitue un cas de force majeure au sens de l'article 1148 du code civil faisant obstacle à la demande de résolution de la cession pour défaut de paiement du solde de prix ;

Attendu toutefois que Messieurs [U], pêcheurs professionnels de thon rouge, ne pouvaient ignorer que les quotas allaient significativement diminuer du fait que la ressource de pêche était menacée, étant relevé que [V] [U], représentant du Comité National des Pêches participait à la réunion de l'ICCAT en novembre 2008 au cours de laquelle le total des prises admissibles (TAC) a été fixé à la baisse constante de 2007 à 2011 pour passer de 29.550 T en 2007 à 19.500 T en 2011, ces mesures renforçant le programme de rétablissement pour le thon rouge de l'atlantique et de la méditerrannée adopté en 2006 ;

Attendu que la baisse des recettes d'exploitation générée par celle des quotas de pêche, prévisible pour ces professionnels associés de la société [U] et donc pour la société elle-même, n'est pas constitutive d'un cas de force majeure exonératoire ;

Attendu que la société [U], aprés avoir offert le 30 avril 2014 à la société Thon du levant de régler le prix de cession par acomptes, sur ordonnances sur requêtes du président du tribunal de commerce de Marseille a consigné à la Carpa le 28 mai 2014 la somme de 250.000 euros et le 19 mars 2015 celle de 750.000 euros, toutes séquestrées, soit au total 1.000.000 d'euros, montant réglant le solde du prix de cession ;

Attendu qu'elle a au surplus séquestré le 16 mars 2015 la somme de 92.666,56 euros correspondant à la part revenant à la société Thon du levant au titre de l'exploitation du navire pour l'exercice 2013 ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1961 du code civil la remise des fonds entre les mains d'un séquestre judiciaire vaut paiement à l'égard du débiteur qu'elle libère ;

Attendu que si les délais de paiement prévus dans la convention de cession n'ont pas été respectés par l'acquéreur, la société Thon du levant, ayant parfaite connaissance des problèmes affectant la pêche au thon rouge, de la réduction du quota de pêche du navire Ville d'Arzew II et de l'effondrement de ses résultats d'exploitation, n'a jamais mis en demeure son cocontractant de satisfaire à ses engagements, lui accordant de fait des délais de paiement, étant noté qu'en parallèle les frères [U], salariés de la société Thon du levant ont suspendu le paiement de leurs salaires en 2011 et 2012 et de la convention de gérance et que le filet méditerranéen de pêche pour thonier d'une valeur de 200.000 euros a été transporté à Malte en avril 2011 et délivré à Monsieur [R] aux fins d'usage par la holding maltaise ;

Attendu que les problèmes se sont cristallisés fin 2012 alors que la société Thon du levant envisageant une cession du navire, soit avant le terme des 14 ans fixés dans l'acte de copropriété, a résilié unilatéralement la convention de gérance d'une durée de 14 ans, sans se prévaloir d'aucune faute à l'égard du gérant, qui a contesté cette décision comme étant non conforme à leurs accords ;

Attendu que la société Thon du levant n'a assigné la société [U] en résolution de la cession qu'aprés la résiliation par la copropriété du contrat d'affrètement 'charte-partie à temps' d'une durée de 14 ans qui lui avait été consentie moyennant un loyer d'un euro soit 365 euros par an ;

Attendu qu'il sera par ailleurs relevé que la créance de la société Thon du levant est garantie par le navire lui-même, immobilisé à quai suite à la saisie de l'acte de francisation pratiquée à sa demande ;

Attend que ces circonstances justifient que l'exécution de la convention de cession par le paiement du solde du prix de cession séquestré en 2014 soit préférée à sa résolution, qui ne peut intervenir de plein droit en l'absence d'une clause expresse à cette fin, le défaut de respect des délais de paiement ne justifiant pas à lui seul la résolution sollicitée avec effet rétroactif ;

Attendu que la disparition de l'affectio societatis invoquée par la société Thon du levant, dont la société [U] Frère n'est pas associée, est sans emport alors que la copropriété, composée des deux sociétés en litige, continue de fonctionner, des convocations ayant été adressées à la société Thon du levant pour assister aux réunions en 2013, 2014 et 2015, les compte des l'exercice lui ayant été signifiés par huissier de justice, que la mutualisation des quotas a été votée en 2014 et 2015 suite à la mise sous séquestre de l'acte de francisation du navire Ville d'Arzew II immobilisé à quai ; que la copropriété est donc toujours en activité et il est justifié par ailleurs par l'expertise maritime en date du 21 mai 2015 du parfait état du navire ;

Attendu que le jugement, qui a prononcé la résolution de la vente de 51 % des parts de la copropriété du navire 'ville d'Arzew II' du 23 octobre 2009 sur le fondement des articles 1184 et 1654 du code civil, avec prise d'effet au 23 octobre 2009, est en conséquence réformé ;

Attendu que les sommes séquestrées à la Carpa à hauteur de 1 million d'euros (250.000 et 750.000 euros) en paiement du solde du prix de cession seront en conséquence débloquées au profit de la société Thon du levant au vu du présent arrêt, étant précisé que le paiement de la somme de 130.000 euros a été constaté et acté dans le contrat de cession du 23 octobre 2009 ;

Sur les demandes au titre de la mutualisation des quotas :

Attendu que la société Thon du levant demande la condamnation de la société [U] à lui verser la somme qu'elle a reçue au titre de la mutualisation des quotas en 2014, soit celle de 409.500 euros, outre celle reçue en 2015 pour la mutualisation du navire Sainte Bernadette d'un montant non précisé ;

Attendu cependant que les fonds provenant de la mutualisation et des transferts des quotas sont versés à la copropriété du navire Ville d'Arzew II, et non à la société [U], et il n'est pas démontré que ce copropriétaire se serait approprié indûment les sommes ainsi reçues et donc la part revenant à la société Thon du levant sur les bénéfices des exercices 2014 et 2015, étant relevé qu'a été consignée à la Carpa le 7 mai 2015 la somme de 94.252,48 euros revenant à la société Thon du levant pour l'exercice 2014 ;

Attendu qu'elle sera en conséquence déboutée de ces chefs de demande ;

Sur les demandes de la copropriété du [Adresse 3] :

Attendu que la copropriété, au sein de laquelle la société [U] est majoritaire pour détenir 51 % des parts du navire 'Ville d'Arzew II' a consenti à la société Thon du levant le 23 octobre 2009 le contrat d'affrètement dénommé 'charte-partie à temps' d'une durée de 14 ans, pour un loyer de 1 euros par jour, en toute connaissance de cause ;

Attendu que s'inscrivant dans un ensemble plus vaste de diverses conventions liant les parties et les associés de la société [U] Frère, son caractère abusif et déséquilibré n'est pas établi, étant rappelé que la copropriété a librement résilié le 22 janvier 2013 ce contrat d'affrètement et que celle-ci, constituée et gérée par des professionnels de la pêche au thon connaissant parfaitement la réglementation en la matière, ne démontre pas avoir signé ce contrat sous la violence, par dol ou par erreur ;

Attendu que la demande d'expertise sollicitée pour apprécier le préjudice subi par la copropriété du fait des agissements de la société Thon du levant et faire le compte entre les parties sera en conséquence rejetée et le jugement confirmé sur ce point ;

Attendu que la société Thon du levant est condamnée au paiement d'une somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que, partie succombante au principal, elle est condamnée aux entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a reçu la Copropriété du navire 'ville d'Arzew II' en son intervention volontaire, débouté la Copropriété du navire 'ville d'Arzew II' de ses demandes, fins et conclusions, débouté la société Thon du Levant de ses demandes en paiement de dommages et intérêts,

Le réforme en ce qu'il a :

Prononcé la résolution de la vente de 51 % des parts de la copropriété du navire 'ville d'Arzew II' en date du 23 octobre 2009 sur le fondement des articles 1184 et 1654 du code civil, avec prise d'effet au 23 octobre 2009,

Condamné la société [U] à payer à la société Thon du Levant la somme de 351.000 euros reçue au titre des quotas de pêche 2013, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, avec intérêts au taux légal et capitalisés à compter de l'assignation, et celle de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la société [U] aux dépens.

Statuant à nouveau sur ces points,

Dit n'y avoir lieu à résolution de la cession intervenue le 23 octobre 2009 sur le fondement des articles 1184 et 1654 du code civil pour défaut de paiement du solde du prix de cession,

Déboute en conséquence la société Thon du levant de ce chef de demande,

Dit que les sommes de 250.000 euros et de 750.000 euros séquestrées à la Carpa de [Localité 2] sur ordonnances sur requête du président du tribunal de commerce de Marseille des 27 mai 2014 et le 17 mars 2015 seront débloquées à son profit au vu de la présente décision,

Déboute l'Eurl Thon du levant de ses demandes de condamnation de la société [U] à lui verser l'intégralité des sommes reçues par la copropriété au titre de la mutualisation des quotas de pêche en 2013, celle de 409.500 euros au titre de la mutualisation des quotas en 2014, outre celle reçue en 2015 pour la mutualisation du navire Sainte Bernadette,

Déboute la société Thon du levant du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Déboute la copropriété du navire Ville d'Arzew II de sa demande d'instauration d'expertise,

Condamne l'Eurl Thon du levant à verser aux appelantes la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'Eurl Thon du levant aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre a
Numéro d'arrêt : 14/24004
Date de la décision : 01/10/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°14/24004 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-01;14.24004 ?
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