COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUILLET 2015
N° 2015/1379
Rôle N° 13/22768
[Y] [D]
C/
M° [H], Mandataire ad'hoc de la SARL Etablissements [V] [N]
AGS - CGEA DE [Localité 2] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST
Grosse délivrée
le :
à :
Me Cyril MICHEL
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Me [H]
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de [Localité 2] - section I - en date du 31 Octobre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 13/695.
APPELANT
Monsieur [Y] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de [Localité 2] substitué par Me Emilie MILLION-ROUSSEAU, avocat au barreau de [Localité 2]
INTIMEES
Me [H], Mandataire ad'hoc de la SARL Etablissements [V] [N], demeurant [Adresse 2]
non comparante
AGS - CGEA DE [Localité 2] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de [Localité 2], Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sabine NIVOIT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Mai 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre
Madame Christine LORENZINI, Conseiller
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Priscille LAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2015.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2015.
Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Monsieur [Y] [D] a été employé en qualité de chaudronnier par les établissements [V] [N] au cours de diverses périodes entre le 1er mars 1972 et le 30 mai 1980.
Monsieur [V] [N] a créé une entreprise en nom propre le 3 janvier 1963, sise [Adresse 7] ; son activité concernait le montage et démontage des charpentes, récupération et vente de matériaux et vieux métaux véhiculés gros transports publics de marchandises. Cette entreprise a été radiée le 27 mai 1971.
La société Etablissements [V] [N] a été immatriculée le 24 mai 1972 au registre du commerce d'Aix en Provence sous le n° 721 612 232, son établissement principal étant sis [Adresse 3].
La société Etablissements [V] [N] a été immatriculée le 29 avril 1974 au registre du commerce d'Aix en Provence sous le n° 304 865 710, son siège social étant sis [Adresse 5]. Ce siège social a été transféré à [Localité 2] le 26 février 1992, puis de nouveau transféré à son adresse initiale aux Pennes [Localité 3], le 23 mars 1994. Cette société a fait l'objet d'un redressement judiciaire arrêté le 30 mars 1992, avec plan de continuation le 17 août 1992 ; le 15 février 1995, ce plan a été résolu et le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Etablissements [V] [N], le fond ayant été vendu le 29 mars 1995.
Par arrêté en date du 25 mars 2003, les Etablissements [N] [V], puis SARL [V] [N], [Adresse 8], puis [Adresse 9], ont été inscrits sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) de 1962 à 1992.
Eligible à l'ACAATA, Monsieur [Y] [D] a été bénéficiaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif.
Le 4 mars 2013, il a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 2] pour réclamer la réparation de certains préjudices subis, selon lui, du fait de son exposition à l'amiante.
Pour les besoins de la procédure devant le conseil de prud'hommes, Maître [W] [H] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc des Etablissements [V] [N] par ordonnance du Président du tribunal de commerce de [Localité 2] en date du 19 février 2013.
Le CGEA - AGS de [Localité 2] a été appelé en la cause.
Par jugement en date du 31 octobre 2013, le conseil de prud'hommes de [Localité 2], après avoir implicitement retenu sa compétence, a :
- débouté Monsieur [Y] [D] de ses demandes pour cause de prescription,
- débouté Monsieur [D] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné Monsieur [Y] [D] aux entiers dépens.
Monsieur [Y] [D] a interjeté appel cette décision le 19 novembre 2013.
Maître [W] [H] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc des Etablissements [V] [N], pour les procédures pendantes devant la cour d'appel ainsi que pour les procédures subséquentes par ordonnance du Président du tribunal de commerce de [Localité 2] en date du 5 mars 2015.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à une autre des instances inscrites au rôle, Monsieur [Y] [D], qui ne maintient pas en cause d'appel de demande distincte en réparation d'un préjudice lié au bouleversement de ses conditions d'existence, demande à la cour, au visa des articles L.1222-1 et L. 4121-1 du code du travail, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son action recevable mais, l'infirmant pour le surplus, de
- dire que la société Etablissements [V] [N] a engagé sa responsabilité en raison de l'exposition du salarié aux poussières d'amiante sans aucune protection,
- constater que la société Etablissements [V] [N] est représentée par Maître [W] [H], ès qualités de mandataire ad hoc;
- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Etablissements [V] [N] aux sommes suivantes :
* 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation par la société Etablissements [V] [N] d'une part de son obligation de sécurité de résultat et d'autre part de l'exécution de bonne foi du contrat de travail,
* 15 000 euros en réparation du préjudice autonome d'anxiété,
- déclarer l'arrêt opposable au CGEA,
- condamner le CGEA à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient pour l'essentiel que :
* la société Etablissements [V] [N], qui exerçait une activité de sous traitance dans le domaine de la réparation navale, a exposé tous ses salariés, depuis les années 1960 jusqu'à sa fermeture, à l'inhalation de poussières d'amiante, matériau omniprésent, utilisé sous différentes formes, et a ainsi manqué à son obligation de sécurité de résultat en omettant de leur fournir les moyens de protection collectifs et individuels nécessaires et en refusant de les informer des risques liés à cette exposition,
* elle se trouve dans l'incapacité de démontrer l'existence d'une cause d'exonération de sa responsabilité alors qu'elle a violé la réglementation applicable dont le décret du 17 août 1977,
* ses manquements qui se sont répétés chaque jour de la relation contractuelle, sont donc délibérés, continus et particulièrement graves, privant les salariés d'une chance de se soustraire au risque auquel ils étaient exposés,
* par ailleurs, la société Etablissements [V] [N] a été inscrite par arrêté du 25 mars 2003 sur la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparations navales susceptibles d'ouvrir droit à l'Acaata pour la période 1962-1992,
* ce comportement fautif n'a été révélé et que la prescription de son action n'a commencé à courir qu'à partir de l'interdiction de l'amiante en 1997, suivie de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé les Etablissements [V] [N] parmi 'les établissements amiante',
* il est donc fondé à réclamer l'indemnisation tant du préjudice résultant nécessairement de la violation grave, délibérée mais aussi continue par la société Etablissements [V] [N] de son obligation de sécurité de résultat et de l'inexécution de bonne foi du contrat de travail que du préjudice autonome d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer une maladie grave,
*que l'AGS doit garantir cette créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque que son fait générateur réside dans le comportement fautif de l'employeur tout au long de l'exécution du contrat de travail.
Aux termes de ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, le CGEA demande à la cour, confirmant le jugement déféré, de :
vu l'arrêté ACAATA du 7 juin 2000,
vu l'arrêté ACAATA du 25 mars 2003,
- déclarer irrecevables les demandes de Monsieur [Y] [D] car prescrites, ses contrats de travail ayant été rompus plus de trente ans avant la saisine du conseil de prud'hommes dans le cadre du présent litige,
sur la garantie AGS,
- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que le salarié ait eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté ACAATA
- dire et juger qu'en l'espèce, les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective des Etablissements [V] [N] et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,
* sur les nouveaux fondements invoqués :
- dire et juger que le dispositif ACAATA couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L.4121-1 du code du travail, que les salariés ne peuvent solliciter des dommages et intérêts pour chaque mesure comprise dans cette obligation, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que le salarié apporte la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, sa demande serait, dès lors, prescrite,
à titre subsidiaire,
- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,
- dire que la garantie de l'AGS est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure,
- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'UNEDIC CGEA-AGS et condamner l'appelant aux dépens.
Maître [H], ès qualités de liquidateur des Etablissements [V] [N], régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception remise le 23 janvier 2015 n'est ni comparant, ni représenté. Le présent arrêt sera donc rendu de façon réputée contradictoire.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de donner acte à Monsieur [Y] [D] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence.
Sur la prescription :
En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.
En l'espèce, quelque soit la date de fin de son contrat de travail, aucun élément du dossier ne permet de considérer que le salarié a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer avant la loi du 23 décembre 1998 et la publication de l'arrêté du 23 mars 2003 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les Etablissements [V] [N] parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.
Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit en l'espèce le 6 mai 2013, dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat et à l'exécution de bonne foi du contrat de travail :
Monsieur [D] demande l'allocation de la somme de 15 000€ de dommages et intérêts sur ce double fondement. Il soutient que le manquement des Etablissements [V] [N] à leur obligation de sécurité de résultat qui a été tout à la fois répété, délibéré et grave, particulièrement en l'absence de respect des dispositions du décret du 17 août 1977, ajouté à leur volonté de le maintenir dans l'ignorance de la dangerosité de l'inhalation des particules d'amiante, lui a nécessairement causé un préjudice, tenant au fait d'avoir été exposé à un danger sans que l'employeur ne prenne les mesures de protection nécessaires pour prévenir le dommage prévisible et à la perte de chance d'échapper à cette exposition nocive, notamment par l'exercice d'un droit de retrait, faute d'information suffisante sur le risque encouru, préjudice devant être indemnisé indépendamment du préjudice autonome d'anxiété, parfaitement distinct, issu de la prise de conscience postérieure de l'existence et de la gravité de ce danger.
En application des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Par ailleurs, en application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail. D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs. En outre, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'. En l'état de ces dispositions, le dommage allégué par le salarié n'était pas imprévisible lors de la conclusion du contrat de travail.
En l'espèce, il résulte des pièces produites que Monsieur [Y] [D] a travaillé en qualité de chaudronnier, de manière certaine, pour les Etablissements [V] [N] :
- [Adresse 4], les mois de mars 1972, janvier 1973, juin 1974 et les années 1975 à 1977,
- le Collet Rouge, [Localité 1], les années 1978 et 1979 ainsi que du 1er février au 30 mai 1980.
Les Etablissements [N] [V], puis SARL [V] [N], [Adresse 9], ont été classés, par arrêté du 25 mars 2003, pour la période 1962 - 1992, parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, à l'allocation de cessation anticipée d'activité. Le poste occupé par Monsieur [Y] [D] est l'un de ceux visés sur cette liste des métiers.
Le salarié a donc été exposé à l'amiante.
Le CGEA-AGS ne produit, pour sa part, aucune pièce aux débats de nature à démontrer que les employeurs ont pris toutes les mesures nécessaires pendant l'ensemble de la période concernée par le classement, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale) ; il n'est pas non plus établi l'existence d'une cause étrangère non imputable aux employeurs, ni aucun élément de nature à les exonérer de leur responsabilité.
Il en résulte que les Etablissements [V] [N] n'ont pas exécuté le contrat de bonne foi et ont ainsi manqué à leur obligation de sécurité de résultat en permettant au salarié d'être exposé à l'inhalation de fibres d'amiante.
Les préjudices patrimoniaux résultant de ces manquements sont pris en compte par des mécanismes d'indemnisation spécifiques.
Le préjudice extra-patrimonial causé nécessairement au salarié du fait de ces manquements comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et correspond au préjudice spécifique d'anxiété.
Or, le préjudice résultant de la perte d'une chance d'échapper au risque, notamment en exerçant un droit de retrait, correspond à l'impossibilité de ne pas subir ces troubles psychologiques et s'analyse (d'ores et déjà) en l'une des formes du préjudice d'anxiété.
Monsieur [Y] [D] qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat de travail.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété :
Du fait de son exposition à l'amiante telle que vu supra, le salarié se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.
Il est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, lequel est par nature unique et indivisible, et ce, au titre de l'ensemble de la période travaillée, même avant le 21 décembre 1982. Ce préjudice spécifique n'a pas été pris en compte par l'ACAATA, dispositif n'ayant pas pour finalité de réparer le dommage résultant de cette anxiété, mais dont le principal objet est d'indemniser le salarié ayant subi une exposition à l'amiante qui a demandé à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité.
En conséquence, les Etablissements [V] [N] sont responsables du préjudice d'anxiété subi par le salarié et compte tenu des éléments de l'espèce (nature des fonctions occupées, durée d'exposition au risque, en l'absence d'un quelconque autre élément) ce préjudice, incluant le bouleversement dans ses conditions d'existence, sera réparé par l'allocation d'une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la garantie de l'AGS :
En application des dispositions des articles L.3253-6 et L. 3253-8 -1° du code du travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié ; aucun des éléments versés aux débats ne peut permettre de retenir que ce préjudice aurait pu naître à une date antérieure à celle de publication de l'arrêté ministériel d'inscription des Etablissements [V] [N] sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit au plus tôt le 25 mars 2003, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, les Etablissements [V] [N] ayant été placés en redressement judiciaire le 30 mars 1992 puis en liquidation judiciaire par jugement en date du 15 février 1995.
Dès lors, l'AGS ne peut être tenue à garantie.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
La demande au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile dirigée par le salarié contre le CGEA sera rejetée.
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire,
DONNE ACTE à Monsieur [Y] [D] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence,
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence et les fins de non recevoir présentées par les défendeurs,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
REÇOIT Monsieur [Y] [D] en sa nouvelle demande formée au titre de la réparation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par les Établissements [V] [N] de leur obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat de travail mais l'en déboute,
DIT les Établissements [V] [N] responsables du préjudice d'anxiété subi par le salarié,
FIXE la créance de Monsieur [Y] [D] au passif de la liquidation judiciaire des Établissements [V] [N] à la somme de CINQ MILLE EUROS (5000€) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété incluant le bouleversement dans les conditions d'existence,
DIT que les cette créance n'est pas garantie par l'UNEDIC AGS CGEA,
REJETTE la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.
LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.