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26/06/2015 | FRANCE | N°13/19063

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 26 juin 2015, 13/19063


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 26 JUIN 2015



N°2015/















Rôle N° 13/19063







CGEA - ILE DE FRANCE OUEST





C/



[W] [N] [H]

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT

SELAFA [B], prise en la personne de M° [R], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED

























Grosse délivré

e le :

à :



Me Michel FRUCTUS



Me Cyril MICHEL



Me Arnaud CLERC



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section I - en date du 05 Septembre 2013, enregi...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 26 JUIN 2015

N°2015/

Rôle N° 13/19063

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST

C/

[W] [N] [H]

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT

SELAFA [B], prise en la personne de M° [R], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED

Grosse délivrée le :

à :

Me Michel FRUCTUS

Me Cyril MICHEL

Me Arnaud CLERC

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section I - en date du 05 Septembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/2046.

APPELANTE

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [W] [N] [H], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Cyril MICHEL de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Cyril MICHEL de la SELARL RACINE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

SELAFA [B], prise en la personne de M° [R], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sabine NIVOIT, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 24 Avril 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine LORENZINI et Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER , chargées d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Juin 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Juin 2015

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Nathalie ARNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [W] [H] a été employé en qualité de chaudronnier fer puis de tuyauteur par la société Chantiers navals de La Ciotat devenue SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée ci-après Normed, sur le site de La Ciotat, du 26 août 1969 au 22 mars 1971 et du 4 avril 1972 au 1er octobre 1988.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France Dunkerque (FD), Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître [F] puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA [B], en la personne de Maître [R], en qualité de mandataire liquidateur.

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Eligible à l'ACAATA, Monsieur [W] [H] a été bénéficiaire d'une allocation dans le cadre de ce dispositif.

Le 3 mai 2011, il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation de certains préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante.

L'Union locale des syndicats CGT de La Ciotat est intervenue volontairement à l'instance.

Le CGEA - AGS de l'Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement de départage en date du 5 septembre 2013, le conseil de prud'hommes de Marseille, après avoir retenu sa compétence, a :

- dit que l'intervention volontaire de l'Union locale qui ne formule qu'une seule demande de dommages et intérêts sera traitée au dossier de Monsieur [E],

- rejeté les exceptions d'incompétence,

- constaté que Monsieur [W] [H] a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la Normed,

- constaté qu'il rapporte la preuve du manquement commis par la Normed en matière d'obligation de sécurité de résultat,

- fixé les créances de Monsieur [W] [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée dite Normed, aux sommes de :

* 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,

* 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au bouleversement dans ses conditions d'existence,

* 1500 euros du chef des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit le jugement commun et opposable à Maître [R], en qualité de mandataire liquidateur de la Normed et au CGEA de L'UNEDIC Ile de France Ouest,

- rappelé que le CGEA est fondé à opposer les plafonds légaux de sa garantie,

- rappelé que la garantie AGS ne s'étend pas aux condamnation prononcées au titre des frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes prétentions plus amples ou contraires,

- laissé les dépens à la charge de la liquidation judiciaire de la Normed.

Le CGEA Ile de France Ouest a interjeté appel cette décision le 30 septembre 2013.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, concernant plusieurs des instances inscrites au rôle, le CGEA et Maître [R] demandent à la cour, infirmant le jugement déféré de :

à titre liminaire,

- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 (date de l'assemblée générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la Normed, moyen sans objet en l'espèce ;

- déclarer irrecevable l'action des salariés dont les contrats de travail se sont poursuivis au delà du 27 février 1989 et ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la Normed, moyen également sans objet en l'espèce ;

- en conséquence mettre hors de cause Me [R] ès qualités et le CGEA ;

sur le fond,

à titre principal,

* sur la demande au titre du préjudice d'anxiété :

- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel et, par conséquent, débouter les salariés n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif ACAATA de leurs demandes relatives à leur exposition à l'amiante ;

- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté ACAATA, qu'ils n'apportent pas la preuve d'avoir eu connaissance de cet arrêté avant l'ouverture de la procédure collective de la société, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie ;

* sur les nouveaux fondements invoqués :

- dire et juger que le dispositif ACAATA couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L.4121-1 du code du travail, que les salariés ne peuvent solliciter des dommages et intérêts pour chaque mesure comprise dans cette obligation, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que les salariés apportent la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, leurs demandes seraient, dès lors, prescrites ;

à titre subsidiaire,

- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil ;

- dire que la garantie de l'AGS est limitée par application des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas les frais de procédure ;

- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'UNEDIC AGS et condamner les intimés aux dépens.

Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, Monsieur [W] [H], soutenant pour l'essentiel que :

* l'amiante s'est retrouvé non seulement dans les ateliers et à bord des bateaux mais sur l'ensemble du site, sous différentes formes (joints, tresses, matelas, plaques, gants, toitures...), les poussières d'amiante se répandant partout sur le site,

* la Normed, qui a exposé tous ses salariés à l'inhalation de poussières d'amiante, a manqué à son obligation de sécurité de résultat en refusant d'informer le salarié des risques liés à l'exposition à l'amiante et en omettant de lui fournir les moyens de protection nécessaires, et ne démontre pas l'existence d'une cause d'exonération alors qu'elle a violé la réglementation applicable dont le décret du 17 août 1977,

* ses manquements se sont répétés chaque jour de la relation contractuelle et sont donc délibérés, continus, et particulièrement graves, privant les salariés d'une chance de se soustraire au risque auquel ils étaient exposés,

* ce comportement fautif n'a été révélé et que la prescription de leur action n'a commencé à courir qu'à partir de l'interdiction de l'amiante en 1997, suivie de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé la Normed parmi 'les établissements amiante',

* la Normed doit indemniser les salariés dont les contrats de travail ont été rompus avant 1982 en vertu du traité d'apport de la branche navale de la CNL à la Normed,

* si certains demandeurs ont vu leurs contrat de travail transférés à la CNL, c'est à la suite de la liquidation judiciaire de la Normed, en sorte que le nouvel employeur n'est pas tenu des obligations incombant à l'ancien et qu'en outre, seules les sociétés CNC et Normed ont exposé leurs salariés à l'amiante,

* le seul fait que certains métiers ne rendent pas les salariés les ayant exercés éligibles à l'ACAATA ne signifie pas que ceux-ci n'ont pas été exposés aux poussières d'amiante, dans le cadre d'une contamination environnementale incontournable, d'autant que certains de ces métiers impliquaient des déplacements dans les ateliers et à bord des navires dans le cadre de l'exécution du contrat de travail et que tous les documents, notamment les attestations, versés aux débats démontrent que les salariés ayant occupé des postes administratifs ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante en raison de la proximité géographique des bâtiments administratifs et des ateliers et de leurs déplacements sur le site,

* il est donc fondé à réclamer l'indemnisation tant du nécessaire préjudice subi en raison de la violation par la Normed de son obligation de sécurité de résultat que du préjudice autonome d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer une maladie grave, l'irrévocabilité de l'état des créances ne pouvant lui être opposé, s'agissant d'une créance indemnitaire, et que l'AGS doit garantir cette créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque que son fait générateur réside dans le comportement fautif de l'employeur tout au long de l'exécution du contrat de travail,

qui ne maintient pas en cause d'appel de demande distincte en réparation d'un préjudice lié au bouleversement de ses conditions d'existence, demande à la cour, au visa des articles 1147 et 1353 du code civil et L.1222-1 du code du travail, de dire et juger que l'action engagée est recevable et fondée, et, par la voie d'un appel incident, de :

- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la Normed aux sommes suivantes :

* 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation par la Normed d'une part de son obligation de sécurité de résultat et d'autre part de l'exécution de bonne foi du contrat de travail,

* 15 000 euros en réparation du préjudice autonome d'anxiété,

- déclarer l'arrêt opposable au CGEA,

- condamner Maître [O] [R], liquidateur, à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Union locale des syndicats CGT de La Ciotat, régulièrement convoquée, n'a présenté aucune demande.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de donner acte à Monsieur [W] [H] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence.

Le jugement sera immédiatement confirmé en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence non reprises devant la cour.

Sur la prescription :

En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir .

En l'espèce, quelque soit la date de fin de son contrat de travail, aucun élément du dossier ne permet de considérer que le salarié a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer avant la loi du 23 décembre 1998 et la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les Chantiers Navals de [Localité 1] et la Normed parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat et à l'exécution de bonne foi du contrat de travail :

Monsieur [W] [H] demande l'allocation de la somme de 15 000€ de dommages et intérêts sur ce double fondement. Il soutient que le manquement de la Normed à son obligation de sécurité de résultat telle que résultant des dispositions du décret du 17 août 1977 a été délibéré et lui a nécessairement causé un préjudice, tenant au seul fait d'avoir été exposé à un danger sans que l'employeur ne prenne les mesures de protection nécessaires pour prévenir le dommage prévisible, préjudice devant être indemnisé indépendamment d'un préjudice distinct, le préjudice autonome d'anxiété, issu de la prise de conscience postérieure de l'existence et de la gravité de ce danger.

En application des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Par ailleurs, en application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail. D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs. En outre, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'. En l'état de ces dispositions, le dommage allégué par le salarié n'était pas imprévisible lors de la conclusion du contrat de travail.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que Monsieur [W] [H] a travaillé sur le site de la Normed à [Localité 1] du 26 août 1969 au 22 mars 1971 puis du 4 avril 1972 au 1er octobre 1988, embauché en qualité de chaudronnier fer, et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de tuyauteur.

Les sociétés Chantiers navals de La Ciotat (CNC) / Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed ) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, à l'allocation de cessation anticipée d'activité. Les postes occupés par Monsieur [W] [H] sont au nombre de ceux visés sur cette liste des métiers.

Dans leur dossier commun soumis à la cour, pour s'exonérer de toute responsabilité, et soutenant que toutes les mesures de protection nécessaires ont été prises, que l'amiante n'était plus utilisé sur le site de [Localité 1] depuis 1977 et se prévalant de l'absence d'alerte de la part des diverses administrations ou organismes extérieurs à l'entreprise ainsi que des instances représentatives du personnel, du fait qu'aucun procès-verbal n'a été dressé par l'inspection du travail ni par la CRAM ou la médecine du travail et que la loi du 12 juin 1893 ne fait pas reposer sur l'employeur une règle quelconque dont l'irrespect entraînerait une faute, d'autant que l'Etat a fait preuve de carence dans la prévention des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante, ce pour quoi il a été condamné en 2004 par le Conseil d'Etat, le liquidateur et l'AGS se fondent principalement sur :

- l'autorité de la chose jugée d'un arrêt du 15 novembre 2005 de la chambre criminelle de la Cour de cassation faisant état, selon eux, du respect des règles de sécurité sur le site de Dunkerque de la Normed, laquelle appliquerait les mêmes règles sur l'ensemble de ses sites ; cependant, cet arrêt ne concerne pas la Normed mais une autre société, SOLLAC DUNKERQUE, en sorte que l'autorité de la chose jugée ne peut être retenue, étant observé que cet arrêt rapporte les déclarations du médecin salarié des Chantier de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante ; en outre, dans son communiqué relatif à cet arrêt, la Cour de cassation indique que 'la chambre criminelle n'a porté aucune appréciation sur la valeur des charges réunies contre les mis en examen, son contrôle, dans la présente affaire, se limitant à rechercher si les parties civiles se trouvaient dans l'un des cas énumérées à l'article 575 du code de procédure pénale permettant aux parties civiles de se pourvoir seules contre un arrêt de la chambre de l'instruction, en l'absence de recours du ministère public' ;

- des extraits de bilans des chantiers navals de [Localité 2] de 1980, 1981 et 1982, mentionnant tant les investissement de l'employeur dans différents équipements destinés à l'élimination et à l'évacuation de poussières diverses, que les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux ;

- le fait qu'au cours des réunions des comités d'hygiène et de sécurité, aucun membre ne mentionne une absence de ventilation ou de prélèvements atmosphériques, bien que parfaitement informé de la législation de 1977, ce dont il n'est pas non plus rapporté la preuve ;

- un document de lecture de la CGT de septembre 1982, destiné à l'ensemble de ses adhérents

permettant selon l'employeur et l'AGS de retenir que les membres du personnel au CHSCT et à la commission des conditions de travail étaient avertis et formés et qu'aucune difficulté n'a jamais été évoquée du fait des poussières d'amiante, ce qui laisserait présumer du caractère efficace des protections mises en oeuvre par l'employeur; cependant, ce document formule plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invite ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...) ;

- un document manuscrit sous forme de 'question-réponse ' du CHS en date du 23 février 1982, dans lequel les représentants du personnel indiquent que l'aspiration (soudeurs) marche en permanence, ce qui démontrerait - selon l'employeur et l'AGS - que la Normed avait acquis du matériel d'aspiration et de ventilation et en avait assuré l'effectivité et le bon fonctionnement constant, cependant, la lecture de ces deux documents ne permet pas de savoir quel établissement de la Normed est concerné ;

- un compte-rendu d'analyses établi par la CRAM du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisé sur les chantiers de la CNIM à [Localité 2] contenait un taux d'amiante inférieur à 2% et préconisant les mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques) ;

- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail dépendant du comité d'entreprise, datée du 22 octobre 1981, dans lequel il est indiqué que 'ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite', mais 'seulement que le dosage précis n'a pas été effectué', 'qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées', qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières et rappelant sa décision de ne plus utiliser d'amiante ainsi que le port obligatoire du masque anti-poussières, courrier qui ne concerne en rien le site de [Localité 1] ;

- un courrier de la CPAM du Var, daté du 17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposaient plus puisque l'amiante n'était plus utilisé sur ce site, mais que les salariés qui avaient été antérieurement exposés au risque et qui étaient encore présents dans l'entreprise pouvaient bénéficier d'une surveillance complémentaire par le médecin du travail;

- le fait qu'en mars 1977, le service en charge des travaux de calorifugeage précise que celui des tuyaux vapeur ne ' se fait plus par de l'isolamiante depuis le (navire) 1414 mais avec du silicate de calcium, et que le 11 octobre 1978, le procès-verbal du CHS mentionne que le bureau d'étude doit se prononcer pour le remplacement de l'amiante ' au niveau de l'isolation des colliers de fixation des tuyaux ;

- des extraits des procès-verbaux des réunions du CHS. de la CNIM, établissement de [Localité 2], tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr [J], qui avait préconisé de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, en sus du port du masque, s'est entendu répondre : 'les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller';

- le rapport 1977 de ce CHS., daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : 'usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du médecin d'usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969" ;

- le rapport 1978 indiquant que l'activité du CHS au cours de l'année avait porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle avaient été distribués et que des actions collectives de prévention avaient été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne faisant aucunement référence au risque d'inhalation de poussières ou de fibres d'amiante mais uniquement de poussières de fer ou de bois ;

- un extrait d'un document de travail d'avril 2005, intitulé : 'les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise', rédigé par Madame [L], concernant les entreprises de Dunkerque, n'apportant aucun élément utile à la présente instance, s'agissant de considérations générales et historiques.

Ces arguments sont d'autant moins probants que jusqu'en fin 1982, les sites de Dunkerque, [Localité 2] et [Localité 1] appartenaient à des entreprises différentes, chacune appliquant sa propre politique de sécurité et de prévention des risques, la gestion unique n'étant intervenue qu'à la date de prise d'effet du traité d'apport et la création de la Normed.

Ainsi, les éléments produits par le liquidateur ne démontrent pas que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires sur le site de [Localité 1] pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information personnelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale) ni ne révèlent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur, et ne sont pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Il en résulte qu'il n'a pas exécuté le contrat de bonne foi et a ainsi manqué à son obligation de sécurité et résultat en permettant au salarié d'être exposé à l'inhalation de fibres d'amiante.

Les préjudices patrimoniaux résultant de ces manquements sont pris en compte par des mécanismes d'indemnisation spécifiques. Le préjudice extra-patrimonial causé nécessairement au salarié du fait de ce manquement comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et correspond au préjudice spécifique d'anxiété.

Monsieur [W] [H] qui ne peut se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété :

Du fait de son exposition à l'amiante telle que vu supra, le salarié se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

Il est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, lequel est par nature unique et indivisible, et ce, au titre de l'ensemble de la période travaillée, même avant le 21 décembre 1982. Ce préjudice spécifique n'a pas été pris en compte par l'ACAATA, dispositif n'ayant pas pour finalité de réparer le dommage résultant de cette anxiété, mais dont le principal objet est d'indemniser le salarié ayant subi une exposition à l'amiante qui a demandé à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité.

S'agissant de l'étendue de la période couverte, il convient de se reporter aux dispositions du traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNC et la société SPCN (devenue la Normed) en son article 11, lequel prévoit que la SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du code du travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée (...), la Normed est tenue d'indemniser l'ensemble de la période travaillée, le contrat de travail de Monsieur [W] [H] lui ayant été transféré à la date de prise d'effet du dit traité.

Le jugement sera donc confirmé tant sur le principe de la créance du salarié au titre du préjudice d'anxiété que sur son montant lequel a été exactement évalué.

Sur la garantie de l'AGS :

En application des dispositions des articles L.3253-6 et L. 3253-8 -1° du code du travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié ; aucun des éléments versés aux débats ne peut permettre de retenir que ce préjudice aurait pu naître à une date antérieure à celle de publication de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, la société ayant été placée en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989.

Dès lors, l'AGS ne peut être tenue à garantie. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :

Il y a lieu d'allouer au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel la somme de 200 euros au salarié à la charge de la Normed, cette somme n'étant pas garantie par le CGEA. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant en matière prud'homale, par arrêt contradictoire,

DONNE ACTE à Monsieur [W] [H] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui qu'il a :

- fait droit à la demande de dommages et intérêts en réparation du bouleversement dans ses conditions d'existence présentée par Monsieur [W] [H],

- dit que l'AGS devait garantir le paiement de ces créances,

- fixé à la somme de 1500 euros la créance de Monsieur [W] [H] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DÉBOUTE Monsieur [W] [H] de sa demande, nouvelle en cause d'appel, au titre de la réparation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par la Normed de son obligation de sécurité de résultat et de l'exécution de bonne foi du contrat de travail,

FIXE la créance de Monsieur [W] [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée dite Normed à la somme de DEUX CENTS EUROS (200€) au titre de ses frais irrépétibles de première instance et en cause d'appel,

DIT que les créances fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Normed ne sont pas garanties par l'UNEDIC AGS CGEA,

DIT que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 13/19063
Date de la décision : 26/06/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°13/19063 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-26;13.19063 ?
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