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12/06/2015 | FRANCE | N°14/00309

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 12 juin 2015, 14/00309


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 12 JUIN 2015



N° 2015/1221













Rôle N° 14/00309





AGS - CGEA - I. D. F. OUEST





C/



[Z] [N]

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT

SELAFA MJA

































Grosse délivrée

le :

à :



Me Michel FRUCTUS>


Me Arnaud CLERC



Me Albert HINI



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section E - en date du 28 Novembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/799.







APPELANTE



AGS ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 12 JUIN 2015

N° 2015/1221

Rôle N° 14/00309

AGS - CGEA - I. D. F. OUEST

C/

[Z] [N]

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT

SELAFA MJA

Grosse délivrée

le :

à :

Me Michel FRUCTUS

Me Arnaud CLERC

Me Albert HINI

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section E - en date du 28 Novembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/799.

APPELANTE

AGS - CGEA - I. D. F. OUEST, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [Z] [N], demeurant [Adresse 4]

comparant en personne, assisté de Me Albert HINI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Albert HINI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nadia DJENNAD, avocat au barreau de MARSEILLE

SELAFA MJA, prise en la personne de Me [R], mandataire liquidateur de la SA NORMED, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 Avril 2015 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Nathalie ARNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2015.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2015.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [Z] [N] a été employé par la société Chantiers Navals de La Ciotat devenue SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée, ci-après Normed, sur le site de La Ciotat, du 1er novembre 1950 au 17 septembre 1956, du 1er avril 1959 au 2 octobre 1987 et du 1er octobre 1988 au 28 février 1989 en qualité d'ingénieur.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 1] (FD), Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître [B] puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [R], en qualité de mandataire liquidateur.

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Le 22 février 2011, Monsieur [Z] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante.

Le syndicat Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat est intervenu volontairement à l'instance.

Le CGEA - AGS de Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement de départage du 28 novembre 2013, le conseil de prud'hommes de Marseille a:

- déclaré l'action recevable,

- constaté qu'aucune demande n'était formulée par le syndicat Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat,

- fixé les créances de Monsieur [Z] [N] sur la liquidation judiciaire de la Normed à la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété et 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande faite au titre du bouleversement dans les conditions d'exoistence,

- déclaré le jugement commun et opposable à Me [R], ès qualités et au CGEA - AGS de Ile de France Ouest,

- rappelé que la garantie du CGEA - AGS ne couvrait pas les condamnations prononcées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- laissé les dépens à la charge de la liquidation judiciaire de la Normed.

Le CGEA Ile de France Ouest a interjeté appel de cette décision le 6 janvier 2014, après qu'elle lui ait été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception du 2 décembre 2013.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, Maître [R] ès qualités et le CGEA demandent à la cour :

à titre liminaire, de :

- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 31 décembre 1982 et qui n'ont donc jamais été salariés de la Normed, moyen ne concernant pas Monsieur [Z] [N],

- déclarer irrecevable l'action des salariés dont les contrats de travail se sont poursuivis au delà du 27 février 1989 à la suite du transfert de leur contrat à la société Chantiers Navals du Littoral (CNL) ou à la société CNIM, moyen non utilement invoqué en ce qui concerne Monsieur [Z] [N],

- en conséquence mettre hors de cause Me [R] ès qualités et le CGEA,

sur le fond :

à titre principal :

* sur la demande au titre du préjudice d'anxiété, de :

- dire et juger que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est réservée aux salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel et, par conséquent, débouter les salariés n'apportant pas la preuve qu'ils bénéficient ou peuvent bénéficier du dispositif Acaata de leurs demandes relatives à leur exposition à l'amiante,

- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté Acaata, qu'ils n'apportent pas la preuve d'avoir eu connaissance de cet arrêté avant l'ouverture de la procédure collective de la société, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie,

* sur les nouveaux fondements invoqués, de :

- dire et juger que le dispositif Acaata couvre déjà les préjudices nécessairement causés par l'exposition à l'amiante, que le préjudice d'anxiété a pour objet d'indemniser le préjudice moral non couvert par ce dispositif sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat, que le défaut de prévention fait partie des obligations de sécurité de résultat prévues par l'article L.4121-1 du code du travail, que les salariés ne peuvent solliciter des dommages et intérêts pour chaque mesure comprise dans cette obligation, que le préjudice découlant d'un tel manquement n'est autre que le préjudice d'anxiété, que le préjudice invoqué n'est pas distinct de l'anxiété et, en tout état de cause, que même à considérer que les salariés apportent la preuve d'un préjudice instantané lors de l'exécution du contrat de travail, leurs demandes seraient, dès lors, prescrites,

- dire et juger que les salariés ne justifient pas d'un préjudice lié au contrat de travail et né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la Normed,

à titre subsidiaire, de :

- réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et dire que les intérêts ont été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,

- dire que la garantie de l'AGS est limitée conformément aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail et ne couvre pas las frais de procédure,

- en toutes hypothèses, statuer ce que de droit quant aux frais de l'instance et condamner les demandeurs aux dépens.

Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, Monsieur [Z] [N], soutenant pour l'essentiel que la Normed a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail en l'exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, dispersées en permanence sur l'ensemble du site et contaminant tous les salariés, en omettant de l'informer des risques liés à cette exposition, risques dont elle avait parfaitement connaissance, et de lui fournir les moyens de protection nécessaires, violant ainsi de façon délibérée, grave et répétée la réglementation applicable dont le décret du 17 août 1977, et qu'elle ne démontre pas que le manquement provient du fait du tiers, d'un cas de force majeure ou de sa faute exclusive, qu'il est donc fondé en application des articles 1147 et 1353 du code civil et L 1222-1 du code du travail à réclamer l'indemnisation du préjudice découlant nécessairement du non respect de l'obligation générale de sécurité de résultat et de l'obligation de bonne foi, né au cours de l'exécution du contrat de travail et de façon incontestable à partir du mois de janvier 1978, date d'application du décret de 1977, préjudice subi tout au long de l'exécution du contrat de travail jusqu'à l'expiration de celui-ci et de son préjudice autonome d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave qui ne lui a été révélé qu'à partir de l'interdiction de l'amiante en 1997 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé la Normed parmi 'les établissements amiante' mais dont le fait générateur se situe au cours de l'exécution du contrat de travail, que ses actions ne sont donc pas prescrites, que l'irrévocabilité de l'état des créances ne peut lui être opposée, s'agissant de créances indemnitaires, et que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, et ne maintenant pas en cause d'appel sa demande en réparation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence, sollicite de la cour de :

- dire son action recevable et fondée,

- réformer le jugement entrepris,

- fixer à son profit au passif de la Normed une créance de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation par celle-ci de son obligation de sécurité de résultat et de son obligation de bonne foi ainsi que celle de 15.000 euros en indemnisation de son préjudice autonome d'anxiété,

- déclarer le jugement opposable au CGEA qui devra faire l'avance des sommes conformément aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail,

- condamner le CGEA à lui payer une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

L'Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat qui a été représentée à l'audience du 10 avril 2015 au cours de laquelle l'affaire a été examinée, n'a pas déposé de conclusions écrites ni formulé de demandes orales.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de constater que le syndicat Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat ne formule pas plus de demandes devant la cour que devant le conseil de prud'hommes et de donner acte à Monsieur [Z] [N] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande de dommages et intérêts au titre d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence.

Sur les fins de non recevoir :

Sur la prescription :

En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelque soit la date de fin de son contrat de travail, aucun élément du dossier ne permet de considérer que le salarié a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer avant la loi du 23 décembre 1998 et la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les Chantiers Navals de [Localité 2] et la Normed parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite.

Sur le fond :

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat et à l'obligation de bonne foi

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, étant précisé que l'obligation de prévention des risques inhérents au poste de travail n'est que l'un des composante de cette obligation de résultat.

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.

D'ailleurs, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvrier'. En l'état de ces dispositions, le dommage allégué par le salarié n'était pas imprévisible pour l'employeur lors de la conclusion du contrat de travail.

En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 10 janvier 2011 par la société Malakoff Mederic agissant en qualité de gestionnaire des archives de la Normed que Monsieur [Z] [N] a travaillé sur le site de la Normed à [Localité 2] du 1er novembre 1950 au 17 septembre 1956, du 1er avril 1959 au 2 octobre 1987 et du 1er octobre 1988 au 28 février 1989 et qu'au dernier stade de la relation contractuelle il occupait le poste d'ingénieur.

Les sociétés chantiers Navals de La Ciotat (CNC) / Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Le poste occupé par Monsieur [Z] [N] est l'un de ceux visés à cette liste des métiers.

Celui-ci a donc été exposé à l'amiante.

Soutenant que toutes les mesures de protection nécessaires ont été prises, que l'amiante n'était plus utilisé sur le site de [Localité 2] depuis 1977 et se prévalant de l'absence d'alerte de la part des diverses administrations ou organismes extérieurs à l'entreprise ainsi que des instances représentatives du personnel, du fait qu'aucun procès-verbal n'a été dressé par l'inspection du travail ni par la CRAM ou la médecine du travail et que la loi du 12 juin 1893 ne fait pas reposer sur l'employeur une règle quelconque dont l'irrespect entraînerait une faute, d'autant que l'Etat a fait preuve de carence dans la prévention des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante, ce pour quoi il a été condamné en 2004 par le Conseil d'Etat, le liquidateur et l'AGS versent principalement aux débats, dans leur dossier commun soumis à la cour :

- des extraits des procès-verbaux des réunions du CHS de la CNIM établissement de [Localité 3], tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr [W], qui avait préconisé, en sus du port du masque, de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, s'est entendu répondre : 'les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller',

- le rapport 1977 de ce CHS, daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : 'usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du Médecin d'Usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969",

- le rapport 1978 indiquant que l'activité du CHS au cours de l'année a porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle ont été distribués et que des actions collectives de prévention ont été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne mentionnant pas l'amiante au titre des dangers de maladies d'origine professionnelle,

- des extraits des bilans 1980, 1981 et 1982, mentionnant les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux,

- un compte-rendu d'analyses établi par la CRAM du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisée sur les chantiers de la CNIM à [Localité 3] contient un taux d'amiante inférieur à 2% et préconisant certaines mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques),

- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail, datée du 22 octobre 1981, indiquant que 'ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite', mais 'seulement que le dosage précis n'a pas été effectué', 'qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées', et qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières,

- un document de la CGT daté de septembre 1982, formulant plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invitant ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...),

- un document manuscrit sous forme de 'questions-réponses', daté du 23 février 1982, dans lequel il est indiqué, au titre 'aspiration (soudeurs) changements de roulements', que 'ceux-ci sont souvent à changer du fait que cette aspiration marche en permanence',

- les lettres adressées par la caisse régionale d'assurance maladie du Sud-Est au directeur de la Normed et au secrétaire du CHS établissement de [Localité 3], le 17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposent plus puisque l'amiante n'est plus utilisé sur ce site, mais que les salariés qui ont été antérieurement exposés au risque et qui sont encore présents dans l'entreprise peuvent bénéficier d'une surveillance complémentaire par le médecin du travail,

- l'extrait d'un rapport établi par Mme [C] au mois d'avril 2005 et intitulé 'les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise',

- l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 novembre 1985, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai en date du 15 juin 2004 ayant confirmé l'ordonnance de non-lieu du chef d'homicide et blessures par imprudence dans le cadre d'une procédure concernant la société Sollac-Dunkerque, et rapportant les déclarations du médecin salarié des Chantiers de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante.

Les éléments produits par le liquidateur, qui sont sérieusement contredits par ceux versés par le salarié et qui ne démontrent pas que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires sur le site de [Localité 2] pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale) ni n'établissent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur, ne sont pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est avéré.

L'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail pesant sur l'employeur du fait des dispositions susvisées, invoquée par Monsieur [Z] [N], n'est que l'une des composantes de l'obligation de sécurité de résultat née du contrat de travail.

Les préjudices patrimoniaux résultant de la violation de cette obligation sont pris en compte par des mécanismes d'indemnisation spécifiques.

Le préjudice extra-patrimonial causé nécessairement au salarié du fait de ce manquement comprend l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance par celui-ci du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et correspond au préjudice spécifique d'anxiété.

Monsieur [Z] [N], qui ne justifie pas d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété sera donc débouté de sa demande en réparation du préjudice qui résulterait du seul manquement de la Normed à son obligation de sécurité et de résultat, dont l'obligation de bonne foi est l'une des composantes.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété

Du fait de son exposition à l'amiante telle que vu supra, le salarié se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

Il est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété et ce, au titre de l'ensemble de la période travaillée, même avant le 21 décembre 1982.

En effet, outre que le préjudice d'anxiété est par nature unique et indivisible, le traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNC et la société SPCN (devenue la Normed) stipule, en préambule que : 'CNC apporte à SPCN (...) les éléments actifs et passifs constituant à la date du 1er janvier 1982, sa branche complète et autonome d'activité division navale' et que 'conformément à la faculté offerte par l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966, l'apport est placé sous le régime juridique des scissions'.

Selon l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 dans sa rédaction alors applicable, la société qui apporte son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles 382 à 386.

Aux termes des articles 385 et 386 de cette loi, les sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission sont débitrices solidaires des obligataires et des créanciers non obligataires de la société scindée aux lieu et place de celle-ci sans que cette substitution emporte novation à leur égard, mais que -par dérogation à ces dispositions-, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mises à la charge respective et sans solidarité entre elles.

En l'espèce, il est prévu au traité :

'Passif pris en charge :

L'apport effectué à SPCN est fait à la charge pour cette dernière société d'acquitter la partie du passif de CNC correspondant à la branche d'activité apportée.

Ce passif comprend :

1. Le passif exigible tel qu'il ressort du bilan au 31 décembre 1981 (...)

2. Une provision libre pour risques d'exploitation et éventualités diverses (...) couvrant notamment des charges non comptabilisées pouvant se révéler après le 1er janvier 1982 (...)

Charges et conditions :

(...) Les éléments du passif de CNC relatifs à la branche d'activité apportée, tels que définis précédemment, seront transmis à SPCN qui les prendra en charge aux lieu et place de CNC sans qu'il en résulte de novation à l'égard des créanciers.

Il est à cet égard précisé (...) que s'il venait à se révéler ultérieurement une différence en plus ou en moins entre le passif pris en charge par SPCN au 1er janvier 1982 et les sommes effectivement réclamées par des tiers et concernant l'activité apportée, y compris celles qui seraient générées par des faits antérieurs au 1er janvier 1982, SPCN serait tenue d'acquitter tout excédent de passif et profiterait de toute réduction de passif, sans recours ni revendication possible de part et d'autre. Ce qui précède s'entend aussi bien pour les éléments d'activités existant au 1er janvier 1982 que pour les éléments soldés au cours des exercices antérieurs (...)

SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du code du travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée. Une liste nominative du personnel affecté à la branche d'activité apportée sera établie au plus tard à la date de réalisation définitive des apports (...)

SPCN aura tous pouvoirs pour intenter ou suivre aux lieu et place de la société apporteuse toutes actions judiciaires relatives à l'activité apporté et en assumera les conséquences financières (...).'

En conséquence la Normed sera déclarée responsable du préjudice d'anxiété subi par le salarié.

Compte tenu des éléments de la cause, à savoir les fonctions occupées, les attestations de Madame [P] [M] épouse [N] et de Madame [A] [F] qui relatent l'inquiétude manifestée par Monsieur [Z] [N] quant à son état de santé et la durée d'exposition au risque, ce préjudice spécifique, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, sera plus exactement réparé par l'allocation de la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Normed.

Le jugement sera donc confirmé sur le principe de la créance du salarié au titre du préjudice d'anxiété mais réformé sur son montant.

Sur la garantie de l'AGS:

En application des dispositions des articles L.3253-6 et L. 3253-8 1° du code du travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire .

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque crée par l'amiante, est constitué par l'ensemble des troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié.

En l'espèce, le préjudice d'anxiété subi par le salarié est né à la date à laquelle il a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale de la Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, ladite société ayant été placée en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989.

Dès lors, l'AGS ne peut être tenue à garantie et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens:

La demande de Monsieur [Z] [N] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile dirigée contre le CGEA sera rejetée, tant en première instance, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point, qu'en appel.

Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de liquidation judiciaire, le jugement déféré sera confirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant en matière prud'homale et par arrêt contradictoire,

Constate que l'Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat n'a pas formulé de demandes devant la cour,

Donne acte à Monsieur [Z] [N] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande de dommages et intérêts au titre d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 28 novembre 2013 sauf en ce qu'il a :

- fixé à la somme de 10 000 euros la créance de Monsieur [Z] [N] au passif de la liquidation judiciaire de la Normed au titre de son préjudice d'anxiété,

- dit que l'AGS devait en garantir le paiement,

- fixé à la somme de 1 000 euros la créance de Monsieur [Z] [N] au titre de ses frais irrépétibles,

Statuant de nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Rejette les fins de non recevoir nouvelles en cause d'appel,

Déboute Monsieur [Z] [N] de sa demande distincte au titre de la réparation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par la Normed de son obligation de sécurité de résultat et de son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat,

FIXE la créance de Monsieur [Z] [N] au passif de la liquidation judiciaire de la société Normed à la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété incluant le bouleversement dans les conditions d'existence,

DIT que cette créance n'est pas garanties par l'AGS,

Déboute Monsieur [Z] [N] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile formulée tant en première instance qu'en appel

DIT que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/00309
Date de la décision : 12/06/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-12;14.00309 ?
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