COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 17 AVRIL 2015
N°2015/328
Rôle N° 14/02457
Association AFAE JB FOUQUE
C/
[N] [E]
Grosse délivrée le :
à :
Me Olivier GIRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Stéphanie GARCIA, avocat au barreau D'AIX-EN-
PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section AD - en date du 21 Janvier 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1991.
APPELANTE
Association AFAE JB FOUQUE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Olivier GIRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur [N] [E], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Stéphanie GARCIA, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Pascale MARTIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Bernard JACOB, Président de Chambre
Madame Pascale MARTIN, Conseiller
Madame Annick CORONA, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2015
Signé par Monsieur Bernard JACOB, Président de Chambre et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS- PROCÉDURE-PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat à durée indéterminée du 21 mai 2002, M [N] [E] était embauché en qualité d'ouvrier qualifié indice 432 à temps partiel (75,83 h) par l'Association AFAE JB FOUQUE , maison d'enfants à caractère social.
A compter du 11 avril 2005, le salarié bénéficiait d' un temps complet avec une rémunération brute mensuelle de 1516,32 € et au dernier état de la relation contractuelle, il était à l'échelon 20 indice 479, la convention collective nationale en vigueur dans l'entreprise étant celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.
Le 20 avril 2012, M [N] [E] était victime d'un accident , reconnu accident du travail par la la caisse primaire d'assurance maladie ultérieurement , et le salarié bénéficiait d'un arrêt de travail prolongé de mois en mois jusqu'au 17 octobre 2012.
Le 16 mai 2012, M [N] [E] était convoqué pour un entretien préalable fixé au 30 mai 2012 et le 11 juin 2012, il était licencié pour faute grave.
Le 5 juillet 2012, le salarié saisissait le conseil des prud'hommes de Marseille d'une contestation de son licenciement .
Lors des débats du 22 octobre 2013, il réclamait à son employeur les sommes suivantes :
- 4399,42 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 439,94 € pour les congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
- 10.998,55 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 3000 € pour perte des droits du droit individuel à la formation ,
- 60.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour détournement des règles protectrices relatives aux accidents du travail,
- 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
Il sollicitait la remise des documents sociaux sous astreinte.
Par jugement du 21 janvier 2014, le conseil des prud'hommes de Marseille a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'Association AFAE JB FOUQUE à payer à M [N] [E] les sommes suivantes :
- 4399,42 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 439,94 € pour les congés payés y afférents,
- 10.998,55 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 3000 € pour perte des droits du droit individuel à la formation
- 55.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour détournement des règles protectrices relatives aux accidents du travail,
- 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
Il a ordonné la remise des documents sociaux sous astreinte, débouté M [N] [E] du surplus de ses demandes, rejeté la drv et laissé les dépens à la charge de l'association.
Dans ses conclusions reprises à l'audience, l'employeur demande l'infirmation du jugement déféré, le débouté de M [N] [E] et la condamnation de ce dernier à payer la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Aux termes de ses écritures et oralement, M [N] [E] demande la confirmation de la décision, reprend ses demandes présentées en première instance et sollicite la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles.
Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , aux conclusions des parties visées par le greffier à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur l'auteur du licenciement
A titre liminaire, le salarié a invoqué l'absence de pouvoir de la directrice pour signer la lettre de licenciement , considérant que les pièces présentées aux débats étaient insuffisantes.
Il résulte des pièces communiquées contradictoirement en cours de délibéré et autorisées que lors de sa séance du 6 février 2012, le conseil d'administration de l'association a nommé Mme [Q] [Y] en qualité de directrice et selon délégation de pouvoir donnée le 23 janvier 2012, elle était nommée chef de l'ensemble du personnel de l'établissement concerné , ayant le pouvoir de décider de la rupture des contrats de travail après accord du directeur général et d'assurer la procédure et la signature des documents.
Par ailleurs, M [K] directeur général, indique avoir autorisé la directrice à engager la procédure à l'encontre de M [N] [E] .
En conséquence, il est justifié par l'appelante de la qualité de l'auteur du licenciement.
Sur le bien fondé du licenciement
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail , la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce, la lettre est motivée ainsi :
Nous vous avons reçu le 30 mai 2012 pour un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, entretien auquel vous êtes venu accompagné de Mme [H] [S], déléguée syndicale CGT.
Vos propos sur les deus faits reprochés, faits que vous avez reconnus, nous conduisent à vous licencier pour faute grave.
En effet, les motifs cle ce licenciement sont les suivants :
Nous avions été alertés le 10 avril 2012 par la comptable de l'établissement au sujet d'une facture de fournisseur indiquant l'achat de trois appareils de mesure d'électricité (METRIX, environ 65€ piéce), nombre exagéré par rapport aux besoins de l'établissement, d'autant plus qu'un appareil identique avait déjà été acheté le 12/01/2012 et de l'interdiction qui vous a été faite par la nouvelle direction d'effectuer des travaux électriques.
A l'examen, le bon de livraison délivré lors du retrait des achats auprès du fournisseur indique que 3 appareils ont été retirés le 01/02/12 et, sur ce bon de livraison figure la signature de M. [J], agent technique supérieur, coordinateur des ouvriers d'entretien de l'établissement.
Convoqué le 2 mai au retour de ses congés, celui-ci a déclaré n'avoir jamais demandé l'achat de ce matériel, n'a pas reconnu sa signature, et ce d'autant plus qu'il était absent de l'établissement (jour de repos) àla date figurant sur le bon de livraison.
Le double du bon de commande N°48, notifiant les achats et signé par l'économe, a été arraché du carnet de commandes.
Interrogé à son tour, le fournisseur nous a transmis le duplicata du bon de commande qui a servi à délivrer les appareils mentionnés. Ce bon de commande signé par l'économe de l'établissement a, de toute évidence, été falsifié (rature : le chiffre l a été transformé en 3).
Nous avons alors convoqué chaque ouvrier d'entretien afin de comprendre qui a pu commettre de tels actes, ce qui nous a permis de constater que c'était vous qui avez commis ces faits.
Lors de notre entretien du 30 mai 2012, vous avez reconnu avoir falsifié le bon de commande, vous avez reconnu être allé chercher le matériel et avoir récupéré le bon de livraison.
La falsification de documents de travail et de relations avec des fournisseurs extérieurs ayant pour conséquence des dépenses non autorisées, l'utilisation de la fausse signature d'un collègue de travail, la commande et le retrait de matériels sans autorisation de votre supérieur hiérarchique ou de la direction de l'établissement, sont autant d'éléments, qui, dans un établissement accueillant au quotidien des jeunes en mal d'acceptation de la loi et des régles sociales de base, deviennent particuliérement insupportables.
D'autre part, il vous est reproché de vous rendre de façon intempestive dans l'établissement notamment sur les lieux de vie des jeunes accueillis alors que vous êtes en arrét de travail. Vous avez confirmé vos venues, vous en justifiant par la nécessité de déposer votre document de prolongation d'A.T auprés du secrétariat.
Cependant, vous avez été aperçu sur les lieux de vie des jeunes, bâtiment différent de celui de l'administratif, ce que vous confirmez, où vous n'avez ni le droit, ni la nécessité de vous rendre pendant votre arrêt.
Par suite, nous considérons que ces faits rendent impossible votre maintien dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
Votre licenciement est donc immédiat, sans indemnité de licenciement et nous tenons à votre disposition votre certificat de travail et reçu pour solde de tout compte ainsi que les salaires et indemnités de congés payés qui vous sont dus.$gt;$gt;
Le salarié conteste avoir reconnu les faits lors de son entretien préalable, invoque la prescription considérant que l'employeur ne dit pas la date exacte à laquelle les faits ont été découverts par lui , et note que le motif concernant l'utilisation d'un faux en toute connaissance de cause n'est pas mentionné dans la lettre de licenciement.
Il soutient que le motif réel du licenciement est un écrémage de l'effectif décidé par la nouvelle direction, expliquant que deux de ses collègues ont monté ce complot.
Concernant le deuxième grief, à savoir que M [N] [E] se serait rendu de façon intempestive sur son lieu de travail pendant son arrêt de travail à la suite de son accident , le salarié indique être venu apporter ses arrêts de prolongation à l'administration du fait qu'il habite non loin de l'établissement.
L'employeur n'apporte aux débats aucun élément ou témoignage et se contente d'affirmer dans une main courante dressée par la police le 19 juin 2012 que le salarié aurait été surpris dans l'enceinte du foyer en train de filmer, citant uniquement la date du 16 juin 2012 et un témoin .
Aucun élément ne permet d'affirmer que M [N] [E], lequel reconnaît être venu apporter à l'administration ses arrêts de travail, se serait introduit dans d'autres bâtiments et ce de façon réitérée et en tous cas, avant son licenciement voire même l'engagement de la procédure, de sorte que ce grief n'est pas fondé.
Concernant le premier grief, les faits incriminés datent du 1er février 2012 mais il est manifeste que l'employeur n'a eu connaissance de leur ampleur qu'après l'alerte donnée par la comptable le 10 avril 2012 et surtout la lettre du 2 mai 2012 de M [J], concernant l'imitation de sa signature sur le bon de livraison, de sorte que la prescription n'est pas encourue.
Il résulte des éléments produits par l'employeur (attestation de la comptable , attestation de l'intéressé) que le mercredi 1er février 2012, comme tous les mercredis, M [J] prenait son jour de repos et était absent de l'atelier : il n'a donc pas pu indiquer à l'économe que finalement il serait commandé trois testeurs et M [N] [E] n'a pu lui remettre l'un des testeurs le jour même, ce qui enlève toute crédibilité aux déclarations du salarié faites lors des débats.
Dans son attestation, Mme [G], l'économe , indique que de manière habituelle, les ouvriers d'entretien préparaient sur un carnet autofoliant une commande , laquelle était soumise à son acceptation au moyen d'une signature et ensuite, ils allaient chercher la marchandise en fournissant le bon original, le double restant au carnet ; elle souligne que le 1er février 2012:
-elle n'a donné son visa que pour l'achat d'un testeur de tension , faisant observer qu'en janvier , il en avait déjà été commandé un,
-le 1 de la commande a été transformé en 3 après sa signature,
-le double du bon de commande N°48 a été arraché du carnet .
Il est donc acquis que le bon de commande a été modifié postérieurement à l'aval de l'économe et aucun élément ne permet de dire qu'elle a été informée de cette modification , comme tente de le faire croire tant M [N] [E] que M [P] dans son attestation qui se désigne comme l'auteur de la modification de quantité.
Il importe peu d'ailleurs que par erreur, l'employeur ait imputé à M [N] [E] la « falsification » du bon de commande car il lui reproche également le fait d'avoir opéré la commande et le retrait de matériels sans autorisation et l'utilisation de la fausse signature d'un collègue de travail.
En effet, il ne peut être discuté le fait que M [N] [E] s'est présenté au magasin concerné avec un bon de commande dont il savait qu'il ne correspondait pas à la marchandise autorisée par l'économe , puisqu'il avoue avoir laissé M [P] modifier le 1 en 3 après que Mme [G] ait apposé son visa.
Le salarié invoque le fait qu'on ne lui a remis aucun bon de livraison mais ce point est indifférent car ce bon est indispensable non pas pour le client mais pour le fournisseur afin d'éditer la facture et se la faire payer et au cas d'espèce, pour démontrer que ce n'est pas un tiers étranger à l'entreprise qui est venu chercher la commande.
La signature apposée sur ce bon conservé par le fournisseur ne peut être que celle de la personne venue enlever la marchandise ce 1er février 2012 et M [N] [E] a toujours déclaré s'être rendu seul chez le fournisseur ; aussi sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, il est démontré qu'il était seul en capacité d'avoir signé le bon de livraison et il est sans équivoque que la signature apposée est une imitation de celle de M [J] , chef de l'atelier, absent ce jour -là.
Ces agissements sont assurément des fautes graves et la commission de tels actes dans un établissement accueillant des jeunes en rupture avec la société et la loi justifiait de la part de l'employeur un départ immédiat du salarié sans préavis ni indemnité.
Le salarié invoque la volonté de l'entreprise de se séparer de certains de ses salariés , citant d'une part la rupture conventionnelle proposée à M [P] et d'autre part l'attestation de Mme [W] , laquelle évoque une restructuration envisagée et le complot ourdi par deux de ses collègues pour faire renvoyer M [N] [E].
Il sera observé que ce dernier a justifié la présence de M [P] ' éducateur - dans l'atelier le 1er février 2012 par le fait qu'il manquait de personnel à l'atelier ce qui est contradictoire avec la volonté d'écrémage de l'effectif de la part de l'employeur, telle qu'invoquée par le salarié .
Par ailleurs, le rôle actif joué par M [P] dans le déroulement des faits fautifs a pu conduire la direction à envisager son départ dans le cadre d'un accord , sans lien avec une réduction économique de l'effectif ; enfin la version d'un complot contre M [N] [E] , non dénoncé par le témoin lors du licenciement et alors qu'elle ne cite aucun nom , n'est corroborée par aucun élément objectif.
En conséquence, il convient de dire le licenciement pour faute grave fondé et justifié et d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens
Le salarié qui succombe au principal supportera les dépens de 1ère instance et d'appel, sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et devra à ce titre payer à l'appelante la somme de 300 € .
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ,
*Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
*Dit le licenciement pour faute grave fondé,
*Déboute M [N] [E] de l'ensemble de ses demandes,
*Condamne M [N] [E] à payer à l'Association AFAE JB FOUQUE la somme de 300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
*Laisse les dépens de 1ère instance et d'appel à la charge de M [N] [E].
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT