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27/03/2015 | FRANCE | N°12/24348

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 27 mars 2015, 12/24348


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 27 MARS 2015



N° 2015/













Rôle N° 12/24348





INTRAMAR





C/



[E] [X]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES

PORT AUTONOME DE [2]

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE

























Grosse délivrée

le :

à :



Me Fré

déric MARCOUYEUX

Me Cyril MICHEL



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section CO - en date du 15 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1155.






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COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 27 MARS 2015

N° 2015/

Rôle N° 12/24348

INTRAMAR

C/

[E] [X]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES

PORT AUTONOME DE [2]

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE

Grosse délivrée

le :

à :

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Cyril MICHEL

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section CO - en date du 15 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1155.

APPELANTE

INTRAMAR, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [E] [X], demeurant [Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Emilie MILLION-ROUSSEAU, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

PORT [1], demeurant [Adresse 3]

ni comparant, ni représenté

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 30 Janvier 2015 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Mars 2015.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Mars 2015.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [E] [X] a travaillé pour le compte de la société Intramar en qualité d'ouvrier docker professionnel mensualisé du 3 mai 1993 au 30 juin 2001. Il a bénéficié d'une allocation dans le cadre du dispositif ACAATA à compter du 1er juillet 2001.

Il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 2 avril 2009 aux fins de réparation de divers préjudices résultant selon lui de son exposition à l'amiante à l'encontre :

- du Grand Port maritime de [2] (ci-après GPMM), établissement public de l'Etat,

- de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention du Port de [2] (ci-après CCCP),

- de la société Industrielle de Trafic Maritime (ci-après Intramar).

Par jugement de départage en date du 15 novembre 2012, mentionnant en outre et par erreur dans l'exposé du litige la société Union Phocéenne d'Acconage, la société Moderne de Transbordement, la Société Coopérative de Manutention, le Bureau Central de la Main d'Oeuvre ainsi que l'intervention volontaire du CGEA - AGS de Marseille, le conseil de prud'hommes de Marseille, après s'être déclaré incompétent pour connaître des demandes dirigées à l'encontre de la CCCP, a :

- rejeté les exceptions d'incompétence au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale et au profit du FIVA,

- déclaré recevable l'intervention forcée délivrée à l'encontre du BCMO mais non fondée et l'a mis hors de cause,

- constaté que le demandeur s'est désisté de ses demandes à l'encontre du GPMM, déclaré ce désistement parfait et dit qu'il mettait fin à l'instance entre les parties,

- déclaré la société Intramar responsable du préjudice causé au demandeur,

- l'a condamnée à payer à Monsieur [X] la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, cette somme portant intérêt au taux légal à compter de la décision,

- rejeté toutes les autres demandes comme étant injustifiées et infondées,

- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans l'intérêt des défenderesses mises hors de cause,

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire complémentaire,

- condamné la société Intramar à payer au demandeur une indemnité de 250 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamnée aux dépens.

La société Intramar a interjeté appel de cette décision à l'encontre de Monsieur [X] le 24 décembre 2012, la décision lui ayant été notifiée le 23 novembre 2012.

Par arrêt en date du 25 juillet 2014, la présente cour a déclaré recevable la question prioritaire de constitutionnalité posée par le CGEA AGS de Marseille mais a dit n'y avoir lieu à transmission de celle-ci à la Cour de cassation.

Prétentions et moyens des parties :

' Aux termes de ses écritures plaidées à l'audience, commune à plusieurs des instances inscrites au rôle, la société Intramar demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et :

- de se déclarer incompétente rationae materiae au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker et de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie,

- à titre subsidiaire sur le fond, considérant que Monsieur [X] ne justifie ni de la qualité d'employeur d'Intramar à son égard, ni d'une quelconque faute de cette société ni d'un lien entre la prétendue faute et le préjudice, pas plus que de l'absence de comportement à risque (tabagisme...) ni de l'anxiété alléguée, de débouter l'intéressé de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner à lui payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société expose que les salariés ont eu de multiples employeurs, que les arrêtés portant liste des ports dans lesquels les personnels peuvent bénéficier de l'ACAATA ne suffisent pas à justifier de la qualité d'employeur d'Intramar ni de l'exposition au risque par celle-ci et que les salariés ne démontrent pas avoir travaillé pour la société Intramar ou alors à de très rares occasions; que les attestations qu'ils produisent ont été établies pour les besoins de la cause, qu'elles sont imprécises et sans valeur probante ; qu'ils ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante par la société Intramar, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il existe un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué, d'autant que l'amiante a représenté une part infime des marchandises manutentionnées sur l'ensemble du port de [2] (moins de 0.1 % des volumes hors liquides répartis sur plus de quatre-vingts entreprises employant des dockers) et que les acconiers ne peuvent être considérés comme des professionnels, voire des utilisateurs de l'amiante, aucune entreprise de manutention n'étant visée dans les listes établies par décret relatives aux entreprises et établissements où étaient fabriqué ou traité de l'amiante ; que si la cour venait à retenir la qualité d'employeur de la société Intramar, celle-ci justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter qui étaient invitées à chacune des réunions du CHSCT, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un rappel à la loi ni d'une injonction et encore moins d'une sanction en raison d'un défaut dans la prise en compte et la gestion d'un risque professionnel, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits.

' Monsieur [X] a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à plusieurs des affaires du rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :

- lui donner acte de son désistement à l'encontre du BCMO, de la CCCP, et du GPMM,

avant dire droit, en tant que de besoin,

- vu l'article 11 du code de procédure civile, ordonner aux sociétés intimées la production de leurs DADS entre 1977 et 1993,

- vu l'article 138 du même code, ordonner à la CCCP la production des DADS de la société Intramar entre 1977 et 1993,

dans tous les cas :

au visa des articles 1147 et 353 du code civil, L.1221-1 du code du travail,

du bénéfice de l'ACAATA qui lui a été accordée,

de la présomption d'exposition des dockers chez leurs employeurs tirée de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2014 n° 13-10644,

- constater qu'il a été employé par la société Intramar laquelle n'a pas respecté les dispositions du décret n°77-949 du 17 août 1977, et qu'elle l'a exposé aux poussières d'amiante sans protection,

en conséquence, infirmant en partie le jugement déféré, de :

- déclarer la société Intramar responsable des préjudices qu'il subit,

- la condamner à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation de son obligation de sécurité de résultat par l'entreprise ainsi que celle de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, outre celle de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de [3], pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), avant d'être mensualisé par la société Intramar le 3 mai 1993 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992, et se trouvait donc employé sous la forme d'un contrat à durée déterminée par l'acconier qui disposait d'un véritable pouvoir de direction à son égard et devait assurer sa sécurité ; que celui-ci était par ailleurs tenu d'adhérer à la CCCP et avait pour obligation de l'y déclarer; qu'il a bénéficié de l'ACAATA à partir du 1er juillet 2001, ce qui entraîne une présomption d'exposition à l'amiante dans le cadre de son activité au bénéfice de la société Intramar ; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figure notamment la société Intramar, mentionnée sur la liste établie par la direction générale du port de [2] dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que même s'il est susceptible de justifier, dans la plupart des cas, de ses relations contractuelles avec ces sociétés par la communication de bulletins de salaire, de déclarations d'accidents du travail et/ou d'attestations émanant notamment d'anciens collègues, valables et probantes, il appartient à la cour, eu égard à l'impasse probatoire dans laquelle il se trouve, de procéder à l'aménagement de la charge de la preuve par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les victimes d'une contamination d'origine transfusionnelle ayant subi des transfusions sanguines multiples, en considérant que le seul fait pour un docker, par ailleurs bénéficiaire de l'ACAATA, d'avoir travaillé sur le port de [2] pendant la période visée à l'arrêté suffit à caractériser l'existence du préjudice subi, en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'apporter tant la preuve de sa relation de travail avec l'une ou l'autre société du fait des modalités d'organisation du travail de l'époque que celle de son exposition à l'amiante sans aucune protection, fait non mentionné sur les documents en sa possession et dont seul l'employeur détient la preuve ; qu'il convient en conséquence d'imputer aux société mises en cause la charge de prouver qu'elles ne l'ont pas employé, ni exposé à l'amiante sans protection ; que la cour pourra ordonner si nécessaire, avant dire droit, à celles-ci de produire les DADS entre 1977 et 1993 et, à défaut, en tirer les conséquences voire enjoindre à la CCCP de les communiquer ; que, dans le cadre de son activité pour le compte de la société Intramar, il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret du 17 août 1977) et que ce faisant, les employeurs - qui ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante - ont délibérément maintenu leurs salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel qu'il représentait, les privant ainsi d'une chance de s'y soustraire, et n'ont pas respecté leur obligation de sécurité de résultat, ce qui lui fait nécessairement subir un préjudice qu'il convient d'indemniser ; que l'indemnisation du préjudice autonome d'anxiété est ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante étant précisé que la déclaration d'une maladie liée à l'amiante ne fait pas obstacle à la réparation pour la période antérieure à celle-ci; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le port de [2] comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance, qui a pour origine un manquement de l'employeur commis pendant l'exécution du contrat de travail, est née avant l'ouverture des procédures collectives à l'encontre des sociétés Upa et Somotrans, même si elle ne lui a été révélée que postérieurement, qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et qu'en conséquence, la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.

' La société Union Phocéenne d'Acconage, la société Moderne de Transbordement et la Société Coopérative de Manutention ainsi que le CGEA - AGS de Marseille et le Bureau Central de la Main d'Oeuvre qui n'étaient pas parties en première instance et contre lesquelles aucune demande n'a été formulée ont été convoquées par erreur.

' Le GPMM, régulièrement convoqué, n'est ni présent, ni représenté à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de donner acte à Monsieur [X] de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes en indemnisation à l'encontre de la CCCP, étant précisé que son désistement à l'encontre du GPMM a déjà été acté par le premier juge qui l'a déclaré parfait, et de constater qu'il ne reprend pas devant la cour sa demande au titre de la réparation d'un préjudice économique.

sur l'exception d'incompétence :

Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, dès lors que les demandes en réparation d'un préjudice extra-patrimonial formées par Monsieur [X] sont fondées sur l'inexécution par le ou les employeurs de l'obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail qui les aurait liés, que le préjudice d'anxiété ne correspond pas à une maladie professionnelle répertoriée mais à l'inquiétude de déclencher à tout moment une maladie professionnelle en rapport avec une exposition à l'amiante, et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont il a été attributaire à compter du 1er juillet 2001, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige et le jugement sera confirmé à ce titre.

Sur le fond :

Monsieur [X], se prévalant du fait qu'il a été admis au bénéfice de l'ACAATA, invoque une impasse probatoire devant conduire selon lui et par analogie avec la jurisprudence sur la contamination transfusionnelle à faire peser la charge de la preuve sur la société Intramar tant de son absence de qualité d'employeur que du fait qu'elle ne l'a pas exposé à l'inhalation de poussières d'amiante. Cependant, il doit être relevé qu'il :

- ne conteste pas avoir reçu, en contrepartie de son activité de docker auprès de cette société pour laquelle il dit avoir travaillé des bulletins de salaire qu'il lui appartenait de conserver ;

- ne produit aucun élément de nature à établir que la manutention a constitué une part significative de l'activité de ces sociétés au cours de la période pendant laquelle il a été employé sur le port de laquelle on pourrait déduire qu'il a été nécessairement exposé à l'amiante par leur fait, étant observé que si l'intégralité du site du port est concernée par le classement ACAATA, il reconnaît lui-même que, bien que quatre-vingts acconiers exerçaient une activité sur ce site, il a fait le choix de n'agir que contre une seule d'entre-elles (alors même que cinq sont visées dans la lettre du directeur du Port du 21 décembre 1999, rédigée en termes hypothétiques, dont il se prévaut et d'autres encore dans les attestations produites), reconnaissant ainsi que le seul fait pour une entreprise de manutention d'avoir exercé une activité dans un port classé au cours de la période de classement ne suffit pas à établir qu'elle a nécessairement exposé ses salariés à l'inhalation de fibres ou de poussières d'amiante.

En conséquence, il appartient à Monsieur [X] de justifier tout à la fois de l'existence d'une relation de travail avec la société de manutention portuaire attraite dans la cause et de ce qu'il a été exposé à l'amiante par son fait.

Sur la qualité d'employeur de la société Intramar à l'égard de Monsieur [X] :

La loi du 6 septembre 1947 a défini un statut de docker et a réduit la fonction des organismes antérieurs, comme le BCMO qui a été chargé d'identifier et de classer les ouvriers dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche dans le port au service des différentes sociétés manutentionnaires, de répartir numériquement le travail entre les ouvriers, d'effectuer la paie à la journée, d'établir les certificats de travail et les bulletins de salaire quand ils existaient et de régler les cotisations aux organismes sociaux pour le compte des entreprises de manutention..

Cette organisation a affecté le recrutement et les embauches journalières, mais n'a pas supprimé les entreprises de manutention portuaire ; les chefs d'équipe de ces entreprises fixaient, eux-mêmes, le nombre de dockers et leurs qualifications nécessaires aux déchargements, les taches de affectées à chacun sur les navires, donnaient les instructions sur les opérations à entreprendre, surveillaient le déroulement de celles-ci et fournissaient également des matériels (tracteurs, chariots élévateurs, auto grues, transporteurs et norias).

Ainsi, si la loi de 1947 a réduit l'étendue des attributions patronales dans la relation de travail, elle n'a pas supprimé totalement celle-ci ; la loi du 9 juin 1992 a modifié le régime de travail dans les ports maritimes, en autorisant le recrutement de dockers par des entreprises de manutention portuaire grâce à des contrat de travail de droit commun.

Selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire, il existait environ quatre-vingts sociétés manutentionnaires sur le port de [2], entre 1957 et 1993.

Pour faire la preuve de l'existence d'une relation de travail avec la société Intramar (entre 1957 et 1993), Monsieur [X] communique essentiellement au soutien de sa demande :

- le certificat de travail établi la société Intramar précisant qu'il a été salarié par cette société du 3 mai 1993 au 30 juin 2001,

- vingt et un bulletins de salaire dont il résulte qu'il a travaillé essentiellement pour cette entreprise (code 10) au moins depuis janvier 1983, aucun document ne permettant de connaître sa durée exacte d'emploi en qualité de docker professionnel intermittent, Monsieur [X] ne produisant pas d'attestation de la CCCP à ce sujet.

Ces éléments permettent néanmoins de retenir qu'il a travaillé de manière habituelle pour la société Intramar.

Sur la réparation des préjudices :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Il n'y a donc pas contrariété de l'obligation de sécurité de résultat avec les dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et le principe de séparation des pouvoirs.

Il doit être rappelé que si le site du port de [2] est inscrit sur la liste des ports permettant aux dockers de bénéficier de l'allocation anticipée des salariés de l'amiante, liste fixée par arrêté du 7 juillet 2000, modifié, aucune des sociétés contre lesquelles les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, qu'elles ne sont ni des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante, ni des établissement de construction et de réparation navales et qu'elles ne fabriquaient ni ne traitaient l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et ne peuvent en conséquence être considérées comme des entreprises utilisatrices d'amiante.

Monsieur [X] qui invoque l'existence d'une prime de salissure accordée au titre de la manipulation de l'amiante ne justifie nullement avoir perçu cette prime de la société Intramar, prime qui en tout état de cause correspondait à la manipulation de très nombreux produits non différenciés.

En l'espèce, pour preuve de son exposition fautive à l'amiante par la société Intramar, Monsieur [X] communique essentiellement :

- la lettre du directeur général du port de [2] au ministère de l'équipement, des transports et du logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :

'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.

Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établie : - Société Industrielle de Trafic Maritime (Intramar) - Union Phocéenne d'Acconage (Upa) - Société Moderne de Transbordements (Somotrans) - Société Manucar - Etablissements Maiffredy - Société Carfos.

Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991 ;

- une attestation de Monsieur [J] indiquant uniquement qu'il a été 'amené à travailler au jour le jour avec [X] [E] pour n'importe quelle compagnie à la manutention à l'embarquement et débarquement des sacs d'amiante', cette attestation ne permettant pas de retenir que cette manutention ait été du fait de la société Intramar et ne précisant aucune période d'emploi, ainsi que les attestations de Messieurs [Q] et [F] qui ne disent pas autre chose, leurs termes imprécis ne permettant pas de déterminer que cette société l'a réellement exposé à l'amiante ni la durée et le caractère de l'exposition alléguée et, en tout état de cause, de leur attribuer une quelconque valeur probante ;

- les attestations de Madame [N], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société Somotrans, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', et de Monsieur [U] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés Intramar et Somotrans, de 1956 à 1988 (sans autre précision sur ses périodes d'emploi au sein de cette dernière société), qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait, du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne, étant observé qu'aucun de ces témoins ne mentionne le nom de Monsieur [X].

Ces diverses pièces sont insuffisantes à établir tout à la fois qu'une part significative des travaux de la société Intramar a concerné le transbordement de l'amiante, que Monsieur [X] a été amené à en manipuler de façon régulière pour le compte de celle-ci et, en conséquence, qu'il a été exposé de manière habituelle à l'amiante de son fait, pendant la période visée par l'arrêté, alors même qu'il ne conteste pas que l'amiante manipulé sur le port, pendant cette même période, n'a pas représenté plus de 0.1 % de l'activité de manutention globale de solides du port.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à ses demandes à l'encontre de la société Intramar. En l'absence d'exposition fautive à l'amiante établie, Monsieur [X] sera par ailleurs débouté de sa demande nouvelle au titre de l'indemnisation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par cette société de son obligation de sécurité de résultat.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les demandes sur ce fondement seront rejetées et Monsieur [X], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire,

CONSTATE que Monsieur [E] [X] ne reprend pas devant la cour sa demande au titre de la réparation d'un préjudice économique lié au bouleversement dans ses conditions d'existence,

DONNE ACTE à Monsieur [X] de ce qu'il se désiste de ses demandes à l'égard de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention,

CONSTATE qu'il s'est d'ores et déjà désisté de ses demandes à l'encontre du grand port maritime de [2] devant la juridiction du premier degré qui a déclaré ce désistement parfait,

INFIRME le jugement déféré sauf sur ce dernier chef et en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes,

REJETTE toutes les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [X] aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/24348
Date de la décision : 27/03/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-27;12.24348 ?
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