COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 20 MARS 2015
N°2015/ 161
Rôle N° 13/05842
SCS CAP BOULANGER
C/
[U] [E]
POLE EMPLOI PACA
Grosse délivrée le :
à :
-Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS
- Me Alain GUIDI, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section E - en date du 20 Février 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/47.
APPELANTE
SCS CAP BOULANGER, demeurant [Adresse 3]
comparante en personne, assistée de Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Raphaël ROULEAUX, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [U] [E], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Alain GUIDI, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
POLE EMPLOI PACA, demeurant [Adresse 2]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Président de Chambre
Madame Catherine VINDREAU, Conseiller
Madame Laurence VALETTE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2015
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2015
Signé par Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [U] [E] a été embauché par la sociétéMEDIA SATURN FRANCE, par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1° septembre 2001, en qualité de vendeur confirmé autoradio, catégorie employé.
Le 1 er juillet 2011, le contrat de travail de Monsieur [E] a été transféré à la société CAP BOULANGER, en application des dispositions de l'article L 1224-1 du Code du Travail.
Cet emploi est soumis à la convention collective des « Commerces et services de l'audiovisuel, de l'électronique et de l'équipement ménager ».
Après avoir occupé divers postes au sein du magasin, Monsieur [E] occupait depuis le 6 février 2011 le poste de Chef du Département Electroménager, Cadre position 1.
Le 3 décembre 2011 , Monsieur [E] a été convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire et le 26 décembre 2011, un licenciement lui a été notifié pour faute grave.
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Le 11 janvier 2012, Monsieur [E] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Marseille pour contester cette mesure et demander à l'encontre de son employeur le règlement des sommes dues.
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Par jugement du 20 février 2013, le Conseil de Prud'hommes de Marseille a :
- dit que le licenciement de Monsieur [E] était sans cause réelle et sérieuse,
- condamné l'employeur à payer à Monsieur [E] les sommes suivantes:
- 3.258,84 Euros au titre de la mise à pied conservatoire,
- 325,88 Euros au titre des congés payés,
- 9.776,52 Euros au titre du préavis,
- 977,65 Euros au titre des congés payés,
- 3.373,33 Euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 40.258 Euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 1.200 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- fixé le salaire moyen mensuel brut de Monsieur [E] à la somme de 3.258,84 Euros.
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La société CAP BOULANGER a interjeté appel de cette décision.
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Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la société CAP BOULANGER demande de :
' INFIRMER le jugement en date du 20 février 2013 du Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
SUR LE LICENCIEMENT A TITRE PRINCIPAL
' DIRE ET JUGER que Monsieur [E] a commis des faits constitutifs d'une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis,
' DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [E] repose sur une faute grave,
En conséquence,
' DEBOUTER Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes,
A TITRE SUBSIDIAIRE, et si la Cour de céans ne retenait pas la faute grave:
' DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [E] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
' LIMITER l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8.974,85 Euros bruts Euros bruts,
' LIMITER le rappel de salaire de mise à pied conservatoire à la somme de 2.293,57 Euros bruts.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, et si la Cour de céans devait considérer la rupture du contrat de travail de Monsieur [E] comme dépourvue de cause réelle et sérieuse,
' DIRE ET JUGER que Monsieur [E] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice permettant de lui allouer une indemnité supérieure à 6 mois de salaire prévue à l'article L.1235-3 du Code du Travail,
En conséquence,
' LIMITER à 6 mois de salaire l'indemnité qui serait allouée à Monsieur [E] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit la somme de 17.949,72 Euros nets,
' DIRE ET JUGER que la société CAP BOULANGER a respecté la procédure légale, En conséquence,
' DEBOUTER Monsieur [E] de sa demande, SUR LE RAPPEL DE PRIME
' DIRE ET JUGER que Monsieur [E] ne justifie ni du fondement ni du mode de calcul de sa demande,
En conséquence,
' DEBOUTER Monsieur [E] de sa demande, En tout état de cause,
' DEBOUTER Monsieur [E] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Le condamner à payer la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
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Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, Monsieur [E] demande de :
Vu les articles 1232 et suivants du Code du Travail.
Vu la convention collective applicable.
- Condamner la société CAP BOULANGER au paiement des sommes suivantes:
- Indemnité de préavis: 10 535,88 €
- Indemnité de congés payés sur préavis: 1 053,58 €
- Indemnité conventionnelle de licenciement: 3863,15 €
- Rémunération de la mise à pied à titre conservatoire: 2 302,29 €
- Congés payés sur mise à pied à titre conservatoire : 230.22 €
- Indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement: 3511,96 €
- Paiement de la prime trimestrielle: 3 000 €
- Indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse: 56000€
- Article 700 du Code de Procédure Civile : 3 000 €.
' Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice valant sommation de payer.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la régularité de la procédure
N'est plus avancé le moyen tiré de la qualité du signataire de la lettre de licenciement ;
Il n'est ensuite pas discutable que la convocation à l'entretien préalable ne comportait pas la mention que Monsieur [E] pouvait se faire assister d'un délégué du personnel ;
Pour autant cette mention n'était pas nécessaire dès lors qu'il lui était précisé qu'il pouvait se faire assister d'un salarié de la société, et que Monsieur [E] ne prétend pas que la société CAP BOULANGER ne comportait pas d'institutions représentatives du personnel ;
En conséquence le moyen n'est pas fondé ;
Sur le licenciement
Le contenu de la lettre de licenciement en date du 26 décembre 2011 qui fixe les limites du litige, précise ce qui suit:
'Vous avez fait preuve d'un comportement absolument incompatible avec les exigences de votre poste et de votre statut ;comportement qui, du fait de certaines de ces manifestations, tant vis-à-vis de votre hiérarchie que des collaborateurs que vous étiez chargés d'animer, relève indubitablement de dénigrement.
En effet le 3 décembre 2011 vous avez tenu auprès de plusieurs collaborateurs du magasin des propos de nature à remettre en cause les qualités et compétences professionnelles de votre directeur de magasin allant même jusqu'à le qualifier "d'Incompétent".
Vous avez indiqué, à plusieurs de nos collaborateurs, que votre Directeur ne faisait rien à part rester enfermé toute la journée dans son bureau.
Vous avez, de la même façon, manqué de modération eu égard au qualificatifs dont vous avez usé pour en contester la pertinence des nouvelles politiques décidées par notre société. En effet, vous n'avez pas hésité à considérer que ces dernières généraient une« organisation de merde ».
La portée d'un tel comportement sur le fonctionnement du service dont vous aviez la charge, l'atteinte portée à l'impératif lien de confiance devant exister entre un cadre dans votre position et sa hiérarchie rend impossible la poursuite de nos relations contractuelles.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible y compris pendant la durée de votre préavis.
Votre licenciement pour faute grave prendra effet dès la première présentation de cette lettre par les services de la Poste, sans indemnités de préavis, ni de licenciement.
La mise à pied à titre conservatoire qui a été prononcée à votre encontre à compter du 03 décembre 2011 ne vous sera pas rémunérée. '
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Monsieur [E], qui dénie les propos qui lui sont imputés, soutient que tel n'est pas le cas dès lors que les attestations-tardives- de la société CAP BOULANGER sont contredites par celle de Monsieur [T] qu'il leur oppose ;
Il est rappelé que selon l'employeur , le jour des faits, dans la réserve des stocks et en présence de collègues, Monsieur [E] aurait remis en cause l'organisation du travail au sein du magasin et les compétences du Directeur de Magasin, Monsieur [V] [O] et, à cette occasion, se serait emporté avec une telle virulence que ses éclats de voix et ses cris auraient alerté plusieurs de ses collègues; que, quand Monsieur [O] s'est lui-même présenté en réserve, Monsieur [E], aurait renouvelé ses attaques personnelles contre lui et ses critiques envers l'entreprise, dans des termes particulièrement excessifs ;
La société CAP BOULANGER produit une attestation de Monsieur [K], magasinier, datée du 3 décembre 2011 dans laquelle il mentionne avoir été à l'origine du déplacement de Monsieur [E] en réserve afin de régler un problème de livraison ; il explique que, n'ayant pu y parvenir Monsieur [E] 's'est mit(sic) à crier:.....on a vraiment une organisation de merde, je passe des journées à régler des problèmes avec les clients, j'en ai marre. Il fait quoi le Directeur à part rester enfermé dans son bureau toute la journée '
Monsieur [K] précise que Monsieur [O] a lui-même protesté devant Monsieur [E] de ce qu'aucun collaborateur ne lui avait tenu de tels propos, inacceptables, en dix ans ;
Monsieur [R], employé logistique, et 'témoin formel de la scène' parle d'une interpellation de Monsieur [O] 'de manière insultante et méprisante' et d'insultes ;
Ces pièces ne sont pas arguées de faux et n'ont fait l'objet d'aucune procédure sur ce point ;
En revanche l' attestation de Monsieur [T] n'est pas de nature à contrarier ces témoignages: l'intéressé, qui est vendeur, dit avoir côtoyé Monsieur [E] lors de la journée du 3 décembre 'de façon permanente' sans l'avoir entendu dénigrer la Direction ou l'entreprise ; mais il ne prétend pas avoir suivi Monsieur [E] dans la réserve, lors que l'origine de ce déplacement est clairement indiqué par Monsieur [K] et n'est du reste pas démentie ;
S'ensuit que les propos incriminés sont tenus pour avérés ;
Le premier juge, suivant l'argumentaire de Monsieur [E] , a estimé, au regard des dispositions tant de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, que de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, et de la liberté d'expression et d'opinion que ces textes garantissent, que les propos incriminés ne dépassaient pas les limites communément admises, et avaient sans doute pour origine, s'agissant d'un salarié ancien et bien noté, un problème d'irritabilité lié au changement d'employeur ;
Ces motifs justifient, au rebours de ce que soutient Monsieur [E] , la production par la société CAP BOULANGER d' attestations de salariés contredisant le caractère exceptionnel d'une telle réaction : Madame [B] ou Monsieur [H], ancienne collègue et supérieur de Monsieur [E], font état d'avoir connu de telles violences verbales, d'une volonté d'humilier, de 'termes rabaissants 'et dénigrants ;
En outre les suppositions émises par le premier juge sur l'origine de la scène incriminée ne reposent sur aucune réalité, le seul élément avéré étant que Monsieur [E] a été dérouté par un problème qu'il ne pouvait résoudre ; l'intéressé ne donne ensuite aucune précision ni ne produit d'éléments sur l'existence d'une organisation nouvelle au sein de l'entreprise qui lui aurait causé des problèmes et il ne prétend pas avoir protesté de tels changements, ce qu'il avait, en sa qualité de Chef de Département, l'opportunité de faire ;
En tout état de cause, demeure la profération dans un lieu fréquenté par les autres salariés, comme en témoignent les attestations produites, de propos qui dépassent tant dans la forme que sur le fond la liberté d'expression du salarié, dès lors que non seulement l'organisation du magasin a été qualifiée de 'merde' mais qu'il a été crié devant le personnel que son auteur ne faisait pas son travail et n'avait pas la compétence pour le faire;
Une telle attitude privait ainsi Monsieur [O] de tout crédit et tout respect envers les destinataires de ces propos-qui avaient ainsi en outre vocation à être divulgués dans l'entreprise-et elle ne permettait plus le maintien de leur auteur au sein de celle-ci ;
Le licenciement pour faute grave est en conséquence justifié et le jugement infirmé ;
Sur les incidences indemnitaires
Au regard de ce qui précède les demandes de Monsieur [E] sont rejetées ;
Sur le paiement de la prime trimestrielle
Monsieur [E] ne donne aucune précision sur ce point et la Cour ne relève aucun motif qui en donne l'explication;
La demande est rejetée ;
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité justifie au regard des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de faire droit à la demande de la société CAP BOULANGER à hauteur de la somme de 500 euros.
Par contre, au visa du même principe d'équité, la demande de Monsieur [E] n'est pas fondée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Déclare l'appel recevable en la forme.
Infirme le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau
Dit le licenciement de Monsieur [E] pour faute grave justifié
Déboute Monsieur [E] de ses prétentions
Condamne Monsieur [E] à payer à la société CAP BOULANGER la somme de CINQ CENTS EUROS (500 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de Monsieur [E] en cause d'appel.
Condamne Monsieur [E] aux dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT