COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 12 MARS 2015
FG
N° 2015/143
Rôle N° 14/12452
[W] [C]
[O] [P] épouse [C]
C/
[N] [A]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Maxime VAN ROLLEGHEM
Me Olivia CHALUS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 25 Avril 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/01920.
APPELANTS
Monsieur [W] [C]
né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 2]
représenté et assisté par Me Maxime VAN ROLLEGHEM, avocat plaidant au barreau de GRASSE
Madame [O] [P] épouse [C]
née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Maxime VAN ROLLEGHEM, avocat plaidant au barreau de GRASSE
INTIMEE
Madame [N] [A]
née le [Date naissance 1] 1930 à [Localité 3] (37),
demeurant chez Mme [Adresse 1]
représentée et assistée par Me Olivia CHALUS, avocat plaidant au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 12 Février 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2015.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Mars 2015,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
Mme [N] [A], née le [Date naissance 4] 1930, était domiciliée [Adresse 4], en vertu d'un prêt à usage en date du 10 octobre 1994 reçu par Me [R], notaire à Cannes, et qui lui avait été consenti par M.[T] [Q], ancien propriétaire du bien immobilier.
M.[T] [Q] est décédé le [Date décès 1] 2003 en laissant comme légataire universel M.[F] [J] aux termes de son testament olographe.
Selon protocole d'accord du 31 octobre 2006 entre M.[F] [J] et Mme [N] [A], il était convenu une indemnité d'éviction d'un montant de 160.000 € au profit de Mme [N] [A], étant précisé que lorsqu'une promesse de vente serait signée, une première somme de 10.000 € serait versée, puis le solde le jour de la réalisation de la vente.
L'appartement a finalement été vendu par voie d'adjudication selon annonce légale parue à L'Avenir du 24 avril 2010 mentionnant l'existence du prêt à usage et l'occupation des lieux par Mme [N] [A].
Les adjudicataires sont M.[W] [C] et Mme [O] [P] épouse [C]
Le 12 mars 2012, Mme [N] [A] a fait assigner M.[W] [C] et Mme [O] [P] épouse [C] devant le tribunal de grande instance de Grasse sur le fondement des articles 1875 et suivants et 2044 et suivants du code civil.
Par jugement contradictoire en date du 25 avril 2014, le tribunal de grande instance de Grasse a :
- dit que la demande de Mme [N] [A] est recevable,
- dit que le protocole prévoit une indemnité de 160.000 € indépendamment de la nature de la vente,
- constaté que dans l'hypothèse d'une vente amiable, les modalités de paiement de l'indemnité sont prévues,
- dit que le principe même du droit à l'indemnité n'est pas remis en cause dès lors que le bien a été vendu par voie d'adjudication,
- condamné Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C] au paiement de la somme de 160.000 € au profit de Mme [N] [A],
- dit que cette indemnité produira intérêts légaux, seulement à compter de la libération totale des lieux, à savoir le désencombrement des effets personnels de Mme [N] [A],
- ordonné à Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C] de donner accès à Mme [N] [A] aux lieux ci-après désignés: [Adresse 4], afin que Mme [N] [A] puisse récupérer ses effets personnels et ce dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement,
- débouté Mme [N] [A] de sa demande en réparation de son préjudice moral,
- condamné Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C] à payer à Mme [N] [A] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté par voie subséquente, Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C], de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C] aux entiers dépens, distraits au profit de Me Marie-Pierre HEINTZE-LE DONNE,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration de Me Maxime VAN ROLLEGHEM, avocat, en date du 23 juin 2014, M.[W] [C] et Mme [O] [P] épouse [C] ont relevé appel de ce jugement.
L'affaire a été fixée à bref délai, par application de l'article 905 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 septembre 2014, M.[W] [C] et Mme [O] [P] épouse [C] demandent à la cour de:
- faire injonction à Mme [A] de prendre position sur la libération des lieux de ses biens, ou au contraire sur le maintien de son droit d'usage,
- à défaut de ce faire dans le mois de la signification de la décision à intervenir, dire sa demande en indemnisation pour son départ irrecevable en l'état de l'occupation actuelle des lieux par ses effets personnels,
- à titre subsidiaire, au fond,
- vu les articles 1134, 1156 et suivants du code civil,
- dire le protocole d'accord inopposable à l'adjudicataire,
- dire que les clauses claires et précises du protocole d'accord du 31 octobre 2006 relatives à une vente amiable ne permettent pas son interprétation en vue de son application à une vente par adjudication,
- débouter Mme [A] de sa demande en indemnisation fondée sur ledit protocole,
- à titre plus subsidiaire,
- dans l'éventualité où, le protocole d'accord du 31 octobre 2006 était jugé applicable aux relations entre les parties à la procédure, constater que Mme [A] n'a ni signifié sa libération des lieux, ni libéré les lieux dans les huit jours de la vente ou de la notification de la vente,
- dire que son indemnisation s'est réduite d'un/huitième par jour de retard, et que faute de libération des lieux dans ce délai, son indemnisation s'est réduite à néant au bout de huit jours,
- juger en tout état de cause que cette indemnité était éventuellement due par la partie saisie [J] et nullement par l'adjudicataire, M. et Mme [C],
- débouter Mme [A] de ses demandes infondées,
- condamner Mme [A] au paiement d'une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens distraits au profit de Me VAN ROLLEGHEM.
Les consorts [C] exposent que le prêt à usage qui avait été consenti à Mme [A] ne portait que sur une partie de l'appartement et qu'en réalité celle-ci a pris l'habitude d'utiliser tout l'appartement. Ils rappellent que le protocole qui avait été signé avec M.[J] prévoyait qu'à défaut de libération des lieux le solde de l'indemnité serait réduit d'un huitième par jour de retard. Les consorts [C] exposent avoir toujours considéré que ce protocole ne pouvait s'appliquer en cas de vente par adjudication, alors que son montant devait être prélevé par le vendeur sur le prix.
Ils font observer que Mme [A] ne peut à la fois demander une indemnité d'éviction et refuser de libérer les lieux d'affaires personnelles qui les encombrent.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 15 octobre 2014, Mme [N] [A] demande à la cour de:
- confirmer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions,
- condamner les époux [C] au paiement de la somme de 3.000 € à titre de frais irrépétibles, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de Me CHALUS, avocat.
Mme [A] estime être titulaire d'un droit d'habitation du fait d'un prêt à usage à vie et rappelle que la rupture anticipée de cette convention donne lieu à une indemnité d'éviction. Elle expose que cette indemnité a été fixée conventionnellement avec M.[J]. Elle considère que la cause de l'éviction est inopérante. Elle considère que le protocole s'impose aux consorts [C]. Elle estime avoir été victime du comportement des consorts [C].
MOTIFS,
Le prêt à usage dont s'agit a été formalisé dans le même acte que l'acte d'acquisition du 10 octobre 1994, dans l'acte authentique de vente même du bien immobilier.
Ce bien immobilier correspond à un appartement de trois pièces principales lot 111, cave et parking dans l'immeuble [Adresse 3].
Il est précisé dans l'acte que l'acquéreur, M.[T] [Q] prête à titre de prêt à usage conformément aux articles 1875 et suivants du code civil à Mme [N] [A] en commun avec l'acquéreur : le hall d'entrée, la salle de séjour et la terrasse
à usage exclusif de l'emprunteur : une chambre à coucher (la première en entrant à gauche) et la salle d'eau qui se trouve en face de celle-ci.
L'acte précise que prêt est consenti pour toute la vie de l'emprunteur et qu'en conséquence les biens prêtés devront être rendus au prêteur dès que l'emprunteur n'en aura plus l'usage ou au plus tard le jour de son décès.
L'acte précise que dans le cas où le prêteur viendrait à aliéner les biens prêtés, il s'oblige à imposer à l'acquéreur ou au donataire de ceux-ci l'obligation formelle de respecter le prêt jusqu'à son expiration.
Lorsque M.[F] [J] est devenu propriétaire du bien immobilier par legs, il a passé un protocole d'accord le 31 octobre 2006 avec Mme [A].
Selon ce protocole M.[J] s'engageait à payer une indemnité d'éviction de
160.000 € à Mme [A] dans le cas où M.[J] parviendrait à vendre le bien immobilier de gré à gré, avec versement de 10.000 € le jour de la promesse de vente et 150.000 € sera versé le jour de l'acte authentique de vente à la condition que Mme [A] ait effectivement libéré les lieux, en ne laissant aucun mobilier, et ce 8 jours avant l'acte de vente, sinon le solde de l'indemnité serait réduit d'un huitième par jour de retard.
Ce protocole n'a jamais été exécuté par M.[J] alors qu'il n'est pas parvenu à vendre de bien immobilier occupé. M.[J] a fait l'objet d'une saisie par l'administration fiscale et en définitive c'est la direction des services fiscaux des Alpes- Maritimes qui a fait vendre le bien aux enchères.
Il n'est pas contesté que le prêt à usage survivait en cas d'aliénation, même par voie de licitation.
Le cahier des charges de la vente faisait référence à ce prêt à usage et le bien immobilier a été mis en vente comme bien occupé, ce qui a contribué à le rendre moins attractif et plus difficile à vendre.
Le protocole d'accord passé entre M.[J] et Mme [A] était une accord personnel entre M.[J] et Mme [A]. Cet accord est resté lettre morte. Aucune promesse de vente n'a été passée. M.[J] n'a pas vendu le bien et Mme [A] n'a pas quitté les lieux avant une vente qui ne s'est pas réalisée.
Ce protocole ne peut en aucune façon s'appliquer à la licitation effectuée à la diligence de l'administration fiscale. Ce protocole n'aurait pas de sens, il signifierait que Mme [A] aurait dû quitter les lieux 8 jours avant l'adjudication et que l'administration fiscale créancier poursuivante et saisissante aurait dû payer 160.000 € à Mme [A]. Une telle solution n'aurait aucun sens.
Le protocole [J]/[A] est caduc.
Juridiquement les adjudicataires se sont retrouvés propriétaires du bien immobilier occupé par Mme [A], titulaire d'un prêt à usage. Aucune disposition n'était prévue dans ce prêt pour permettre d'y mettre fin unilatéralement à la demande des propriétaires.
Mme [A] ne peut se prévaloir du protocole caduc du 31 octobre 2006 pour exiger 160.000 € des adjudicataires.
La rupture du contrat de prêt suppose un accord à négocier et, sauf accord, une procédure judiciaire spécifique. En l'occurrence Mme [N] [A] n'a pas demandé de dommages et intérêts pour rupture du contrat de prêt à usage.
Par ailleurs Mme [A] n'a pas débarrassé les lieux de ses affaires de sorte qu'elle doit être considérée comme occupant encore les lieux.
Il ne peut être fait droit à ses demandes.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 avril 2014 par le tribunal de grande instance de Grasse, sauf en ce qu'il a débouté Mme [N] [A] de sa demande en réparation de son préjudice moral,
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [N] [A] de toutes ses demandes,
Condamne Mme [N] [A] à payer à Mme [O] [P] épouse [C] et M. [W] [C] la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de Mme [N] [A], avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT