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06/03/2015 | FRANCE | N°12/23025

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 06 mars 2015, 12/23025


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 06 MARS 2015



N°2015/514















Rôle N° 12/23025







CGEA AGS DE [Localité 1] - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST





C/



[H] [U]

[B] [D]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES ET SERVICE AUXILIAIRES DE LA MANUTENTION

PORT AUTONOME DE [1]

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (B.C.M.O)

[K] [E]





Grosse délivrée le :r>
à :

Me Cyril MICHEL

Me Eric SEMELAIGNE

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Michel FRUCTUS

Me Arnaud CLERC



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

































Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 06 MARS 2015

N°2015/514

Rôle N° 12/23025

CGEA AGS DE [Localité 1] - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST

C/

[H] [U]

[B] [D]

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES ET SERVICE AUXILIAIRES DE LA MANUTENTION

PORT AUTONOME DE [1]

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (B.C.M.O)

[K] [E]

Grosse délivrée le :

à :

Me Cyril MICHEL

Me Eric SEMELAIGNE

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Michel FRUCTUS

Me Arnaud CLERC

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 15 Novembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1328.

APPELANTE

CGEA AGS DE [Localité 1] - DELEGATION REGIONALE DU SUD-EST, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sabine NIVOIT, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur Me [H] [U], mandataire liquidateur de la Société UPA, demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur Me [B] [D], liquidateur amiable de SOMOTRANS, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES ET SERVICE AUXILIAIRES DE LA MANUTENTION, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

PORT AUTONOME DE [1], demeurant [Adresse 3]

non comparante

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE (B.C.M.O), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [K] [E], demeurant [Adresse 5]

comparant en personne, assisté de Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Christine LORENZINI, Conseiller, chargées d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Priscille LAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2015

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2015

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [K] [E] a travaillé en qualité de docker professionnel sur le port de [1] du 1er juillet 1970 au 28 février 2007, étant observé qu'il a été mensualisé par la société Intramar du 3 mai 1993 jusqu'à sa radiation.

Il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 17 avril 2009 aux fins de réparation de divers préjudices résultant selon lui de son exposition à l'amiante à l'encontre :

- du Grand Port maritime de [1] (ci-après GPMM), établissement public de l'Etat,

- de la Société Moderne de Transbordement(ci-après Somotrans), représentée par Monsieur [D], désigné mandataire ad hoc, 'liquidateur sociétaire' par décision de l'assemblée générale du 14 décembre 2007,

- du CGEA de [Localité 1],

- de l'Union Phocéenne d'Acconage (ci-après Upa), représentée par Maître [U], mandataire liquidateur désigné par jugement de liquidation judiciaire du 20 novembre 2000,

- de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention du Port de [1] (ci-après CCCP) à titre personnel et aux droits du Service Auxiliaire de la manutention (SAM).

Monsieur [D], ès qualités, a fait convoquer, en intervention forcée, le Bureau central de la main d'oeuvre (ci-après BCMO).

Par jugement de départage en date du 15 novembre 2012, mentionnant en outre et par erreur dans l'exposé du litige, la société Industrielle de Trafic Maritime (ci-après Intramar), et la Société Coopérative de Manutention (ci-après Socoma), le conseil de prud'hommes de Marseille, après s'être déclaré incompétent pour connaître des demandes dirigées à l'encontre de la CCCP, a :

- rejeté les exceptions d'incompétence au profit de tribunal des affaires de sécurité sociale et au profit du FIVA,

- déclaré recevable l'intervention forcée délivrée à l'encontre du BCMO mais non fondée et l'a mis hors de cause,

- constaté que le demandeur s'est désisté de ses demandes à l'encontre du GPMM, déclaré ce désistement parfait et dit qu'il mettait fin à l'instance entre les parties,

- déclaré la société Upa, représentée par Maître [U], liquidateur judiciaire, et la société Somotrans, représentée par Maître [D], mandataire ad hoc, solidairement responsables du préjudice causé au demandeur,

- constaté que ces deux sociétés ont fait l'objet d'une liquidation et fixé la créance du demandeur au passif de la liquidation de chacune d'elles à la somme de 8 000 euros,

- dit que le CGEA doit sa garantie dans les limites et conditions prévues par le code du travail,

- rejeté toutes les autres demandes comme étant injustifiées et infondées,

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire, complémentaire

- condamné la société Upa, représentée par Maître [U], liquidateur judiciaire, et la société Somotrans, représentée par Maître [D], mandataire ad hoc, solidairement tenues à payer au demandeur une indemnité de 250 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné encore celles-ci dans les mêmes conditions de solidarité aux dépens.

Le CGEA de [Localité 1] a interjeté appel de cette décision le 6 décembre 2012, enrôlé sous le n° 12/23025.

Maître [D], es qualités de mandataire ad hoc de la société Somotrans, en a également interjeté appel le 14 décembre 2012, enrôlé sous le n° 12/23615.

Ces deux procédures ont été jointes pour être poursuivies sous le premier numéro.

Par arrêt en date du 14 novembre 2014, la présente cour a déclaré recevable la question prioritaire de constitutionnalité posée par le CGEA AGS de [Localité 1] mais a dit n'y avoir lieu à transmission de celle-ci à la Cour de cassation.

Prétentions et moyens des parties :

' Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, la société Somotrans représentée Monsieur [B] [D] demande à la cour, infirmant le jugement déféré, demande à la cour, à titre liminaire, de :

- constater l'irrecevabilité de la requête en ce qu'elle est dirigée à tort contre la société Somotrans,

- dire bien fondée et justifiée la mise en cause du BCMO de [Localité 1], venant aux droits des BCMO de [Localité 3] et de [Localité 2], dès lors que ceux-ci ont exercé les prérogatives d'employeurs à l'égard des dockers pendant la période 1957-1993 visée dans l'arrêté du 7 juillet 2000 ;

- mettre la société Somotrans hors de cause, d'une part en ce qu'elle n'a pas revêtu la qualité d'employeur du demandeur pendant la période d'exposition potentielle à l'amiante, l'employeur étant l'un des deux BCMO, et d'autre part, en raison de sa dissolution du fait du fait de la cession totale de ses actifs, puis de la clôture subséquente de la procédure collective dont elle a fait l'objet ; il observe à ce sujet que, faute pour la société Somotrans d'avoir été l'employeur du demandeur, celui-ci ne pourrait invoquer à son encontre qu'une créance étrangère au contrat de travail, laquelle aurait dû alors faire l'objet d'une déclaration entre les mains du représentant des créanciers, et que toutefois, si la cour considère qu'elle a bien été l'employeur, la demande en réparation devrait être présentée au CGEA-AGS de [Localité 1], le jugement d'ouverture de la procédure collective de Somotrans en date du 18 avril 1996 étant postérieur à la période d'exposition éventuelle à l'amiante.

Subsidiairement sur le fond, Monsieur [D], ès qualités, demande à la cour de dire et juger que le demandeur ne démontre pas avoir travaillé régulièrement pour Somotrans ni que cette société a commis une faute, ni qu'il a subi un préjudice, d'écarter la solidarité de même que la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires.

Il fait valoir que l'exposition à l'amiante, lorsqu'elle constitue une maladie professionnelle, est indemnisée par la sécurité sociale, et à défaut par l'ACAATA ; que si le port de [1] a été classé comme 'port amiante', la situation des dockers doit être distinguée de celle des salariés ayant travaillé dans un établissement nommément identifié et inscrit sur une liste établie par arrêté, ce qui n'est pas le cas de la société Somotrans ; que le demandeur ne prouve pas que cette société lui ait demandé de manipuler des produits amiantés ou même qu'elle ait réalisé la manutention de tels produits, ni en conséquence qu'elle l'ait exposé à l'amiante ; que les attestations versées aux débats, établies longtemps après les faits, par des proches ou par d'autres dockers demandeurs, en termes quasiment identiques, à partir d'un modèle préétabli produit de manière probablement fortuite dans l'un des dossiers, et qui ne mentionnent aucune date de début ni de fin de contrat, ni ne rapportent aucun fait précis, sont dépourvues de force probante; que la société Somotrans n'était pas tenue de conserver les DADS, qu'elle est dans l'incapacité de produire ces documents, et que les salariés renversent la charge de la preuve en demandant d'ordonner cette production si nécessaire, alors même qu'il leur appartient de produire leurs bulletins de paie afin de prouver une activité régulière pour le compte de cette société ; qu'à supposer même qu'une exposition à l'amiante du fait de la société Somotrans soit démontrée, elle n'aurait pu être en tout état de cause que très marginale et irrégulière et n'aurait pu intervenir qu'en plein air ou dans un espace très aéré, ce qui limiterait ou exclurait le risque de contamination ; que le demandeur ne précise d'ailleurs pas les moyens de protection dont il aurait dû bénéficier ; qu'il ne démontre pas que la société Somotrans ait été consciente du danger, ni qu'elle ait enfreint la réglementation alors applicable ; que le risque a été évoqué pour la première fois lors de la réunion du CHSCT du port autonome de [1], tenue le 22 décembre 1999 ; que le préjudice invoqué est donc purement éventuel, que le lien de causalité avec une faute imputable à Somotrans n'est pas établi, et qu'au surplus le demandeur ne justifie d'aucun suivi médical.

A titre infiniment subsidiaire, Monsieur [D], ès qualités, demande à la cour d'apprécier le préjudice réellement subi par le demandeur, imputable à la société Somotrans, d'ordonner une expertise afin de déterminer tout à la fois les préjudices subis par le demandeur et la part de responsabilité de la société SOMOTRANS, et de dire et juger que le CGEA AGS devra garantir toute condamnation susceptible d'être prononcée à l'encontre de la société Somotrans.

Enfin, il sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens.

' Le CGEA délégation régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à l'ensemble des affaires du rôle, aux termes desquelles il demande à la cour, à titre liminaire, de :

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Somotrans pour laquelle sa garantie ne peut intervenir, dès lors qu'après avoir été placée en redressement judiciaire par jugement du 18 avril 1996 et suite à la cession de ses actifs, cette société a fait l'objet d'un jugement de clôture des opérations de la procédure, prononcé le 21 novembre 2007, suivi d'un procès-verbal de décision de l'actionnaire unique en date du 14 décembre 2007, désignant Me [B] [D] en qualité de 'liquidateur sociétaire',

- prononcer sa mise hors de cause pour cette société en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur de certains demandeurs,

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société Upa, en ce qu'elle n'a jamais été l'employeur de certains demandeurs,

- prononcer sa mise hors de cause en ce que certains demandeurs ne démontrent pas avoir travaillé pour une société aujourd'hui en liquidation judiciaire,

- prononcer sa mise hors de cause pour les demandes dirigées contre la société Intramar, société in bonis,

- déclarer irrecevables les demandes de condamnation solidaire à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire,

- de se déclarer incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Boulogne sur Mer, seul compétent pour statuer sur les demandes des salariés bénéficiaires de l'ACAATA, qui tendent à contester le montant de l'allocation,

- déclarer les demandes des autres salariés irrecevables au motif qu'elles doivent être portées devant le fonds spécifique créé par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté ACAATA, que ceux-ci n'apportent pas la preuve d'avoir eu connaissance de cet arrêté avant l'ouverture de la procédure collective de la société, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie.

Sur le fond, le CGEA demande à la cour de :

- débouter le salarié de sa demande d'indemnisation du chef d'un préjudice d'anxiété, faute d'en rapporter la preuve au titre des articles 6 et 9 du code de procédure civile, lequel ne résulte pas du dispositif légal ni d'une simple relation de travail avec les sociétés concernées, mais du fait d'avoir travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1988 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et qu'il ne justifie pas avoir subi des contrôles et examens médicaux réguliers,

- le débouter de sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété découlant du bénéfice de l'ACAATA, un dispositif légal n'entraînant pas de préjudice moral,

- rejeter la demande nouvelle de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, les demandeurs ne qualifiant pas ce préjudice, n'expliquant pas de quoi il est constitué ni quand il serait né, et bénéficiant déjà d'une indemnisation dans le cadre de l'ACAATA au titre du préjudice d'anxiété,

- dire et juger que le préjudice découlant du manquement à obligation de sécurité de résultat n'est autre que le préjudice spécifique d'anxiété et que la demande formulée à ce titre fait double emploi avec celle en réparation de ce préjudice,

à titre subsidiaire :

- dire et juger que l'obligation de sécurité de résultat n'était pas applicable à l'époque des faits, puisqu'elle découle de dispositions de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, aujourd'hui codifiées à l'article L.4121-1 du code du travail et que la jurisprudence des tribunaux des affaires de sécurité sociale n'est pas applicable et, en tout état de cause, toute réparation de ce chef serait inopposable à l'AGS ; que l'adhésion à l'ACAATA n'implique pas la faute de l'employeur ; que le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat pour ses carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante,

- dire et juger que la faute de l'employeur n'est pas établie et que le salarié ne démontre pas la violation d'une règle par les sociétés, démonstration qui lui incombe, la jurisprudence du sang contaminé n'étant pas applicable, et le débouter faute de démontrer avoir été personnellement victime d'une violation des dispositions d'hygiène et de sécurité alors en vigueur, ni ne prouve l'existence d'un lien de causalité direct entre une telle faute et le préjudice allégué,

en tout état de cause :

- à ce que ne soit pas retenu à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat de plein droit, non conforme aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de séparation des pouvoirs, la faute de l'employeur étant présumée par la jurisprudence de la Cour de cassation,

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances revendiquées qui sont nées postérieurement à l'ouverture des procédures collectives des sociétés Upa et Somotrans, les salariés ne démontrant pas avoir eu connaissance des dangers de l'amiante avant l'arrêté ministériel d'inscription du site sur le liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA;

- à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués, à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale et à l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant la mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil,

- à ce qu'il soit statué ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'UNEDIC AGS et à la condamnation des demandeurs aux entiers dépens.

' Monsieur [E], qui ne maintient pas en cause d'appel de demande en indemnisation d'un préjudice économique, a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à plusieurs des affaires du rôle, dans lesquelles il demande à la cour de :

- lui donner acte de son désistement à l'encontre du BCMO, de la CCCP, et du GPMM,

avant dire droit, en tant que de besoin,

- vu l'article 11 du code de procédure civile, ordonner aux sociétés intimées la production de leurs DADS entre 1977 et 1993,

- vu l'article 138 du même code, ordonner à la CCCP la production des DADS des sociétés Upa et Somotrans entre 1977 et 1993,

dans tous les cas :

au visa des articles 1147 et 353 du code civile, L.1221-1 du code du travail,

du bénéfice de l'ACAATA qui lui a été accordée,

de la présomption d'exposition des dockers chez leurs employeurs tirée de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2014 n° 13-10644,

- constater qu'il a été employé par les sociétés Upa et Somotrans, qu'elles n'ont pas respecté les dispositions du décret n°77-949 du 17 août 1977, et qu'elles l'ont exposé aux poussières d'amiante sans protection,

en conséquence,

- déclarer les sociétés Upa et Somotrans solidairement responsables des préjudices qu'il subit,

- fixer sa créance au passif de la liquidation des sociétés Somotrans et Upa aux sommes de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant directement de la violation de leur obligation de sécurité de résultat,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA.

- condamner le CGEA à lui payer la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure Civile.

Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de [2], pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du  1er juillet 1970 au 28 février 2007 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992, et s'est donc trouvé employé jusqu'en 1993 sous la forme d'un contrat à durée déterminée par l'acconier qui disposait d'un véritable pouvoir de direction à son égard et devait assurer sa sécurité ; que celui-ci était par ailleurs tenu d'adhérer à la CCCP et avait pour obligation de l'y déclarer ; qu'il a été mensualisé le 3 mai 1993 par la société Intramar ; qu'il a bénéficié de l'ACAATA à partir du 1er mars 2007, ce qui entraîne une présomption d'exposition à l'amiante dans la cadre de son activité au bénéfice de ses différents employeurs acconiers ; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés Upa et Somotrans, mentionnées sur la liste établie par la direction générale du port de [1] dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que même s'il est susceptible de justifier, dans la plupart des cas, de ses relations contractuelles avec ces sociétés par la communication de bulletins de salaire, de déclarations d'accidents du travail et/ou d'attestations émanant notamment d'anciens collègues, valables et probantes, il appartient à la cour, eu égard à l'impasse probatoire dans laquelle il se trouve, de procéder à l'aménagement de la charge de la preuve par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les victimes d'une contamination d'origine transfusionnelle ayant subi des transfusions sanguines multiples, en considérant que le seul fait pour un docker, par ailleurs bénéficiaire de l'ACAATA, d'avoir travaillé sur le port de [1] pendant la période visée à l'arrêté suffit à caractériser l'existence du préjudice subi, en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'apporter tant la preuve de sa relation de travail avec l'une ou l'autre société du fait des modalités d'organisation du travail de l'époque que celle de son exposition à l'amiante sans aucune protection, fait non mentionné sur les documents en sa possession et dont seul l'employeur détient la preuve ; qu'il convient en conséquence d'imputer aux société mises en cause la charge de prouver qu'elles ne l'ont pas employé, ni exposé à l'amiante sans protection ; que la cour pourra ordonner si nécessaire, avant dire droit, à celles-ci de produire les DADS entre 1977 et 1993 et, à défaut, en tirer les conséquences voire enjoindre à la CCCP de les communiquer ; que, dans le cadre de son activité pour le compte des sociétés Upa et Somotrans, il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret du 17 août 1977) et que ce faisant, les employeurs - qui ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante - ont délibérément maintenu leurs salariés dans l'ignorance de la dangerosité des particules d'amiante et du risque mortel qu'il représentait, les privant ainsi d'une chance de s'y soustraire, et n'ont pas respecté leur obligation de sécurité de résultat, ce qui lui fait nécessairement subir un préjudice qu'il convient d'indemniser ; que l'indemnisation du préjudice autonome d'anxiété est ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le port de [1] comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture des procédures collectives à l'encontre des sociétés Upa et Somotrans, même si elle ne lui a été révélée que postérieurement, qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et qu'en conséquence, la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.

' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des affaires inscrites au rôle, au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker, Maître [U], ès qualités, de liquidateur judiciaire de la société Upa soulève à titre liminaire l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale et demande de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L.1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie.

Subsidiairement sur le fond, Maître [U] conclut au débouté des salariés de leurs prétentions et leur condamnation à lui payer la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs qu'ils ont eu de multiples employeurs, que les arrêtés portant liste des ports dans lesquels les personnels peuvent bénéficier de l'ACAATA ne suffisent pas à justifier de la qualité d'employeur d'Upa ni de l'exposition au risque par celle-ci et que les salariés ne démontrent pas avoir travaillé pour la société Upa, ou alors à de très rares occasions; que les attestations qu'ils produisent ont été établies pour les besoins de la cause, qu'elles sont imprécises et sans valeur probante ; qu'ils ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante par la société Upa, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il existe un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué, d'autant que l'amiante a représenté une part infime des marchandises manutentionnées sur l'ensemble du port de [1] (moins de 0.1 % des volumes hors liquides répartis sur plus de quatre-vingts entreprises employant des dockers) et que les acconiers ne peuvent être considérés comme des professionnels, voire des utilisateurs de l'amiante, aucune entreprise de manutention n'étant visée dans les listes établies par décret relatives aux entreprises et établissements où étaient fabriqué ou traité de l'amiante ; que si la cour venait à retenir la qualité d'employeur de la société Upa, celle-ci justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter qui étaient invitées à chacune des réunions du CHSCT, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un rappel à la loi ni d'une injonction et encore moins d'une sanction en raison d'un défaut dans la prise en compte et la gestion d'un risque professionnel, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits.

A titre infiniment subsidiaire, Maître [U] soutient que le préjudice d'anxiété allégué n'est pas indemnisable ni justifié, en l'état d'absence de preuve tant d'un suivi spécifique aux allocataires ACAATA que de comportement à risque (tabagisme...). Il soutient également qu'il n'existe en l'espèce aucune obligation solidaire ou in solidum.. Enfin, à titre infiniment subsidiaire, il demande à ce qu'il soit dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

' Aux termes de ses écritures développées à la barre, le BCMO, exposant que le Conseil d'Etat l'a, dans une décision de principe, qualifié de 'section professionnelle du service départemental de la main d'oeuvre', demande à la cour de constater qu'il n'a pas la personnalité juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation, qu'il n'est pas l'employeur des ouvriers dockers et qu'aucune demande de condamnation n'est formulée à son encontre, et en conséquence, de déclarer irrecevable la demande formulée par la société Somotrans à l'encontre du BCMO pour lui faire reconnaître la qualité d'employeur.

Le GPMM, régulièrement convoqué, n'est ni présent, ni représenté à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de donner acte à Monsieur [E] de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes en indemnisation à l'encontre du BCMO et de la CCCP, étant précisé que son désistement à l'encontre du GPMM a déjà été acté par le premier juge qui l'a déclaré parfait, et de constater qu'il ne reprend pas devant la cour sa demande au titre de la réparation d'un préjudice économique.

sur l'exception d'incompétence :

Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, dès lors que les demandes en réparation d'un préjudice extra-patrimonial formées par Monsieur [E] sont fondées sur l'inexécution par le ou les employeurs de l'obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail qui les aurait liés, que le préjudice d'anxiété ne correspond pas à une maladie professionnelle répertoriée mais à l'inquiétude de déclencher à tout moment une maladie professionnelle en rapport avec une exposition à l'amiante, et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont il a été attributaire à compter du 1er mars 2007, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente pour connaître du litige et le jugement sera confirmé à ce titre.

Sur les fins de non recevoir soulevées par la société Somotrans :

La personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et la société Somotrans est représentée à l'instance par son liquidateur sociétaire.

Par ailleurs, dès lors par ailleurs que les ouvriers dockers étaient unis à diverses entreprises d'acconage (environ quatre-vingts sur le port de [1], entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire, dont la société Somotrans), par un lien de subordination, en sorte que celles-ci ont été leurs employeurs, à la différence du BCMO, organisme paritaire dépourvu de la personnalité juridique, et que la créance invoquée trouve son origine dans l'exécution d'un contrat de travail allégué avec celle-ci, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré Monsieur [E] recevable à agir à son encontre, le bien-fondé de sa demande devant être examiné dans le cadre du fond du litige.

Sur l'intervention forcée du BCMO :

Il résulte des explications du BCMO, confirmées par les pièces versées aux débats et non sérieusement contredites par la société Somotrans, que cet organisme paritaire, au service des entreprises de manutention portuaire, est dépourvu de la personnalité juridique.

En conséquence, son intervention forcée à la demande du liquidateur de la société Somotrans aux fins de lui voir reconnaître la qualité d'employeur de Monsieur [E], sera déclarée irrecevable en application de l'article 32 du code de procédure civile.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur le fond :

Monsieur [E], se prévalant du fait qu'il a été admis au bénéfice de l'ACAATA, invoque une impasse probatoire devant conduire selon lui et par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la contamination transfusionnelle à faire peser la charge de la preuve sur les sociétés en cause tant de leur absence de qualité d'employeur que du fait qu'elles ne l'ont pas exposé à l'inhalation de poussières d'amiante. Cependant, il doit être relevé que :

- il ne conteste pas avoir reçu, en contrepartie de son activité de docker auprès de chacune des sociétés pour lesquelles il dit avoir travaillé des bulletins de salaire qu'il lui appartenait de conserver ;

- ne produit aucun élément de nature à établir que la manutention a constitué une part significative de l'activité de ces sociétés au cours de la période pendant laquelle il a été employé sur le port de laquelle on pourrait déduire qu'il a été nécessairement exposé à l'amiante par leur fait, étant observé que si l'intégralité du site du port est concernée par le classement ACAATA, il reconnaît lui-même que, bien que quatre-vingts acconiers exerçaient une activité sur ce site, il a fait le choix de n'agir que contre deux d'entre-elles (alors même que cinq sont visées dans la lettre du directeur du Port du 21 décembre 1999, rédigée en termes hypothétiques, dont il se prévaut et d'autres encore dans les attestations produites et qu'il a été mensualisé par Intramar en mai1993), reconnaissant ainsi que le seul fait pour une entreprise de manutention d'avoir exercé une activité dans un port classé au cours de la période de classement ne suffit pas à établir qu'elle a nécessairement exposé ses salariés à l'inhalation de fibres ou de poussières d'amiante.

En conséquence, il appartient à Monsieur [E] de justifier tout à la fois de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés de manutention portuaire attraites dans la cause et du fait qu'il a été exposé à l'amiante par leur fait.

Sur la qualité d'employeur des sociétés intimées à l'égard de Monsieur [E] :

La loi du 6 septembre 1947 a défini un statut de docker et a réduit la fonction des organismes antérieurs, comme le BCMO qui a été chargé d'identifier et de classer les ouvriers dockers, d'organiser et de contrôler l'embauche dans le port au service des différentes sociétés manutentionnaires, de répartir numériquement le travail entre les ouvriers, d'effectuer la paie à la journée, d'établir les certificats de travail et les bulletins de salaire quand ils existaient et de régler les cotisations aux organismes sociaux pour le compte des entreprises de manutention..

Cette organisation a affecté le recrutement et les embauches journalières, mais n'a pas supprimé les entreprises de manutention portuaire ; les chefs d'équipe de ces entreprises fixaient, eux-mêmes, le nombre de dockers et leurs qualifications nécessaires aux déchargements, les taches de affectées à chacun sur les navires, donnaient les instructions sur les opérations à entreprendre, surveillaient le déroulement de celles-ci et fournissaient également des matériels (tracteurs, chariots élévateurs, auto grues, transporteurs et norias).

Ainsi, si la loi de 1947 a réduit l'étendue des attributions patronales dans la relation de travail, elle n'a pas supprimé totalement celle-ci ; la loi du 9 juin 1992 a modifié le régime de travail dans les ports maritimes, en autorisant le recrutement de dockers par des entreprises de manutention portuaire grâce à des contrat de travail de droit commun.

Selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire, il existait environ quatre-vingts sociétés manutentionnaires sur le port de [1], entre 1957 et 1993.

Pour faire la preuve de l'existence d'une relation de travail avec les sociétés intimées (entre 1957 et 1993), Monsieur [E] communique essentiellement au soutien de sa demande:

- le certificat de travail établi par la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention des ports de [1], le 29 octobre 2008, mentionnant qu'il a été inscrit le 1er juillet 1970, mensualisé le 3 mai 1993 par Intramar et radié le 28 février 2007,

- onze bulletins de salaire dont il résulte qu'il a travaillé seize jours pour la société Somotrans (code 15), et deux journées pour la société Upa (code 28) ;

- trois attestations, datées du 28 novembre 2008, établies par d'autres dockers professionnels certifiant, brièvement et en termes similaires avoir travaillé avec lui comme docker, 'dans les années 1974 à 1993" ( Monsieur [X]), 'de 1931 à 1993" (monsieur [L]), et 'dans les années 1975 à 1980" (monsieur [G]), dans les compagnies Upa, Euroma et Somotrans (sans plus de précision quant aux périodes d'emploi dans chacune de ces sociétés), et d'avoir ainsi déchargé et manipulé de l'amiante en vrac ou en sac de jute poreux sans protection et sans avoir été avertis des dangers d'une telle exposition.

Si ces éléments sont insuffisants à établir une relation de travail continue ou habituelle entre Monsieur [E] et les sociétés Upa, et Somotrans, ils permettent néanmoins de retenir qu'il a travaillé de façon ponctuelle pour le compte de celles-ci (étant observé qu'il n'a fait choix d'assigner que certaines d'entre elles), sans qu'il apparaisse par ailleurs nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, aucun texte ne faisant obligation aux entreprises concernées, voire à la CCCP, de conserver les DADS sur une période aussi longue.

Sur la réparation des préjudices :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Il n'y a donc pas contrariété de l'obligation de sécurité de résultat avec les dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et le principe de séparation des pouvoirs.

Il doit être rappelé que si le site du port de [1] est inscrit sur la liste des ports permettant aux dockers de bénéficier de l'allocation anticipée des salariés de l'amiante, liste fixée par arrêté du 7 juillet 2000, modifié, aucune des sociétés contre lesquelles les demandes sont dirigées ne figure sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, qu'elles ne sont ni des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante, ni des établissement de construction et de réparation navales et qu'elles ne fabriquaient ni ne traitaient l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et ne peuvent en conséquence être considérées comme des entreprises utilisatrices d'amiante.

Monsieur [E] qui invoque l'existence d'une prime de salissure accordée au titre de la manipulation de l'amiante ne justifie nullement avoir perçu cette prime des sociétés concernées, prime qui en tout état de cause correspondait à la manipulation de très nombreux produits non différenciés.

En l'espèce, pour preuve de son exposition fautive à l'amiante par les sociétés Upa et Somotrans, Monsieur [E] communique essentiellement, outre les attestations précitées dont les termes imprécis ne permettent pas de déterminer que ces société l'ont réellement exposé à l'amiante, ni quels auraient été la durée et le caractère de l'exposition alléguée :

- la lettre du directeur général du port de [1] au ministère de l'équipement, des transports et du logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment, en termes hypothétiques :

'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.

Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établie : - Société Industrielle de Trafic Maritime (Intramar) - Union Phocéenne d'Acconage (Upa) - Société Moderne de Transbordements (Somotrans) - Société Manucar - Etablissements Maiffredy - Société Carfos.

Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991 ;

- les attestations de Madame [Q], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société Somotrans, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', et de Monsieur [Z] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés Intramar et Somotrans, de 1956 à 1988 (sans autre précision sur ses périodes d'emploi au sein de cette dernière société), qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait, du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne, étant observé qu'aucun de ces témoins ne mentionne le nom de Monsieur [E] et que la société Somotrans conteste que Madame [Q] ait pu voir depuis son poste les faits qu'elle allègue, exposant, en produisant le procès-verbal du CE du 12 avril 1996, que jusqu'à cette date, les bureaux dédiés à la facturation ne se trouvaient pas sur les quais.

Ces diverses pièces sont insuffisantes à établir tout à la fois qu'une part significative des travaux des sociétés Upa et Somotrans a concerné le transbordement de l'amiante, que Monsieur [E] a été amené à en manipuler de façon régulière pour le compte de celles-ci et, en conséquence, qu'il a été exposé de manière habituelle à l'amiante/ de leur fait, pendant la période visée par l'arrêté, alors même qu'il ne conteste pas que l'amiante manipulée sur le port, pendant cette même période, n'a pas représenté plus de 0.1 % de l'activité de manutention globale de solides du port.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à ses demandes à l'encontre des sociétés Upa et Somotrans. En l'absence d'exposition fautive à l'amiante établie, Monsieur [E] sera par ailleurs débouté de sa demande nouvelle au titre de l'indemnisation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par ces sociétés de leur obligation de sécurité de résultat.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les demandes sur ce fondement seront rejetées et Monsieur [E], qui succombe, supportera les entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire,

DONNE ACTE à Monsieur [K] [E] de ce qu'il se désiste de ses demandes à l'égard de la Caisse de compensation des congés payés du personnel des entreprises de manutention, et du Bureau central de la main d'oeuvre,

CONSTATE qu'il ne reprend pas devant la cour sa demande au titre de la réparation d'un préjudice économique,

CONSTATE qu'il s'est d'ores et déjà désisté de ses demandes à l'encontre du grand port maritime de [1] devant la juridiction du premier degré qui a déclaré ce désistement parfait,

INFIRME le jugement déféré sauf sur ce dernier chef et en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable l'intervention forcée du BCMO à l'initiative de la Société Moderne de Transbordement,

DÉBOUTE Monsieur [K] [E] de l'ensemble de ses demandes,

REJETTE toutes les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [E] aux entiers dépens de l'instance.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/23025
Date de la décision : 06/03/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-06;12.23025 ?
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