COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 05 MARS 2015
DT
N° 2015/124
Rôle N° 14/10430
SA BANQUE CHAIX
C/
[B] [V]
[A] [P]
[Z] [O] [L]
[T] [N]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ
Me Samah BENMAAD-MARIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 10 Avril 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 11/06564.
APPELANTE
SA BANQUE CHAIX
dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié .
représentée par Me Samah BENMAAD-MARIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée par Me Claude GAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
INTIMES
Maître [B] [V],
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me François LOUSTAUNAU de la SCP LOUSTAUNAU-FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN.
Maître [A] [P],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me DIVISIA de la SCP COULOMB-DIVISIA-CHIARINI, avocat au barreau de NÎMES.
Monsieur [Z] [O] [L],
demeurant [Adresse 2]
[Localité 1]
assigné sur appel provoqué
non comparant
Monsieur [T] [N],
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 2], demeurant [Adresse 4]
assigné sur appel provoqué
non comparant
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 04 Février 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile,Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2015.
ARRÊT
Par défaut,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2015,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
Par acte authentique en date du 28 novembre 2006, reçu par Me [V], notaire, avec la participation de Me [A] [P], notaire, la banque Chaix a accordé à la SCI la Chardonneraíe, représentée par son gérant, M.[T] [N] un prêt de 120.000i.
Le prêt était destiné à financer un apport en compte courant dans une Sarl Marvan Corporation dont le gérant était également M.[T] [N].
La Sci la Chardonneraíe a affecté à titre de garantie hypothécaire en second rang au profit de la banque un immeuble situé à [Localité 3].
Cet immeuble qui constituait l=habitation de M.[N] appartenait à la Sci pour l=avoir reçu de celui ci en cession à la suite de sa mise en liquidation judiciaire.
La Sci ne réglant pas les échéances du prêt consenti, la banque Chaix lui a délivré commandement de payer valant saisie immobilière le 18 décembre 2008.
Par jugement du 2 octobre 2009, le juge de l=exécution du tribunal de grande instance de Draguignan a dit la procédure de saisie immobilière nulle, au motif que l=acte de prêt n=engageait pas la Sci La Chardonneraíe comme n=entrant pas dans son objet social et faute d=autorisation valable de l=assemblée générale.
Cette décision a été confirmée par la cour d=appel d=Aix en Provence dans un arrêt du 1er octobre 2010.
Le 5 juillet 2011, la banque Chaix a assigné M. [B] [V] et Me [A] [P] en réparation de son préjudice subi du fait de l=absence de garantie hypothécaire.
Par jugement réputé contradictoire en date du 10 avril 2014, le tribunal de grande instance de Draguignan a :
- dit que M.[B] [V] et M.[A] [P], notaires, ont commis une faute,
- condamné M.[B] [V] et M.[A] [P] au paiement de la somme de 15.904,21 i en réparation du préjudice subi et 2.000 i par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- débouté la banque Chaix du surplus de sa demande,
- débouté M.[B] [V] et M.[A] [P], notaires, de leur demande en garantie dirigée contre M.[R] [N],
- débouté M.[P] notaire, de sa demande en garantie dirigée contre M. [Z] [O] [L],
- débouté M.[O] [L] de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné M.[P] notaire, à payer à M.[Z] [O] [L] la somme de 2.000 i par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- condamné M.[B] [V] et M.[A] [P], aux dépens,
- dit n=y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration de Me Samah BENMAAD MARIE, avocat, en date du 23 mai 2014, la Sa banque Chaix a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 14 août 2014, la Sa banque Chaix demande à la cour de:
- confirmer la décision entreprise en ce qu=elle a dit que M.[B] [V] et M.[A] [P], notaires, avaient commis une faute et en ce qu=elle a retenu leur responsabilité vis-à- vis de la banque,
- infirmer du chef du montant du préjudice,
- condamner solidairement les parties intimées à payer:
- au titre du prêt impayé, la somme de 120.000 i avec intérêts au taux contractuel de 5.539 % capitalisés à compter du 16 avril 2008,
- au titre des frais, honoraires et indemnités exposés par la banque, la somme de 24.596.94 i avec intérêts au taux légal à compter de l=assignation introductive d=instance du 5 juillet 2011,
- rejeter l=appel incident des intimés,
- les condamner en outre, sous la même solidarité, à payer à la société concluante la somme de 6.000 i en vertu de l=article 700 du code de procédure civile et aux dépens tant de première instance que d=appel.
La banque CHAIX soutient qu'elle est en droit de faire valoir l'intégralité de son préjudice du chef de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de recouvrer sa créance en principal et intérêt, ainsi que les frais qui sont la conséquence directe de la nullité de l'acte imputable aux notaires.
Par conclusions en date du 26 juin 2014, la Banque CHAIX s'est désistée de son appel à l'égard de M. [Z] [O] [L] et M. [T] [N].
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 1er août 2014, M. [A] [P], qui a formé un appel provoqué à l'encontre de M. [Z] [O] [L] et M. [T] [N], demande à la cour de:
- réformant débouter la banque Chaix de son action envers Me [P],
- en cas de condamnation prononcée à son encontre, condamner par application de l=article 1382 du code civil, M.[O] [L] et M. [N] à relever et garantir Me [P] de toute condamnation,
- la condamner au paiement de la somme de 3.500 i à titre de frais irrépétibles, par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de la Scp COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocats.
Me [P] fait valoir que :
- le montage ayant été défini et arrêté par la banque et la SCI après consultation des conseils donnés par l'expert-comptable, M. [L], il n'y avait aucune place pour un quelconque devoir de conseil, la décision de la banque concernant la souscription du prêt et son objet ayant été définitivement arrêtée avant l'établissement de l'acte authentique,
- l'exécution du contrat avait commencé par virement avant même la signature de l'acte authentique,
- à titre subsidiaire, l'appel en garantie est fondé dès lors que le montage juridique a bien été initié par l'expert-comptable qui a surveillé les opérations et approuvé le projet, dépassant les limites classiques de l'intervention d'un expert-comptable auquel il n'est pas reproché un manquement à un devoir de conseil mais un comportement fautif.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 28 juillet 2014, M.[B] [V] demande à la cour de:
- réformer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions,
- condamner la Sa banque Chaix au paiement de la somme de 2.000 i à titre de frais irrépétibles, par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidaire, condamner M.[N] à relever et garantir le concluant de toutes condamnations pouvant être prononcées au bénéfice de la banque,
- la condamner au paiement de la somme de 4.000 i par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de la Scp COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocats.
Me [V] fait valoir que :
- la banque n'a laissé aucune latitude au notaire, le montant, le principe du prêt ayant été discuté directement avec le gérant de la SCI et l'expert-comptable,
- la banque avait déjà débloqué une partie du prêt avant même qu'elle ne requiert, selon acte authentique, une affectation hypothécaire,
- à titre subsidiaire, l'appel en garantie de M. [N] est fondé dès lors que le prêt a été négocié et obtenu par celui-ci en sa qualité de gérant de la SCI La Chardonneraie alors même qu'il était gérant de la SARL Marvan Corporation, bénéficiaire de l'accord en compte courant.
M. [Z] [O] [L] et M. [T] [N], auxquels la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées par exploits en date du 11 août 2014 délivrés conformément à l'article 659 du code de procédure civile, n'ont pas comparu.
L=instruction de l=affaire a été déclarée close le 8 janvier 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que selon les termes de l'acte de prêt reçu le 28 novembre 2006 par Me [V] avec la participation de Me [P] assistant la Banque CHAIX, les fonds prêtés étaient destinés au financement d'un apport en compte courant dans la SARL MARVAN dans l'attente de la vente d'une maison sise à [Localité 3] ;
Que l'acte du 28 novembre 2006 ne contient aucune mention relative à la société commerciale alors qu'en définitive, l'objet du prêt est de lui consentir une avance de fonds, sans véritable contrepartie de sa part dès lors que la garantie était supportée par la SCI ;
Qu'en outre, la déclaration du prêteur, lapidaire, ne permet pas d'établir clairement le lien entre l'apport en compte courant dans la société commerciale et la vente d'une maison ;
Que l'objet particulier du prêt, qui supposait qu'il existât une communauté d'intérêts entre les deux sociétés, imposait au notaire, dont la fonction ne se résume pas à authentifier un acte tout préparé, de s'assurer que l'objet du prêt était compatible avec l'objet de la société civile immobilière, afin de pouvoir éventuellement mettre en garde le prêteur sur le risque encouru;
Que le notaire n'a même pas vérifié quel était le niveau de participation de la société civile immobilière dans le capital de la société commerciale ; qu'un simple examen du Kbis lui aurait permis de s'interroger sur la sincérité de la déclaration de l'emprunteur si, comme le précise la Banque CHAIX, la SCI La Chardonneraie ne détenait en réalité aucune part dans la société MARVAN ; que le notaire, rassuré peut-être mais à tort par l'existence d'une garantie hypothécaire, ne s'est pas davantage inquiété de la situation de cette société commerciale ;
Que par ailleurs, à supposer que le document dénommé « vente de biens immobiliers » agrafé à l'acte authentique produit aux débats y était effectivement annexé, ce qui ne résulte pas de l'acte, document par lequel la SCI La Chardonneraie s'est engagée le 19 octobre 2005 à vendre à M. [C] un bien immobilier qui correspond à celui mentionné dans l'acte de prêt du 28 novembre 2006, il en ressort que la vente a été conclue notamment sous condition suspensive de financement dont la durée de validité était expirée à la date de l'acte de prêt puisque fixée au 30 janvier 2006 ;
Que le notaire, tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente, ne pouvait au cas d'espèce, se satisfaire de la déclaration de l'emprunteur sur l'objet du prêt tel que rappelé ci-dessus ; que l'acte contenait en germe un risque manifeste d'annulation et les notaires [V] et [P], qui soutiennent qu'au moment de leur intervention le montage était déjà défini et arrêté par la banque et la SCI au vu des conseils donnés par l'expert-comptable, ne peuvent décliner le principe de leur responsabilité en alléguant qu'ils n'ont fait qu'authentifier l'acte établi par les parties ;
Qu'ils n'avaient aucune obligation de recevoir un acte contenant un montage irrégulier ; qu'ils n'y auraient pas été davantage tenus dans l'hypothèse où la banque aurait décidé de passer outre une mise en garde de leur part ;
Que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d'appel en garantie dirigé contre M. [N] ; que les manquements, imputables aux seuls notaires, excluent de même la garantie de M. [O] [L] dont il n'est pas démontré qu'il a dépassé les limites classiques de l'intervention d'un expert comptable ;
Attendu, s'agissant du préjudice, que celui-ci se limite à la perte d'une chance de recouvrer le montant des sommes prêtées ;
Que la Banque CHAIX ne peut en effet soutenir que son préjudice correspond au montant du prêt majoré des intérêts ; qu'il est en effet impossible d'affirmer que le prêt aurait été remboursé, de manière certaine ; que la Banque CHAIX a d'ailleurs été obligée d'engager une procédure de saisie immobilière, à l'issue de laquelle, en outre, elle ne pouvait prétendre au règlement de sa créance qu'après règlement de celle de la CRCAM PACA, créancier de premier rang, ce qui suppose que le bien ait été adjugé à un prix au moins égal à la créance de la CRCAM PACA, plus de 94 000 € au vu des pièces produites aux débats, et à sa propre créance, ce qui n'est nullement acquis eu égard aux aléas qui entourent une vente aux enchères publiques dont le caractère fructueux dépend de facteurs multiples tels que la qualité des adjudicataires potentiels et de leur nombre à l'instant précis où le bien est mis en vente comme de l'éventuelle concurrence que constituent les autres biens mis en vente le même jour ;
Qu'au-delà de l'incertitude des enchères, la Banque CHAIX n'apporte en outre aucun élément sur la valeur du bien, si ce n'est pour se prévaloir d'un événement postérieur, la vente effective du bien 3 ans après le commandement de payer, et sans qu'une quelconque précision soit apportée sur la consistance du bien au moment de la vente, étant en effet rappelé que dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, la SCI LA CHARDONNERAIE avait précisé qu'il y avait un locataire, M. [N] qui réglait un loyer mensuel de 800 € ;
Que cette situation ne remet pas en cause pour autant le principe d'une perte de chance de recouvrer la créance dès lors qu'un créancier hypothécaire non ou partiellement réglé à l'issue d'une procédure de saisie immobilière peut toujours poursuivre, sous une autre forme, le règlement du solde de sa créance ;
Attendu que la chance perdue ne peut pas être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;
Que le préjudice issue de la perte de chance subie par la Banque CHAIX sera réparé par l'allocation d'une somme de 30.000 € ;
Que la Banque CHAIX est également fondée à solliciter une indemnisation correspondant aux frais de la saisie immobilière, qu'aurait normalement dû supporter la SCI LA CHARDONNERAIE, soit 16.396,94 €, la Banque CHAIX ne pouvant prétendre pour le surplus au remboursement d'honoraires versés à l'occasion de la procédure de saisie immobilière dont la mise en 'uvre n'est pas la conséquence de l'annulation du prêt ;
Qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions à l'exception de celle relative au quantum de la réparation allouée ;
Attendu qu'il n'y a lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt par défaut en considération des conditions d'assignation de M. [Z] [O] [L] et M. [T] [N], prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [B] [V] et M. [A] [P] au paiement de la somme de 15.904,21 i en réparation du préjudice subi,
Et statuant à nouveau,
Condamne M. [B] [V] et M. [A] [P] à payer à la Banque CHAIX une somme de quarante six mille trois cent quatre vingt seize euros et quatre vingt quatorze centimes (46.396,94 €) ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [B] [V] et M. [A] [P] aux dépens distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT