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12/02/2015 | FRANCE | N°13/13026

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 4e chambre a, 12 février 2015, 13/13026


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e chambre A



ARRÊT SUR RENVOI APRÈS CASSATION

DU 12 FÉVRIER 2015



N° 2015/65













Rôle N° 13/13026







LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES



C/





[A] [X] veuve [S]

[I] [S]

COMMUNE DE [Localité 2]





















Grosse délivrée

le :

à :

SCP BOISSONNET

SCP TOLLINCHI

Me MASSABIAU





















Sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 5 mars 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 299 F-D, lequel a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt n° 2 rendu le 9 janvier 2012 par la 4ème chambre section...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e chambre A

ARRÊT SUR RENVOI APRÈS CASSATION

DU 12 FÉVRIER 2015

N° 2015/65

Rôle N° 13/13026

LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES

C/

[A] [X] veuve [S]

[I] [S]

COMMUNE DE [Localité 2]

Grosse délivrée

le :

à :

SCP BOISSONNET

SCP TOLLINCHI

Me MASSABIAU

Sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 5 mars 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 299 F-D, lequel a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt n° 2 rendu le 9 janvier 2012 par la 4ème chambre section B de cette cour à l'encontre d'un jugement rendu le 5 mai 2010 par le tribunal de grande instance de Draguignan.

DEMANDERESSE A LA SAISINE APRÈS CASSATION ET APPELANTE

LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES (Service France Domaines)

en ses bureaux [Adresse 5]

représentée par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocats au barreau d'Aix-en-Provence

assistée par Me Ségolène TULOUP, avocat au barreau de Toulon, plaidant

DÉFENDEURS A LA SAISINE APRÈS CASSATION ET INTIMÉS

Madame [A] [X] veuve [S]

intervenante volontaire en qualité d'héritière de Monsieur [E] [S] décédé le [Date décès 2]

née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 1]

demeurant [Adresse 1]

Monsieur [I] [S]

intervenant volontaire pris en qualité d'héritier de Monsieur [E] [S] décédé le [Date décès 2]

né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 2]

représentés par la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocats au barreau d'Aix-en-Provence

assistés par Me Laurent CASANOVA, avocat au barreau de Draguignan, plaidant

LA COMMUNE DE [Localité 2]

représentée par son Maire en exercice

[Adresse 4]

représentée par Me Alain MASSABIAU, avocat au barreau de Draguignan assistée par Me Jean CAPIAUX, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Alain MASSABIAU, avocat au barreau de Draguignan, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 8 janvier 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Odile Mallet, présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Odile MALLET, président

Madame Hélène GIAMI, conseiller

Madame Muriel VASSAIL, vice-présidente placée

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie MASSOT.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 février 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 février 2015,

Signé par Madame Odile MALLET, président et Madame Sylvie MASSOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par délibération du 9 février 1998 le conseil municipal de la commune de [Localité 2] a approuvé la création d'une commission d'attribution des sous-traités d'exploitation des lots de plage et lancé une consultation préalable à l'attribution de ces sous-traités en intégrant dans leur périmètre l'immeuble dénommé [Adresse 3]. Par délibérations des 13 mai 1998 et 12 février 1998 le conseil municipal a attribué le lot n°[Cadastre 2] supportant l'immeuble [Adresse 3] à Monsieur [S] moyennant paiement d'une redevance d'occupation du domaine public.

Monsieur [E] [S] et son frère aujourd'hui décédé, [M] [S], qui s'estimaient propriétaires de l'[Adresse 3] et non simples occupants, ont demandé l'annulation de ces décisions.

Par arrêt du 8 septembre 2006 la cour administrative d'appel de Marseille a sursis à statuer sur leur recours jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir à qui appartient le bâtiment dénommé [Adresse 3] situé commune de [Localité 2].

Par acte du 20 novembre 2006 Monsieur [E] [S], qui a acquis les droits de son frère décédé, a assigné le préfet du Var et la commune de [Localité 2] pour entendre dire et juger qu'il a acquis, par l'effet de la prescription trentenaire, l'immeuble cadastré DP section CK n°[Cadastre 1].

Par jugement du 5 mai 2010 le tribunal de grande instance de Draguignan l'a déclaré propriétaire par usucapion du bâtiment dénommé [Adresse 3] situé sur la plage de [Localité 2].

Par arrêt du 9 janvier 2012 , sur appel interjeté par le trésorier payeur général du Var, agissant au nom et pour le compte de l'Etat, la 4ème chambre B de cette cour a :

débouté Monsieur [E] [S] de sa demande tendant à être déclaré propriétaire de l'immeuble cadastré DP section CK n°[Cadastre 1] de la commune de [Localité 2], faisant partie du domaine de l'Etat,

condamné Monsieur [S] à payer au trésorier payeur général du Var agissant pour le compte de l'Etat une somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté la demande de la commune de [Localité 2],

condamné Monsieur [S] aux dépens de première instance et d'appel.

Par arrêt du 5 mars 2013 la troisième chambre civile de la cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt du 9 janvier 2012 et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix en Provence autrement composée au motif

qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Monsieur [S] soutenant rapporter la preuve, prévue à l'article 553 du code civil, de ce que l'Etat n'était pas propriétaire de la construction revendiquée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

Le trésorier payeur général du Var représenté par le directeur général des finances publiques et le directeur départemental des finances publiques ont saisi la cour de renvoi le 21 juin 2013.

Madame [A] [X] veuve [S] et Monsieur [I] [S] (les consorts [S]) sont intervenus volontairement à l'instance en leur qualité d'héritiers de [E] [S], décédé le [Date décès 1] 2013.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 janvier 2015.

POSITION DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions déposées le 6 janvier 2015 la direction départementale des finances publiques, service France Domaines, demande à la cour, au visa des articles 552, 553, 2229 et suivants du code civil :

de révoquer l'ordonnance de clôture du 6 janvier 2015,

de réformer le jugement du 5 mai 2010,

de débouter les consorts [S] de l'intégralité de leurs demandes,

de dire et juger que Monsieur [S] (et ses auteurs) n'a pu prescrire, ne disposant que d'un titre d'occupation précaire dont il connaissait nécessairement les limites, ne justifiant ni d'une possession trentenaire, ni d'une possession continue, ni d'une possession non équivoque,

de dire et juger que Monsieur [S] n'est propriétaire de la partie de bâtiment dénommé [Adresse 3], éventuellement construite par lui-même que jusqu'à l'expiration sans renouvellement de son titre d'occupation de la parcelle cadastrée DP section CK n°[Cadastre 1] située plage de [Localité 2], à l'issue duquel le bâtiment devra, sur demande de l'Etat, être démoli aux frais du pétitionnaire, l'assiette du bâtiment dépendant du domaine public maritime de l'Etat,

de condamner les consorts [S] aux entiers dépens et à lui payer une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 14 octobre 2014 la commune de [Localité 2] demande à la cour au visa des articles 552, 553, 2229 et suivants, 2262 et suivants du code civil, 455 du code de procédure civile :

de réformer le jugement du 5 mai 2010,

de débouter les consorts [S] de leurs demandes,

d'accueillir la direction départementale des finances publiques en ses demandes.

Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe le 7 janvier 2015 les consorts [S] demandent à la cour :

de révoquer l'ordonnance de clôture et admettre leurs dernières écritures, à défaut, d'écarter des débats les écritures tardives du service France Domaines,

de les accueillir en leur reprise d'instance en qualité d'ayants droit de [E] [S],

de relever que la cour administrative d'appel de Marseille a dit que le sol sur lequel l'immeuble [Adresse 3] a été bâti et reconstruit ne faisait pas partie du domaine public de l'Etat pour avoir été exondé avant guerre et pour ne pas avoir reçu d'occupation qui l'aurait attrait dans le domaine public de l'Etat,

de constater en conséquence que l'immeuble [Adresse 3] se trouvait sur le domaine privé de l'Etat jusqu'au moment où il a été incorporé en 1980 dans le domaine public par application de la loi de 1963,

de relever en conséquence que l'immeuble [Adresse 3] pouvait donc être l'objet d'une appropriation privée comme l'a envisagé la cour administrative d'appel dans son arrêt définitif,

de dire et juger que l'appropriation privée de l'immeuble [Adresse 3] résulte de ce que cet immeuble a été édifié par Madame [C] [H] veuve [W] avant guerre et que cette appropriation privée a été reconnue par l'Etat à de multiples reprises à raison de l'indemnisation pour dommages de guerre qui lui a été allouée pour la reconstruction de l'élévation de l'immeuble, ensuite par la reconstruction de cet immeuble qui a été faite par sa fille donataire sur les fondations d'origine, et ce, conformément au permis de reconstruction accordé par l'Etat, ensuite encore par l'acte de donation et les actes de ventes successifs et notamment l'acte authentique des 6 et 9 avril 1959 publié à la conservation des hypothèques,

de dire et juger que [E] et [M] [S] ont acquis la propriété privée de l'immeuble [Adresse 3] par une chaîne ininterrompue d'actes de cession de propriété, le dernier qui était à leur profit ayant au surplus été consacré judiciairement,

à titre infiniment subsidiaire,

de dire et juger que les frères [S] ont acquis la propriété de l'immeuble [Adresse 3] par voie d'usucapion tant pour eux-mêmes au titre de la prescription abrégée de l'article 2265 du code civil que pour eux-mêmes et leurs auteurs au titre de la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil,

dans tous les cas, d'accueillir l'exception de faux quant aux arrêtés d'occupation du domaine public maritime qui n'existaient pas et les écarter,

de dire et juger que l'Etat ne saurait y substituer des dispositions relatives au domaine privé qui n'a jamais existé,

de répondre à la question préjudicielle posée par la cour administrative d'appel de Marseille quant à la propriété de l'immeuble [Adresse 3] et dire que [E] [S] en est devenu propriétaire pour moitié avec son frère puis en totalité après avoir acquis les droits indivis de son frère [M],

de condamner l'Etat et la ville de [Localité 2] aux entiers dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* sur l'incident de procédure

A la demande du service France Domaines et des consorts [S] et avec l'accord de la commune de [Localité 2] l'ordonnance de clôture prononcée le 6 janvier 2015 a été révoquée, les conclusions ultérieures intégrées à la procédure, et la clôture prononcée à l'audience, avant tout débat.

* sur la reprise d'instance

Madame [X] veuve [S] et Monsieur [I] [S] seront déclarés recevables en leur reprise d'instance en leur qualité d'héritiers de [E] [S], décédé le [Date décès 1] 2013.

* sur l'action en revendication

Aux termes de l'article 553 du code civil toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur, sont présumées faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir si le contraire n'est prouvé.

Cet article édicte une présomption qui peut être combattue en rapportant la preuve, par titre ou par l'effet de la prescription acquisitive, d'un droit de propriété.

Le bâtiment [Adresse 3] a été édifié en 1954 sur les fondations d'un précédent bâtiment édifié aux environs de l'année 1924 sur une portion de la plage de [Localité 2] qui avait été exondée postérieurement à la délimitation du domaine public maritime opérée par décret du 26 août 1883 de sorte que la parcelle en cause dépendait du domaine privé de l'Etat. Cette parcelle est entrée dans le domaine public à la suite de l'arrêté préfectoral du 10 octobre 1980 pris par application de la loi du 28 novembre 1963.

Les consorts [S] revendiquent la propriété du bâtiment dénommé [Adresse 3] en se prévalant à la fois d'une chaîne ininterrompue d'actes de cession de propriété, de l'usucapion, et subsidiairement de la prescription abrégée.

- les titres

Suivant acte sous seings privés du 24 juin 1965 les époux [V]/[R], après avoir rappelé qu'ils avaient assigné la succession de [Q] [T] ainsi que les administrateur et syndic à la faillite de ce dernier devant le tribunal de grande instance de Draguignan pour voir prononcer la résolution de la vente du 7 mai 1964, ont cédé à [E] [S] et [M] [S], à concurrence de la moitié chacun tous leurs droits litigieux à l'encontre de qui de droit actuellement assigné par eux devant la tribunal de grande instance de Draguignan, sans exception aucune ni réserve, en tant que ces droits concernent l'ensemble des éléments vendus à Monsieur [T].

Cet acte contient la clause suivante :

'Le présent transport est fait sous condition suspensive du transfert au nom des consorts [S], ou de toute autre personne physique ou morale qu'ils pourraient se substituer, du droit à l'occupation du domaine public maritime devant être délivré par l'administration des [1]'.

Selon la convention du 7 mai 1964 dont la résolution a été irrévocablement prononcée, les époux [V]/[R] avaient vendu à [Q] [T] un ensemble de constructions d'un simple rez-de-chaussée à usage d'habitation, de bar restaurant, d'établissement de bains, terrasse, construit sur le territoire de la commune de [Localité 2], sur la plage, la jouissance du terrain à usage de skating, pergola et divers, le droit à la concession accordée par l'administration des domaines d'une partie du domaine public sur laquelle repose cette construction et ses agencements ainsi qu'il résulte d'un arrêté de Monsieur l'ingénieur des [1] en date du 21 octobre 1963, contenant le renouvellement et le transfert au nom de Monsieur [V] de l'autorisation accordée à Monsieur [B] [U] par arrêté du 15 décembre 1958, ainsi que le fonds de commerce d'établissement de bains, sports de plage, jeux divers, snack-bar, restaurant, vente d'articles de plage exploité à [Localité 2], sur la plage, sur une concession du domaine public, connu sous le nom d'[Adresse 3].

Suivant acte notarié des 15 et 27 décembre 1962 les époux [L]/[G] avaient vendu aux époux [V]/[R] la construction et le fonds de commerce tels que décrits dans l'acte du 7 mai 1964 et cédé le droit à la concession accordée par l'administration des domaines d'une partie du domaine public sur laquelle repose la construction et ses agencements ainsi qu'il résulte d'un arrêté de Monsieur l'ingénieur des [1] du Var en date du 15 décembre 1958.

Cet acte reproduit littéralement l'arrêté du 15 décembre 1958 intitulé 'occupation temporaire du domaine public maritime'.

Aux termes d'un acte notarié des 6 et 9 avril 1959 auquel sont intervenus les époux [D]/[H], qui ont renoncé à leur droit de retour et à une interdiction d'aliéner, les époux [B]/[W] avaient vendu aux époux [L]/[G] un ensemble de constructions d'un simple rez-de-chaussée à usage d'habitation, de bar restaurant d'établissement de bains, terrasse construit sur la plage de [Localité 2] sur un terrain appartenant au domaine maritime, la jouissance du terrain à usage de skating, pergola et divers ainsi que le droit à la concession accordée par l'administration des domaines au profit de Monsieur [B] d'une partie du domaine public sur laquelle repose la construction et ses agencements ainsi qu'il résulte d'un arrêté de Monsieur l'ingénieur en chef des [1] du Var en date du 15 décembre 1958.

Cet acte précisait en préambule que Madame [D] avait fait édifier des constructions sur un terrain appartenant à l'administration des domaines, que le terrain avait fait l'objet d'une concession amiable à son profit par arrêté du 24 octobre 1938 pour une durée expirant le 31 décembre 1942, que durant la guerre les constructions avaient été arasées par les troupes allemandes, qu'elle avait fait donation à sa fille, Madame [B], des indemnités de reconstruction et que cette dernière avait obtenu le renouvellement de la concession domaniale par arrêté du 15 avril 1954 pour une durée expirant le 31 décembre 1958 et avait fait reconstruire au cours de l'année 1954 un établissement balnéaire.

Cet acte précisait encore que Monsieur et Madame [L] seront propriétaires de la construction présentement vendue et du droit de concession du terrain, qu'ils ont une parfaite connaissance de la concession domaniale du sol sur lequel les constructions sont édifiées et qu'ils acquitteront des redevances à l'administration des domaines relativement aux concessions du terrain du domaine maritime.

Etait reproduit in extenso à l'acte l'arrêté du 15 décembre 1958.

Cet arrêté contient les articles suivants :

article 10 : l'autorisation à laquelle s'applique le présent arrêté est accordée à titre précaire et révocable sans indemnité à la première réquisition de l'administration conformément aux prescriptions de l'article 12 de l'arrêté du 3 août 1878,

article 12 : En cas de cessation de l'occupation le rétablissement des lieux dans leur état primitif par les soins et aux frais du permissionnaire pourra être exigé par l'ingénieur en chef sans préjudice des poursuites pour délit de grande voirie dans le cas où le permissionnaire ne déférerait pas aux injonctions qui lui seraient adressées.

Le titre des consorts [S], à savoir l'acte sous seings privés du 24 juin 1965 avait été conclu sous la condition suspensive du transfert à leur nom de l'autorisation d'occuper le domaine public maritime. Les titres de leurs auteurs mentionnent que les constructions litigieuses sont édifiées sur un terrain dépendant du domaine maritime et que l'occupation du sol résulte d'une concession. Ils reproduisent l'arrêté du 15 décembre 1958 qui stipule que le droit d'occupation du sol est purement précaire et qu'en cas de cessation de l'occupation, l'administration est en droit d'exiger la remise en état des lieux, c'est à dire la démolition de tous les ouvrages qui auraient pu y être édifiés.

Ces titres ne rapportent pas la preuve d'un droit de propriété, à savoir d'un droit de jouir et disposer de la chose de la manière la plus absolue. En effet dès lors qu'il résulte de la chaîne des titres que les constructions litigieuses ont été édifiées dans le cadre d'une concession n'accordant qu'un droit d'occupation précaire, révocable à tout moment, avec obligation pour l'occupant de remettre les lieux en état à la fin de l'occupation concédée et droit pour l'Etat, propriétaire du sol, d'exiger la démolition de tout ouvrage y édifié, le droit transmis aux consorts [S] ne saurait s'analyser comme un droit de propriété au sens de l'article 544 du code civil.

Le sol sur lequel l'[Adresse 3] a été édifié dépendait du domaine privé de l'Etat pour avoir été exondé jusqu'à son incorporation au domaine public par l'arrêté préfectoral du 10 octobre 1980. Si les titres contiennent la mention erronée que le sol de l'[Adresse 3] dépend du domaine public maritime, cette circonstance n'est pas de nature à influer sur la nature des droits qui ont été transmis aux consorts [S] par les titres dès lors que ceux-ci font tous référence, sans aucune ambiguïté, à un droit de concession et d'occupation précaire et révocable.

Par ailleurs, le versement par l'Etat d'indemnités de dommages de guerre à Madame [D], ou à sa fille, Madame [B], ne saurait contredire les titres et apporter le preuve d'un quelconque droit de propriété, de telles indemnités pouvant être versées à l'exploitant.

Enfin la circonstance que certains actes aient pu être publiés à la conservation des hypothèques ne saurait suffire à démontrer un quelconque droit de propriété, ni modifier la nature des droits transmis.

- la prescription trentenaire

Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Aux termes de l'article 2279 devenu l'article 2261 du code civil pour pouvoir prescrire il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. Enfin selon l'article 2235 devenu l'article 2265 du code civil pour compléter la prescription on peut joindre à sa possession celle de son auteur.

Dans le cas présent le bâtiment qui aurait été édifié en 1924 a été détruit par fait de guerre en 1944, il a été reconstruit en 1954. Le 10 octobre 1980 le sol sur lequel il se trouve implanté a été incorporé au domaine public maritime.

Il résulte de l'énoncé de cette chronologie que la possession alléguée a été interrompue pendant dix ans, soit de l'année 1944 à l'année 1954, qu'elle a repris son cours en 1954 jusqu'à l'année 1980, date à partir de laquelle le bien est devenu imprescriptible pour avoir été incorporé au domaine public maritime. Il en résulte que la possession continue a duré tout au plus 26 ans, de 1954 à 1980, soit moins de trente ans.

Les consorts [S] ne sont pas fondés à contester l'interruption de la possession au motif que cette interruption aurait été occasionnée par un fait de guerre et constituerait un cas de force majeure, notion étrangère au droit de la possession, alors qu'il est indéniable qu'en l'état de la destruction du premier bâtiment aucun acte de possession n'a pu être réalisé de 1944 à 1954.

En outre la possession alléguée est équivoque. En effet les consorts [S] savaient qu'ils n'occupaient pas les lieux à titre de propriétaires, mais en qualité de simples occupants à titre précaire, ainsi qu'en attestent non seulement les mentions portées dans les titres de leurs auteurs, mais encore les différents arrêtés de concession dont ils ont régulièrement sollicité le renouvellement. Cette absence de volonté de leur part de se comporter en propriétaire résultent encore des pièces suivantes :

une lettre du 8 juillet 1965 aux termes de laquelle ils ont sollicité de l'ingénieur des [1] l'obtention du transfert de la concession de la plage,

un courrier du 22 juillet 1960 par lequel ils ont demandé à la préfecture le renouvellement du bail en date du 26 mars 1966,

une requête du 13 juin 1974 selon laquelle ils rappelaient qu'ils bénéficiaient du droit d'occuper un établissement comportant un bar-restaurant, terrasse, pergola, et sollicitaient une minoration des redevances dues.

Leurs auteurs, en sollicitant des autorisations d'occupation temporaire du terrain de l'Etat n'avaient pas davantage possédé à titre de propriétaires mais pour le compte de l'Etat.

L'attribution d'une indemnité pour dommage de guerre à leur auteur, Madame [D], ne saurait valoir reconnaissance par l'Etat du droit de propriété de cette dernière sur le bâtiment détruit, dès lors qu'une telle indemnité peut parfaitement être versée à un simple exploitant.

Si les arrêtés antérieurs à l'année 1980 mentionnent de manière erronée que l'[Adresse 3] a été édifié sur le domaine public maritime, cette circonstance n'est de nature, ni à les qualifier de faux, ni à justifier qu'ils soient écartés des débats.

Les consorts [S] ne justifient donc pas d'une possession répondant aux caractéristiques exigées par l'article 2279 (2261) du code civil pendant une période de trente ans ininterrompue.

- sur la prescription abrégée

Selon l'article 2265 devenu l'article 2272 du code civil celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.

Les consorts [S] qui ne justifient pas d'un juste titre, ne sauraient se prévaloir de la prescription. En effet, ainsi qu'il a été vu ci-dessus leur titre et ceux de leurs auteurs ne portaient pas sur le transfert de propriété, au sens de l'article 544 du code civil, mais sur la cession d'un contrat de concession et d'occupation précaire.

En conséquence, les consorts [S] ne rapportant pas la preuve qu'ils ont acquis par titre ou prescription les ouvrages situés sur la plage de [Localité 2], le jugement sera infirmé et les consorts [S] seront déboutés de leur action en revendication.

Il sera simplement constaté que leur droit sur le bâtiment [Adresse 3] perdurera jusqu'à expiration sans renouvellement de leur titre d'occupation.

* sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens. Echouant devant la cour de renvoi les consorts [S] seront condamnés aux dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée et ne peuvent, de ce fait, prétendre au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile. A ce titre ils seront condamnés à payer à la direction départementale des finances publiques une somme de 5.000€.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu l'arrêt de la troisième chambre civile de la cour de cassation en date du 5 mars 2013,

Infirme le jugement déféré.

Statuant à nouveau,

Déclare recevables Madame [A] [X] veuve [S] et Monsieur [I] [S], héritiers de [E] [S], en leur intervention volontaire et reprise d'instance.

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les arrêtés préfectoraux d'occupation du domaine public concernant la plage de [Localité 2].

Déboute Monsieur et Madame [S] de leur action en revendication du bâtiment l'[Adresse 3] situé sur la plage de [Localité 2] (lot [Cadastre 2]).

Dit que le droit de Monsieur et Madame [S] sur le bâtiment [Adresse 3] perdurera jusqu'à expiration sans renouvellement de leur titre d'occupation.

Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute Monsieur et Madame [S] de leur demande et les condamne in solidum à payer à la direction départementale des finances publiques-service France Domaines, une somme de cinq mille euros (5.000,00 €).

Condamne in solidum Monsieur et Madame [S] en tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris ceux afférents à la décision cassée, et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

le greffier le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 4e chambre a
Numéro d'arrêt : 13/13026
Date de la décision : 12/02/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 4A, arrêt n°13/13026 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-12;13.13026 ?
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