COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 12 FEVRIER 2015
DT
N° 2015/71
Rôle N° 13/10919
[J] [T]
C/
[U] [A]
[B], [V] [I] épouse [A]
[P] [A]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Elie MUSACCHIA
Me David BERNARD
Décision déférée à la Cour :
Jugements du Tribunal de Grande Instance de DIGNE-LES-BAINS en date des 15 Janvier 2013 et 21 mai 2013 enregistrés au répertoire général sous le n° 11/01338.
APPELANT
Maître Bernard SIVAN
Avocat au Barreau de NICE
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 3]
représenté et assisté par Me David BERNARD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Monika MAHY-MA-SONGA, avocat plaidant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Madame [B], [V] [I] veuve [A]
née le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
assignée en intervention forcée
représentée et assistée par Me Elie MUSACCHIA, avocat plaidant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [P] [A]
née le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 3] ,
demeurant [Adresse 1]
prise en sa qualité d'héritière de Monsieur [U] [A].
assignée en intervention forcée
représentée et assistée par Me Elie MUSACCHIA, avocat plaidant au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Janvier 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Février 2015.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Février 2015,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
M. [U] [A] est propriétaire de diverses parcelles sur les communes de [Localité 1] et [Localité 2] qu'il a données à bail à ferme aux consorts [D] par acte du 6 décembre 2002, et notamment la parcelle A [Cadastre 4] sur laquelle se trouve une bergerie et une maison d'habitation à laquelle on accédait à la date du bail par un itinéraire empruntant le chemin de la source St Martin puis une servitude du 18 juin 1968 grevant la parcelle A [Cadastre 1] et enfin le chemin du Laurum qui longe la parcelle A [Cadastre 4] avec un aménagement en S au niveau de la parcelle A [Cadastre 2], avec l'autorisation du propriétaire de l'époque, afin de compenser l'abrupt du chemin à ce niveau-là .
Les époux [G] ont acquis la parcelle A [Cadastre 2] à [Localité 2], selon acte de vente du 11 juin 1999 et à partir de l'année 2000, ils ont interdit l=accès à la bergerie par le chemin de la source St Martin qui empiète sur leurs parcelles.
Les époux [G] ainsi que les locataires de M. [A] vont alors soutenir que le seul accès à la bergerie devrait désormais se faire par la « piste du gaz » située à [Localité 1] sur laquelle M. [A] bénéficierait d'une servitude légale, ajoutant que cette piste pouvait être rendue carrossable avec des aménagements.
M. [U] [A] a en fait signé le 30 mars 1976 une convention de servitude de passage donnant droit à Gaz de France d'établir à demeure sur la parcelle A [Cadastre 3] une canalisation et ses accessoires dans une bande de 8 m matérialisée sur le plan parcellaire déposé dans les communes intéressées.
Les époux [G] ayant déposé, en mai 2000, des blocs de béton sur une portion du chemin, la commune de Gattières les a assignés devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse qui va condamner ces derniers à enlever sous astreinte les blocs de béton par ordonnance du 28 juin 2000 puis leur interdire de barrer le chemin et ordonner à la commune d'y installer un système assurant l'accès uniquement aux véhicules de sécurité, le tout sous astreinte, par ordonnance du 20 juin 2001 sur appel de laquelle la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 27 juillet 2002, prononcé au contradictoire de messieurs [H] et [U] [A], a dit que le système de fermeture doit être placé dans la partie Nord Est de la propriété [G] dans la partie traversée par le tronçon sinueux et que les consorts [A] ne doivent pas en l'état des procédures recevoir de mécanisme d'ouverture de cette barrière, constatant l'absence de procédure d'expropriation en cours de la part de la commune ainsi que de procédure d'enclavement en cours de la part des consorts [A], en déclarant le juge des référés incompétent à connaître des questions relatives à l'état d'enclave de ces derniers.
Par exploit du 16 octobre 2002, la commune de Gattières a fait assigner les époux [G] en bornage du chemin communal de Laurun, devant le tribunal d'instance de Cagnes-sur-Mer qui va ordonner une expertise, sur la contestation de laquelle il a statué par plusieurs décisions avant d'homologuer le rapport [X] par jugement du 23 mars 2004.
Parallèlement, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse va être saisi à plusieurs reprises par les époux [G] aux fins de liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de la commune de Gattières.
Par exploit des 9 et 15 février 2005, Mme [M] et M. [F] ont fait assigner M. [U] [A] et son frère [H] [A], aux fins d=obtenir leur condamnation à prendre toutes dispositions pour leur assurer une voie carrossable leur permettant d=accéder à la parcelle A [Cadastre 4].
M. [U] [A] a alors confié la défense de ses intérêts à Me [T] qui interviendra d'août 2004 à janvier 2009, date à laquelle il sera dessaisi des affaires.
De nombreuses décisions vont être rendues au contradictoire des consorts [A], en référé ou au fond, en première instance et en appel, ainsi que par le juge de l'exécution saisi de demandes de liquidation d'astreinte ou en contestation de saisies pratiquées pour recouvrement des astreintes liquidées.
Le 7 septembre 2011, M. [U] [A] a fait assigner M. [J] [T] devant le tribunal de grande instance de Digne les Bains pour manquement à son devoir de conseil et de diligence et de compétence engageant sa responsabilité civile professionnelle en ce qu=il n=aurait pas engagé l=action juridiquement efficace.
Par jugement contradictoire en date du 15 janvier 2013, le tribunal de grande instance de Digne les Bains a :
- réservé le prononcé sur l=ensemble de la chose jugée jusqu=à l=issue de la réouverture des débats,
- ordonné la réouverture des débats et invité le demandeur M.[U] [A] à conclure formellement sur une éventuelle demande subsidiaire de condamnation en réparation formée à titre provisionnelle,
- réserve les dépens et les frais irrépétibles,
- renvoyé à l=audience du 19 février 2013,
- ordonné l=exécution provisoire de la décision.
Par jugement contradictoire en date du 21 mai 2013, le tribunal de grande instance de Digne les Bains a :
- retenu la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Digne-les-Bains pour connaître de la responsabilité civile d=un avocat au barreau de Nice,
- dit que la faute professionnelle de Me [J] [T] pour défaut de conseil et d=initiative est caractérisée et autorisé M [U] [A] à rechercher sa responsabilité civile professionnelle,
- constaté que cette faute professionnelle de Me [J] [T] était de nature à entraîner une perte de chance procédurale au préjudice de M. [U] [A],
- constaté que cette perte de chance procédurale se trouve caractérisée par un certain nombre d=éléments déjà acquis,
- constaté cependant que la procédure en désenclavement reste actuellement pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse,
- constaté s=il est définitivement démontré par l=issue de l=instance en cours la perte d=une chance procédurale de désenclavement, que cette faute professionnelle de Me [J] [T] est la cause directe du préjudice de pénalité financière supporté par M. [U] [A],
- rejeté la demande de sursis à statuer,
- dit qu=en l=état, l=ensemble des éléments examinés caractérise la faute professionnelle de l=avocat, son lien de causalité avec une perte de chance résultant des éléments déjà flagrants de l=instance en désenclavement pendante et son lien de causalité avec un préjudice réparable et chiffré,
- fait droit à la demande de condamnation provisionnelle à hauteur de 60.200 i et condamne Me [J] [T] à payer 60.200 i à M. [U] [A] à titre de provision sur l=indemnisation du préjudice résultant de sa faute professionnelle,
- condamné Me [J] [T] à payer à M. [U] [A] une somme de 3.500 i en application de l=article 700 du code de procédure civile,
- condamné Me [J] [T] à supporter les dépens de la procédure dont distraction au profit de Me RABANY conformément aux offres de droit,
- ordonné l=exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a considéré qu'il appartenait en premier lieu à Me [T] d'interpréter correctement l'arrêt du 8 juin 2004 et de conseiller utilement son client sur la forme procédurale régulière que devait prendre l'action en désenclavement qui n'avait nullement été désavouée par la cour et en second lieu, de prendre les initiatives utiles aux intérêts de son client et d'engager l'action civile applicable en matière d'enclave d'un fonds, à savoir l'action en désenclavement résultant des articles 682 et suivants du Code civil qui constitue en la matière l'action de droit commun, toutes autres solutions de fait ou de droit n'étant que subsidiaires ou dérivées de cette action naturelle.
La procédure de désenclavement étant pendante, le tribunal a fait droit à la demande de condamnation provisionnelle de M. [A] après avoir écarté la demande de sursis à statuer de Me [T] au motif que M. [A], âgé de 73 ans, a subi depuis plus de 10 ans des aléas judiciaires qui ont largement consommé sa ruine et ce en raison du caractère parfaitement inefficace des interventions de son conseil.
Par déclaration de Me David BERNARD, avocat, en date du 27 mai 2013, M. [J] [T] a relevé appel des jugements des 15 janvier 2013 et 21 mai 2013.
Suite au décès de M. [U] [A] en cours de procédure, Me [T] a fait délivrer dénonce d'actes avec assignation en intervention forcée à Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] par exploit du 29 août 2014.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 janvier 2015, M. [J] [T] demande à la cour d=appel de:
- vu les jugements rendus par le tribunal de grande instance de Digne-les-Bains les 15 janvier et 21 mai 2013 dont appel,
- vu les dispositions des articles 1147 et 1382 du code civil,
- réformer les jugements dont appel dans toutes leurs dispositions,
- débouter Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] de leur appel incident,
- constater que Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] n=apportent pas la triple démonstration nécessaire pour engager la responsabilité d=un professionnel du droit, d=une faute en lien de causalité direct et certain avec un préjudice né et certain, et non hypothétique et indéterminé,
- rejeter, en conséquence, toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à défaut, juger que la réparation du préjudice ne peut jamais être égale à l=avantage qu=aurait procuré la chance si elle s=était réalisée,
- à titre subsidiaire, surseoir à statuer dans l=attente que soit rendue une décision définitive dans le cadre de l=instance en désenclavement pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse,
- condamner reconventionnellement Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] à payer à Me [T] la somme de 10.000 i à titre de légitimes dommages intérêts pour procédure abusive, par application de l=article 1382 du code civil,
- condamner encore Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] à payer à Me [T] la somme de 10.000 i à titre de frais irrépétibles, par application des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- condamner reconventionnellement Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] aux entiers dépens, qui seront distraits au profit de la SCP BERNARD HUGUES JEANNIN PETIT, avocats postulants, sur leurs affirmations d=y avoir pourvu.
Me SIVAN, qui rappelle qu'il est de jurisprudence constante que l'appréciation de la faute du professionnel du droit se situe au moment où elle est commise, précise tout d'abord qu'il lui est reproché une absence d'initiative juridiquement efficace pour désenclaver les parcelles, une absence d'initiative pour faire reconnaître à la « piste du gaz » son simple statut de bande de servitude, des fautes de procédure et encore une absence d'initiative juridique pour contester devant le juge les saisies attributions effectuées abusivement à son encontre.
S'agissant de la procédure en désenclavement, il fait valoir que compte tenu de la multiplicité des démarches entreprises par les époux [A], avec le soutien et la participation de Me [T], auprès des autorités administratives compétentes, pour obtenir les autorisations nécessaires aux travaux d'aménagement destinés à permettre la desserte des lieux litigieux, la démarche juridique de Me [T] ne saurait apparaître, en dépit du nécessaire aléa judiciaire, manifestement vouée à l'échec. Il soutient surtout que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la cour d'appel n'a pas rejeté la demande en l'état de ce que l'ensemble des parties n'avait pas été mis en cause mais bien d'une difficulté relative à la preuve de l'état d'enclave. Il fait en outre observer que cette procédure, présentée aujourd'hui par Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] comme simple et évidente n'a pourtant toujours pas à ce jour abouti, quatre ans après son introduction devant le Tribunal de Grande Instance de GRASSE et que 7 décisions ont été rendues dans ce contentieux depuis son dessaisissement.
Sur le grief d'absence d'initiative pour faire reconnaître à la « piste du gaz » son simple statut de bande de servitude, Me [T] fait valoir qu'en l'état des décisions rendues, des avis mêmes de GRT GAZ, des entretiens avec la Commune, cette piste s'avérait non seulement possible mais en outre opportune et qu'il n'était donc pas question de saisir les juridictions pour qu'elles statuent sur la vocation de cette piste alors même qu'il avait été jugé qu'elle devait être suivie.
Sur le grief d'absence d'initiative juridique pour contester devant le juge les saisies attributions effectuées abusivement à son encontre, il fait valoir que les dernières conclusions de M. [A] ne vise qu'une saisie attribution du 24 mars 2009, date à laquelle il avait été dessaisi de ses intérêts.
Sur le grief des fautes de procédure, il fait valoir que la saisie inutile du Premier président en arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé du 4 mai 2005 n'a entraîné aucun préjudice à l'exception des dépens, que l'appel hors délai du jugement du juge de l'exécution de Grasse du 13 mars 2007 ne lui est pas imputable et qu'en tout état de cause Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] ne démontrent pas que M. [A] aurait perdu une chance sérieuse d'obtenir réformation de cette décision et enfin qu'il n'a aucune responsabilité dans la saisine prématurée du juge de l'exécution de Grasse ayant conduit au jugement du 10 avril 2007, le montant des frais constituant en tout état de cause le seul préjudice.
À titre subsidiaire, Me [T] demande qu'il soit sursis à statuer dans l'attente que soient rendues des décisions définitives dans l'instance en désenclavement pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse.
Par conclusions aux fins de reprise d'instance, déposées et notifiées le 14 janvier 2015, Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] demandent à la cour d=appel, au visa des dispositions de l=article 1147 du code civil, de :
- juger que Me [J] [T] a manqué à son devoir de conseil, de diligence et de compétence,
- juger que Me [J] [T] a engagé sa responsabilité civile professionnelle,
- confirmer les jugements rendus les 15 janvier et 21 mai 2013 par le tribunal de grande instance de Digne les Bains,
- débouter Me [J] [T] de son appel, fins et conclusions,
- recevoir Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] en leur appel incident,
- condamner Me [J] [T] à payer à Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :
- au titre du préjudice découlant des astreintes de 500 euros fixés par les jugements en date des 31 octobre 2006 et 13 mars 2007, 40.992,15 i,
- au titre du préjudice découlant des astreintes de 500 euros par jour du jugement du 02 juin 2009, 96.000 i,
- au titre du préjudice lié à la résiliation anticipée du bail rural : perte de 60 mois de loyers à 320,14 euros, 19.208,40 i,
- au titre du préjudice lié à la non jouissance et à la perte de valeur de la parcelle A 908 à [Adresse 4], pour mémoire,
- soit au total, sauf mémoire, la somme de 156.200,55 i, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 janvier 2010,
Subsidiairement,
- confirmer en toutes ses dispositions les jugements rendus les 15 janvier et 21 mai 2013 par le tribunal de grande instance de Digne-les- Bains,
- condamner en conséquence Me [J] [T] à verser à Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] une indemnité provisionnelle de 60.200 i dans l'attente de la décision à intervenir se prononçant au fond sur le désenclavement,
En tout état de cause,
- condamner Me [T] à verser à Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] la somme de 10.000 i en vertu des dispositions de l=article 700 du code de procédure civile,
- condamner Me [J] [T] aux entiers dépens, ceux d=appel distraits au profit de Me Elie MUSACCHIA, avocat aux offres de droit.
Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] reprochent à Me [T] de ne pas avoir engagé la procédure de désenclavement, précisant que Me [C], avocat spécialisé en droit immobilier rural que M. [A] avait consulté en 2005, avait préconisé en juillet 2005 la mise en 'uvre d'une telle procédure avec reconnaissance d'un chemin d'exploitation que Me [T] lui avait toutefois déconseillée d'engager par mail du 5 septembre 2005 pour privilégier la procédure administrative en précisant que le meilleur système restait de surveiller l'évolution des déclarations d'utilité publique devant déboucher sur le classement du chemin.
S'agissant de la piste du gaz qui constituait pour les époux [G] comme pour les locataires l'accès naturel pour desservir la bergerie, Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] reprochent à Me [T] de ne pas avoir appelé en cause GDF alors que cette piste constitue une bande de servitude au profit exclusif de GDF de même que la commune de [Localité 1] et que c'est ce qu'a précisément retenu le juge des référés dans une ordonnance du 17 juin 2009, ce qui a finalement été fait par exploit en date du 19 novembre 2009 puis par ordonnance du juge de la mise en état du 1er juillet 2010. Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] précisent qu'au vu des conclusions de l'expert, grâce à la procédure en désenclavement engagé par son nouveau conseil, le chemin de la source St Martin devrait être rétabli comme étant la seule voie d'accès possible pour permettre de desservir les fonds [A].
Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] font également valoir que la condamnation sous astreinte prononcée au profit des locataires de M. [A] tant que ceux ci ne disposeraient pas d'un accès carrossable n'est que la résultante de l'inaction juridique de Me [T], le tribunal ayant retenu que la procédure de désenclavement n'a été engagée que le 16 février 2009 alors que l'astreinte courait depuis le 5 février 2008.
Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] soutiennent encore que l'absence d'initiative a contribué à la mise en 'uvre d'une procédure d'insalubrité de la bergerie à l'encontre du bailleur et que les fautes de procédure leur ont causé un préjudice et ont
contribué à complexifier une affaire qui l'était déjà grandement. Elles précisent enfin qu'il a fallu attendre le nouveau conseil de M. [A] pour que les saisies attribution diligentées contre lui fassent enfin l'objet d'une contestation et qu'il obtienne gain de cause.
Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] précisent enfin que leur préjudice correspond au montant des astreintes liquidées par la faute de Me [T]
L=instruction de l=affaire a été déclarée close le 15 janvier 2015.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que les consorts [A] reprochent à Me [T] une absence d'initiative juridiquement efficace pour désenclaver les parcelles en se prévalant notamment de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 8 juin 2004 qui sur la procédure de désenclavement engagée par ce dernier, dit qu'aucune mesure d'expertise ne peut être ordonnée dans la mesure où M. [A] n'a pas assigné tous les propriétaires des fonds susceptibles d'être concernés ;
Mais attendu qu'aux termes de cette décision, la cour d'appel ne s'est nullement prononcée sur l'état d'enclave, relevant simplement que la bergerie est effectivement enclavée si elle n'a pas d'autre accès suffisant, ce qui ne constitue qu'un rappel de la définition de l'enclave, ajoutant que c'est vraisemblable mais non certain ;
Qu'elle relève en outre que l'attestation du maire de [Localité 1] est loin d'établir l'enclave tandis que celle du chef de centre d'incendie contredit l'état d'enclave ;
Qu'il ne saurait être ainsi tiré argument de l'arrêt du 8 juin 2004 pour faire grief à Me [T] de ne pas avoir permis le désenclavement des parcelles au seul motif que celui-ci n'aurait pas fait assigner tous les propriétaires concernés ;
Attendu qu'il résulte au contraire des termes de l'arrêt du 8 juin 2004 que le désenclavement par des fonds privés, ce qui suppose alors l'assignation de tous les propriétaires concernés, ne constituait qu'une option pour la cour d'appel qui précise en effet que si les consorts [A] sont réellement enclavés, ceux-ci bénéficient d'une autre option, à savoir solliciter l'élargissement du chemin rural en s'adressant à la commune et non pas seulement aux propriétaires des fonds riverains ;
Qu'aux termes de cette décision, la cour d'appel rappelle d'ailleurs que la commune a la charge de fixer l'assiette du chemin en suivant régulièrement les procédures applicables et en conciliant au mieux les intérêts opposés des propriétaires riverains et des usagers ;
Que la décision prise alors de se tourner vers la commune n'était donc pas en soi critiquable, d'autant que comme le rappelle Me [T], la commune de Carros avait initié une procédure d'expropriation et il était par ailleurs envisagé l'incorporation dans la catégorie des chemins ruraux du chemin dit « Le Laurum » ;
Que dans ses courriers des 12 et 26 juillet 2005, Me [C] lui-même envisage les deux options, précisant notamment dans le premier qu'il était fait allusion à un accès qualifié parfois de chemin d'exploitation et constatant dans le second que la cour n'a pas été saisie expressément d'une demande de qualification du chemin qui traverse la propriété de la partie adverse au niveau des deux virages ; que consulté à nouveau en 2008, soit après le dessaisissement de Me [T], Me [C] préconisait de tenter de faire casser le bail pour cause de force majeure « car il n'est pas possible semble-t-il de faire désenclaver le fond » ;
Que s'il envisage également une nouvelle saisine du tribunal de grande instance afin de désenclavement dans son courrier du 5 mai 2008, Me [C] ajoute « mais cela sera naturellement extrêmement long », inconvénient auquel faisait référence Me [T] pour privilégier l'option administrative après l'arrêt du 8 juin 2004 ; que la procédure de désenclavement engagée après le dessaisissement de Me [T] est d'ailleurs toujours en cours, option que Me [C] ne privilégiait d'ailleurs toujours pas dans son courrier du 1er juillet 2008, en précisant « il convient de faire désenclaver, à moins qu'il n'y ait un chemin d'exploitation » ;
Que les consorts [A] ne peuvent de même tirer argument du fait que Me [T] aurait privilégié l'option administrative au regard du coût d'une procédure de désenclavement en soutenant que cette procédure aurait coûté guère plus de 3000 €, alors que les frais d'assignation de tous les propriétaires concernés, plus de 80, peuvent être évalués à plus de 50 000 € auxquels il faut ajouter la consignation au titre de l'expertise, voire en cas d'échec le coût de l'expertise elle-même toujours élevé en cette matière, les frais de signification de la décision rendue, outre les honoraires de l'avocat ;
Attendu que s'agissant de la piste du gaz, dont la lecture de la convention révèle que M. [A] ne bénéficiait pas de la servitude mais l'avait concédé, le juge des référés, avant même la saisine de Me [T], avait condamné par ordonnance du 14 janvier 2004 les consorts [A] sous astreinte en considérant que ceux-ci bénéficiaient d'une servitude légale sur cette piste avant, par une ordonnance du 30 juin 2004, de les condamner une nouvelle fois sous astreinte à rétablir le libre accès sur cette piste ; que par ordonnance du 4 mai 2005, en présence à ce moment-là de Gaz de France, le juge des référés retenait, en considérant encore une fois que M. [A] bénéficiait sur cette piste du gaz d'une servitude légale, qu'il n'est pas démontré que celle-ci ne peut pas être carrossable avec des aménagements, en évitant de passer au-dessus du gazoduc, ce que n'interdit pas GDF ;
Que confronté à cette décision, exécutoire de plein droit, qui avait au moins le mérite d'imposer une option moins longue et moins coûteuse qu'une procédure en désenclavement, Me [T] a formulé des demandes d'autorisation de travaux auquel la mairie a refusé de faire droit tandis que la recherche d'une solution technique alternative recevait un avis défavorable de GDF ;
Que pour autant, par arrêt confirmatif du 28 mars 2006 sur appel de l'ordonnance du 4 mai 2005, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a considéré que M. [A] ne justifiait pas de l'impossibilité technique, administrative ou juridique de réaliser une voie d'accès au fonds de ses locataires et qu'il ressortait des pièces communiquées que des aménagements de peu d'importance suffiraient à rendre praticable un chemin de desserte ;
Qu'en l'état de ces décisions, l'option administrative restait donc d'actualité et elle le restera jusqu'à l'avis défavorable du commissaire enquêteur intervenu le 18 janvier 2007, date à partir de laquelle Me [T] tentait alors, fort des décisions rendues, de réactiver l'option piste du gaz en envisageant à nouveau la réalisation de travaux auxquels la commune s'opposera une nouvelle fois le 8 janvier 2008 ; qu'il est relevé sur ce point que l'avis défavorable du commissaire enquêteur est motivé par le fait que la piste du gaz n'a pas fait l'objet d'une étude sérieuse de la part des communes ;
Que par jugement du 5 janvier 2010, soit postérieurement au dessaisissement de Me [T], le tribunal de grande instance de Grasse a finalement considéré que les caractéristiques de la canalisation faisaient obstacle à la circulation sur la bande des 8 m, décision confirmée le 6 février 2012 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Attendu que les consorts [A], qui ont donné à bail des parcelles dont ils admettent eux-mêmes qu'elles étaient pourtant enclavées, ne peuvent par ailleurs soutenir que la mise en 'uvre d'une procédure de désenclavement aurait de façon certaine fait échec aux demandes de liquidation d'astreinte dont il est rappelé qu'elles ont été prononcées par des décisions rendues avant la saisine de Me [T] ; qu'il est également rappelé que la procédure de désenclavement qui a donné lieu à un débouté confirmé par l'arrêt du 8 juin 2004, a été mise en 'uvre par exploit du 29 juin 2001, soit bien avant la saisine de Me [T] ;
Que de la même façon, les saisies attributions pratiquées en vertu des décisions du juge de l'exécution liquidant les astreintes, qui n'ont aucun caractère abusif, ne peuvent être reprochées à Me [T] ; qu'il n'est à aucun moment démontré qu'en l'état des décisions évoquées ci-dessus, qui privilégient la piste du gaz ou considèrent qu'il appartient à la commune de fixer l'assiette du chemin rural en conciliant au mieux les intérêts des propriétaires riverains, la mise en oeuvre d'une procédure de désenclavement aurait fait échec à la liquidation des astreintes ;
Attendu que les consorts [A] invoquent enfin des fautes de procédure ; qu'ils reprochent d'abord à Me [T] la saisine du premier président aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire alors que s'agissant d'une exécution provisoire de plein droit, il fallait également démontrer une violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du code de procédure civile ; qu'il n'est toutefois pas démontré que sans cette faute, qui en outre ne remet pas en cause le principe même de la saisine du premier président, M. [A] eût obtenu gain de cause ;
Que s'agissant de l'appel du jugement du juge de l'exécution en date du 13 mars 2007 effectué hors délai, M. [A] ne démontre pas qu'il a perdu une chance sérieuse de voir la cour d'appel réformer cette décision ; que s'agissant de la procédure engagée devant le juge de l'exécution alors que le jugement du 12 juillet 2005 qui fonde sa saisine avait été frappé d'appel Me [T] argue à bon droit de ce que M. [A] n'a subi aucun préjudice, à l'exception des dépens ;
Attendu que l'appréciation de la faute du professionnel du droit, tenu d'une obligation de moyen caractérisée en cette matière par le caractère incertain de l'activité qu'il s'engage à déployer, se situe au moment où elle est commise ;
Qu'en considération des éléments développés ci-dessus, et sans qu'il soit besoin d'attendre l'issue de la procédure de désenclavement en cours, le jugement du tribunal de grande instance de Digne en date du 21 mai 2013 doit être infirmé en toutes ses dispositions et les consorts [A] déboutés de toutes leurs demandes ;
Attendu que l'abus de procédure invoqué par M. [J] [T] n'est pas caractérisé ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Digne en date du 21 mai 2013 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à sursoir à statuer ;
Déboute Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] de toutes leurs demandes ;
Déboute M. [J] [T] de sa demande de dommages intérêts ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] à payer à M. [J] [T] une somme de 2000 € ;
Condamne Mlle [P] [A] et Mme [B] [I] veuve [A] solidairement aux dépens distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT