COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 15 JANVIER 2015
No 2015/38
Rôle No 14/05885
SAS WATSON BROWN
C/
ADMINISTRATION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE MARSEILLE
Grosse délivrée
le :
à :
ME FOUCAULT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal d'Instance de MARSEILLE en date du 28 Mars 2007 enregistré au répertoire général sous le no 06/3073.
Arrêt de la Cour de Cassation du 04 Février 2014.
APPELANTE
SAS WATSON BROWN, prise en la personne de son représentant légal en exercice,
demeurant Centre Tertiaire les Trois Ponts - 30 Rue de l'hermitte - 59378 DUNKERQUE
représentée par Me Fabien FOUCAULT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
ADMINISTRATION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE MARSEILLE,
demeurant 48 Avenue Robert Schuman - 13222 MARSEILLE CEDEX 2
comparante en personne, représentée par M.DUGOURG Eric, agent poursuivant, muni d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Décembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Catherine COLENO, Présidente de Chambre a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre
Mme Anne CAMUGLI, Conseiller
M. Jean-Jacques BAUDINO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anaïs ROMINGER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Janvier 2015
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Janvier 2015,
Signé par Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre et Mme Anaïs ROMINGER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La SAS WATSON BROWN a entreposé dans le magasin aire de dédouanement temporaire MADT des cigarettes en provenance de Tunisie destinées à être exportées vers l'Algérie.
Ces cigarettes devaient être transférées vers le MADT d'une autre société la société TIM Spécialities. Elles ont été volées le 23 décembre 2003 alors qu'elles étaient en cours de transfert vers son MADT par la société TIM Spécialities.
Ce vol a fait naître une dette douanière à l'importation et le 24 janvier 2005 l'administration des douanes a émis un avis de mise en recouvrement pour un montant total de 1.461.492 se décomposant ainsi
192.960 euros au titre de droits de douane
287.567 euros au titre de la TVA
972.000 euros au titre du droit de consommation sur les tabacs manufacturés
8.965 euros au titre de la taxe BAPSA euros.
Par jugement du 28 mars 2007 le tribunal d'instance de Marseille a rejeté les contestations de la SAS WATSON BROWN et considéré que celle ci était toujours responsable des marchandises volées puisque les formalités d'entrée dans un autre magasin ou aire de dédouanement temporaire n'avaient pas été accomplies, et que le vol ne pouvait être assimilé à une perte ou destruction constitutive de force majeure.
La SAS WATSON BROWN a relevé appel de cette décision par acte du 16 avril 2007.
Par arrêt du 16 décembre 2010 la cour d'appel a réformé partiellement, la décision déférée,
fait droit à la demande de dégrèvement de la SAS WATSON BROWN à hauteur de 294.284 euros et limité l'exécution de l'avis de recouvrement du 24 janvier 2005 à la somme de 1.167.208 euros.
La cour a considéré qu'il n'y avait pas transfert de responsabilité vers la société TIM Spécialities en l'absence de formalités d'entrée dans le second magasin et a refait les comptes en considérant que les droits de consommation n'étaient pas dus sur 260 cartouches de cigarettes saisies dans le cadre de l'enquête.
Par arrêt du 4 février 2014 la cour de cassation au visa de l'article 1148 du code civil a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'exonération du droit de la consommation sur le fondement de la force majeure.
La cour a relevé que le droit de consommation ne relève pas du code des douanes communautaire d'ou procède la règle selon laquelle le vol a pour effet de remettre les marchandises initialement soumise à un régime suspensif dans le circuit commercial et ne constitue pas un cas de force majeure exonératoire..
la SAS WATSON BROWN a saisi la cour d'AIX cour de renvoi le 12 mars 2014.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS WATSON BROWN demande à la cour d'annuler partiellement l' avis de mise en recouvrement, de la dégrever du droit de consommation de 972.000 euros et de condamner l'administration régionale des Douanes à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
Elle rappelle que le vol est un cas de force majeure quand il présente les caractéristiques d'imprévisibilité et d'irrésistibilité
Elle rappelle qu'en l'espèce le chauffeur a été victime d'un véritable guet apens, qu'une surveillance particulière du convoi avait été demandée, que le trajet emprunté était court , que le chauffeur a été forcé de s'arrêter par des malfaiteurs qui lui ont coupé la route, l'ont menotté et séquestré dans la fourgonnette et que le vol a eu lieu dans la gare d'Arenc qui est un endroit sécurisé bénéficiant d'une surveillance renforcée.
L'administration des douanes conclut au rejet de la demande de dégrèvement.
Elle soutient que la SAS WATSON BROWN ne prouve aucun événement présentant les caractéristiques de la force majeure.
Elle fait valoir que le vol constitue une mise à la consommation certes irrégulière mais qui rend exigibles les droits, que la SAS WATSON BROWN est tenue de ce droit comme elle est tenue des droits douaniers, et que les éléments dont se prévaut la SAS WATSON BROWN concernent des précautions prises au départ et à l'arrivée mais pas pendant le trajet durant lequel aucune précaution n'a été prise pour protéger le chauffeur
MOTIFS DE LA DECISION
Le litige ne porte plus que sur le droit de consommation réclamés pour un montant de 972.000 euros.
L'article 206 du code des douanes prévoit au titre des faits exonératoire de la dette douanière la destruction totale ou la perte irrémédiable de la marchandise pour une cause dépendant de la nature même de la marchandise ou par suite d'un cas fortuit ou de force majeure.
La jurisprudence telle qu'elle résulte de l'arrêt de la cour de justice des communautés européennes du 5 octobre 1983 exclut de ces causes exonératoires le vol qui laisse présumer que la marchandise passe dans le circuit commercial de la communauté.
Il n'en demeure pas moins que l'article 206 du code des douanes communautaire ne trouve à s'appliquer que pour une dette douanière susceptible de naître en application des articles 202 et 204 du code des douanes communautaires ce qui n'est pas le cas du droit de consommation qui est institué par le code général des impôts et le livre des procédures fiscales et non par les textes douaniers.
Le vol ne saurait donc faire l'objet d'une exclusion de principe des causes d'exonération, et il convient de rechercher si en l'espèce le vol intervenu revêt les caractéristiques de la force majeure exonératoire telles que prévues à l'article 1148 du code civil.
Les faits se sont produits le 22 décembre 2003 vers 9 h du matin en cours de transfert entre les deux magasins MAD. Il résulte de l'enquête préliminaire que le chauffeur avec sa cargaison venait de franchir les grilles de la gare d'Arenc pour y pénétrer.
Le camion a été contraint de s'arrêter par deux véhicules qui lui ont barré le passage. Un des malfaiteurs cagoulé a pénétré dans le fourgon, sous la menace de son arme il a contraint le chauffeur a quitter la gare et à prendre l'autoroute, suivi par les deux véhicules,.
Le chauffeur menotté a ensuite été entraîné dans l'un de ces véhicules tandis que les voleurs s'emparaient de la remorque contenant les cigarettes, puis après tout un périple le chauffeur était libéré sur un bas coté.
Il résulte des pièces du dossier que la société WATSON BROWN et la société TIM avait demandé une surveillance particulière de ce container aux responsables de la sécurité du port de Marseille, que les services de sécurité du port ont également été informés (pièces 13, 14 et 15) et qu'enfin la société TIM avait demandé une surveillance spéciale de ses locaux de la gare d'Arenc pendant le week end
Aucun incident n'a été relevé sur le trajet d'une distance de 2,9 km entre la grille du Port Autonome de Marseille (quai de la Pinède et la gare d'Arenc,) ce qui démontre qu'il n'y a eu aucune défaillance de surveillance durant le trajet.
Le vol a eu lieu dans l'enceinte de la gare d'Arenc qui est un endroit sécurisé disposant d'un poste de sécurité et qui est protégé par la police ferroviaire.
La circonstance de guet apens, au sein d'une enceinte spécialement sécurisée, l'usage d'arme, le fait que le chauffeur ait été menotté et séquestré constituent des circonstances à l'égard desquelles la société WATSON BROWN ne pouvait prendre aucune mesure préventive efficace et à l'encontre desquelles il n'était pas possible de résister, ce qui caractérise l'imprévisibilité et l'irrésistibilité de l'événement qui constitue dès lors un cas de force majeure exonératoire.
En conséquence la décision déférée sera infirmée en ce qui concerne les droits de consommation, et la demande de dégrèvement à ce titre de la société WATSON BROWN sera accueillie.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
la Cour statuant contradictoirement
Réforme la décision déférée, et accueille la demande de dégrèvement de la société WATSON BROWN pour la somme de 972.000 euros au titre du droit de consommation,
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT