COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
6e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 02 DECEMBRE 2014
N° 2014/566
Rôle N° 13/17939
[T] [P] épouse [V]
[C] [P]
[J] [P]
[F] [P]
C/
[G] [E]
[Q] [Q] [X] veuve [P]
Grosse délivrée
le :
à :SCP BADIE SIMON THIBAUD JUSSTON
SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE
MINISTERE PUBLIC
+ 2 Copies
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 01 Juillet 2013 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 10/03373.
APPELANTS
Madame [T] [P] épouse [V]
née le [Date naissance 5] 1955 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Catherine FONTAN-ISSALENE, avocat au barreau de TOULON
Monsieur [C] [P]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 4]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Catherine FONTAN-ISSALENE, avocat au barreau de TOULON
Monsieur [J] [P]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 4]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Catherine FONTAN-ISSALENE, avocat au barreau de TOULON
Monsieur [F] [P]
né le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6] (SLOVAQUIE)
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Catherine FONTAN-ISSALENE, avocat au barreau de TOULON
INTIMEES
Madame [E] [G] ès-qualités de curatrice de Mme [X] Veuve [P]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE
Madame [Q] [Q] [X] veuve [P]
née le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Octobre 2014 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Nathalie VAUCHERET, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Dominique RICARD, Président
Madame Nathalie VAUCHERET, Conseiller
M. Benoît PERSYN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Marie-Sol ROBINET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2014..
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2014.
Signé par M. Dominique RICARD, Président et Madame Marie-Sol ROBINET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement rendu le 1er juillet 2013 par le tribunal de grande instance de Toulon sous le numéro 10/003373,
Vu l'appel interjeté le 4 septembre 2013 par [F] [P], [T] [P] épouse [V], [C] [P] et FrédéricVincent,
Vu les conclusions des appelants notifiées par le RPVA le 20 juin 2014,
Vu les conclusions de [Q] [X] veuve [P] assistée de [G] [E], sa curatrice, intimée, notifiées par le RPVA le 14 janvier 2014,
Vu l'avis du ministère public du 11 juin 2014,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 octobre 2014,
EXPOSE DU LITIGE
[A] [P], né le [Date naissance 1] 1925 à [Localité 1], décédé le [Date décès 1] 2010 à [Localité 3] à l'âge de 85 ans, avait épousé, le [Date mariage 1] 2002 à [Localité 7], [Q] [X], née le [Date naissance 4] 1975, fille de [M] [X] et de [N], [U] [Z] [K].
Cette dernière a été la troisième épouse de feu [A] [P], tous deux s'étant mariés le [Date mariage 2] 1984 et ayant divorcé par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 13 décembre 2000, alors que l'enfant [Q] [Q], née d'une précédente union, était âgée de 25 ans.
Par acte du 21 mai 2010, [F] [P], [T] [P] épouse [V], [C] [P] et [M][P] ont fait assigner [Q] [X] veuve [P] aux fins de voir prononcer, sur le fondement de l'article 161 du code civil, l'annulation de son mariage avec leur père et beau-père .
Par jugement du 1er juillet 2013, le tribunal de grande instance de Toulon :
-a débouté les consorts [P] de leur demande en annulation de mariage,
-les a solidairement condamnés à payer à [Q] [X] veuve [P] 5000 € de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil, outre 1500 € sur le fondement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [P] ont formé, le 4 septembre 2013, appel contre cette décision.
Ils concluent à son infirmation et demandent à la cour de prononcer l'annulation du mariage célébré le 12, janvier 2002 devant l'officier d'Etat civil de [Localité 7] et de condamner [Q] [X] à leur verser la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que c'est en parfaite méconnaissance de l'article 161 du code civil que les premiers juges ont considéré qu'il n'y avait pas empêchement à mariage puisque, selon les termes mêmes de cet article, le mariage est prohibé en ligne directe entre tous les ascendants et descendants 'et les alliés dans la même ligne'.
[Q] [X], assistée de sa curatrice, formant appel incident, demande à la cour de porter à 10 000 € le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués en première instance, de confirmer pour le surplus la décision déférée et de condamner les appelants à la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles.
Elle se prévaut de l'arrêt rendu le 13 septembre 2005 par la cour européenne des droits de l'homme ayant condamné le Royaume-Uni pour atteinte excessive au droit au mariage et considère que la violation des dispositions de l'article 161 du code civil peut être ici admise.
En réplique, les appelants font observer, d'une part, que l'arrêt de la cour européenne des droits de l'homme concerne une situation très différente de celle soumise à la cour, d'autre part, que si la cour de cassation a, le 4 décembre 2013, jugé, dans un arrêt versé aux débats par le procureur général, qu'il n'y avait pas lieu à annulation, il s'agissait là encore d'une situation différente, enfin, que [Q] [X] n'avait que neuf ans quand sa mère a épousé leur père aujourd'hui décédé.
Le Procureur Général considère que l'annulation du mariage présenterait une 'ingérence injustifiée dans l'exercice du droit de l'intimée au respect de sa vie privée et familiale'.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon les dispositions de l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme, 'à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit'.
Conformément à l'article 161 du code civil, 'en ligne directe le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne'.
Le doit au mariage est donc, selon les termes mêmes de la Convention, régi par les lois nationales.
Pourtant, dans une affaire jugée le 13 septembre 2005 (n°36536/02, B et C contre Royaume-Uni), la cour européenne des droits de l'homme a considéré que si la prohibition à mariage existant en droit anglais entre un beau-père et son ex-bru était justifiée par des finalités légitimes -sauvegarder l'homogénéité des familles et assurer la protection des enfants- cet empêchement avait, en l'espèce, abouti à une violation de l'article 12 de la Convention.
La cour de Strasbourg a en effet jugé que, dans la mesure où cette prohibition n'avait pas permis d'éviter que l'enfant né de l'union de sa mère, ex-bru du requérant et du fils de celui-ci, vive depuis plusieurs années au foyer familial avec son grand- père paternel, nouveau compagnon de sa mère et cette dernière, divorcée de son père, cela signifiait que l'intérêt de l'enfant ne pouvait justifier, en l'espèce, la prohibition et qu'il y avait donc eu violation de l'article 12 de la Convention.
C'est donc, une situation de fait, l'existence de relations 'incestuelles' ayant brouillé les repères générationnels d'un enfant, qui a justifié la décision de la CEDH.
Dans une affaire jugée par la 1ère chambre civile le 4 décembre 2013, la cour de cassation a considéré que l'annulation du mariage de la mère d'une enfant avec le grand-père paternel de celle-ci revêtait, à l'égard de la nouvelle épouse du grand-père c'est-à-dire à l'égard de la mère de l'enfant, le caractère d'une ingérence injustifiée dans l'exercice de son droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans.
La présente affaire ne concerne pas l'union d'une bru et de son beau-père mais celle d'une femme et de l'ex-époux de sa mère, laquelle est toujours en vie.
Il est donc demandé à la cour de dire si l'annulation de ce mariage entre alliés en ligne directe, demande que les premiers juges ont rejeté par des motifs erronés, serait, ainsi que le soutient le parquet général, une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit de l'intimée au respect de sa vie privée et familiale.
[Q] [X] veuve [P], majeure protégée, avait neuf ans quand feu [A] [P] a épousé, en troisième noces, sa mère. Elle avait 25 ans lorsque tous deux ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l'a épousée.
Considérant, d'une part, que l'intimée a vécu, alors qu'elle était mineure durant neuf années avec celui qu'elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu'elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique, d'autre part, que son union avec feu [A] [P] n'avait duré que huit années lorsque les consorts [P] ont saisi les premiers juges aux fins d'annulation de celle-ci, enfin, qu'aucun enfant n'est né de cette union prohibée, la cour infirme le jugement entrepris et annule le mariage célébré le [Date mariage 1] 2002 à [Localité 7].
L'intimée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Elle est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne peut dès lors prospérer.
L'équité et la situation économique de l'intimée ne commandent pas d'allouer aux appelants une quelconque somme au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour
Statuant publiquement contradictoirement après débats en chambre du conseil
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Prononce l'annulation du mariage célébré le [Date mariage 1] 2002 à [Localité 7] entre [A] [P], né le [Date naissance 1] 1925 à [Localité 1], décédé le [Date décès 1] 2010 à [Localité 3] et [Q] [X], née le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 6],
Dit que la présente décision sera transmise au ministère public pour transcription sur les actes d'état civil.
Déboute [Q] [X] veuve [P] de sa demande de dommages et intérêts,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [Q] [X] veuve [P] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,Le Président,