COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 21 NOVEMBRE 2014
N° 2014/
Rôle N° 13/12418
[E] [W]
C/
SELAFA MJA
Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT
CGEA - ILE DE FRANCE OUEST
Grosse délivrée
le :
à :
Me Michel FRUCTUS
Me Arnaud CLERC
Me Cyril MICHEL
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section I - en date du 29 Mai 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1449.
APPELANT
Monsieur [E] [W], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
SELAFA MJA, représentée par Me [D] [Z],mandataire liquidateur de la Société NORMED, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS
Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTAT, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Septembre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre
Madame Christine LORENZINI, Conseiller
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Priscille LAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2014.
Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure :
Monsieur [E] [W] a été employé par la société CHANTIERS NAVALS de LA CIOTAT (CNC) devenue SA CHANTIERS DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE (NORMED), sur le site de [Localité 2], en qualité de traceur coque du 20 janvier 1971 au 11 septembre 1979.
Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 1] (FD), Chantiers Navals de [Localité 2] (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA CHANTIERS DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE ( NORMED) a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître Girard puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [Z], en qualité de mandataire liquidateur.
Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.
Le 6 avril 2011, Monsieur [E] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille, pour réclamer la réparation de ses préjudices d'anxiété et de trouble dans ses conditions d'existence, subis du fait de son exposition à l'amiante.
Le syndicat Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat est intervenu volontairement à l'instance.
Le CGEA - AGS de l'Ile de France Ouest a été appelé en la cause.
Par jugement de départage du 29 mai 2013, le conseil de prud'hommes de Marseille a :
- dit le conseil de prud'hommes compétent pour trancher le litige
- rejeté les exceptions d'incompétence
- dit que l'intervention volontaire du syndicat Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat serait traitée dans le dossier de Monsieur [P] [S]
- constaté que Monsieur [E] [W] a quitté l'entreprise avant la création de la NORMED
- constaté que le traité d'apport partiel d'actif prévoit formellement l'application de l'article L 122-12 du code du travail, devenu l'article L 1224-1 du code du travail, comme condition du transfert des contrats de travail et des obligations liées aux contrats de travail
- constaté qu'il ne résulte pas du traité d'apport partiel d'actif que la SPCN a repris les obligations contractées par la CNC ou toute autre entreprise du site envers ses anciens salariés
- constaté que Monsieur [E] [W] n'a jamais été salarié de la NORMED
- débouté celui-ci de l'ensemble de ses demandes
- mis le CGEA de l'Ile de France Ouest hors de cause
- dit le salarié non fondé en sa demande au titre des frais irrépétibles
- laissé les dépens à la charge de celui-ci.
Monsieur [E] [W] a relevé appel de cette décision le 14 juin 2013.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, soutenant pour l'essentiel que la NORMED a manqué à son obligation de sécurité de résultat en l'exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, dispersées en permanence sur l'ensemble du site et contaminant tous les salariés, dont le personnel administratif, en omettant de l'informer des risques liés à cette exposition et de lui fournir les moyens de protection nécessaires, violant ainsi la réglementation applicable dont le décret du 17 août 1977, qu'il est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice autonome d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave, qui ne lui a été révélé qu'à partir de l'interdiction de l'amiante en 1997 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé la NORMED parmi 'les établissements amiante' mais dont le fait générateur se situe au cours de l'exécution du contrat de travail et du préjudice découlant du non respect de l'obligation générale de sécurité de résultat, subi tout au long de l'exécution du contrat de travail jusqu'à l'expiration de celui-ci, que ses actions ne sont donc pas prescrites, que l'irrévocabilité de l'état des créances ne peut lui être opposé, s'agissant de créances indemnitaires, et que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, Monsieur [E] [W] qui ne maintient pas en cause d'appel sa prétention distincte en réparation d'un préjudice lié au bouleversement de ses conditions d'existence, demande à la Cour de :
- dire son action recevable et fondée
- réformer le jugement entrepris,
- fixer au passif de la NORMED une créance de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation par celle-ci de son obligation de sécurité de résultat, ainsi que celle de 15 000 euros en indemnisation du préjudice autonome d'anxiété
- déclarer le jugement opposable au CGEA qui devra faire l'avance des sommes conformément aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail
- condamner le liquidateur de la NORMED, ès qualités, à lui payer une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- le condamner aux dépens.
Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux instances inscrites au rôle, Maître [Z] ès qualités et le CGEA demandent à la cour, à titre liminaire de :
- se déclarer incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale en ce qui concerne les salariés ayant bénéficié de l'ACAATA,
- déclarer irrecevables les actions des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998,
- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985, non contesté en temps utile,
- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 ( date de l'Assemblée Générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la NORMED,
- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la NORMED, moyen sans objet en l'espèce,
- déclarer prescrites les demandes concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale,
- débouter certains salariés dont l'emploi ne figure pas à l'arrêté du 7 juillet 2000,
- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté ACAATA, que les salariés n'apportent pas la preuve d'avoir eu connaissance de cet arrêté avant l'ouverture de la procédure collective de la société, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie.
Ils concluent sur le fond à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demandent à la cour de :
- prendre acte du désistement par les salariés de leurs demandes au titre du préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence,
- en toute hypothèse, les débouter de cette demande, le préjudice allégué n'étant pas établi,
- ne pas retenir à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat de plein droit, non conforme aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de la séparation des pouvoirs,
- à titre principal, rejeter la demande relative au préjudice d'anxiété aux motifs d'une part, que les intimés ne rapportent pas la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, à tout le moins d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice et, d'autre part, que l'article 1150 du code civil limite l'indemnisation en matière contractuelle au seul dommage prévisible,
- à titre subsidiaire, dire que les créances revendiquées qui sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective en 1986 ne sont pas opposable à l'AGS, les salariés ne démontrant pas avoir eu connaissance des dangers de l'amiante avant l'arrêté ministériel d'inscription de la NORMED sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA,
- à titre plus subsidiaire, réduire les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués, faire application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale et de celles relatives à l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ces intérêts n'ayant pu courir avant une mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil.
Dans ses écritures développées oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, et faisant valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, ce qui a nécessairement causé un préjudice aux intérêts collectifs de l'ensemble de la profession, l'Union Locale CGT de La Ciotat demande à la cour de la recevoir en son intervention volontaire, conformément à l'article L 2132-3 du code du travail et de fixer sa créance indemnitaire à la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice matériel et moral et de condamner Maître [Z], liquidateur, à lui payer une indemnité de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Maître [Z], ès qualités, et le CGEA, reprenant verbalement à l'audience leurs conclusions écrites ont sollicité, à titre principal, le rejet des demandes de l'Union Locale CGT de La Ciotat au motif que les indemnités réclamées par celle-ci ne constituaient pas des sommes dues en exécution du contrat de travail et ce en application des articles L 3253-6 et suivants du code du travail, à titre subsidiaire, que la garantie du CGEA soit limitée, conformément aux dispositions légales, aux seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens de l'article L 143-11-1 ancien du code du travail, avec arrêt des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective, conformément à l'article L 622-28 du code de commerce, en toutes hypothèses, que les dépens et les frais de l'instance ne soient pas mis à leur charge.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera référé à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Il convient de donner acte à Monsieur [E] [W] de ce qu'il ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence.
Sur l'exception d'incompétence
Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
En l'espèce, que Monsieur [E] [W] ait ou non bénéficié du dispositif prév par
l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, information qui ne résulte pas du dossier, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice lié à son exposition à l'amiante est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice du dispositif susvisé, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, ne sont contestés, le litige relève effectivement de compétence de la juridiction prud'homale. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les fins de non-recevoir
Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 :
L'article 41 de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions.
Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.
Monsieur [E] [W], dont il a été vu supra qu'il n'est pas établi qu'il ait été bénéficiaire de ce dispositif, est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, et, à le supposer distinct, d'un préjudice résultant de la seule violation par l'employeur de son obligation de résultat lesquels n'étant pas de nature économique, ne sont pas indemnisés au titre de l'ACAATA.
La décision sera confirmée en ce sens.
Sur l'irrecevabilité tirée du caractère irrévocable de l'état des créances :
Il résulte de l'article L.625-125 al.2 ancien du code de commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévue à l'alinéa précédent.
Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, et à le supposer distinct, d'un préjudice résultant de la seule violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, est différente de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.
Cette fin de non recevoir, nouvelle en cause d'appel, sera rejetée.
Sur l'absence de contrat de travail avec la NORMED :
Le traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNC et la société SPCN (devenue la NORMED) stipule, en préambule que : ' CNC apporte à SPCN (...) les éléments actifs et passifs constituant à la date du 1er janvier 1982, sa branche complète et autonome d'activité division navale ' et que 'conformément à la faculté offerte par l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966, l'apport est placé sous le régime juridique des scissions'.
Selon l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 dans sa rédaction alors applicable, la société qui apporte son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles 382 à 386.
Il résulte des articles 385 et 386 de cette loi que les sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission sont débitrices solidaires des obligataires et des créanciers non obligataires de la société scindée au lieu et place de celle-ci sans que cette substitution emporte novation à leur égard, mais que - par dérogation à ces dispositions, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mises à la charge respective et sans solidarité entre elles.
En l'espèce, il est prévu au traité :
' - passif pris en charge :
(...) une provision libre pour risques d'exploitation et éventualités diverses (...) couvrant notamment des charges non comptabilisées pouvant se révéler après le 1er janvier 1982,(...)
- charges et conditions :
(...) les éléments du passif de CNC relatifs à la branche d'activité apportée, tels que définis précédemment, seront transmis à SPCN qui les prendra en charge aux lieu et place de CNC sans qu'il en résulte de novation à l'égard des créanciers.
Il est à cet égard précisé (...) que s'il venait à se révéler ultérieurement une différence en plus ou en moins entre le passif pris en charge par SPCN au 1er janvier 1982 et les sommes effectivement réclamées par des tiers et concernant l'activité apportée, y compris celles qui seraient générées par des faits antérieurs au 1er janvier 1982, SPCN serait tenue d'acquitter tout excédent de passif et profiterait de toute réduction de passif, sans recours ni revendication possible de part et d'autre. Ce qui précède s'entend aussi bien pour les éléments d'activités existant au 1er janvier 1982 que pour les éléments soldés au cours des exercices antérieurs. (...)
SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du Code du Travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée (...)
SPCN aura tout pouvoir pour intenter ou suivre aux lieu et place de la société apporteuse toutes actions judiciaires relatives à l'activité apporté et en assumera les conséquences financières (...).'
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les actions en responsabilité nées des contrats de travail conclus dans la branche d'activité division navale, même rompus avant la date de prise d'effet du traité, sont justement dirigées à l'encontre de la NORMED.
En l'espèce, bien que le contrat de travail ait pris fin le 17 septembre 1979, soit antérieurement à la date d'effet du traité d'apport partiel d'actif et pendant la période d'exposition telle que retenue par l'arrêté de classement ( 1946 à 1989), l'action du salarié est recevable.
Le jugement sera infirmé à ce titre.
Sur la prescription
En application des dispositions des articles 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action personnelle ou mobilière ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.
En l'espèce, quelle que soit la date de fin de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant la société NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.
Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le fond :
Sur le préjudice d'anxiété :
En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.
Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.
Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.
Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvrier'. En l'état de ces dispositions, le dommage allégué par le salarié n'était pas imprévisible, pour l'employeur, lors de la conclusion du contrat de travail.
L'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Elle n'est donc pas contraire aux dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et au principe de la séparation des pouvoirs.
En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 14 septembre 2009 par la société MALAKOFF MEDERIC agissant en qualité de gestionnaire des archives de la NORMED que Monsieur [E] [W] a travaillé sur le site de la NORMED à [Localité 2] du 20 janvier 1971 au 11 septembre 1979 et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de traceur coque.
Les sociétés CHANTIERS NAVALS DE LA CIOTAT (CNC) / CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000.
Le poste occupé par Monsieur [E] [W] est l'un de ceux visés à cet arrêté.
Le salarié produit notamment aux débats :
- des attestations d'anciens salariés faisant état de la présence massive de poussières d'amiante sur l'ensemble du site et de l'insuffisance des mesures de protection et d'information du personnel ;
- le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise de la société CNC en date du 11 avril 1978 rapportant les interrogations des salariés sur les conséquences de la diffusion des poussières d'amiante sur le site de [Localité 2], ainsi que la réponse de l'employeur : ' il y a tout de même des nécessités techniques qui nous amènent à utiliser certains produits, par exemple l'amiante, qui ne peuvent être remplacés par d'autres, moins nocifs', réponse qui, selon lui, ne permet pas de considérer que celui-ci avait pris les mesures propres à faire cesser le dommage alors même que les membres du comité insistaient pour qu'une information sur le sujet soit donné à l'ensemble du personnel et affirmaient que le stockage de ces matériaux n'était pas hermétique.
Par conséquent le salarié a été exposé au risque de développer une pathologie liée à l'amiante et se trouve- de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.
Soutenant que l'employeur a pris toutes les mesures de protection nécessaires et n'a commis aucune faute, compte tenu des règles alors applicables, et se prévalant des arrêts du Conseil d'état en date du 3 mars 2004 qui ont reconnu la responsabilité de l'Etat pour ses carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, le liquidateur et l'AGS versent principalement aux débats, dans leur dossier commun soumis à la cour :
- des extraits des procès-verbaux des réunions du C.H.S. de la CNIM établissement de La Seyne-sur-Mer, tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr [J], qui avait préconisé, en sus du port du masque, de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, s'est entendu répondre : 'les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller' ;
- le rapport 1977 de ce C.H.S., daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : 'usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du Médecin d'Usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969" ;
- le rapport 1978 indiquant que l'activité du C.H.S au cours de l'année a porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle ont été distribués et que des actions collectives de prévention ont été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne mentionnant pas l'amiante au titre des dangers de maladies d'origine professionnelle ;
- des extraits des bilans 1980, 1981 et 1982, mentionnant les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux ;
- un compte-rendu d'analyses établi par la CRAM du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisée sur les chantiers de la CNIM à [Localité 3] contient un taux d'amiante inférieur à 2% et préconisant certaines mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques) ;
- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail, datée du 22 octobre 1981, indiquant que 'ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite', mais 'seulement que le dosage précis n'a pas été effectué', 'qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées', et qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières;
- un document de la CGT daté de septembre 1982, formulant plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invitant ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...) ;
- un document manuscrit sous forme de 'questions-réponses', daté du 23 février 1982, dans lequel il est indiqué, au titre 'aspiration (soudeurs) changements de roulements', que 'ceux-ci sont souvent à changer du fait que cette aspiration marche en permanence' ;
- les lettres adressées par la Caisse Régionale d'Assurance Maladie du Sud-Est au directeur de la Normed et au secrétaire du C.H.S établissement de [Localité 3], le 17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposent plus puisque l'amiante n'est plus utilisé sur ce site, mais que les salariés qui ont été antérieurement exposés au risque et qui sont encore présents dans l'entreprise peuvent bénéficier d'une surveillance complémentaire par le Médecin du travail ;
- l'extrait d'un rapport établi par Mme [M] au mois d'avril 2005 et intitulé 'les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise' ;
- l'arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 15 novembre 1985, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai en date du 15 juin 2004 ayant confirmé l'ordonnance de non-lieu du chef d'homicide et blessures par imprudence dans le cadre d'une procédure concernant la société Sollac-Dunkerque, et rapportant les déclarations du médecin salarié des Chantiers de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante.
Les éléments produits par le liquidateur, qui sont sérieusement contredits par ceux versés par le salarié et qui ne démontrent pas que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires sur le site de [Localité 2] pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 (prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale) ni n'établissent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l''employeur, ne sont pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.
Le salarié est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété et la période à prendre en considération est sa durée totale d'emploi, conformément au traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNC et la société SPCN (devenue la NORMED).
Compte tenu des circonstances de l'espèce, (fonctions occupées et durée d'exposition au risque en l'absence d'un quelconque autre élément), ce préjudice spécifique sera justement réparé par une somme de 5 000 euros.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé et la NORMED sera dite responsable du préjudice d'anxiété subi par le salarié et une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de cette société.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat :
Le salarié soutient encore que le manquement de la NORMED à son obligation de sécurité de résultat telle que résultant des dispositions du décret du 17 août 1977, et qui vient d'être examiné supra, lui a nécessairement causé un préjudice.
Il sera objecté que l'indemnisation au titre du préjudice d'anxiété, d'ores et déjà allouée sur le fondement du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.
Monsieur [E] [W], qui ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé ci-dessus, sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts résultant du manquement formel de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
Sur l'intervention de l'Union Locale des syndicats CGT de LA CIOTAT :
Aux termes de l'article L.2132-3 du code du travail, les syndicats peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
En l'espèce, les manquements de la NORMED ci-dessus caractérisés ont nécessairement causé un préjudice aux intérêts collectifs de la profession représentée par le syndicat CGT.
Il sera alloué à l'Union Locale des syndicats CGT de La Ciotat la somme de 100 € à titre de dommages et intérêts.
Sur la garantie de l'AGS :
En application des dispositions des articles L.3253-6 et L. 3253-8 1 ° du code du travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire .
Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque crée par l'amiante, est constitué par l'ensemble des troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par le salarié.
En l'espèce, le préjudice d'anxiété subi par le salarié est né à la date à laquelle il a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale de la NORMED sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, ladite société ayant été placée en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989.
Dès lors, l'AGS ne peut être tenue à garantie et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
Il y a lieu d'allouer, au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, la somme de 200 euros au salarié et celle de 100 € à l'Union Locale CGT, et ce à la charge de la NORMED.
Les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en matière prud'homale et par arrêt contradictoire,
DONNE ACTE à Monsieur [E] [W] de ce qu'il ne maintient pas ne cause d'appel sa demande d'indemnisation d'un préjudice distinct lié au bouleversement de ses conditions d'existence.
INFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille du 29 mai 2013, sauf en ses dispositions relatives à la compétence de la juridiction prud'homale et à la garantie du CGEA.
STATUANT de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE la fin de non recevoir tirée de l'irrévocabilité de l'état des créances.
FIXE la créance de Monsieur [E] [W] au passif de la liquidation judiciaire de la société NORMED aux sommes suivantes : 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, incluant le préjudice lié au bouleversement dans ses conditions d'existence, et 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.
FIXE la créance de l'Union Locale CGT de LA CIOTAT au passif de la liquidation judiciaire de la société NORMED aux sommes suivantes : 100 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.2132-3 du code du travail et 100 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
DIT que ces créances ne sont pas garanties par l'AGS,
DEBOUTE Monsieur [E] [W] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice qui résulterait de la seule violation par la NORMED de son obligation de sécurité de résultat.
DIT que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT