COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 20 NOVEMBRE 2014
N° 2014/ 468
Rôle N° 13/21112
SA GROUPE CARNIVOR
C/
GROUPE BATIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC)
Grosse délivrée
le :
à :
Me M. MOATTI
Me O. QUESNEAU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 17 Septembre 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00086.
APPELANTE
SA GROUPE CARNIVOR
immatricuéle au RCS de [Localité 3] sous le n° 391 671 708,
Maison de la boucherie [Adresse 2] ( France)
représentée et plaidant par Me Michel MOATTI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SASU GROUPE BATIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC) venant aux droits SAS GINGER BATIMENT
immatriculée au RCS d'[Localité 1] sous le n° 409 494 135
[Adresse 1]
représentée par Me Olivier QUESNEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Florence PIASEK, avocate au barreau d'AVIGNON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-François BANCAL, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Jean-François BANCAL, Président (rédacteur)
Madame Patricia TOURNIER, Conseillère
Mme Marie-José DURAND, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2014,
Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige :
En vertu d'un protocole du 6 juin 2008 la société GROUPE CARNIVOR a chargé la société GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC) d'une mission d'assistance à la conception d'un parc logistique à réaliser sur un terrain de [Localité 2].
Par acte sous seing privé du 28 janvier 2010, intitulé « Contrat de construction », CARNIVOR a ensuite confié à GBCC, la réalisation d'un ensemble d'études et de travaux pour la construction de 6 bâtiments logistiques d'une SHON totale de 218057m² sur le terrain objet de l'étude précédente, moyennant un prix global de 81 771 375€ HT, à régler en plusieurs échéances, dont la première de 1 000 000 € HT soit 1196000€ TTC (correspondant à 1,22% du prix total) , intitulée : « Etudes au dépôt du permis de construire ».
Le permis a ainsi été déposé le jour de la signature du contrat de construction pour une SHON de 218 140 m², au nom de la SCI BOUSSARD SUD, propriétaire du terrain.
Le 26.2.2010, la société GBCC a d'abord émis une première facture au nom de la SCI BOUSSARD SUD pour un montant de 1 196 000€ T.T.C., correspondant à la première échéance.
Puis, elle a annulé cette facture par un avoir et le 25.8.2011 a adressé une facture de 1 196 000€ établie ce jour là à l'ordre de la société GROUPE CARNIVOR.
Cette facture n'ayant pas été réglée, GBCC a ,par assignation en date du 10 novembre 2011,saisi le juge des référés du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE, pour obtenir une provision.
CARNIVOR s'est opposée à cette demande en arguant d'une contestation sérieuse et par ordonnance du 14.2.2010 le juge des référés du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE s'est déclaré incompétent.
Par acte du 15 décembre 2011, la S.A. GROUPE CARNIVOR avait fait assigner au fond GBCC devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence aux fins de voir prononcer la nullité du contrat de construction (pour dol et dépassement d'objet social) et d'obtenir, au surplus, l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 2.520.853€ en invoquant notamment le fait que son cocontractant l'avait trompé pour avoir présenté la société GECINA, comme investisseur immobilier dans cette opération, alors que 5 semaines après la conclusion du contrat de construction, soit le 3.3.2010, cette société annonçait publiquement son retrait du secteur de l'immobilier logistique.
Par jugement rendu le 17 septembre 2013, le Tribunal de Grand Instance d'AIX EN PROVENCE a :
- rejeté toutes les demandes de la SA GROUPE CARNIVOR,
- condamné la SA GROUPE CARNIVOR à payer à la SAS GINGER BÂTIMENT Conception et Construction :
** 1 196 000,00 €, avec intérêts de 11,5 % à compter du 28 juillet 2011,
** 1500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 29.10.2013, la SA GROUPE CARNIVOR interjetait appel.
Par ordonnance du 6.2.2014, le conseiller de la mise en état a rejeté les demandes formulées par GBCC aux fins de voir ordonner l'exécution provisoire du jugement déféré et de fixation prioritaire de l'affaire.
**
Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées déposées et signifiées le 2.9.2014 la SA GROUPE CARNIVOR demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1108, 1116, 1131 et 1134 et suivants du Code Civil
Vu les pièces versées aux débats,
REFORMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
A TITRE PRINCIPAL,
PRONONCER la nullité sur le fondement du dol du contrat en date du 10 janvier 2010, ou à défaut des dispositions y contenues concernant la clause sur le paiement de la première échéance, intitulée « études au dépôt du permis de construire » fixée à la somme forfaitaire de 1 000 000 € H.T.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
PRONONCER la nullité des dispositions contractuelles sur le paiement de la première échéance du contrat, pour défaut de cause.
DIRE ET JUGER que GBCC ne rapporte pas la preuve de la bonne et parfaite réalisation des prestations correspondant à l'échéance N° l du contrat du 28 janvier 2010 intitulée « études au dépôt du permis de construire », objet de sa facture impayée.
En tout état de cause,
DIRE et JUGER que GBCC a eu un comportement fautif à l'égard de CARNIVOR en la privant d'informations essentielles de nature à éclairer son partenaire sur les intentions réelles de GECINA et les conséquences en découlant sur la suite du projet.
En conséquence,
CONDAMNER la Société Groupe Bâtiment Conception et Construction (GBCC) anciennement dénommée GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION à payer la somme de 2 750 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
DÉBOUTER GBCC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE
DIRE ET JUGER que les sommes qui pourraient être mises à la charge de la Société Groupe CARNIVOR au titre de la première échéance du contrat en date du 10 janvier 2010, seront assorties des pénalités prévues dans la facture correspondant en date du 25 août 2011 qui mentionne expressément l'application d'un taux égal à 1 fois et demi le taux d'intérêt légal, après l'envoi d'une mise en demeure non suivie d'effet.
En toute hypothèse,
DÉBOUTER GBCC de toutes ses demandes fins et conclusions.
CONDAMNER GROUPE BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC) anciennement dénommée GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION à payer à la société Groupe CARNIVOR, la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens,
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Par dernières conclusions avec bordereau de pièces communiquées déposées et signifiées le 18.9.2014 la société GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC) demande à la cour de :
Vu les articles 1134, 1382 du Code Civil,
Vu l'article L 441-6 du Code de commerce,
Vu l'article 559 du Code de procédure civile,
Vu les pièces visées au bordereau annexé,
- Débouter la société GROUPE CARNIVOR de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence dont appel, dans toutes ses dispositions,
- Condamner la société GROUPE CARNIVOR à payer à la société GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire,
- Condamner la société GROUPE CARNIVOR à payer à la société GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société GROUPE CARNIVOR aux entiers dépens de l'instance
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23.9.2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la nullité du contrat pour dol et absence de cause et la responsabilité de l'intimée :
En estimant que la convention litigieuse ne devait pas être annulée pour dol et que la responsabilité de la société GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION (GBCC) n'était pas engagée, que celle-ci était fondée à obtenir paiement de ses honoraires au titre de la première échéance du contrat de construction, le premier juge a fait une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties pour la plupart repris en appel.
À ces justes motifs que la cour adopte, il convient seulement d'ajouter :
que devant la cour la société GROUPE CARNIVOR abandonne toute demande d'annulation fondée sur un dépassement d'objet social,
que par contre, à titre subsidiaire, elle formule une prétention nouvelle : la nullité des dispositions concernant le paiement de la première échéance contractuelle, au motif qu'il y a 'absence de cause' car la rémunération prévue est ' dépourvue de contrepartie réelle' (page 20 de ses conclusions),
que s'il est exact qu'en vertu de l'article 1131 du code civil l'obligation sans cause ne peut avoir d'effet, encore faut-il établir cette absence,
que tel n'est pas le cas ici, en présence d'une clause claire et précise, figurant dans un contrat conclu en 2010, alors que les parties étaient en contact régulier depuis plusieurs années, que les études faites en vertu du contrat de 2008 sont distinctes de celles-ci visées au contrat de 2010, ne serait-ce qu'en raison de l'évolution du projet, qu'il en est dûment justifié par l'intimée qui prouve la réalité des prestations facturées par elle en produisant notamment la demande de permis de construire,
qu'en conséquence, la société Groupe Carnivor doit également être déboutée de sa demande de nullité d'une clause contractuelle pour absence de cause et donc de sa demande de dommages et intérêts fondée sur cette cause de nullité du contrat,
que l'appelante cherche en réalité à opérer une confusion entre les griefs qu'elle formule à l'égard de l'investisseur immobilier GECINA et sa filiale, contre qui elle a engagé une procédure distincte devant le tribunal de commerce de Tarascon pour rupture fautive de pourparlers (ayant donné lieu à expertise de M. [Q] dont le rapport est ici versé) et l'actuelle procédure, qui l'oppose à la seule société GBCC avec qui elle a contracté,
que les documents produits, dont ce dernier rapport, et les explications des parties révèlent en réalité une appréciation différente de l'opération envisagée qu'eurent GECINA et CARNIVOR, cette dernière souhaitant installer des panneaux solaires sur les toits des bâtiments à réaliser, formule n'ayant pas recueilli l'accord de GECINA,
que sans avoir obtenu la moindre promesse d'achat de GECINA, la société GROUPE CARNIVOR a pourtant signé le contrat de construction,
qu'en sa qualité de professionnelle du monde des affaires, il appartient à cette société cotée en bourse d'honorer ses engagements.
La décision déférée doit donc être confirmée en ce que le premier juge a débouté la société Groupe CARNIVOR de sa demande d'annulation du contrat et l'a condamnée à payer la première échéance du contrat outre intérêts contractuels au taux défini à l'article 18.10 du contrat.
Il s'agit du taux d'intérêts appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points, sans pouvoir être inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal.
Ces intérêts sont exigibles dans les conditions de l'article 18.6 du contrat :
échéance 1 exigible en l'absence d'autorisation de construire ou d'exploiter au plus tard 18 mois après la signature du contrat, soit à compter du 29.7.2011.
Le taux d'intérêts de refinancement de la banque centrale européenne étant de 1,5% en juillet 2011, le taux contractuel applicable à compter du 29.7.2011 est donc de :
1.5% + 10% = 11.5%.
Sur les dommages et intérêts pour appel abusif :
L'exercice d'une voie de recours n'est pas par lui-même fautif.
En conséquence, alors que les parties interprètent de façon différente leurs obligations contractuelles, que le premier juge n'avait pas assorti sa décision de l'exécution provisoire, l'intimée ne démontre pas que l'appel fut interjeté abusivement et au surplus qu'il en est résulté directement pour elle un préjudice spécifique , distinct de l'absence de paiement de la première échéance du contrat.
Elle doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
Si, en première instance, l'équité commandait d'allouer à la S.A.S. GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION une indemnité de 1500€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, il en est de même en appel et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 5000€.
Par contre, l'équité ne commande nullement d'allouer à la société Groupe CARNIVOR la moindre somme sur le même fondement.
Succombant, la société Groupe CARNIVOR supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement,
Contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré sauf à dire que les intérêts au taux contractuel sont dus à compter du 29.7.2011,
Y AJOUTANT,
DÉBOUTE la SA GROUPE CARNIVOR de sa demande aux fins de voir prononcer la nullité de clauses du contrat pour absence de cause,
DÉBOUTE la S.A.S. GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif,
CONDAMNE la SA GROUPE CARNIVOR à payer à la S.A.S. GINGER BÂTIMENT CONCEPTION ET CONSTRUCTION 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA GROUPE CARNIVOR aux dépens d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT