COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 20 NOVEMBRE 2014
N° 2014/465
Rôle N° 13/14905
[Q] [T]
[N] [O] divorcée [T]
C/
[L] [R]
[S] [F] épouse [R]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP DAYDE
SCP BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 25 Juin 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/01077.
APPELANTS
Monsieur [Q] [T]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 3]
représenté et assisté par Me Maxime PLANTARD de la SCP DAYDE PLANTARD ROCHES ET VIRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [N] [O] divorcée [T]
née le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 1]
représentée et assistée par Me Maxime PLANTARD de la SCP DAYDE PLANTARD ROCHES ET VIRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [L] [R]
né le [Date naissance 4] 1981 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
assisté de Me Jean-Pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [S] [F] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 2]
représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée de Me Jean-Pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :
M. Jean-François BANCAL, Président
Madame Patricia TOURNIER, Conseillère
Mme Marie-José DURAND, Conseillère (rédactrice)
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2014,
Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits et procédure
Exposé des faits
Selon acte authentique en date du 26 février 2008, Monsieur [L] [R] et Madame [S] [F] ont acquis de Monsieur [Q] [T] et Madame [N] [O], son épouse, une maison avec piscine située à [Localité 2], au prix de 260 000 €.
Se plaignant de désordres affectant la piscine, ils ont obtenu en référé la désignation d'un expert, puis ont fait assigner leurs vendeurs en réparation des désordres, sur les fondements de la garantie des vices cachés et de la garantie décennale.
Décision déférée
Par jugement du 25 juin 2013, le tribunal de grande instance d'Aix en Provence a :
- rejeté la demande fondée sur l'existence de vices cachés,
- déclaré la demande recevable comme non prescrite sur le fondement de la garantie décennale,
- condamné les vendeurs au paiement des sommes de :
- 67 069,88 € HT majorée du taux de TVA applicable à la date du règlement, et indexée sur l'indice BT 01 du 30 octobre 2011 jusqu'au complet règlement,
- 1 500 € en réparation du préjudice de jouissance,
- rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Monsieur et Madame [T],
- dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du code de procédure civile ni à ordonner l'exécution provisoire.
Par déclaration du 16 juillet 2013, Monsieur et Madame [T] ont interjeté appel.
Demandes des parties
Dans leurs dernières conclusions, en date du 24 décembre 2013, les appelants demandent à la cour de :
infirmer le jugement et statuant à nouveau :
à titre principal sur les responsabilités :
sur le fondement des vices cachés :
juger les demandes irrecevables dès lors que le délai de deux ans n'a pas été respecté,
subsidiairement, juger que les vices n'étaient pas cachés, et faire application si besoin de la clause de non garantie des vices cachés dès lors que leur mauvaise foi n'est pas établie, en conséquence rejeter les demandes,
sur le fondement de la garantie décennale :
juger les demandes irrecevables comme prescrites,
subsidiairement, juger que les acquéreurs ne rapportent pas la preuve que les conditions de la garantie décennale sont remplies et rejeter leurs demandes,
sur le fondement du dol,
déclarer la demande irrecevable car nouvelle en cause d'appel,
subsidiairement juger que la preuve que les conditions du dol sont remplies n'est pas rapportée,
à titre très subsidiaire, si leur responsabilité était retenue, confirmer le jugement en ce qui concerne les montants retenus,
en tout état de cause, condamner Monsieur et Madame [R] à verser à chacun les sommes de :
10 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive,
5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions, en date du 23 septembre 2014, Monsieur et Madame [R] demandent à la cour, au visa des articles 1641 et suivants, 1792 et suivants, mais aussi 1101 et suivants du code civil, de :
infirmer le jugement en ce qu'il a mis les vendeurs hors de cause du chef des vices cachés, leur attitude étant au surplus constitutive de dol,
en toutes hypothèses confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité des vendeurs en leur qualité de constructeurs, mais élever les condamnations prononcées en première instance,
leur allouer les sommes de :
94 858,06 € TTC outre intérêts à compter de l'assignation, sous réserve de l'enveloppe définitive des travaux à la date de leur parfaite exécution et du taux de TVA effectivement applicable, les travaux étant indexés sur la base de l'indice BT 01 du coût de la construction,
15 000 € en réparation du trouble de jouissance,
8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 23 septembre 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A/ Sur l'action fondée sur l'application des articles 1641 et suivants du code civil
Le premier juge n'a pas statué sur la fin de non-recevoir, soulevée par les vendeurs en première instance et maintenue en appel, tenant à la prescription de l'action.
Aux termes de l'article 1648 alinéa 1 du code civil, 'l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.'
En l'espèce, en application des articles 2222 et 2241 du code civil, ce délai a été interrompu par l'assignation en référé délivrée les 29 et 31 décembre 2008 et un nouveau délai de deux ans a commencé à courir le 28 avril 2009, jour de l'ordonnance désignant un expert, pour expirer le 28 avril 2011. Dans ces conditions, l'action sur le fondement des vices cachés était prescrite lorsque Monsieur et Madame [R] ont fait assigner leurs acquéreurs devant le tribunal de grande instance, par acte des 27 janvier et 09 février 2012. Cette action sera dès lors déclarée irrecevable.
B/ Sur l'action fondée sur le dol
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile :
'À peine d'irrecevabilité prononcée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'
Par ailleurs, selon l'article 565 du même code :
'Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.'
Monsieur et Madame [R] ne demandent pas, à titre de sanction du vice de consentement qu'ils invoquent, l'annulation du contrat de vente, ni la restitution d'une partie du prix, mais bien des dommages et intérêts tendant à les indemniser du coût des travaux de reprise et de leur préjudice de jouissance. Dans ces conditions, bien que le fondement juridique sur lequel ils s'appuient soit différent de la garantie du vice caché due par le vendeur et de la garantie décennale due par le constructeur, leurs prétentions tendent aux mêmes fins et ne sont pas nouvelles. En conséquence leur action fondée sur le dol sera déclarée recevable.
Aux termes de l'article 1116 du code civil, le dol suppose l'existence de manoeuvres pratiquées par l'une des parties, telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
L'expert a constaté que le bassin présentait deux cassures verticales traversantes en regard l'une de l'autre sur chaque bajoyer, reliées par une fissure horizontale du radier. Elles sont dues aux tassements différentiels du sol entre la partie amont et la partie aval du bassin qui n'ont pu être compensés par la raideur insuffisante de la structure. Elles n'ont pas évolué depuis la vente. Cependant, selon l'expert, elles n'étaient pas décelables dans toute leur ampleur car elles avaient été rebouchées par les anciens propriétaires avec un mastic polyuréthane, puis recouvertes de mosaïque.
Il est établi que les reprises ainsi réalisées étaient visibles, les photographies prises lors de la vente et jointes en annexe au rapport d'expertise révélant la présence de fissures filiformes verticales à l'emplacement des cassures observées par l'expert. En revanche, il est constant que la fissure horizontale n'était pas visible, dès lors que le bassin était rempli au tiers d'une eau à l'évidence croupissante.
Dans la mesure où les réparations ne dissimulaient pas les fissures mais seulement leur importance, où il restait aisé de constater que le désordre n'était pas localisé mais affectait l'ensemble de l'ouvrage puisque les fissures se déroulaient sur les deux tiers supérieurs visibles du bassin et se faisaient face et où il était manifeste que la piscine n'était plus utilisée, la cour constate que l'existence de manoeuvres commises par les vendeurs et déterminantes du consentement des acquéreurs n'est pas démontrée.
C/ Sur l'action fondée sur la garantie décennale
Monsieur et Madame [R] concluent que la clause du contrat de vente par laquelle les vendeurs déclarent que le bien 'n'est pas concerné par les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil, aucune construction, surélévation ou addition d'éléments d'équipement faisant corps avec l'immeuble n'ayant été effectuée depuis moins de dix ans' constitue une fraude empêchant les vendeurs d'échapper à leurs obligations et permettant d'excéder le délai décennal. Cependant, dès lors que Monsieur et Madame [R] ne démontrent pas que cette réticence apparaissant dans le contrat de vente et portant sur un accessoire de l'immeuble ait été déterminante de leur consentement à acquérir, elle ne peut être qualifiée de dolosive et ne peut avoir aucune conséquence sur le point de départ du délai de prescription décennale.
En application de l'article 1792-1 2° du code civil, Monsieur et Madame [T], qui ont procédé eux-mêmes aux travaux de construction de la piscine, sont réputés constructeurs au sens de l'article 1792 du code civil. La charge de la preuve de la date à laquelle le délai de dix ans a pris naissance leur appartient. À cet égard, en l'absence de réception, ils doivent démontrer à quelle date les travaux de construction de la piscine ont été achevés.
La déclaration de travaux déposée le 11 août 1998, les factures d'acquisition des matériaux nécessaires en date des 19 et 27 septembre 1998, ainsi que les attestations produites, en particulier les attestations circonstanciées de Madame [M] et de Monsieur [J], celui-ci précisant notamment qu'il avait aidé Monsieur [T] pour la maçonnerie de la piscine au mois d'octobre 1998 et pour le carrelage début novembre 1998 et ajoutant qu'en tant que mineurs ils fêtaient la Sainte Barbe ensemble, et que pour la Sainte Barbes du 04 décembre 1998, la piscine était terminée, sont des indices concordants apportant la preuve que les travaux ont été entrepris avant la date de l'arrêté municipal les autorisant et les assortissant de prescriptions, arrêté pris seulement le 27 novembre 1998, et qu'ils ont été terminés avant le 29 décembre 1998, plus de dix ans avant la date de délivrance de l'assignation en référé expertise.
Il convient en conséquence de déclarer prescrite l'action dirigée par Monsieur et Madame [R] contre leurs vendeurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
D/ Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Monsieur [T] et Madame [O]
Les circonstances rapportées par les appelants ne suffisent pas à rapporter la preuve que le droit pour Monsieur et Madame [R] d'agir en justice ait dégénéré en abus, dès lors que leurs demandes, bien que déclarées irrecevables ou rejetées par la cour, reposent sur l'existence d'un désordre avéré dont le sort n'a pas été réglé dans le contrat de vente.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
E/ Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de Monsieur et Madame [R] mais de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées de part et d'autre du chef de l'article 700 du code de procédure civile.
Les demandes formées en cause d'appel en application de ce texte seront également rejetées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, par arrêt rendu publiquement, contradictoirement,
Confirme partiellement le jugement déféré, en ce que le premier juge a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Monsieur [Q] [T] et Madame [N] [O] et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables les actions formées par Monsieur [L] [R] et Madame [S] [F] épouse [R] fondées sur les dispositions des articles 1641 et suivants et des articles 1792 et suivants du code civil,
Déclare recevable leur action fondée sur les dispositions des articles 1101 et suivants du code civil,
Déboute Monsieur [L] [R] et Madame [S] [F] épouse [R] de leurs demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne Monsieur [L] [R] et Madame [S] [F] épouse [R] aux dépens de première instance et d'appel et accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile à l'avocat de Monsieur [Q] [T] et Madame [N] [O].
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT