COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 13 NOVEMBRE 2014
D.D-P
N°2014/618
Rôle N° 13/17305
SA SCI
C/
[Y] [A]
[U] [M] épouse [A]
[S] [L]
[G] [O]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Charles TOLLINCHI,
Me Frédéric DURAND
SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 23 Mai 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/00313.
APPELANTE
SA SCI
société de droit belge,
dont le siège social est sis [Adresse 4], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, y domicilié.
représentée par Me Charles TOLLINCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat Me Christian DEVILLERS, avocat au barreau de TARASCON.
INTIMES
Monsieur [Y] [A]
né le [Date naissance 2] 1934 à [Localité 3] (Tunisie),
demeurant [Adresse 3]
représenté et assisté par Me Frédéric DURAND, avocat au barreau de TOULON
Madame [U] [M] épouse [A]
née le [Date naissance 1] 1940 à [Localité 4] (Tunisie),
demeurant [Adresse 3]
représentée et assistée par Me Frédéric DURAND, avocat au barreau de TOULON
Maître [S] [L],
Notaire
né le [Date naissance 3] 1939 à [Localité 1] (35)
[Adresse 2]
représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Jean-Michel GARRY, avocat au barreau de TOULON.
Maître [G] [O]
ancien notaire,
[Adresse 1]
ayant pour successeur Maître [P] [R], notaire
représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Jean-Michel GARRY, avocat au barreau de TOULON.
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 15 Octobre 2014 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François GROSJEAN, Président, et Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller, chargés du rapport.
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2014.
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
Par acte reçu le 15 janvier 2001 par Me [S] [L], notaire, en concours avec Me [G] [O], la société anonyme dénommée la SA SCI a acquis de M. et Mme [Y] [A] un ensemble immobilier sis 'La Reppe'au [Localité 2] au prix de 465.884,19 €.
La demanderesse expose s'être adressée à la Mairie du [Localité 2] afin d'assurer une meilleure desserte de son immeuble et avoir été informée, à cette occasion, que le bien immobilier acquis avait été édifiée sans permis de construire.
Elle précise, qu'à la suite des recherches effectuées, il était apparu que, suivant jugement rendu le 9 mars 1995, le tribunal administratif de Nice avait rejeté la demande des époux [A] tendant à l'obtention d'un permis de construire.
Par exploit du 22 janvier 2004 la SA a fait assigner devant les juges des référés du tribunal de grande instance de Toulon M.[Y] [A], Mme [U] [M] épouse [A], Me [S] [L], notaire, Me [G] [O], notaire, et M.[H] [F]. Par ordonnance du 30 avril 1004 le juge des référés a rejeté toutes leurs demandes
Par exploit des 10, 11 et 12 janvier 2011, la SA SCI a fait assigner M.[Y] [A], Mme [U] [M] épouse [A], Me [S] [L], notaire, Me [G] [O], notaire, et M. [H] [F], agent immobilier le fondement des articles 1110, 1641 et 1382 du code civil.
Par jugement réputé contradictoire en date du 23 mai 2013, le tribunal de grande instance de Toulon a :
- constaté que la demanderesse ne conteste pas l'irrecevabilité opposée par M. et Mme [A],
- constaté qu'elle n'a pas démontré la recevabilité de son action,
- constaté qu'en tout état de cause, le préjudice allégué par la société SA SCI n'est pas certain,
- débouté la société SA SCI de toutes ses demandes,
- dit que chacune des parties gardera à sa charge les frais engagés par elle et compris dans les dépens,
- rejeté toutes les autres demandes des parties.
Le tribunal énonce en ses motifs :
Sur l'action dirigée contre les vendeurs
- que les acquéreurs, pour demander réparation de préjudices, soutiennent que les vendeurs avaient une parfaite connaissance de la situation administrative du bien immobilier objet de la vente ; et qu'aucune régularisation ne peut être obtenue l' immeuble acquis ne pouvant être ni modifié, ni bénéficier d'aménagement concernant son accès et qu'en cas de destruction le bien ne pourrait pas être reconstruit et qu'il n'est pas assurable,
alors que les défendeurs à l'action répondent exactement qu'à la date de la vente toutes les prescriptions pénale, civile ou administrative était déjà acquises ;
- que la SA SCI vise des fondements juridiques dans le dispositif de ses écritures alors que les motifs mêlent confusément plusieurs fondements juridiques en invoquant tout à la fois la faute de l'article 1382, le vice caché de l'article 1641 ou l'erreur sur la substance de l'article 1110 du Code civil, sans faire quelques démonstrations précises et encore moins faire quelques réponse sur la fin de non- recevoir qui leur est opposée compte tenu de l'ancienneté de la vente ;
- que de surcroît il est à relever que les préjudices qui sont invoqués sont purement hypothétiques (ex. « Au cas où (') le préjudice serait de 340'000 €») ;
Sur l'action dirigée contre les notaires
- que la difficulté résultant du défaut de permis de construire avait fait l'objet d'une clause qui figurait dans la promesse de vente mais qui n'est pas reprise dans l'acte définitif ;
- que l'analyse juridique par les notaires s'est révélée contraire à la suite qui a été réservée au problème juridiques posé ; qu'ils ont donc incontestablement commis une faute engageant leur responsabilité ;
- que toutefois le bien ne pouvant plus être détruit pour défaut de permis de construire peut donc être revendu à sa juste valeur ;
- que dans l'hypothèse d'une expropriation, l'indemnité fixée par le juge de l'expropriation ne peut correspondre qu'à la valeur du bien exproprié dès lors que l'administration est prescrite dans son action en démolition ;
- qu'enfin en cas de destruction accidentelle du bien immobilier, l'indemnité qui serait versée par la société d'assurance ne pourra être fixée qu'en application des clauses du contrat d'assurance, étant observé qu'il est fait référence, dans ce type de contrat, de la valeur de reconstruction et non pas de la reconstruction elle-même, de sorte que le préjudice invoqué ne présente aucun caractère certain .
Par déclaration du 22 août 2013, la SA SCI a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 22 janvier 2014 elle demande à la cour, au visa des articles 1603,1110, 1638, 1641 et 1382 du code civil,
- de condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 340.000 € à titre d'indemnités et dommages intérêts outre intérêts de droit à compter du 15 janvier 2001, celle de 45.000 € à titre de préjudice fiscal inhérent,
- de juger qu'en cas de destruction de l'immeuble impliquant reconstruction de celui-ci ou en cas d'expropriation de celui-ci, les défendeurs seront tenus d'indemniser in solidum la SA SCI des préjudices ainsi subi et correspondant à la valeur qu'aurait l'immeuble au jour du sinistre diminué de l'indemnité versée le cas échéant et de la somme allouée au titre de la procédure,
- de juger qu'en cas de résiliation du bail souscrit entre la SA SCI et la SARL SDP du fait de la situation administrative actuelle de l'immeuble considéré, les requis seront tenus in solidum de relever et garantir la SA SCI de toutes sommes dont elle pourrait être tenue vis-à-vis du locataire,
- de condamner in solidum les requis à payer à la SA SCI une somme de 50.000 € à titre de dommages intérêts complémentaires au titre des man'uvres visant à dissimuler la situation juridique réelle de l'immeuble vendu,
- et de condamner in solidum les requis à lui payer une somme de 15.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu' aux entiers dépens distraits.
L'appelante soutient en substance que les vendeurs et notaires non seulement ont commis une faute mais l'ont volontairement trompée sur une qualité substantielle de la chose; qu'un immeuble vendu sans permis n'a manifestement pas la même valeur qu'un immeuble avec permis de construire ; qu'il y a bien trouble de jouissance et préjudice en raison d'une décote d'au moins 50% de la valeur vénale du bien et d'une perte locative.
Par ses dernières conclusions, notifiées le 24 février 2014, M.[Y] [A], Mme [U] [M] épouse [A] demandent à la cour, au visa des articles 1304, 1648, 2224 et 2243 du code civil :
- de confirmer le jugement entrepris,
subsidiairement,
- de juger que Me [O] et Me [L] devront relever et garantir les époux [A] de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre,
- de débouter Me [O] et Me [L] de toutes leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre des époux [A],
- et de condamner la société SCI, ou tout succombant, à leur payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens distraits.
Les vendeurs font valoir :
Sur la recevabilité
- que l'appelante s'abstient de préciser la date à laquelle elle aurait eu connaissance de l'absence de permis de construire ; que l'appelante se borne à ici plusieurs fondements juridiques sans faire aucune démonstration précise ; qu'au moment de la vente en 2001 toutes les prescriptions avaient été purgées, la construction ayant été édifiée courant 1989 ; que l'action en nullité des conventions par suite d'une erreur ou d'un vice du consentement doit être engagée dans les 5 ans à compter du jour où la prétendue victime en a eu connaissance ; qu'il en va de même des actions personnelles ou mobilières ; que s'agissant de la garantie des vices cachés, celle-ci doit être engagée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; que l'action en référé vainement engagée courant 2004 n'a eu aucun effet interruptif de la prescription en application de l'article 2243 du Code civil ; qu'en tout état de cause il s'est écoulé près de sept ans depuis lors, et que l'introduction de la présente action est donc tardive ;
Sur le fond
- que la promesse de vente fait mention d'un permis de construire tacite en vertu d'une demande qui avait été déposée à la mairie du [Localité 2] le 14 octobre 1988, selon récépissé qui a été annexé à l'acte, et à laquelle la commune n'avait pas répondu dans les trois mois, l'arrêté de refus de permis de construire n'ayant été délivré que le 26 janvier 1989 ; que la promesse comporte une condition suspensive relative à une note de renseignements d'urbanisme laquelle est taisant e sur l'irrégularité ou non de la construction ;
- que c'est le notaire qui a engagé sa responsabilité en indiquant dans l'acte de vente que l'arrêté était entaché de nullité ;
- qu'étant non professionnels, ils n'ont rien caché à la messe à SCI qui était informée par le contenu de la promesse de vente et à laquelle il avait été remis l'arrêté portant refus de permis de construire ; que l'absence de permis de construire ne l'a en rien dissuadée d'acquérir, de sorte que son consentement n'a pas été surpris ;
Sur le préjudice
- que la SCI a continué d'exploiter l'immeuble pendant près de 10 ans avant de venir réclamer l'indemnisation de ce qu'elle estime être son préjudice ayant réalisé entre-temps de confortables bénéfices ;
- que la perte de valeur vénale est inexistante puisque l'immeuble n'encourt aucune démolition à quelque titre que ce soit qu'en cas d'expropriation l'autorité expopriante doit tenir compte de la construction est inexistante, et non seulement du terrain ,étant observé que le bien est assujetti à la taxe foncière depuis l'origine ; qu'il est de jurisprudence constante qu'une construction même édifiée sans permis de construire est susceptible d'ouvrir droit à indemnisation en cas d'expropriation ;
- que les préjudices invoqués résultants de la disparition de l'immeuble par cause accidentelle ou encore et/ou d'une perte de loyers sont purement hypothétiques ;
- que le terrain est situé en bordure immédiate d'une voie publique et qu'il dispose toujours d'un accès ; que l'impossibilité de modifier le bâtiment résulte du zonage puisque le bâtiment et depuis l'origine en zone agricole et non de l'irrégularité de la construction.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 14 mars 2014, Me [G] [O] et Me [S] [L] demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de :
- réformer les dispositions du jugement entrepris concernant la faute des notaires ( les motifs '),
- dire mal fondées l'action et les demandes de la société SCI et des époux [A] en tant que dirigées à l'encontre de Me [L], de Me [O] ayant pour successeur Me [R]., notaires,
- confirmer les dispositions du jugement querelle ayant consacré l'absence de préjudice certain et le débouté de la SA SCI,
- débouter la SA SCI, les époux [A] et/ou tout contestant de toutes leurs demandes,
- prononcer leur mise hors de cause pure et simple,
- et condamner tout succombant à leur payer la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens distraits.
Les notaires soutiennent qu'il est incontestable qu'il existait un permis de tacite de construire concernant la propriété le refus étant intervenue après le délai de trois mois ; que les documents administratifs requis auprès de la commune pour l'instruction du dossier tels que la note de renseignements d'urbanisme est taisante sur l'irrégularité juridique de la construction et l'existence d'une procédure, alors que le jugement rendu par le tribunal administratif de Nice en date du 9 mars 1995 avait été notifié au maire ; qu'à la lecture de la promesse de vente, les parties ont été parfaitement informées de l'absence de tout permis de construire et de l'existence d'une refus de permis de construire plus de trois mois après le délai de rigueur conférant la qualité de tacite au permis de construire ; que les vendeurs étaient titulaires d'un permis de construire tacite que les notaires ne connaissaient pas l'existence du jugement du 9 mars 1995 ; et que les notaires ne pouvaient pas soupçonner l'existence d'une quelconque difficulté lors de l'acte de vente reçu le 15 janvier 2006.
L'ordonnance de clôture est datée du 10 septembre 2014.
MOTIFS
Attendu que l'appelante se borne à reprendre ses prétentions et moyens de première instance, sans davantage conclure sur le fondement juridique précis et la recevabilité de son action ;
Attendu que faute d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge a déjà répondu par des motifs développés pertinents qui méritent adoption , sauf à leur ajouter, s'agissant de la faute des notaires, que les dommages invoqués ne présentent aucun lien de causalité avec la faute retenue ; que celle-ci n'a pu entraîner que la perte d'une chance de ne pas avoir passé l'acte de vente ou d'acquérir à moindre prix, prejudice qui n'est pas allégué ;
Attendu que le jugement qui a rejeté toutes les demandes de la SA SCI doit donc être entièrement confirmé ;
Attendu que l'appelante succombant devra supporter la charge des dépens, et verser en équité la somme de 3000 € aux époux au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même, ni les notaires, prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
Condamne la SA SCI à payer à M.[Y] [A], Mme [U] [M] épouse [A], la somme de trois mille euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT