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07/11/2014 | FRANCE | N°14/09552

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 07 novembre 2014, 14/09552


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 07 NOVEMBRE 2014



N° 2014/













Rôle N° 14/09552





[Q] [L]





C/



SELAFA MJA, prise en la personne de M° [D], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED

AGS - CGEA - I. D. F. OUEST

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE [Localité 2]































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Grosse délivrée

le :

à :



Me Michel FRUCTUS

Me Cyril MICHEL

Me Arnaud CLERC



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section IN - en date du 30 Avril 2013, enre...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 07 NOVEMBRE 2014

N° 2014/

Rôle N° 14/09552

[Q] [L]

C/

SELAFA MJA, prise en la personne de M° [D], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED

AGS - CGEA - I. D. F. OUEST

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE [Localité 2]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Michel FRUCTUS

Me Cyril MICHEL

Me Arnaud CLERC

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE - section IN - en date du 30 Avril 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/992.

APPELANT

Monsieur [Q] [L], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

SELAFA MJA, prise en la personne de M° [D], Liquidateur judiciaire de la Société NORMED, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

AGS - CGEA - I. D. F. OUEST, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE [Localité 2], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2014 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Annick VARLAMOFF, présidente de chambre

Madame Christine LORENZINI, conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Magali PINEAU

.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2014.

Signé par Madame Marie-Annick VARLAMOFF, Présidente de chambre et Madame Magali PINEAU

greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [Q] [L] a été employé par la société CHANTIERS NAVALS de [Localité 2] (CNC) puis par la SA CHANTIERS DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE (NORMED), sur le site de [Localité 2], en qualité d'aide héliographe puis de commis, du 27 août 1962 au 24 août 1965.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 1] (FD), Chantiers Navals de [Localité 2] (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA CHANTIERS DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE ( NORMED) a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989,. désignant successivement Maître [F] puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [D], en qualité de mandataire liquidateur.

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Le 18 avril 2012, Monsieur [Q] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de MARSEILLE, pour réclamer la réparation de ses préjudices d'anxiété et de trouble dans ses conditions d'existence, subis du fait de son exposition à l'amiante.

Le syndicat Union Locale des syndicats CGT de [Localité 2] est intervenu volontairement à l'instance.

Le CGEA - AGS de l'Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement du 30 avril 2013, le Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE a :

- prononcé la jonction de l'affaire avec diverses instances concernant d'autres salariés

- dit que la démonstration de violation de règle par la seule NORMED incombe aux demandeurs, de même que le lien de causalité entre une faute directe et le préjudice d'anxiété - dit que le préjudice d'anxiété ne découle pas de l'arrêté ou de l'adhésion au système ACAATA

- dit que l'existence d'un préjudice d'anxiété doit être démontrée

- dit que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de contrôles et examens médicaux réguliers et propres à activer voire réactiver une angoisse spécifique à leur anxiété

- dit que les demandeurs ne démontrent pas une violation des dispositions d'hygiène et de sécurité applicables à la NORMED

- dit que la faute de la NORMED n'est pas démontrée

- dit que le préjudice n'est pas né lors de l'exécution du contrat de travail

- débouté les requérants de leur demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété fondé sur l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, dont la faute n'est pas démontrée

- débouté les demandeurs de leur prétention au titre d'un préjudice d'anxiété découlant du bénéfice de l'ACAATA, un dispositif légal n'entraînant pas un préjudice moral

- débouté les salariés de leur demande d'indemnisation du chef d'un préjudice d'anxiété non démontré

-rejeté les demandes faute de démonstration de la faute de la NORMED et du lien de causalité avec le préjudice d'anxiété

- débouté les demandeurs, faute de preuve d'avoir été individuellement victimes de la violation de la protection contre l'amiante

- rejeté les demandes d'indemnisation d'un préjudice résultant d'un trouble dans les conditions d'existence

- débouté les requérants de toutes leurs demandes

- débouté le syndicat Union Locale des syndicats CGT de [Localité 2] de toutes ses demandes.

Monsieur [Q] [L] a relevé appel de cette décision le 15 mai 2013.

Une ordonnance de disjonction des différents affaires a été rendue le 13 mai 2014.

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, soutenant pour l'essentiel que la NORMED a manqué à son obligation de sécurité de résultat en l'exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, dispersées en permanence sur l'ensemble du site et contaminant tous les salariés, dont le personnel administratif, en omettant de l'informer des risques liés à cette exposition et de lui fournir les moyens de protection nécessaires, violant ainsi la réglementation applicable dont le décret du 17 août 1977, qu'il est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice autonome d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave, qui ne lui a été révélé qu'à partir de l'interdiction de l'amiante en 1997 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé la NORMED parmi 'les établissements amiante' mais dont le fait générateur se situe au cours de l'exécution du contrat de travail et du préjudice découlant du non respect de l'obligation générale de sécurité de résultat, subi tout au long de l'exécution du contrat de travail jusqu'à l'expiration de celui-ci, que ses actions ne sont donc pas prescrites, que l'irrévocabilité de l'état des créances ne peut lui être opposé, s'agissant de créances indemnitaires, et que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, Monsieur [Q] [L] qui ne maintient pas en cause d'appel sa prétention distincte en réparation d'un préjudice lié au bouleversement de ses conditions d'existence, demande à la Cour de :

- dire son action recevable et fondée

- réformer le jugement entrepris,

- fixer au passif de la NORMED une créance de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant directement de la violation par celle-ci de son obligation de sécurité de résultat, ainsi que celle de 15 000 euros en indemnisation du préjudice autonome d'anxiété

- déclarer l'arrêt opposable au CGEA qui devra faire l'avance des sommes conformément aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail

- condamner le liquidateur de la NORMED, ès qualités, à lui payer une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- le condamner aux dépens.

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux instances inscrites au rôle, Maître [D] ès qualités et le CGEA demandent à la cour, à titre liminaire de :

- se déclarer incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale en ce qui concerne les salariés ayant bénéficié de l'ACAATA,

- déclarer irrecevables les actions des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998,

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985, non contesté en temps utile,

- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 ( date de l'Assemblée Générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la NORMED, ce qui est le cas de Monsieur [Q] [L],

- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la NORMED, moyen sans objet en l'espèce

- déclarer prescrites les demandes, dont celles de Monsieur [Q] [L] concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale,

- débouter certains salariés dont l'emploi ne figure pas à l'arrêté du 7 juillet 2000,

- dire et juger que le préjudice d'anxiété ne peut pas naître avant que les salariés aient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'arrêté ACAATA, que les salariés n'apportent pas la preuve d'avoir eu connaissance de cet arrêté avant l'ouverture de la procédure collective de la société, que les créances au titre du préjudice d'anxiété sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et ne sont donc pas garanties par l'AGS, et en conséquence, déclarer ces créances non susceptibles de garantie.

Ils concluent sur le fond à l'infirmation du jugement sur le tout et ainsi :

- ne pas retenir à la charge de l'employeur une obligation de sécurité et de résultat de plein droit, non conforme aux dispositions de droit communautaire et de droit constitutionnel,

- à titre principal, au débouté de la demande relative au préjudice d'anxiété, aux motifs d'une part, que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, à tout le moins d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice et au débouté de la demande nouvelle de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, les demandeurs ne qualifiant pas ce préjudice, n'expliquant pas de quoi il est constitué ni quand il serait né, et bénéficiant déjà d'une indemnisation dans le cadre de l'ACAATA au titre du préjudice d'anxiété, et d'autre part, que l'article 1150 du code civil limite l'indemnisation en matière contractuelle au seul dommage prévisible,

- à titre subsidiaire à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances revendiquées qui sont nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective en 1986, les salariés ne démontrant pas avoir eu connaissance des dangers de l'amiante avant l'arrêté ministériel d'inscription de la NORMED sur le liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA

- à titre plus subsidiaire à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués, à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale et à l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce ces intérêts n'ayant pu courir avant la mise en demeure conformément à l'article 1153 du code civil.

Dans ses écritures développées oralement à l'audience, communes à plusieurs des instances inscrites au rôle, et faisant valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, ce qui a nécessairement causé un préjudice aux intérêts collectifs de l'ensemble de la profession, l'Union Locale CGT de [Localité 2] demande à la Cour de la recevoir en son intervention volontaire, conformément à l'article L.2132-3 du Code du Travail et de fixer sa créance indemnitaire à la somme de 10 000€ en réparation de son préjudice matériel et moral et de condamner Maître [D], liquidateur, à lui payer une indemnité de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Maître [D], ès qualités, et le CGEA reprenant verbalement à l'audience leurs conclusions écrites ont sollicité le rejet des demandes de l'Union Locale CGT de [Localité 2] au motif que les indemnités réclamées par celle-ci ne constituaient pas des sommes dues en exécution du contrat de travail.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur l'exception d'incompétence

Selon l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, que Monsieur [Q] [L] ait ou non bénéficié du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, information qui ne résulte pas du dossier, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante, ou d'un préjudice résultant de la seule violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, à le supposer distinct du précédent, est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice du dispositif susvisé, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, ne sont en l'état contestés, c'est à juste titre que le premier juge a pu retenir que le litige relevait de la compétence de la juridiction prud'homale. Le jugement sera confirmé à ce titre.

Sur les fins de non-recevoir

Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998

L'article 41 de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions.

Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

Monsieur [Q] [L], dont il a été vu supra qu'il n'est pas établi qu'il ait été bénéficiaire de ce dispositif, est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, ou d'un préjudice résultant de la seule violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, à le supposer distinct du précédent, lequel n'est pas de nature économique mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA.

La décision sera infirmée en ce sens.

Sur l'irrecevabilité tirée de l'irrévocabilité de l'état des créances

Il résulte de l'article L. 625-125 al.2 ancien du code de commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévu à l'alinéa précédent.

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ou d'un préjudice résultant de la seule violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, à le supposer distinct du précédent, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non-recevoir, nouvelle en appel, sera donc rejetée.

Sur l'absence de contrat de travail avec la NORMED :

Le traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNC et la société SPCN (devenue la NORMED) stipule, en préambule que : ' CNC apporte à SPCN (...) les éléments actifs et passifs constituant à la date du 1er janvier 1982, sa branche complète et autonome d'activité division navale ' et que 'conformément à la faculté offerte par l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966, l'apport est placé sous le régime juridique des scissions'.

Selon l'article 387 de la loi du 24 juillet 1966 dans sa rédaction alors applicable, la société qui apporte son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles 382 à 386 .

Il résulte des articles 385 et 386 de cette loi que les sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission sont débitrices solidaires des obligataires et des créanciers non obligataires de la société scindée au lieu et place de celle-ci sans que cette substitution emporte novation à leur égard, mais que - par dérogation à ces dispositions, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mises à la charge respective et sans solidarité entre elles .

En l'espèce, il est prévu au traité :

' - passif pris en charge :

(...) une provision libre pour risques d'exploitation et éventualités diverses (...) couvrant notamment des charges non comptabilisées pouvant se révéler après le 1er janvier 1982,(...)

- charges et conditions :

(...) les éléments du passif de CNC relatifs à la branche d'activité apportée, tels que définis précédemment, seront transmis à SPCN qui les prendra en charge aux lieu et place de CNC sans qu'il en résulte de novation à l'égard des créanciers .

Il est à cet égard précisé (...) que s'il venait à se révéler ultérieurement une différence en plus ou en moins entre le passif pris en charge par SPCN au 1er janvier 1982 et les sommes effectivement réclamées par des tiers et concernant l'activité apportée, y compris celles qui seraient générées par des faits antérieurs au 1er janvier 1982, SPCN serait tenue d'acquitter tout excédent de passif et profiterait de toute réduction de passif, sans recours ni revendication possible de part et d'autre. Ce qui précède s'entend aussi bien pour les éléments d'activités existant au 1er janvier 1982 que pour les éléments soldés au cours des exercices antérieurs. (...)

SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du Code du Travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée (...)

SPCN aura tout pouvoir pour intenter ou suivre aux lieu et place de la société apporteuse toutes actions judiciaires relatives à l'activité apporté et en assumera les conséquences financières (...).'

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les actions en responsabilité nées des contrats de travail conclus dans la branche d'activité division navale, même rompus avant la date de prise d'effet du traité, sont justement dirigées à l'encontre de la NORMED .

En l'espèce, bien que le contrat de travail ait pris fin le 24 août 1965, soit antérieurement à la date d'effet du traité d'apport partiel d'actif et pendant la période d'exposition telle que retenue par l'arrêté de classement ( 1946 à 1989), l'action du salarié est recevable.

Sur la prescription

En application des dispositions des articles 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action personnelle ou mobilière ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelle que soit la date de fin de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant la société NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le fond :

Sur le préjudice d'anxiété :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise .

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail et le dommage allégué n'était pas imprévisible lors de la conclusion de ce contrat.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'.

L'indemnisation du préjudice d'anxiété, qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Il n'y a donc pas contrariété de l'obligation de sécurité de résultat avec les dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et le principe de séparation des pouvoirs.

En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 29 décembre 2011 pr la société MALAKOFF MEDERIC agissant en qualité de gestionnaire des archives de la NORMED, que Monsieur [Q] [L] a travaillé sur le site de la NORMED à [Localité 2], du 1er janvier 1946 au 23 février 1956 et qu'au dernier stade de la relation contractuelle il occupait le poste d'ajusteur.

Les sociétés CHANTIERS NAVALS DE [Localité 2] (CNC) / CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000.

Le poste occupé par Monsieur [Q] [L] n'est pas l'un de ceux visés à cet arrêté.

Néanmoins, le salarié produit notamment aux débats, outre trois bulletins de salaire:

- des attestations d'anciens salariés faisant état de la présence massive de poussières d'amiante sur l'ensemble du site et de l'insuffisance des mesures de protection et d'information du personnel ;

- le procès-verbal de la réunion du Comité d'entreprise de la société CNC en date du 11 avril 1978 rapportant les interrogations des salariés sur les conséquences de la diffusion des poussières d'amiante sur le site de [Localité 2], ainsi que la réponse de l'employeur : ' il y a tout de même des nécessités techniques qui nous amènent à utiliser certains produits, par exemple l'amiante, qui ne peuvent être remplacés par d'autres, moins nocifs', réponse qui, selon lui, ne permet pas de considérer que celui-ci avait pris les mesures propres à faire cesser le dommage alors même que les membres du comité insistaient pour qu'une information sur le sujet soit donné à l'ensemble du personnel et affirmaient que le stockage de ces matériaux n'était pas hermétique.

Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants à établir que Monsieur [Q] [L] a été exposé, de façon habituelle, par son métier, à l'inhalation de poussières d'amiante, ni qu'il se trouve, de par le fait de l'employeur, dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

Sa demande d'indemnisation d'un préjudice spécifique d'anxiété sera dès lors rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat :

Le salarié qui ne démontre pas la violation par la NORMED de son obligation de sécurité de résultat à son égard, sera débouté de cette demande.

Les demandes de l'UNION l'Union Locale CGT de [Localité 2] seront en conséquence également rejetées.

Sur les dépens :

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant en matière prud'homale et par arrêt contradictoire,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée du caractère irrévocable de l'état des créances,

CONFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE du 30 avril 2013.

DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/09552
Date de la décision : 07/11/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°14/09552 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-07;14.09552 ?
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