COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 09 OCTOBRE 2014
FG
N° 2014/525
Rôle N° 13/17735
SARL 8 MAI
C/
Organisme AG2R PREVOYANCE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Sophie ARNAUD
Me Lise TRUPHEME
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 18 Juillet 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/01443.
APPELANTE
SARL 8 MAI,
dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.
représentée par Me Sophie ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Frédéric UROZ de la SELARL UROZ PRALIAUD & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON.
INTIMEE
AG2R PREVOYANCE,
dont le siège social est sis [Adresse 2]
élisant domicile en son [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.
représentée par Me Lise TRUPHEME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Jacques BARTHELEMY de la SELAS Jacques Barthélémy et Associés, avocat plaidant au barreau de NICE.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2014,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
La société à responsabilité limité Sarl du 8 Mai dont le siège est [Adresse 1] est une entreprise de boulangerie pâtisserie à l'enseigne 'la fille du boulanger'.
Les salariés de cette entreprise ont leur statut précisé par la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976.
Le 24 avril 2006 un avenant à cette convention collective, l'avenant n°83, lui-même modifié le 6 septembre 2006 par avenant n°1 à cet avenant, a mis en place d'un régime de remboursement complémentaire des frais de soins de santé.
Aux termes de cet avenant, l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance a été désignée comme organisme assureur.
Par arrêté du 16 octobre 2006, le Ministre du travail a dit que ces dispositions étaient rendues obligatoires pour tous les employeurs et salariés compris dans le champ d'application de la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie (entreprises artisanales).
La Sarl du 8 Mai a refusé de cotiser à l'égard de l'institution AG2R Prévoyance.
Le 2 février 2012, l'institution AG2R Prévoyance a fait assigner la Sarl du 8 Mai devant le tribunal de grande instance de Toulon en paiement des cotisations.
Par jugement contradictoire en date du 18 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Toulon a :
- dit que les clauses de désignation et de migration prévues respectivement aux articles 13 et 14 de l'avenant n° 83 de la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976, relatif à la mise en place d'un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé, sont conformes au droit interne,
- dit que les clauses de désignation et de migration prévues respectivement aux articles 13 et 14 de l'avenant n° 83 de la convention collective nationale- des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976, relatif à la mise en place d'un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé, sont conformes au droit communautaire,
- débouté la société Sarl Boulangerie 8 Mai de l'ensemble de ses demandes y compris de sa demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne,
- ordonné à la société Boulangerie 8 Mai de régulariser son adhésion en retournant dûment complété et signé 1'état nominatif du personnel ainsi que les bulletins individuels d'affiliation de tous les salariés accompagnés de tous les justificatifs permettant d'enregistrer les affiliations, depuis le 1er janvier 2007,
- dit que cette injonction de faire sera assortie d' une astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification de la présente décision,
- dit n'y avoir lieu a se réserver la liquidation de cette astreinte,
- ordonné à la Sarl Boulangerie 8 Mai de payer à AG2R Prévoyance, dans un délai de un mois à compter de la réception de l'appel de cotisations, les cotisations de l'ensemble de ses salariés prévues à l'avenant 11° 83 du 24 avril 2006 et dues à compter du 1erjanvier2007,
- débouté AG2R Prévoyance de sa demande de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la Sarl Boulangerie 8 Mai à payer à AG2R Prévoyance la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl Boulangerie 8 Mai aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Me GUERINI, avocat.
Par déclaration de Me Sophie ARNAUD, avocat, en date du 30 août 2013, la Sarl 8 Mai a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 3 juillet 2014 , la Sarl 8 Mai demande à la cour d'appel, au visa des articles 2, 3, 81, 82, 86 et 234 du traité instituant la communauté européenne, des articles 31 et 122 du code de procédure civile, des articles 9, 18, 101 , 102, 106 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, de l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale avant sa déclaration d'inconstitutionnalité, de l'article L.2253-2 du code du travail, de l'article L. 931-13 du code de la sécurité sociale, de l'article L.932-13 du code de la sécurité sociale, de l'avis du conseil de la concurrence du 29 mars 2013, de la décision du Conseil constitutionnel du 13juin 2013, et du 18 octobre 2013, de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 3 mars 2011 et de l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 décembre 2013, de :
- déclarer l'appel de la Sarl 8 Mai recevable et bien fondé,
- réformer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
- sur le plan du droit interne et ensuite de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 3 mars 2011, et de la décision DC du 13 juin 2013,
- faire application de la jurisprudence civile interne consacrant un principe de liberté d'adhésion aux entreprises entrant dans le champ d'application de la convention collective en cause,
- dire que l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n'avait pas vocation à s'appliquer et à emporter migration dès lors qu'en 2007 le niveau de garantie offert par AG2R Prévoyance était inférieur à celui souscrit auprès des autres organismes,
- tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel qui confirme la position des concluants depuis de nombreuses années,
- dire illégale et non conforme à la Constitution la clause de migration et la clause de désignation visées dans l'avenant en cause au principal en l'absence de tout contrat signé,
- dire que la créance de l'organisme AG2R Prévoyance n'est ni liquide ni exigible,
- rejeter les demandes en paiement des cotisations et de rappel de cotisations,
- rejeter la demande d'astreinte y afférente,
- à tout le moins, déclarer irrecevables les demandes de l'organisme AG2R Prévoyance pour les motifs ci avant exposés (prescription et absence de base légale),
- sur le plan du droit communautaire et ensuite de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 3 mars 2011,
- constater que les dispositions de l'avenant n°83 à la convention collective des entreprises artisanales de boulangerie et boulangerie pâtisserie sont soumises au Traité de fonctionnement sur l'Union européenne,
- déclarer la clause de désignation contenue dans l'avenant n°83 à la convention collective des entreprises artisanales de boulangerie et boulangerie-pâtisserie contraire aux dispositions du traité et notamment aux article 9 TFUE, 102 et 106 combinés du même traité en ce qu'aucune ouverture a concurrence n'a été faite dans le choix de l'organisme gestionnaire du régime en cause,
-déclarer de même que l'organisme AG2R Prévoyance a été choisi sans possibilité offerte à d'autres organismes de se positionner sur le marché et ce malgré l'arrêt BEAUDOUT précité,
- constater de manière générale la violation de l'obligation de transparence imposée par le droit de l'Union européenne,
- dire que le choix de l'organisme AG2R Prévoyance est illégal et que ce dernier exploite abusivement sa position dominante sur le marché national des frais de santé des salariés de la boulangerie-pâtisserie,
- dire également que le contrôle de l'Etat dans la gestion du régime en cause est inexistant alors même qu'une contestation est élevée depuis plusieurs années à l'égard d'AG2R Prévoyance,
- subsidiairement,
- ordonner un nouveau renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l'Union Européenne dès lors qu'il éclaire toujours les juges du fond sur la solution à retenir, et concernant la validité de la clause de désignation que la question à poser doit être: 'l'absence d'ouverture à concurrence dans le choix de l'organisme gestionnaire du régime en cause dans le cadre du monopole conféré est il conforme au droit communautaire',
- surseoir à statuer dans l'attende de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne,
- rejeter les demandes d'adhésion et de paiements formulées par AG2R Prévoyance à l'encontre de la Sarl du 8 Mai,
- réformer le jugement de première instance s'agissant des condamnations entreprises au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner l'organisme AG2R Prévoyance à payer à la Sarl du 8 Mai la somme de 2.000 € au titre des frais exposés en première instance,
- y ajoutant en appel, condamner AG2R Prévoyance payer à la Sarl du 8 Mai la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner AG2R Prévoyance aux entiers dépens de la présente instance et de celle de première instance dont distraction pour ceux d'appel au profit de Me Sophie ARNAUD, avocat.
La Sarl du 8 Mai soulève l'illicéité de la clause de désignation et de la clause de migration et demande à être mise hors de cause. Elle fait valoir que le Conseil constitutionnel, par décision du 13 juin 2013, a déclaré les dispositions litigieuses non conformes à la Constitution de sorte que la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation apparaît bien fragile.
Elle demande à la cour d'appel de reprendre les motifs de la décision du Conseil constitutionnel et de dire que les dispositions de l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif de mutualisation des risques.
La Sarl du 8 Mai estime que la clause de migration contrevient à la Constitution et doit être écartée.
La Sarl du 8 Mai considère qu'il résulte de la jurisprudence communautaire que la clause de désignation est irrégulière. Elle fait remarquer que AG2R Prévoyance est une entreprise de droit privé exerçant une activité économique, qu'elle doit être soumise aux règles de la concurrence, et qu'il y a violation de l'article 102 du traité TFUE avec exploitation abusive d'une position dominante. La Sarl du 8 Mai estime qu'il y a clause de désignation illicite.
Subsidiairement, elle demande le renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 juin 2014, l'institution de prévoyance AG2R Prévoyance demande à la cour d'appel, au visa de l'avenant n° 83 du 24 avril 2006, de l'arrêté d'extension du 16 octobre 2006, de la décision du Conseil d'Etat lue le 19 mai 2008, au visa notamment des articles L.911-1 et L.912-1 du code de la sécurité sociale, de l'avenant n°100 du 27 mai 2011, de l'arrêté d'extension du 23 décembre 2011, de l'arrêt rendu le 3 mars 2011 par la Cour de Justice de l'Union Européenne, des articles 6 et 11 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, de :
- déclarer mal fondé et injustifié l'appel interjeté par la société 8 Mai,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- juger que l'adhésion de la société 8 Mai à AG2R Prévoyance est obligatoire depuis le 1er janvier 2007,
- condamner la société 8 Mai à régulariser son adhésion auprès d'AG2R en retournant dûment complété et signé l'état nominatif du personnel ainsi que les bulletins individuels d'affiliation de tous les salariés accompagnés de tous les justificatifs permettant d'enregistrer les affiliations et ce, sous astreinte de 500€ par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- ordonner à la société 8 Mai de payer à AG2R Prévoyance dans un délai de 15 jours à compter de la réception de l'appel de cotisations, les cotisations de l'ensemble de ses salariés prévues à l'avenant n°83 du 24 avril 2006 et dues depuis le 1er janvier 2007,
- subsidiairement, condamner la société 8 Mai à verser à AG2R Prévoyance une provision de 19.200 € à valoir sur le montant total des cotisations,
- condamner la société 8 Mai au paiement d'une somme de 2.000 € à titre d'indemnité pour résistance abusive outre celle de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens qui seront distraits au profit de Me Lise TRUPHEME, avocat,
- débouter la société 8 Mai de toutes ses demandes.
AG2R Prévoyance estime que l'avenant n°83 est parfaitement licite, qu'une telle désignation est prévue par l'article L.911-1 du code de la sécurité sociale et qu'une convention collective peut procéder à la désignation d'un opérateur unique avec clause de migration. AG2R Prévoyance fait observer que le Conseil d'Etat a validé l'arrêté du Ministre du travail du 16 octobre 2006 portant extension de l'avenant à la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie, que la Cour de cassation a validé la clause de migration, que la Cour de Justice de l'Union Européenne a également validé ces clauses de désignation et de migration. AG2R Prévoyance fait observer que la Cour de Justice de l'Union Européenne a jugé d'un accord collectif ne donne pas naissance à une entente entre entreprises du fait de sa nature d'accord entre partenaires sociaux ayant pour objet l'amélioration des conditions de travail.
AG2R Prévoyance fait observer qu'il est poursuivi un objectif de solidarité, que la nature et le niveau de garanties mais aussi le montant des cotisations sont conventionnellement fixés ce qui protège ces petites entreprises, qu'une quote-part de cotisations est mise à la charge des salariés. AG2R Prévoyance fait remarquer que l'accord peut être réexaminé tous les cinq ans.
AG2R Prévoyance fait remarquer qu'aucun accord collectif antérieur n'avait mis en place de régime de prévoyance complémentaire antérieurement à cet avenant et qu'en conséquence il n'y a aucune contradiction avec l'article L.2253-2 du code du travail.
AG2R Prévoyance fait valoir que la décision d'inconstitutionnalité du 13 juin 2013 ne s'applique pas aux contrats en cours et que l'accord collectif n'est donc pas visé, alors que la convention d'assurance est signée avec les signataires de la convention collective et non avec chaque entreprise et qu'il n'y a pas de contrats individuels. AG2R Prévoyance estime que les clauses de désignation et de migration restent en vigueur jusqu'à ce que la convention collective soit dénoncée.
AG2R Prévoyance estime que le dispositif critiqué est parfaitement conforme au droit communautaire. AG2R Prévoyance fait valoir que la Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu le 3 mars 2011 un arrêt dans l'affaire AG2R Prévoyance/BEAUDOUT à propos du même accord collectif.
AG2R Prévoyance fait valoir que la clause de désignation est le fait des syndicats représentatifs de la branche et pas d'AG2R Prévoyance. Cette clause a été jugée compatible avec le Traité sur l'Union Européenne.
AG2R Prévoyance fait remarquer qu'elle dépend du groupe AG2R La Mondiale qui comprend ISICA et ISICA Prévoyance pour la prévoyance lourde (décès, incapacité et invalidité) et que la désignation n'a jamais été contestée.
AG2R Prévoyance fait observer que ce sont les cotisations qui permettent le versement des prestations et non l'inverse. Elle estime que le délai de prescription de deux ans n'a pu commencé à courir, faute d'éléments d'information donnés par la Sarl du 8 Mai.
AG2R Prévoyance fait remarquer que, faute d'éléments, elle ne pouvait que poursuivre dans un premier temps la régularisation de l'adhésion. Elle estime pouvoir réclamer une provision soit pour 8 salariés et 5 ans de cotisations à 40 €/mois/salarié, la somme de19.200 €
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 4 septembre 2014.
MOTIFS,
La Sarl du 8 Mai ne conteste pas qu'un régime de protection sociale complémentaire a été mis en place par convention collective en 2006 au profit des salariés des métiers de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie, régime devant s'appliquer à ses salariés, pour lesquels des cotisations doivent être versées.
La Sarl du 8 Mai conteste la légalité de ce système de protection sociale complémentaire en ce qui concerne l'absence de choix de l'organisme de protection sociale, quant à l'affiliation obligatoire à l'institution AG2R Prévoyance, contestant cette désignation et contestant cette obligation de transfert des adhésions à d'autres organismes vers AG2R Prévoyance.
-I) Sur l'absence de choix et l'adhésion à AG2R Prévoyance :
L'article 13 de l'avenant n°83 du 24 avril 2006 à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976, avenant relatif à la mise en place d'un régime de remboursement complémentaire des frais de soins de santé dispose : AG2R Prévoyance, institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale et relevant de l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles sise [Adresse 3], membre du GIE AG2R [Adresse 2], est désigné comme organisme assureur du présent régime 'remboursement complémentaire de frais de soins de santé'. Les modalités d'organisation de la mutualisation du régime seront réexaminées par la commission nationale paritaire de la branche au cours d'une réunion et ce, dans un délai de 5 ans à compter de la date d'effet du présent avenant.
Les partenaires sociaux de la branche demandent à AG2R Prévoyance, en sa qualité d'organisme assureur désigné, de contracter un partenariat financier avec deux organismes reconnus par la branche, à savoir ISICA Prévoyance et la mutuelle 'Les risques civils de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie française' dans le cadre de conventions de réassurance.
Cette demande repose sur une volonté des partenaires sociaux de créer une solidarité financière forte dans la gestion du régime 'remboursement complémentaire de frais de soins de santé' grâce à des partenaires financiers le permettant.$gt;$gt;
La société du 8 Mai estime que cette clause dite de désignation est contraire à l'ordre juridique résultant du droit national français et à l'ordre juridique résultant du droit européen et s'imposant en France.
-I-1) Sur la clause de désignation et le droit national français :
Cette désignation de l'institution AG2R Prévoyance a été faite par les organismes représentatifs de la profession de boulangerie et boulangerie pâtisserie.
Il s'agit d'un choix fait par les organismes représentant la profession. Ce choix n'est pas fait au niveau de chaque entreprise de boulangerie mais au niveau de l'ensemble de la profession.
Cette désignation résulte du droit interne, en l'occurrence de cet avenant n°83 de la convention collective.
L'arrêté du Ministre du travail du 16 octobre 2006 portant extension de cet avenant a été examiné par le Conseil d'Etat qui, par arrêt du 19 mai 2008 a rejeté la requête en annulation de cet arrêté.
Cet avenant se fondait sur l'application de l'article L.911-1 du code de la sécurité sociale
disposant que : à moins qu'elles ne soient instituées par des dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit par une décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé.
Mais la société du 8 Mai fait valoir que, par Décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a dit que les dispositions de l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale doivent être déclarées contraires à la Constitution, pour atteinte à la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques.
Cependant le Conseil constitutionnel a dit dans son considérant 14 : la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité$gt;$gt;.
En conséquence la Décision du Conseil constitutionnel ne rétroagit pas à la date du contrat collectif de 2006 avec AG2R Prévoyance résultant de l'avenant à la convention collective du 24 avril 2006.
La désignation de AG2R Prévoyance par la profession en 2006, et en tout cas avant la publication de l'arrêt du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, est parfaitement conforme au droit interne français.
-I-2) Sur la clause de désignation et le droit de l'Union européenne :
La société du 8 Mai estime que la clause de désignation par l'instance représentative de la profession est contraire aux règles résultant des traités de l'Union européenne.
Dans son arrêt du 19 mai 2008, le Conseil d'Etat a dit dans ses motifs que les dispositions des directives CEE des 18 juin et 10 novembre 1992 ne s'opposent pas à ce qu'un tel accord désigne un organisme assureur unique chargé d'organiser les risques énoncés à l'article L.911-2 du code de la sécurité sociale et qu'il n'était pas besoin de saisir la Cour de Justice des Communautés européennes.
Par arrêt du 3 mars 2011 la Cour de Justice de l'Union Européenne, dans une affaire AG2R Prévoyance / Sarl Beaudout père et fils, saisie d'une question préjudicielle sur la compatibilité de cet avenant n°83 à la convention collective de la boulangerie à propos de la compatibilité avec les articles 81 et 82 CE devenus 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne TFUE a dit : 1) l'article 101 TFUE lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3 TUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d'un secteur d'activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l'affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais et soins de santé pour l'ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense,
2) pour autant que l'activité consistant dans la gestion d'un régime de remboursement complémentaire de frais et soins de santé tel que celui en cause au principal doit être qualifié d'économique, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d'activité concerné d'être dispensés de s'affilier audit régime.$gt;$gt;
Rien ne permet de dire que la clause de désignation de l'institution AG2R Prévoyance par l'instance professionnelle représentative de la profession de la boulangerie comme organisme chargé de gérer le système de protection sociale complémentaire des employés de cette profession serait contraire aux règles de l'Union européenne.
-II) Sur la clause dite de migration :
L'article 14 de l'avenant n°83 litigieux, instaurant une clause dite de migration dispose :
L'adhésion de toutes les entreprises relevant du champ d'application de la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie au régime 'remboursement complémentaire des frais de santé' et l'affiliation des salariés de ces entreprises auprès de l'organisme assureur désigné ont un caractère obligatoire à compter de la date d'effet précisée à l'article 16 du présent avenant. A cette fin, les entreprises concernées recevront un contrat d'adhésion et des bulletins d'affiliation. Ces dispositions s'appliquent y compris pour les entreprises ayant un contrat de complémentaire santé auprès d'un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par le présent avenant.$gt;$gt;
Il en résulte qu'une entreprise de boulangerie, même déjà adhérente à un autre organisme de prévoyance que AG2R Prévoyance voit son régime glisser vers l'institution AG2R Prévoyance, avec 'migration' de son adhésion vers AG2R Prévoyance.
La Sarl du 8 Mai présente un bulletin d'adhésion en 2006 à un autre organisme Cooperassur Réseau, mais il y a lieu d'observer qu'elle ne justifie pas avoir effectivement payé des cotisations à cette société pour la période litigieuse.
-II-1) La licéité de cette clause dite de migration à l'égard des dispositions du droit national français :
L'article L.2253-2 du code du travail dispose que lorsqu'une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel vient à s'appliquer dans l'entreprise postérieurement à la conclusion de conventions ou d'accords d'entreprise ou d'établissement négociés conformément au présent livre, les stipulations de ces derniers sont adaptées en conséquence.
Par la suite de l'application des dispositions de l'avenant n°83 à la convention collective des entreprises de boulangerie, la convention de groupe prise au niveau de la profession avec AG2R Prévoyance doit se substituer aux assurances prises individuellement.
Cette clause dite de migration est parfaitement conforme aux règles applicables en matière de convention collective.
-II-2) La licéité de cette clause dite de migration à l'égard des dispositions du droit de l'Union européenne :
Aucune disposition résultant des traités de l'Union européenne, ni d'aucun texte européen n'empêche une instance représentative d'une profession de négocier une modification des conventions applicables en matière de garantie applicable dans le domaine de prévoyance sociale.
La défense des intérêts de la profession au niveau de ces instances représentatives doit permettre d'adapter les accords dans le souci d'assurer une protection sociale équivalente à tous les membres de la profession, quelle que soit l'entreprise au sein de laquelle ils travaillent.
Cette disposition ne viole pas les traités sur l'Union européenne.
Il ne peut être dit que la position de la société du 8 Mai aura été fautive. En tout état de cause, le préjudice de l'intimée n'est pas établi.
En définitive le jugement sera confirmé.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 juillet 2013 par le tribunal de grande instance de Toulon,
Condamne la Sarl du 8 Mai à payer à AG2R Prévoyance la somme supplémentaire de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,
Condamne la Sarl du 8 Mai aux dépens d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT