COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 09 OCTOBRE 2014
D.D-P
N° 2014/524
Rôle N° 13/17577
[X] [X]
C/
[L] [L]
SCP SCP [L]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BOISSONNET ROUSSEAU
Me Myriam HABART-MELKI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 16 Juillet 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/04147.
APPELANT
Monsieur [X] [X]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 1] (ALGERIE),
demeurant [Adresse 1]
représenté par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Patrick ARNOS, avocat plaidant au barreau de NICE.
INTIMES
Monsieur [L] [L]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 3] (42),
demeurant [Adresse 3]
représenté et assisté par Me Myriam HABART-MELKI, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE substituée par Me Florence SIGNOURET, avocat au barreau de MARSEILLE.
SCP [L]
dont le siège social est [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.
représentée et assistée par Me Myriam HABART-MELKI, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE substituée par Me Florence SIGNOURET, avocat au barreau de MARSEILLE.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2014,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
M.[X] [X] a été engagé le 1er mars 2000 dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, converti le 1er mars 2001 en contrat à durée indéterminée par l'agence régionale [Localité 2] Côte d'azur de la société Bouygues Immobilier en qualité de chef de groupe développement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 décembre 2005, reçue le 9 janvier 2006, la direction lui notifiait un avertissement lui demandant de modifier ses méthodes de travail.
Il était licencié le 1er février 2006 après entretien préalable, motifs pris d'insuffisance professionnelle, non respect de la hiérarchie, et insuffisance de résultats.
M.[X] [X], assisté par la SCP d'avocats [L] saisissait le conseil des Prud'hommes de Grasse le 17 décembre 2007, contestant la cause réelle et sérieuse de son licenciement.
Par jugement du 3 septembre 2008, le conseil des Prud'hommes de Grasse l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, estimant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.
Par exploit du 3 octobre 2008, M.[X] [X] toujours assisté de la SCP d'avocats [L], a interjeté appel de la décision.
Par arrêt du 26 avril 2010 , la cour de ce siège a déclaré irrecevable l'appel formé par télécopie et signée par un clerc d'avocat qui n'avait pas qualité pour agir au regard des dispositions de l'article R517-7 du code du travail.
Le 7 juillet 2011, M.[X] [X] a fait assigner M.[L] [L] et la SCP d'avocats [L] sur le fondement de l'article 1134 du code civil.
Par jugement contradictoire en date du 16 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Nice a :
- débouté M.[X] de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- et condamné M.[X] aux dépens distraits.
Le tribunal énonce en ses motifs :
- qu'il n'est pas contesté qu'en ne formalisant pas son appel pour lequel il avait été mandaté de manière régulière, propre à assurer sa recevabilité, la SCP d'avocats a manqué à son obligation de moyens et commis une faute ;
- que M. [X] précise qu'à la fin de l'année 2005, il avait fait l'objet de deux avertissements en raison de résultats insuffisants et pour n'avoir pas respecté les consignes de la hiérarchie en modifiant sans autorisation une clause ; qu'il soutient qu'aucun événement ne s'étant produit entre ces deux avertissements et son licenciement, celle-ci ne pouvait pas être fondée sur des motifs identiques à ceux ayant motivé les licenciements, de sorte que la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'aurait pu que réformer la décision du conseil des prud'hommes de Grasse ; que concernant l'insuffisance professionnelle, les faits sont anciens, et concernant l'absence de prospection systématique, qu'il estime qu'il s'agit là d'une appréciation subjective de son employeur ; que concernant l'insuffisance de résultats il prétend que jusqu'à la fin 2004 ses résultats avaient été jugés efficaces ou très efficaces par sa hiérarchie ;
- mais que la société d'avocats et maître [L] répondent exactement que la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'a pas été saisie par conclusions du moyen fondé sur l'identité des griefs contenus dans les avertissements et le motif de licenciement, de sorte qu'aucune perte de chance d'obtenir une réformation sur ce fondement n'existait ;
- que dans sa lettre de licenciement la société Bouygues immobilier a fondé celui-ci sur des faits de 2005 corroborant des faits antérieurs ;
- concernant l'insuffisance professionnelle, que les réponses du service juridique aux lettres de l'intéressé courant 2004 démontrent clairement son incompétence professionnelle et son manque de sérieux et de rigueur, M. [X] n'identifiant pas les problèmes potentiels (alignement, coût des travaux, droit de préemption, et refus de démolition), empêchant la signature des actes de vente définitifs pour lesquels il avait signé des promesses de vente ; que son attitude persistante a entraîné une certaine désorganisation de la société, contraignant le service juridique de Bouygues immobilier à travailler en urgence et quelquefois en pure perte ; que M. [X] a répondu en refusant de se remettre en cause et en critiquant les choix de la direction ;
que ses résultats suivants en 2005 n'en ont pas tenu compte ont été très faibles ; concernant l'insuffisance de résultats, que les objectifs fixés à M. [X] par sa direction n'ont pas été contestés par le salarié et que celui-ci n'a perçu en 2005 qu'une somme de 1125 € à titre de commission, ce qui démontre la faiblesse de ses ventes ;
- que les témoignages favorables qu'il produit se livrent à une appréciation générale de son comportement et ne font pas référence à une opération immobilière en particulier ;
- qu'en définitive les griefs formulés à son encontre par l'employeur justifiaient son licenciement de sorte que M. [X] ne démontre pas avoir eu quelques chances de voir réformer la décision du conseil des prud'hommes de Grasse du 3 septembre 2008 .
Par déclaration du 28 août 2013, M.[X] [X] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions notifiées le 30 juin 2014, il demande à la cour , au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, de :
- réformer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions,
- condamner la SCP d'avocats [L] à lui verser une somme de 280.000 € à titre de dommages et intérêts, toutes causes confondues,
- la condamner au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, distraits.
L'appelant soutient que son licenciement est abusif ; qu'il avait de bons résultats et a fait l'objet de critiques injustifiées à compter de l'année 2004, période à laquelle il a obtenu une voiture de fonction d'une catégorie plus importante que celle de son chef hiérarchique, ce qui a déplu à ce dernier ; que la direction locale a entendu restructurer le secteur des Alpes maritimes à sa manière ; que M. [X] a démontré dans ses écrits l'ensemble des opérations ayant donné lieu à la signature d'une promesse de vente pour l'année 2005 à laquelle le tribunal est fait référence ; que la reproduction in extenso par le conseil des prud'hommes des moyens de l'employeur doit donner lieu à une infirmation du jugement rendu puisqu'il ne fait pas référence à ses moyens ; que Bouygues immobilier n'a jamais observé une conduite précise et cohérente en matière de prospection systématique ; qu'il lui est reproché un simple délit d'opinion ; que les lettres qu'il a adressées ne contiennent aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif ; qu'elles ne constituent qu'une forme de conseils avisés de sa part dans un contexte immobilier marqué par la raréfaction des terrains ; que l'obtention des 'cautions' (en réalité le dépôt de garantie en vue de la vente) était soumise à un comité d'engagement avec tous les délais que cela représentait, ce qui a donné souvent lieu à un accord trop tardif ; que le taux d'échec des opérations est imputable à un manque de réactivité de la société Bouygues immobilier ; que plusieurs notaires ainsi que plusieurs agences immobilières attestent des bonnes relations qu'ils entretenaient avec lui et par son entremise avec la société Bouygues immobilier; et que depuis son départ, la société a une image dégradée dans la région.
Par ses dernières conclusions notifiées le 13 août 2014, la SCP d'avocats [L] et M. [L] [L] demandent à la cour :
- d'écarter des débats les pièces 2, 24 à 39, 43, 46, 47 et 52 en l'absence de lien causal entre ces pièces et la perte d'une chance invoquée,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé non sérieuses la perte de chance alléguée par M.[X] de voir réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Grasse en date du 3 septembre 2008,
- débouter M.[X] de son appel dirigé contre Me [L] [L] et la SCP [L], et les mettre hors de cause. (=en réalité débouté au fond et non un appel mal dirigé)
surabondamment,
- juger en tout état de cause non établi le préjudice allégué par M.[X] à hauteur de la somme de 130.000 €,
- juger tout au plus qu'à l'égard de la société Bouygues Immobilier cette somme n'aurait pu excéder 42.500 € correspondant à 6 mois de salaire vu l'ancienneté dans la société de M.[X] et son age d'entrée dans la société,
- juger non avérée l'existence d'un préjudice moral de M.[X] susceptible d'être indemnisé par la Société Bouygues Immobilier et son employeur,
- et en conséquence rejeter encore les demandes,
et réformant le jugement déféré,
- condamner M.[X] à leur payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction.
Le conseil répond qu'il ne saurait être invoqué pour engager sa responsabilité et prétendre établir la chance sérieuse de réformation et l' absence de cause du licenciement, des pièces nouvelles dont M. [X] n'avait pas fait état dans le cadre de sa défense et qui ne lui avaient pas communiquées en vue de la procédure d'appel du jugement des Prud'hommes ; que l'appelant ne rapporte pas la preuve de la communication antérieure de ses pièces à son conseil devant le conseil des prud'hommes et la 17e chambre de la cour ; que le licenciement de M. [X] est fondé au vu de l'incompétence professionnelle avérée de celui-ci résultant des pièces produites versées au débat ; que la 17e chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, au fond, même si elle avait été régulièrement saisie, n'aurait pas réformé le jugement déféré ; que la société Bouygues immobilier est en droit de définir une stratégie et qu'il n'appartenait pas à un salarié de la remettre en cause, sauf à développer lui-même sa propre activité, ce que fit M. [X] à compter du 30 octobre 2006, comme l'atteste le K bis de la société [X] versé aux débats ; que M. [X] ne saurait prétendre obtenir devant la cour la totalité des sommes qu'il avait sollicitées en première instance sans succès devant la juridiction des prud'hommes, le préjudice du requérant recherchant la responsabilité de son ancien avocat étant toujours limité à la perte de chance qu'il avait d'obtenir gain de cause, la réparation d'une perte de chance devant être mesurée à la chance perdue et ne pouvant pas être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; que les différents préjudices invoqués, préjudice moral ou pertes financières, sont inexistants.
MOTIFS
Attendu en premier lieu, en ce qui concerne la demande d'écarter les pièces nouvelles au regard de celles qui avaient été soumises aux juridiction prudhomale et d'appel, que les dispositions de l'article 563 code de procédure civile, s'y opposent ; qu'il s'agit en réalité d'un moyen ayant trait au fond du litige et non à la recevabilité en la forme de pièces ;
Attendu au fond, sur le moyen tiré de la prétendue nullité du jugement du conseil des prud'hommes pour insuffisance de motifs que si, comme soutenu, le conseil des prud'hommes avait insuffisamment motivé sa décision, la cour ne pouvait pas manquer, elle, saisie par l'effet dévolutif, de rendre une décision conforme au droit en reprenant et en répondant aux moyens de l'appelant ; que ce moyen purement hypothétique doit être écarté ;
Attendu ensuite sur le caractère réel et sérieux du licenciement, que faute d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge a déjà répondu, point par point, par des motifs développés pertinents qui méritent adoption, sauf à leur ajouter que le moyen tiré du fait que d'autres sociétés aient pu, elles, avec d'autres salariés à leur service que M. [X], mener à bien les opérations immobilières portant sur les mêmes biens, est inopérant;
Attendu toutefois que le conseil de M. [X] a manqué aux règles de forme requises pour l'exercice des voies de recours ; qu'il est à observer qu'il n'avait pas dissuadé son client de relever appel de la décision rendue contre lui ; que compte tenu d'un certain aléa judiciaire, il a fait perdre à M. [X] une chance, qui ne peut qu'être qualifiée de faible, d'obtenir satisfaction devant la cour ;
Attendu que le préjudice issu de cette privation certaine d'une chance même faible, sera entièrement réparé par l'octroi d'une somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il s'ensuit la réformation du jugement déféré ;
Attendu que les intimés succombant devront supporter la charge des dépens, et verser en équité la somme de 3500 € à l'appelant au titre de l'article 700 du code de procédure civile, applicable tant en première instance qu'en cause d'appel, ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Dit n'y avoir lieu à rejet de pièces,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant
Condamne in solidum la SCP d'avocats [L] et M. [L] [L] à payer M. [X] [X] la somme trois millle euros (3000€) à titre de dommages intérêts et celle de trois mille cinq cents euros (3500 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT